Promenades Littéraires (Gourmont)/Rivarol
RIVAROL
Sa réputation d’homme d’esprit a beaucoup nui à Rivarol. M. Taine, qui ne se tient pas d’admiration devant Mallet du Pan, n’ose pas louer Rivarol, et il ne le cite même qu’en témoignage de faits insignifiants. Il lui impruntera ses idées, et jusqu’à ses métaphores[1], mais sans oser le nommer. M. Faguet, qui n’a aucun préjugé, pas même celui de l’exactitude, se vante bravement de son intimité avec le diable : « Rivarol, dit-il[2], aussi spirituel que Chamfort, mais beaucoup moins profond, est connu pour son Discours sur l’Universalité de la langue française, couronné par l’Académie de Berlin, pour son Dictionnaire de la langue française[3], dont le Discours préliminaire, avec des prétentions philosophiques un peu fastueuses, n’est pas un mauvais morceau[4], et par sa collaboration aux journaux réactionnaires du temps. Journal politique et national[5], Actes des Apôtres[6], etc. Ses mots couraient les salons[7]… Il savait faire le vers aimable et léger du xviiie siècle…[8]. » M. Faguet se vante ; j’ai bien dit. Ainsi ceux qui ont lu Rivarol le taisent, et ceux qui en parlent prouvent qu’ils ne l’ont pas lu[9].
Tel est, pour employer un mot familier à Rivarol, l’état de la question.
Je pense, après avoir vécu presque une année entière dans son intimité, que Rivarol était un grand et bel esprit dont la floraison fut éclatante et la maturité un peu tourmentée.
Né à Bagnols, le 26 juin 1753, Antoine de Rivarol n’était méridional que par sa mère et sa grand’mère. Les Rivarol venaient du Milanais, plus anciennement de Parme. L’officier, cadet de famille, qui passa en France, vers 1716, et s’y maria, était né à Novare. C’est le grand-père de Rivarol. Son père, de Nîmes, vint à Bagnols, exerça, pour élever ses seize enfants, plusieurs fonctions ou métiers, tour à tour percepteur et fabricant de soie, aubergiste même, dit-on. Il était lettré, faisait des vers et c’est de lui que Rivarol apprit assez d’italien pour comprendre et traduire Dante.
Les premières années de Rivarol à Paris sont demeurées très obscures. On sait qu’il rechercha la protection de d’Alembert, de Buffon, de Voltaire, qu’il porta pendant quelque temps le nom de M. de Parcieux, bonhomme de savant, qui était son grand-oncle, qu’il se lia avec Gubières, Chamfort, Tilly, Champcenetz et qu’il fut enfin présenté à Panckoucke. À partir de ce moment, 1778, on le suit plus facilement. Le Mercure de France avait alors une importance qu’aucune revue n’a jamais retrouvée. Son directeur était un intendant à la nomination de l’État. Ses rédacteurs recevaient non seulement des émoluments, mais des pensions. Pendant quatre ou cinq ans, çà et là, on devine en quelque coin d’article, parmi des pages qui peuvent être de tout le monde, des phrases qui ne peuvent être que de Rivarol, car, dès ce moment, la forme de son esprit est fixée : lui seul a ce talent, qu’on a parfois imité en vain, de décerner ces éloges qui laissent perplexes, soit par leur énormité, soit par leur tour équivoque. Un sot ne pouvait-il pas se tromper à ceci ; il s’agit d’une tragédie où l’auteur amplifie un passage de Britannicus : « On ne peut pas se méprendre à cette imitation. Nous observerons seulement que Racine a mis beaucoup moins de vers. Racine n’avait pas tant de fécondité. » Rivarol, malgré la Révolution, conservera toujours cet art de cacher sous un sourire son mépris ou sa colère. Les temps qu’il vécut permettaient l’indignation : il n’y céda jamais que de premier mouvement ; souvent, comme honteux, il reprend en ironie ses premières touches de colère. Dans ses épigrammes sur Mirabeau, on voit toute la gamme de l’esprit de Rivarol, depuis la malice jusqu’au sarcasme. Le sarcasme est italien, l’ironie est française.
Le premier écrit séparé de Rivarol est une Lettre critique sur le poème des Jardins, badinage un peu gauche, mais si bien pensé qu’il représente assez véritablement l’arrêt de la postérité. L’abbé Delille y est doucement ramené à sa juste valeur. Dès ce moment, Rivarol prend, comme on disait alors, le « sceptre de la critique ». Par ses écrits et aussi par sa parole, par son silence aussi, il va diriger l’opinion. Quand la Révolution le force à devenir critique politique, il avait renouvelé la critique littéraire. À la suite de cette Lettre, on imprima bientôt le Chou et le Navet, facétie en vers qui eut, dit Cubières, plus de trente éditions. Rivarol s’amuse, mais, même quand il s’amuse, il reste judicieux. Quoi de plus véridique que cette prophétie burlesque sur l’abbé Delille :
Sa gloire passera : les Navets resteront.
Rivarol, autre signe de jugement, ne dédaigna jamais l’actualité. Sa Lettre sur le globe aérostatique est un agréable tableau de l’agitation où jetèrent Paris les expériences de Montgolfier et de Charles. Il y a déjà de la philosophie dans cette bagatelle et il juge bien l’honnête Montgolfier, inventeur par hasard, et Charles, « physicien très distingué ». C’est là qu’on trouve ce joli mot : « Il n’est rien de si absent que la présence d’esprit. » Comme tous les mots de Rivarol, il est lié à un texte : il est une conséquence, et non un trait jeté en l’air.
Couronné, en 1784, par l’Académie de Berlin, qui réservait cependant la moitié du prix à un sieur Schwab, imprimé la même année par Decker, le Discours sur l’Universalité de la langue française parut à Paris dans les premiers mois de l’année suivante. C’est probablement, avec l’Essai sur le libre arbitre de Schopenhauer, les seuls beaux fruits des concours académiques. Son succès fut grand, et il le méritait. Si les progrès de la philologie lui ont fait perdre presque toute sa valeur scientifique, la valeur philosophique et littéraire est demeurée intacte.
Sur l’invitation de l’Académie de Berlin, sans doute de Frédéric lui-même, Rivarol constatait un fait, toujours exact, quoique moins évident au premier coup d’œil, et tentait de l’expliquer. Ses raisons ne sont pas mauvaises ; elles peuvent se résumer ainsi : une grande littérature servie par une grande politique. Mais la partie la plus neuve du Discours, et qui l’est restée, est celle où Rivarol esquisse une sorte de psychologie[10] du langage. Est-ce à lui que l’on doit l’expression de parole intérieure, thème récent d’heureuses recherches ? Je le crois. Voici le passage : « Si la parole est une pensée qui se manifeste, il faut que la pensée soit une parole intérieure et cachée. » Il y a, un peu plus loin, un paragraphe sur l’accord entre les langues et les climats, qui ne me semble pas sans valeur, même scientifique : « La nature, qui n’a qu’un modèle pour tous les hommes, n’a pourtant pas confondu tous les visages sous une même physionomie. Ainsi, quoiqu’on trouve les mêmes articulations radicales chez des peuples différents, les langues n’en ont pas moins varié comme la scène du monde ; chantantes et voluptueuses dans les beaux climats, âpres et sourdes sous un ciel triste, elles ont constamment suivi la répétition et la fréquence des mêmes sensations. » Sans doute, Rivarol a lu Condillac, mais c’était son devoir, comme c’est son mérite d’avoir fait entrer dans la littérature des notions qui n’y avaient pas encore pénétré. Songe-t-on à ce qu’auraient mis de rhétorique, en un tel sujet, un La Harpe ou un Thomas, les grands critiques du moment ?
Après un intermède, le Dialogue entre Voltaire et Fontenelle, qui est peut-être le chef-d’œuvre de la finesse, Rivarol, surmontant de longues hésitations, donna enfin au public sa traduction de l’Enfer. Dante n’était connu en France que de ceux qui lisaient l’italien. On en possédait cependant une traduction complète, celle de Grangier, en vers (1597), mais plus difficile, de beaucoup, à entendre que l’original, et une traduction partielle, l’Enfer, par Moutonnet de Clairfonds (1776). La seule critique dont soit digne le travail de ce Moutonnet est précisément celle de Rivarol[11] : « Il nous a paru, au premier coup d’œil, que M. Moutonnet était trop doux pour traduire l’Enfer. » Répliquera-t-on à Rivarol : « Vous, vous étiez trop prudent, de trop de goût. » Cela serait injuste. Rivarol, excellent logicien, partait toujours d’un principe. Il n’est guère un de ses bons mots même derrière lequel il ne se cache une idée. Dante était inconnu ; il voulut le faire connaître, c’est-à-dire donner au xviiie siècle quelque chose de l’impression qu’éprouvèrent, en lisant l’Enfer, les Italiens du quatorzième. Il dit cela très bien : « Ce n’est point la sensation que fait aujourd’hui le style du Dante en Italie qu’il s’agit de rendre, mais la sensation qu’il fit autrefois. Si le Roman de la Rose avait les beautés du poème de l’Enfer, croit-on que les étrangers s’amuseraient à le traduire en vieux langage, afin d’avoir ensuite autant de peine à le déchiffrer que nous[12] ? » Rivarol répond ainsi d’avance, non seulement à Littré[13], mais à Fiorenlino, à Brizeux et aux autres. De toutes les traductions de l’Enfer, celle de Rivarol demeure, non pas la meilleure, certes, et encore moins la plus exacte, mais la seule qui ait une valeur d’art, la seule qui soit une œuvre de volonté à la fois et une œuvre littéraire. Il est bien difficile de lire de suite l’Enfer de Brizeux, par exemple, et de s’y plaire. L’obscurité déconcerte à chaque pas, et pour réellement comprendre, il faut recourir au texte italien. Ceux qui n’ont pas cette ressource se découragent. Le médiocre mérite des traducteurs modernes est la littéralité ; mais comme elle a des limites, ils tombent eux-mêmes dans la périphrase. Rivarol s’est donné bien de la peine pour rendre assez mal ce vers[14] :
Ed egli avea del cul fatto trombetta.
Brizeux, littéral, laisse voir une pudeur typographique qui change aussitôt en grossièreté la franchise de Dante : « Et celui-ci de son c… avait fait une trompette. » Mais Dante lui-même a reculé devant le mot. Son vers est une périphrase. Cherchez dans les notes de Rivarol[15] : « Le chef répond à ces grimaces par un pet, puisqu’il faut le dire. » Ces touches réalistes, si elles font partie du génie de Dante, y tiennent peu de place ; mais où nous voyons des taches, le lecteur du quatorzième siècle ne voyait qu’un point de couleur fondu dans l’ensemble. Selon le principe de Rivarol, sa périphrase, « signal immonde », est peut-être ce que l’on pouvait trouver de plus juste à la fois et de moins choquant.
En bien des passages, il n’a jamais été égalé. Par exemple, au chant xxix, où apparaissent deux damnés rendus lépreux : « Jamais l’écuyer que l’œil du maître ou le sommeil sollicite ne promène d’une main plus agile son étrille légère, que ne faisaient les deux coupables, ramenant sans cesse leurs ongles de la tête aux pieds, et se défigurant de coups et de morsures pour apaiser l’effroyable prurit qui les dévorait ; et comme le poisson se dépouille sous le tranchant du couteau, ainsi leur peau tombait en écailles sous l’effort de leurs infatigables doigts. » Que l’on relise cela dans l’informe balbutiement de Brizeux : « … Elles (les ombres) arrachaient avec leurs ongles les croûtes de la lèpre, comme le couteau arrache les écailles de scare ou celles, plus larges encore, d’un autre poisson. » À propos de cette scène réaliste si bien rendue par Rivarol, M. A. Le Breton[16] cite malicieusement l’appréciation d’un certain M. Despois : « Le Dante de Rivavol est poudré et pailleté à la mode de 1784… On y sent le parfum fade du xviiie siècle vieillissant et comme une odeur de boudoir…[17]. » J’ai entendu soutenir à un homme de goût que l’Homère de madame Dacier donnait une impression homérique meilleure que celui de Leconte de Lisle. C’est que, dans une traduction, il y a deux sortes d’exactitudes, celle de l’esprit et celle de la lettre. Mais un grand poète n’a vraiment de sens que traduit par un grand écrivain : avant le Milton de Chateaubriand, il y eut le Dante de Kivarol ; les systèmes diffèrent, les effets sont presque pareils.
J’avoue d’ailleurs que cet Enfer n’est plus de notre goût. Il ne répond plus à l’idée que, même ignorants, nous nous faisons de Dante Alighieri. Pourtant, il y a encore du charme en beaucoup de ses pages : en nulle traduction l’épisode de Francesca de Rimini n’a plus de douceur que dans celle de Rivarol, et, s’il n’en avait pas gâté la fin, le morceau serait parfait.
Il explique son système dans une des notes au xxe chant :
« J’avoue donc que, toutes les fois que le mot à mot n’offrait qu’une sottise ou une image dégoûtante, j’ai pris le parti de dissimuler ; mais c’était pour me coller plus étroitement au Dante même que je m’écartais de son texte : la lettre tue et l’esprit vivifie. Tantôt je n’ai rendu que l’intention du poète, et laissé là son expression : tantôt j’ai généralisé le mot, et tantôt j’en ai restreint le sens ; ne pouvant offrir une image en face, je l’ai montrée par son profil ou son revers ; enfin il n’est point d’artifice dont je ne me sois avisé dans cette traduction, que je regarde comme une forte étude faite d’après un grand poète. C’est ainsi que les jeunes peintres font leurs cartons d’après les maîtres. L’art de traduire qui ne mène pas à la gloire peut conduire un commençant à une souplesse et à une sûreté de dessein que n’aura peut-être jamais celui qui peint toujours de fantaisie, et qui ne connaît pas combien il est difficile de marcher fidèlement et avec grâce sur les pas d’un autre. Plus même un poète est parfait, plus il exige cette réunion d’aisance et de fidélité dans son traducteur. Virgile et Racine ayant donné, je ne dis pas aux langues française et romaine, mais au langage humain, les plus belles formes connues, il faudrait se jeter dans tous les moules qu’ils présentent, et les serrer de très près en les traduisant, vestigia semper adorans. Mais le Dante, à cause de ses défauts, exigeait plus de goût que d’exactitude : il fallait avec lui s’élever jusqu’à une sorte de création[18], ce qui forçait le traducteur à un peu de rivalité[19]. » Il faut juger un écrivain d’après ce que nous voudrions qu’il eût fait. Rivarol a entrepris une conquête et l’a menée à bien. Souvenons-nous qu’il a annexé Dante à la littérature française.
Les petits hommes de lettres de l’an 1785 sentirent qu’un écrivain venait de naître, qui n’était pas de leur race. C’est de cette époque que date l’animosité que le monde littéraire manifesta contre Rivarol. Deux œuvres maîtresses parues coup sur coup lui fermaient à jamais tous les cœurs. Lui, cependant, heureux de pouvoir enfin se livrer sans remords à sa paresse naturelle, se reposa pendant quatre ans. Il aiguisait ses griffes, parfois un peu comme un chat, tantôt sur le dos de Beaumarchais, tantôt sur celui de madame de Genlis. C’est de cette dernière période que datent ces fantaisies parodiques qui amusèrent tant un public facile à distraire. L’un de ces opuscules, le Songe d’Athalie, est demeuré des plus agréables, grâce surtout aux pièces ajoutées. La parodie, débutant ainsi :
Savante Gouverneur, est-ce ici votre place ?
était lancée sous le nom de Grimod de la Reynière. On feignit, quelques semaines plus tard, que Grimod, indigné, publiait un Désaveu. Cela ne suffisait pas : il y eut un désaveu du Désaveu, ou Vrai Désaveu de la parodie. Commencée aux dépens de madame de Genlis, la farce s’achevait aux dépens de Grimod, dont elle soulignait les prétentions ridicules. On dit qu’il y a du Champcenetz, au moins dans le Vrai Désaveu ; c’est possible, mais du Champcenetz surveillé et amendé par Rivarol. Le début du Désaveu est bien amusant : « Je prends la plume, sans doute un peu tard, pour désavouer un pamphlet qui ne doit qu’à une apparence de gaîté la tolérance dont il a joui ; mais pouvais-je prévoir, dans ma retraite, l’obstination de toute la France à me supposer le seul genre de hardiesse qui me répugne ? Moi qui ai poussé la littérature jusqu’au fanatisme, j’aurais pu ridiculiser des académiciens ? Quelle calomnie ! Moi qui ai toujours regardé les femmes comme aussi étrangères à la morale qu’inutiles à la société, j’aurais osé en outrager une qui ne s’est débarrassée si vite des agréments de son sexe que pour mieux entrer dans l’esprit du nôtre[20] ? »
Mais les notes sont du bien meilleur Rivarol ; celle-ci sur La Harpe : « On y trouve (au Lycée) tel homme qui, vers l’âge de cinquante ans, n’a été à sa place que là, et auquel on donne mille écus pour le faire parler, tandis que, pour parler, il les aurait donnés lui-même. Ses revers à l’Académie et ses succès au Lycée viennent de ce qu’à l’Académie il lit ses ouvrages, et au Lycée ceux des autres. Du reste, cet écrivain est de la bonne école, et ses pièces sont toujours des contre-épreuves de celles de nos maîtres. Son style est sans beautés, mais il est sans défauts ; et on sent, dans tous les ouvrages de l’auteur, qu’il n’eût point fait de livres, s’il n’y avait point de livres. » Plus tard, mais son impression datait du même moment, il peint Le Brun, homme d’esprit et habile mosaïste, « assis sur son séant dans son lit, avec des draps sales, une chemise sale de quinze jours et des bouts de manche en batiste un peu plus blancs, entouré de Virgile, d’Horace, de Corneille, de Racine, de Rousseau, qui pêche à la ligne un mot dans l’un et un mot dans l’autre, pour en composer ses vers qui ne sont que mosaïque[21]… »
La Harpe et Le Brun étaient alors deux grands hommes, mais la scène littéraire appartenait aussi aux Baculard, aux Genlis, aux Garat, aux Mouhy, aux Pils, aux Cailhava et même aux Grimod. Cela exaspérait Rivarol, homme de goût. Lui, dont le maître était Montesquieu, celui de l’Esprit des Lois aussi bien que celui des Lettres Persanes, il se sentait parfois rougir en lisant les éloges que se décernaient l’un à l’autre un Saint-Ange et un Ximénès. La poésie dont il venait de goûter î’àpreté dans l’Alighieri, dont Virgile et Racine lui avaient versé la douceur, il la voyait représentée par un Delille et, à sa suite, un Cubières ou un Sélis. Ce Sélis, auteur « de six gros volumes d’épîtres, de dédicaces et de bouquets[22] », n’avait-il pas eu l’audace, dans son prurit de tout louer, a depuis le cèdre jusqu’à l’hysope », d’écrire :
Nivernois au Parnasse est toujours duc et pair ?
Rivarol se fâcha. Mais sa fâcherie prit son tour habituel, l’Ironie, et, vers la fin de l’année 1787, il se mit à rédiger avec beaucoup de soin, de sa belle écriture nette et reposée, les éloges des 650 grands hommes, qui alors se partageaient la gloire. Cela fit le Petit Almanach de nos grands hommes pour 1788. Les premières éditions de ce livret contiennent un calendrier. C’est un vrai almanach, comme il y en avait tant, et qui se présentait avec autant d’innocence que l’Almanach des Muses, les Étrennes de Polymnie, les Muses provinciales, l’Asile des Grâces et vingt autres. Mais bientôt les nouveaux grands hommes, d’abord flattés, firent paraître de légers mouvements d’inquiétude. Se moquerait-il ? C’est ce que se demandait M. Fallet : « On a aimé M. Fallet dans Tibère t Tibère lui-même y a beaucoup gagné. Il fallait bien du talent pour rendre Tibère aimable. » M. l’abbé Barthe, de la société anacréontique d’Arras, « excessivement connu pour une fable sur deux carrosses », fut mis en joie par un début si flatteur. « Les propos que tiennent ces deux carrosses sont prodigieux… » Ce prodigieux lui sembla équivoque. Il acheva : « Il n’y a guère dans toute la littérature que les cheveux d’Achille qui soient dignes de converser avec les carrosses de M. l’abbé Barthe. V. l’Iliade. » Telle est la vanité des poètes qu’il n’est pas sûr que le pauvre M. l’abbé Barthe ait compris ; néanmoins. il sentait bien que l’on raillait M. Fallet, et M. Fallet riait avec tout le monde de M. Barthe.
La préface, qui est fort amusante, imagine que l’idée du Petit Almanach est née d’une conversation de cercle. On parlait littérature : des grands noms on descendit, aux moyens, aux petits, aux imperceptibles. Peu à peu cela devint un jeu, « et ces messieurs, se mettant à disputer de petitesse et d’obscurité, on vit paraître sur la scène une armée de Lilliputiens : Mérard de Sain-Just, Santerre de Magny, Laus de Boissy, criait l’un ; Joli de Saint-Just, Pons de Verdun, Regnault de Beaucaron, criait l’autre ; Guinguené par-ci, Moutonnet par-là. Briquet, Braquet, Maribarou, Mony-Quitaine, et puis Grouvelle, et puis Berquin, et puis Panis, et Fallet ; c’était une rage, un torrent… » Cependant l’Assemblée croyait « que ces messieurs plaisantaient et n’alléguaient que des noms sans réalité ». L’un d’eux s’écrie alors : « Si vous me poussez, je vous citerai M. Groubert de Groubental, M. Fenouillot de Faîbaire de Quingey et M. Thomas Mineau de la Mistringue. À ces mots on éclate de rire, mais le discoureur sortit de sa poche trois opuscules, l’un sur la finance, l’autre sur l’impôt, et l’autre sur le drame, qui prouvaient bien que MM. Groubert de Groubental, Fenouillot de Faîbaire de Quingey et Thomas Mineau de la Mistringue n’étaient pas des êtres de raison. »
Là-dessus, il vient à l’un des auditeurs de cette conversation une idée merveilleuse. Que de richesses, se dit-il, et pourtant on croit la nature avare. On ne cite que cinq ou six grands hommes par siècle, et cela porte le peuple à croire que la providence n’est qu’une marâtre, « tandis que si on proclamait le nom de tout ce qui écrit, on ne verrait plus dans elle qu’une mère inépuisable et tendre, toujours quitte envers nous soit par la qualité, soit par la quantité. Si j’écrivais l’histoire naturelle, croyez-vous que je ne citerais que les éléphants, les rhinocéros et les baleines ?… »
Il ne faudrait jamais commencer à citer du Rivaroi ; on copie pour son plaisir. Le Petit Almanach, cependant, nous paraît u » n peu long aujourd’hui. Bien des allusions nous échappent et le parfum de certaines plaisanteries s’est évaporé à jamais[23]. Il reste cependant un grand nombre d’articles qui valent pour eux-mêmes, quelle que soit la qualité de la victime :
« guidi (M. l’abbé). Auteur d’un poème sur l’Ame des bêtes. Cet ouvrage, plein d’âme, vivra éternellement.
« meude-monpas (M. de). Quoiqu’il ne soit pas sorti de la charade, cet écrivain a su y déployer une philosophie qui ne refroidit jamais sa marche.
« machant, marchand (MM.). Deux poètes aussi distincts que distingués. L’un a fait un poème sur Fénelon, et l’autre des couplets ravissants sur un petit chien.
« levasseur (M.). Fait la musique de tous ses opéras, ce que personne peut-être n’aurait fait.
« d’aix de buffardin, ou buffardin d’aix. Ses épigrammes font honneur à son cœur… »
Plus d’un article, et c’est ce qui fait l’éternelle jeunesse de Rivarol, semble toujours écrit d’hier matin : « On assure que M. l’abbhé Jouffreau a mis Don Quichotte en vers… Les œuvres de M. Perreau sont déposées aux Français… M. de Pilhes, un des plus laborieux commerçants de poésie qui existe dans l’empire littéraire… M. Pruneau a fait une petite pièce aux Français et s’est tenu coi… M. Rayecki, poète étranger, mais si bien naturalisé dans nos journaux qu’il ne peut plus être distingué de nos jeunes poètes français que par la signature… »
La moralité de cette longue fable-critique en 650 couplets se trouve à l’article de M. Roudier : « On ne peut rien affirmer de bien certain sur cet auteur. Il est dur d’être réduit à ces obscurités avec des contemporains. Que sera-ce de tous ces noms-là dans quelques siècles[24] ? »
Les éditeurs des Œuvres complètes, hommes prudents, ont fait suivre le Petit Almanach d’un catalogue, qui, sous couleur d’impartialité, semble demander pardon aux victimes de Rivarol. Il y ont placé « quelques-uns des noms qui leur ont paru les plus illustres ». Cette amende honorable est bien comique. « Il a paru raisonnable et piquant de faire un rapprochement des articles de quelques-unes des personnes qui se trouvent dans le Petit Almanach et des ouvrages qu’elles ont donnés depuis, regardés pour la plupart comme les chefs-d’œuvre de notre scène et de notre poésie. » Depuis cette année 1788, depuis vingt ans, car nous sommes en 1808, Andrieux a publié les Étourdis ; Arnault, Marius ; Chénier, Charles IX ; Cailhava, l’Égoïsme ; Ducray-Duminil, la Maisonnette dans les bois ; Demoustiers, les Lettres à Émilie ; Fabre d’Églantine, le Philinthe de Molière ; Fenouillot de Falbaire, l’Honnête criminel ; Legouvé, le Mérite des femmes ; Luce de Lancival, Achille à Seyros ; Vigée, la Fausse coquette, etc. Qu’aurait pu trouver Rivarol dans ces œuvres faciles à prévoir et pareilles à tant d’autres qu’il a raillées, sinon de nouveaux motifs à railleries ? Il ne s’est trompé que sur Rétif de la Bretonne et, si l’on veut, sur Mercier[25], car il n’est pas certain que son Lemercier soit Népomucène, et son Delaclos n’est pas l’auteur des Liaisons dangereuses, ou il l’ignorait. On ne peut lui reprocher d’avoir entravé aucun talent, encore moins aucun génie. Il y a un doigté parfait dans cette œuvre de critique légère, mais saine. On ne dira même pas qu’il a méconnu Beaumarchais, car son injustice, parfaitement consciente, tient à des causes que nous ignorons, mais qui ne semblent pas toutes littéraires. Comme pour l’abbé Delille, Rivarol a été, pour la « fourmilière », la postérité. Qu’il est joli, qu’il marque bien les distances et les proportions, son mot sur Cubières singeant Dorat : « C’est un ciron en délire qui veut imiter la fourmi. » Et que sont les Andrieux, les Lancival et les Legouvé ?
M. A. Le Breton a raconté, dans son Rivarol, comment se vengèrent Chénier et Cubières, aidés de Cérutti[26] et de Garat. Rivarol fut, comme un roi, accablé de pamphlets anonymes. Le plus rare et le plus spirituel est une sorte de roman par lettres intitulé les Bagnolaises. « Les mots piquants fourmillent dans ce tissu d’inventions ou d’insinuations scélérates… les Bagnolaises pourront passer pour le plus bel effort intellectuel dont des gueux de lettres, atteints dans leur vanité, aient jamais été capables[27]. » Ceux qui n’aiment pas à séparer le fond et la forme seront encore moins indulgents. Rivarol ne répondit pas, car la pièce que l’on trouve dans les dernières éditions du Petit Almanach, et qui s’intitule les Aveux ou l’Arche de Noé, est d’un ton bien modéré, si on la compare aux Bagnolaises et à la Satire universelle. Mais Rivarol ne pouvait se résoudre à déplacer les questions et quand ceux qu’il avait accusés de sottise l’accusaient d’escroquerie, il ne faisait que répondre : « Il nous avait paru que l’oubli, comme un second déluge, gagnant de jour en jour la surface du globe littéraire, le temps de reconstruire l’Arche était à la fin venu : et nous y fimes entrer tous les animaux portant plumes, tant les mondes que les immondes, à l’exception de quelques aigles qui se sauvèrent d’eux-mêmes sur la cime des monts. »
Abandonnant au bon moment une lutte inutile, Rivarol, qui eut toujours le sens de la vie, se tourna, comme le public, vers les choses sérieuses. M. Neker venait de publier un livre que l’on discutait avec passion. De l’importance des opinions religieuses, Rivarol entreprit de le réfuter. L’odeur du protestantisme l’a toujours incommodé. Une religion à la fois vague et personnelle, qui n’est pas un service d’État ni une tradition très solide, lui paraît la dernière des futilités. Il croit d’ailleurs que la morale est indépendante de toutes les philosophies et qu’elle n’a avec les croyances religieuses que des rapports factices. La morale s’apprend, comme les belles lettres et, comme elles, elle est un raffinement. Si le peuple, au contraire, a besoin d’une religion, il la lui faut très précise et très compliquée. Les hommes se sont facilement entendus sur la morale ; elle est une par toute la terre. Sans l’Évangile, ils n’auraient jamais deviné « que les cieux s’ouvraient à une certaine hauteur ; qu’il y avait trois personnes en Dieu ; que la troisième personne descendait en forme de colombe ; que la seconde personne viendrait juger les vivants et les morts ; que le diable entrait dans le corps des gens, etc. Voilà incontestablement ce que l’Évangile nous a appris, et ce que l’esprit humain n’aurait pu imaginer, tant la science est impuissante et vaine ! » Cette fusée voltairienne est fort agréable, mais la page importante de cet essai est celle où il démontre la vanité des principes spiritualistes, de ceux-là même que M. Necker venait, fade imitateur de Rousseau, exposer à un public déjà pénétré d’idées scientifiques. On n’a peut-être jamais mieux dit, ni en meilleur langage surtout : « J’admets pour éléments éternels l’espace, la durée, la matière et le mouvement. Les germes semés partout me défendent de croire que la nature ait commencé, ni qu’elle s’épuise jamais ; je vois que le mouvement, en exerçant la matière, lui donne la vie, qui n’est elle-même qu’un mouvement spontané : je vois que l’exercice de la vie produit le sentiment, et l’exercice du sentiment la pensée… Or vie, sentiment et pensée, voilà la trinité qui me paraît régir le monde… Je vois qu’il n’y a de mortel sur la terre que les formes et tous ces assemblages d’idées que vous nommez esprits et âmes… » Et encore : « En brûlant un livre ou un tableau, vous perdez réellement et sans retour l’esprit et le dessein qui y sont attachés ; mais le matériel du livre et du tableau tombe en cendres et s’élève en vapeurs qui ne périssent jamais. Je suis plus sûr de l’immortalité des corps que de celle des esprits : d’ailleurs, l’esprit et le corps sont vraisemblablement une même chose ; et celui qui connaîtrait à fond les secrets de l’anatomie rendrait compte de toutes les opérations de l’âme… » Je ne puis lire cette page, surtout à sa date, sans une profonde admiration : une telle clairvoyance de la science de demain touche au génie scientifique. Rivarol, qui sera encore longtemps, pour les sots, un « réactionnaire », était curieux de toutes les nouveautés, de toutes celles qui augmentent la civilisation, agrandissent l’intelligence, fortifient la société. Il avait étudié presque toutes les sciences et on le trouve au courant de la moindre découverte chimique, celle du blanchiment des vieux papiers imprimés[28], aussi bien que de la plus grande, celle de l’analyse de l’air[29]. On voit, dans sa lettre au marquis Détilly, qu’un de ses premiers soins à Berlin est de se renseigner sur l’état de l’industrie en Prusse. Dans un autre endroit, il se moque du pauvre Dutens, qui avait retrouvé chez les anciens toutes les inventions modernes : « Au reste, comme il y aura de nouvelles découvertes et par conséquent de nouveaux Dutens[30] qui ne manqueront pas de les attribuer aux anciens, je voudrais que celui-ci prévînt ses confrères et trouvât tout d’un coup dans les anciens toutes les découvertes qui sont à faire in sæcula sæculorum. Amen[31] ». Les Dutens ne sont rien. Aucune des idées naïves de Rousseau sur les méfaits de la civilisation n’a corrompu la sagesse de Rivarol : à l’éioge de l’homme des bois, il oppose sans nulle affectation de polémique, d’ailleurs, l’homme social ; et s’il trouve quelque majesté dans le genre humain, il sait que c’est une conquête sur son état primitif. C’est ce qu’il expose à M. Necker en lui montrant que « le sort de Dieu a varié comme celui des hommes » et que, à mesure que se développait la civilisation, « il a gagné du côté de l’intelligence ce qu’il perdait du côté de la puissance ». Il lui explique également le bien et le mal par l’activité égoïste propre à chaque être organisé : « Voudriez-vous que les hommes fussent sur la terre immobiles et rangés comme des arbres à côté l’un de l’autre ? » Enfin, il achève d’effarer cet homme de Genève en lui déclarant : « J’ai placé la vertu dans la volupté, afin de la rendre plus délicate et plus aimable… »
Quand la Révolution éclata, Rivarol était en train de devenir le premier esprit philosophique de son temps. Renvoyant à plus tard cette gloire, il s’occupa de suivre les événements et, ce qui était plus difficile, de les comprendre.
Pendant l’été de 1791, alors que les positions étaient bien prises, les partis formés tels à peu près qu’on les verra jusqu’à la fin, Chamfort venait encore passer la soirée chez Rivarol, rue Notre-Dame-des-Victoires[32]. L’un est républicain, l’autre royaliste ; l’un, de nature sombre, hier encore désenchanté, se fait doux et sourit aux événements ; l’autre, d’humeur agréable, hier encore consolé de tout par un bon mot, se fait amer et s’afflige. Chamfort croit que l’humanité, après quelques jours de voyage difficile, va entrer dans les avenues du bonheur : il en voit les premiers arbres, il devine le palais d’Armide. Rivarol éprouve un sentiment tout contraire : du château de civilisation où il jouit de la vie, il entend gronder l’orage ; il a mis la main à la fenêtre et les premières gouttes de pluie qu’il a recueillies sont des gouttes de sang ; il croit que la société va périr.
Tous deux se sont trompés : la Révolution n’a changé la condition des hommes que dans l’ordre politique. Le bonheur universel n’est pas venu, mais l’anarchie n’a pas duré, et dix ans plus tard l’ordre régnait en France, à peu près comme sous Pisistrate, et un peu mieux que sous Louis XIV. Tous deux, d’ailleurs, eurent des destins parallèles : Rivarol dut s’enfuir pour éviter la mort, et Chamfort demanda à la mort de le consoler d’avoir vu, à peine née, mourir la liberté.
Chamfort n’a pas laissé d’écrits politiques dignes de lui. Il resta jusqu’à la fin un homme de lettres, et c’est dans la partie littéraire du Mercure qu’il dessina, assez vaguement, ses idées, cependant que dans la partie politique, appelée aussi Journal de Genève[33], Mallet du Pan, suivant de près Rivarol, analysait avec une impartialité triste et défiante la tragédie des événements. Rivarol, plus souple, était du jour au lendemain devenu, non pas un homme politique[34], mais, ce qui est assez différent, une tête politique.
L’abbé Sabatier de Castres, conseiller clerc au Parlement, et qui avait joué un petit rôle lors de l’Assemblée des notables, se croyait appelé à en jouer un grand, quand on appela les États généraux. Comme tout le monde, il rêvait d’un journal. Rivarol n’était pas loin du même dessein. Sa paresse se laissa vaincre, et l’on vit paraître, le 12 juillet 1789, le prospectus du Journal politique national. Il ne faut pas le lire si l’on veut deviner les intentions de Rivarol, car le morceau n’est ni de sa main, ni de ses idées.
Parmi les mensonges accumulés plus tard par Sabatier pour masquer ses vols[35], il y en a d’amusants : « Dans le temps que cet écrivain logeait chez moi, à Versailles : Vous avez, me disait-il, de l’esprit et beaucoup d’idées, mais il vous manque le talent qui fait valoir le génie, et c’est ma partie. Vous trouvez l’or en lingots ; laissez-moi faire, je le façonnerai en meubles, en bijoux et en monnaie[36]. » Il y en a qui ne sont peut-être pas tout à fait des mensonges : « M. Rivarol, que j’avais attaché comme malgré lui à la cause royale et religieuse[37]. » Il est certain qu’en 1789 il souhaitait, comme tous les bons esprits, des réformes. La médiocrité de la cour lui faisait pitié, ainsi que le désordre des finances, et le pouvoir absolu était loin d’être son idéal. Nourri de Montesquieu, il désirait toutes les libertés compatibles avec l’exercice normal de la souveraineté : ses idées politiques étaient les idées anglaises. L’édifice avait besoin de réparations ; mais il estimait les murs encore très solides. Jamais il ne put admettre qu’il fût nécessaire d’abattre une maison sous prétexte d’en refaire le toit ou d’en ramoner les cheminées.
Il devint contre-révolutionnaire le jour où il constata qu’au lieu de maçons, de couvreurs et de peintres, on convoquait les démolisseurs. Cela lui parut excessif.
Les idées sont si faciles à manier que c’en est désespérant. Elles sont d’une docilité lâche ; elles se prêtent à tout. Pas d’obstacles. S’il s’agit de constructions dans l’esprit, la perfection ne coûte aucun effort. Bien plus, la logique générale ne sera satisfaite que si la perfection est atteinte, c’est-à-dire le problème résolu. Mais qu’au lieu de manier des idées on manie des réalités, on se heurte aux lois de la physique. C’est ce qui arriva au parti des philosophes et à ses représentants, les Constituants. Ils vinrent munis de principes abstraits, et, croyant que l’homme était une abstraction, furent très surpris de trouver une résistance matérielle, ils crurent qu’ayant dit : tous les hommes sont égaux, tous les hommes, en fait, allaient devenir égaux, et leur étonnement fut extrême de voir qu’après leurs paroles souveraines il n’y avait rien de changé. Ils se trouvèrent pareils à des chimistes qui auraient déclaré : tout pouce cube de toute matière pèse le même poids. Rivarol trouva cela très comique. Il ne sut pas comprendre qu’il s’agissait moins d’atteindre à la chimérique égalité parfaite qu’à supprimer quelques fâcheuses inégalités civiles. L’Assemblée ne fondait pas une philosophie, elle fondait un code. Tandis que tant d’hommes distingués, intelligents même, allaient à la Révolution, poussés par le sentiment, Rivarol restait au rivage, attaché par la logique. C’est un état d’esprit dans lequel on a toujours tort, parce que le maître de la vie, c’est le sentiment. Les révolutionnaires, qui se croyaient de purs intellectuels, étaient surtout des sentimentaux : l’intelligence, entre Mirabeau et Bonaparte, est du côté de la contre-révolution, et c’est pour cela qu’elle a été vaincue. Qu’importent les Rivarol, les Lauraguais, les Mallet, que peuvent-ils contre les Camille Desmoulins, les Danton, les Marat, qui sont la conscience sentimentale du peuple ? Il ne s’agit pas de cultiver la logique et l’esprit, mais d’émouvoir la sensibilité. Le peuple sera toujours avec ceux qui lui promettent le bonheur contre ceux qui lui démontrent que le bonheur est une rêverie.
Le peuple fit, sans le vouloir, la révolution dont l’Assemblée, sans le savoir, lui avait donné les principes. On ne voulait que des réformes, des réparations, mais les ouvriers furent si maladroits, ou si adroits, qu’ils attaquèrent l’édifice à la base et qu’il s’écroula. Cela fit les ruines que l’on sait : des malheureux pris sous les décombres, il coula un fleuve de sang. L’intrigue, la bêtise, la méchanceté et la folie s’étaient mêlées, dès la première heure, au dévergondage du peuple. On crut que cela passerait. Mais il ne devait plus guère y avoir, jusqu’à Bonaparte, d’autre autorité que la peur. Dans un sursaut tout animal, la peur, enfin, se révolta contre la peur. La Révolution vint s’évanouir, anémiée, abrutie, dans les bras de la tyrannie militaire. Elle ne devait reprendre conscience que beaucoup plus tard, après avoir subi bien des unions adultères. Après le 10 août, il n’avait plus été question du peuple que pour l’envoyer se faire tuer à la frontière. Il obéit bravement. Ces pauvres gens, que les émigrés et Rivarol, lui-même, appellent les Carmagnols, se battaient bien. Ils étaient fanatiques, étant nationalistes. La révolution avait été nationaliste dès le premier jour. Un des griefs de Paris contre la reine est qu’elle était Autrichienne. La contre-révolution fut cosmopolite.
On ne peut pas suivre la révolution entière dans les écrits de Rivarol. Il quitta la France le 10 juin 1792, averti que l’on songeait à l’arrêter. Il était trop raisonnable pour souhaiter le martyre. Suleau attendait la mort avec emphase ; Champcenetz la brava avec bonne humeur. Rivarol, dont la foi était d’ailleurs assez médiocre, profita, comme il le dit lui-même, d’un moment où ses ennemis préféraient encore sa fuite à l’embarras de sa capture, et il passa à Bruxelles. Dès lors, sans se désintéresser des mouvements intérieurs de la France, il n’y fait plus dans ses écrits que des allusions philosophiques. Réaliste, Rivarol ne parle volontiers que de ce qu’il a vu, de ses propres yeux. Ce critique veut avoir été témoin. On a intitulé Mémoires une réimpression du Journal politique national. C’est inexact, mais moins trompeur que l’on ne serait tenté de le croire : le Journal politique est, presque toujours, le récit d’un spectateur. Dès la fin de 1789, Rivarol avait été obligé de se dérober, au moins de temps à autre ; bientôt, il devint difficile à un homme aussi connu, et qui avait tant d’ennemis, d’aller regarder de trop près les événements : de là son silence et quand il se décide à quitter la France, c’est qu’il faut choisir entre l’exil et la mort[38]. Stendhal, à propos des fusillades de Lyon, dit qu’il n’a jamais pu comprendre « le courage mouton » de tous ces gens qui se laissaient arrêter sans résistance : « Ce n’est point ainsi, continue-t-il, qu’il faudrait agir, si, par impossible, la Terreur reparaissait en France. On doit se faire tuer en essayant de tuer l’homme qui vous arrête. Un jeune homme ne se laisserait pas enlever de chez lui et conduire en prison par deux vieux officiers municipaux. Chaque arrestation deviendrait une scène pathétique, les femmes s’en mêleraient ; il y aurait des cris, etc., etc. La mode viendrait de faire sauter la cervelle à qui veut vous arrêter[39]. » La mode, voilà le mot juste. Du temps de Rivarol, la mode était de quitter la place ou de se résigner à la prison et à la mort, conséquence presque inévitable. Le système de Stendhal n’est venu à l’esprit de personne, parce que les Français, habitués à l’autorité, la respectaient jusqu’aux mains des criminels et des fous.
Le Journal politique national est formé de deux séries d’articles qui s’entremêlent. La première, et la plus importante, constitue, sous le titre de Résumés, une histoire de la première année de la Révolution, depuis la convocation des États-Généraux jusqu’un peu après les journées d’octobre. Rivarol estime qu’à ce moment la révolution est faite. Et c’est juste. La seconde série est formée d’articles séparés, de notes, qui souvent paraissaient en même temps dans les Actes des Apôtres. Le ton des Résumés est celui de l’histoire ; dans le reste du journal, c’est le polémiste qui reparaît : Rivarol applique aux petits hommes de la grande révolution le procédé d’ironie qui lui avait si bien réussi contre les grands hommes de la petite littérature. Il semble qu’il l’ait encore perfectionné ; cependant, les événements ont marché si vite et les hommes se sont développés si rapidement qu’il faut parfois un effort pour bien comprendre. Que peuvent valoir aujourd’hui des railleries, même très fines, contre le Robespierre de 1790, contre le Marat de 1790 ? « Si M. de Mirabeau est le flambeau de la Provence, M. de Robespierre est la chandelle d’Arras. » Voilà le défaut de la littérature politique : un coup de vent, et elle n’a plus de sens. Les écrits littéraires restent ; des actes politiques, on ne retient jamais que le dernier « M. Marat, l’ami intime du peuple… », c’est très joli, mais il faudrait, pour goûter cela, lire l’histoire de la révolution comme un roman, en commençant à la première page. Nous avons tous, dans tous les partis, commencé par la dernière, et ce que nous demanderions volontiers au polémiste de 1790, ce serait d’avoir deviné, dans les comparses de ce moment, les premiers rôles de l’acte suivant. Cela n’est pas possible, parce que la fortune politique n’est que par hasard en rapport logique avec la valeur personnelle des hommes. On peut prévoir Napoléon dans Bonaparte, et Rivarol n’y a pas manqué[40], mais on ne peut prévoir le terroriste dans Pons de Verdun ou dans Carnot, fournisseurs de l’Almanach des Muses. Pour goûter le Rivarol léger de ces années-là, il faut choisir ses victimes.
Les Résumés, sans se gonfler jamais jusqu’à l’emphase, et, au contraire, tout en demeurant spirituels, sont d’un style très soutenu et très riche. Il n’y a pas un autre écrit de la même époque, en aucun parti, qui puisse, même de très loin, être comparé à ces pages d’histoire. On a dit, un peu rapidement, que la période révolutionnaire avait été littérairement inféconde. N’eût-elle produit que le Journal politique de Rivarol qu’elle serait encore un des moments heureux de littérature française. Comme il s’agit d’opinions politiques qui continuent d’avoir cours, on ne propose à l’admiration que la forme des jugements eux-mêmes. Quant aux idées, il est difficile à un esprit impartial de les accueillir, mais elles le dupent un instant quand il les voit si belles et rehaussées par des ornements d’un art si sobre et si pur. Sa bonne foi est d’ailleurs entière. Rivarol ne donne jamais l’impression d’être un homme de parti, et même quand il sera, par l’intermédiaire de M. de la Porte, le conseiller indirect de Louis XVI, il ne lui ménagera pas les vérités les plus dures et même les plus impertinentes. Il faut donc admettre cette déclaration : « Les écrivains sont tous plus ou moins corrompus par l’événement. On ne nous fera pas sans doute le même reproche. Nous avons écrit sans prédilection et sans amertume, sans crainte et sans témérité, mais non sans obstacle et même sans péril[41]. » Il est sans illusions ; il sait qu’il a pris le mauvais parti, c’est-à-dire celui qui contredit l’opinion dominante, celui qui expose « à la fureur de la populace », alors le vrai souverain. « Oui, mais c’est le parti honorable. Nous le soutiendrons avec courage, jusqu’au rétablissement de l’ordre, et le même esprit qui nous fait braver les injures et les menaces de tant de furieux nous fera supporter le silence et l’oubli des princes[42]. »
Ce que défend Rivarol, c’est l’ordre général des sociétés, c’est la civilisation. Il la croit en péril et s’en prend beaucoup moins au peuple qu’au pouvoir : « Il faut plutôt, dit-il durement, pour opérer une révolution, une certaine masse de bêtise d’une part, qu’une certaine dose de lumières de l’autre. » Si la cour avait été aussi éclairée que le moindre petit cercle provincial, qui ne l’était guère, les désirs du peuple auraient été devinés ; quelques satisfactions utiles en auraient brisé la force. Ces désirs, trop longtemps insatisfaits, sont devenus des idées, et, comme telles, invulnérables, « On ne tire pas des coups de fusil aux idées[43]. »
Suivre Rivarol tout le long de ses résumés, ce serait donner un abrégé de l’historique des premiers mouvements révolutionnaires, et c’est bien inutile. D’ailleurs des récits comme celui des journées d’octobre ne se résument pas, car ils valent par les détails dont l’ensemble est composé. Ce que l’on retient d’une première lecture de ces pages tragiques, ce sont les formules brillantes dont elles sont semées. Rivarol, qui ne rédigea jamais, sinon sous forme de notes à utiliser, ce que l’on appelle des aphorismes ou des pensées, excelle à résumer un développement en quelques-uns de ces mots qu’il est désormais impossible d’oublier. Justes ou injustes, vrais ou faux, il n’importe, et c’est affaire de sentiment : ils ont la beauté des choses achevées et définitives.
S’il réprouve le despotisme, « qui ne laisse de porte à la liberté que l’insurrection », il sait qu’un peuple qui sort du despotisme « ne goûte de la liberté, comme des liqueurs violentes, que pour s’enivrer et devenir furieux[44] ». Il rappelle aux agitateurs que, « lorsqu’on soulève un peuple, on lui donne toujours plus d’énergie qu’il n’en faut pour arriver au but qu’on se propose… »
« Il faut aux peuples des vérités usuelles et non des abstractions, et lorsqu’ils sortent d’un long esclavage, on doit leur présenter la liberté avec précaution et peu à peu, comme on ménage la nourriture à ces équipages affamés qu’on rencontre souvent en pleine mer, dans des voyages de long cours. »
« Pourquoi révéler au monde des vérités purement spéculatives ? Ceux qui n’en abuseront pas sont ceux qui les connaissent, et ceux qui n’ont pas su les tirer de leur propre sein ne les comprendront jamais et en abuseront toujours. »
Et il montre fort bien que le peuple, incapable de concevoir l’égalité de principe que l’Assemblée avait proclamée, voulut conquérir aussitôt l’égalité réelle, et se livra au pillage et au massacre des récalcitrants. M. Taine a trouvé dans ce chapitre du Journal politique[45] le cadre presque complet de son développement sur « l’anarchie spontanée » ; les petits faits qu’il a recueillis sont intéressants, mais ce ne sont que des pièces justificatives. La philosophie politique est dans Rivarol. M. Taine explique la Révolution ; Rivarol la fait comprendre[46]. Le tome III des Origines de la France contemporaine ne gagne pas à être lu après le Journal politique national. De la philosophie politique, on tombe dans le fait divers. Les deux œuvres, à vrai dire, se complètent : l’un fournit à l’autre, quoique avec un parti pris excessif, ses notes et références. On admet la passion dars un témoin ; elle sied mal à un historien.
Peut-on, sans plaisir intellectuel, lire ceci, écrit, non par un historien venu tard et qui conclut, mais par un contemporain, un spectateur : « Les philosophes actuels composent d’abord leur république, comme Platon, sur une théorie rigoureuse ; ils ont un modèle idéal dans la tête, qu’ils veulent toujours mettre à la place du monde qui existe. » Quelquefois, il s’arrête dans un récit pour laisser tomber une réflexion de la plus belle, quoique de la plus amère philosophie : « S’il existait sur la terre une espèce supérieure à l’homme, elle admirerait quelquefois notre instinct, mais elle se moquerait souvent de notre raison. C’est surtout dans les grands événements que nos efforts, suivis de tant de faiblesse, et nos projets, accompagnés de tant d’imprévoyance, exciteraient sa pitié. Il a fallu que la vanité de l’homme confessât qu’il existe une sorte de fatalité, un je ne sais quoi qui se plaît à donner des démentis à la prudence et qui trouble à son gré les conseils de la sagesse. C’est à la brièveté de notre vue qu’il faut s’en prendre. Si nous apercevions les causes avant d’être avertis par les effets, nous prédirions les événements avec quelque certitude ; mais toujours forcé de remonter des effets aux causes, l’homme passe sa vie à raisonner sur le passé, à se plaindre du présent et à trembler pour l’avenir. »
Remonter des effets aux causes, ce qu’on ne peu faire dans l’action, il faut le faire, sous peine de n’être qu’un compilateur ou un chroniqueur, quand on se livre à la critique de l’action. C’est le grand souci de Rivarol et c’est aussi ce qui donne à son Journal la valeur d’un traité de philosophie politique. Et quand il a trouvé les causes secondes immédiates, soudain il s’élève et généralise. Après avoir, une fois de plus, déploré la médiocrité de Louis XVI et ses goûts tantôt puérils, tantôt barbares, il ajoute : « Il faut des rois administrateurs aux états industrieux, riches et puissants : un roi chasseur ne convient qu’à des peuples nomades[47]. »
Nous avons une illusion, c’est que les hommes de la Révolution, s’ils furent souvent excessifs, furent grands jusque dans leurs excès. Il semble bien que c’est confondre, comme un spectateur naïf, la valeur de la tragédie avec celle des acteurs. Rivarol accorde aux deux partis une égale médiocrité. Il ne peut juger valablement de la tragédie, puisqu’on n’en est encore qu’au premier acte, mais les acteurs sont très insuffisants : « La cour a déployé une profondeur d’ineptie, d’imprévoyance et de nullité d’autant plus remarquable qu’il n’y a que des hommes au-dessous du médiocre qui aient figuré dans la révolution. Je ne crains pas de le dire : dans cette révolution si vantée, prince du sang, militaire, député, philosophe, peuple, tout a été mauvais, jusqu’aux assassins[48] »
Les Résumés s’achèvent sur le récit des journées d’octobre. Le pittoresque n’y enlève rien à l’éloquence et la fermeté du style y est égale à la netteté de la pensée. Quand un contemporain a écrit l’histoire de ce ton-là, la besogne est faite ; il n’est plus besoin que de quelques redressements et de notes qui avertissent du parti de l’écrivain. Comme s’il eût redouté de se mesurer avec un pareil maître, Taine a presque escamoté ces journées d’octobre, qui sont pourtant comme la clef de voûte de la révolution française. Il a soin, d’ailleurs, là plus que jamais, de ne jamais citer Rivarol, pourtant témoin oculaire, cela est évident. Quant au Journal politique national, si prompt à en référer aux Montjoie et aux Malouet, il semble en avoir ignoré l’existence[49]. L’historien de Rome néglige Tacite.
Voilà un nom un peu grand. Il ne me serait pas venu à l’esprit, ces rapprochements ne nous intéressant plus, mais ce fut le cri des contemporains. La comparaison semble écrasante ; elle n’écrase point du moins par le ridicule. Rivarol, dans son Journal, s’est élevé très haut, et il n’y a vraiment, dans la littérature française, aucune page du même genre à comparer à celles-là[50]. Montesquieu écrivait à loisir. Qu’un homme ait improvisé, à raison de deux articles par semaine, en une telle époque de fièvre, un journal politique d’une valeur aussi certaine comme document, comme style et comme pensée, cela enchante l’imagination comme un beau spectacle intellectuel. C’est un tour de force, mais de ceux que l’on peut appeler des tours de génie. Écoutez-le encore un instant : « L’Assemblée nationale, en écrasant tous les corps intermédiaires, n’a fait qu’achever en France l’ouvrage des rois. Dès que l’État pourra donner une armée au prince, cette armée lui donnera l’État[51]. » Et encore, dilemme qui est une prédiction : « Ou le roi aura une armée ou l’armée aura un roi. » C’est le second terme qui se réalisa. En 1790, Bonaparte était lieutenant au régiment de La Fère.
Mallet du Pan n’eut qu’une fort petite influence sur la pensée de ses contemporains. L’arsenal où puisent tous ceux qui combattent la révolution, c’est le journal de Rivarol. Ses ennemis mêmes, et Camille Desmoulins, qu’il a raillé, reconnaissent sa valeur. Et c’est sans doute ce qui explique l’immunité dont il jouit jusqu’à juin 1792. Les jacobins qui avaient des lettres se sentaient, malgré eux, subjugués par cette parole puissante et toujours si décente, en un temps d’injures, qu’ennemis de ses idées il leur fallut un effort pour devenir ennemis de l’homme même. « J’ai vu trop tard pour en profiter, écrivait Burke à Claude-François de Rivarol, en 1791, les admirables annales de monsieur votre frère. On les mettra un jour à côté de celles de Tacite…[52]. » Voilà le mot. On le trouverait dix fois dans les écrits du temps.
Croirait-on que, presque en même temps que son tragique récit des journées d’octobre, Rivarol écrivait pour les Actes des Apôtres[53] la bouffonnerie intitulée Explication d’une charade ? C’est pourtant certain, et quoique le morceau ne soit pas signé et que rien n’ait jamais prouvé qu’il fût de Rivarol, il est de lui assurément. Il n’y avait qu’un homme en 1790 capable de donner à la satire politique ce ton de finesse. Le Journal politique contient aussi, çà et là, des pages amusantes, par exemple la Lettre sur la capture de l’abbé Maury à Péronne, où il se laisse aller si joliment au plaisir de railler à la fois amis et ennemis : « Puisque le déguisement et la peur n’ont rien changé à la figure que le ciel m’a donnée, dit l’abbé aux gens de Péronne, je ne vous nierai pas, comme tout autre le ferait à ma place, que je ne sois l’abbé Maury. » On y trouve des anecdotes révolutionnaires bien caractéristiques : « Les Parisiens, qui passaient pour un bon peuple, ont manifesté dans ces temps-ci une férocité inouïe. Le jour où, sur un simple soupçon, ils cherchaient partout le marquis de la Salle pour le tuer, deux hommes, montés sur le réverbère qui servait de potence, criaient au peuple : Messieurs, le premier venu, puisque nous n’avons pas le marquis de la Salle[54]. » C’est bien ce mélange de plaisanterie et de férocité dont parlera Rivarol, beaucoup plus tard, dans une lettre à son père[55]. Ne se croirait-on pas chez le coiffeur : « Le premier de ces messieurs ? » Il compare la prise de la Bastille au passage du Rhin, qui ne donna de mal qu’à Boileau, puis : « … L’Europe n’a pas tardé à savoir que le gouverneur de la Bastille n’avait pas donné aux habitants de la capitale le temps de montrer leur courage. M. de Launay avait perdu la tête, avant qu’on la lui coupât[56]. » Rivarol ne prend au sérieux que ce qui est vraiment sérieux. Pouvait-il deviner que cette prise de la Bastille, où on allait comme à un spectacle annoncé, deviendrait le premier mystère d’une religion nouvelle ? Ceux qui virent pendre le charpentier Jésus dirent, le soir, à leurs amis : « Nous avons vu pendre », puis mangèrent leur soupe avec satisfaction.
Camille Desmoulins disait, dans sa brochure la France libre, quelque chose comme : Que n’ai-je le style de M. de Mirabeau ! Rivarol apprécie la brochure, en disant à l’auteur, qui comprit peut-être le lendemain : « Nous commencerons par féliciter M. Desmoulins, en lui apprenant qu’il a précisément le style de M. de Mirabeau…[57]. »
Il a une haute idée de son office de journaliste politique : « Il faut au monde des nouvelles ou des nouveautés, mais un homme qui pense ne peut se résoudre à être le juré crieur de tant de petits événements dont la rapide vicissitude sert d’imagination aux journalistes et de pâture à la curiosité. Dans une grande révolution, il ne considère que les événements qui influent sur la fortune publique et il écrit l’histoire que voudra lire un jour la postérité… Une idée vraie, une réflexion juste consolent ou ramènent les esprits ; mais la foule des folliculaires ne cherche que des crimes, ou des malheurs. Tel homme qui a déjà dénoncé trois ou quatre mille conjurations aux Parisiens n’a pu encore leur donner une idée[58]. » Quelle leçon dans ce morceau hautain, et non seulement pour les journalistes, mais pour les historiens même !
Le Journal politique national n’était pas sans effarer un peu le commun de ses souscripteurs. La classe lisante, en s’élargissant tout à coup, s’était enrichie de curieux peu habitués à l’abstraction, lis écrivaient donc, demandant que l’on se mît à leur portée. Cela donna lieu à Rivarol de rédiger un Avertissement[59] de la plus belle impertinence : « Quelques-uns de nos lecteurs, chefs de municipalités, députés ou suppléants du Tiers-État, se sont plaints du style des Résumés. Ils prétendent que cette manière d’écrire donne trop à penser et qu’il n’existe point de journal où l’on ait si peu d’égard pour eux. Ils demandent nettement un style plus familier, plus populaire, et, pour tout dire, plus national. C’est donc pour leur plaire que M. Salomon[60], notre éditeur, leur a donné l’Adresse aux impartiaux, insérée dans le numéro 10. On ne se plaindra pas, je pense, des airs de hauteur de cette prose-là, ni de l’aristocratie du style… Nous comptons sur la reconnaissance de ceux de nos lecteurs auxquels la prose des Résumés a donné des soucis. Mais nous les avertissons que nous ferons rarement le sacrifice de notre manière, et que nous ne donnerons que fort peu de ce style aisé qui leur plaît tant… »
Ce journal, quoique écrit sur un ton « qui donne trop à penser », n’en eut pas moins un très beau succès. Il était tiré à grand nombre, fut réimprimé plusieurs fois et rapporta à Rivarol des sommes si considérables qu’elles lui permirent de vivre libéralement jusqu’à son arrivée à Hambourg. Les historiens patriotes de la Révolution ont essayé de faire croire qu’il n’y avait plus, en 1790, que deux partis, celui du peuple et celui de la cour ; c’est bien grossier ; il y en avait beaucoup d’autres, et notamment celui des idées, celui de la discussion philosophique. Il est du moins certain qu’il fut étouffé assez promptement et que la bataille décisive eut lieu, comme toutes les batailles, sur le terrain réaliste.
Il y a en histoire une cause d’erreur dont les historiens ne sont jamais avisés : c’est que nous faisons tenir en une journée d’écriture, en une heure de lecture, un siècle, une année, un mois, une semaine, dans les cas les moins fâcheux.
La nécessité nous y oblige ; mais une mauvaise méthode vient presque toujours aggraver la gaucherie de la perspective. Avec les faits cueillis dans les journaux de l’an passé, guerres, émeutes, grèves, crimes, accidents, procès, immoralités de toutes sortes, il serait facile de composer un tableau à faire trembler d’horreur la postérité. Telle est l’histoire. Recomposée à l’aide de faits exceptionnels, les autres n’ayant pas laissé de traces, elle est toujours fausse ; et, les faits exceptionnels étant toujours des méfaits, ou des hommes, ou de la nature, toujours pessimiste. La vérité est très différente : il ne se passe presque jamais rien : ou bien si l’orage a détruit les récoltes d’un canton, la température a favorisé celles du canton voisin. En même temps, dans le canton ravagé, la vie a continué telle qu’elle va éternellement, soutenue par son propre sentiment, qui est la conscience des passions.
Plus l’historien accumule de menus faits, et de ceux qu’il juge caractéristiques, et plus son histoire est fausse. Il faudrait, au moins, les prendre au hasard. Mais il faudrait surtout aux faits exceptionnels mêler les gestes quotidiens. Il y a un peu de vérité dans l’Histoire de la société française pendant la Révolution ; il n’y en a plus guère dans les Origines de la France contemporaine[61]. Je ne parle pas ici des idées de M. Taine, mais sa méthode me semble la plus détestable de toutes celles que puisse adopter un historien. Les Goncourt, dans leur livre, qui demeure précieux, consignent tous les faits qu’ils ont rencontrés dans une lecture immense ; Taine, dans une lecture également considérable, a rencontré également beaucoup de faits : il choisit. On croit que c’est au choix que commence l’historien. Du tout, c’est là qu’il finit. Choisir, c’est trahir.
En histoire, le « tout ou rien » est absolu. Celui qui collecte tous les faits gros ou menus défavorables à la Révolution n’est pas moins absurde que celui qui voudrait, par le même procédé, nous donner de ce moment un tableau bucolique. Il y eut des heures bucoliques, il y eut des heures tragiques : l’ensemble fait une vie que des millions d’hommes ont vécue avec beaucoup moins de trouble que nous n’en éprouvons à lire leur histoire. Camille Desmoulins se maria à l’église Saint-Sulpice, en décembre 1790…, et l’on vit s’embrasser tendrement, après une équivoque explication, le curé et le « procureur de la Lanterne[62] ».
Il faut incorporer cette anecdote paterne à l’histoire politico-tragique, et l’on retrouve la vie quotidienne, ses ridicules, ses plaisirs, dans les journées de cet homme redouté et qui ne fut féroce que par étourderie et par enthousiasme.
Au milieu de notre intensité commerciale, les disettes de blé sont encore possibles. Au dix-huitième siècle, grâce à une législation trop prudente, elles étaient fréquentes et certaines. L’année 1789 fut une année de disette de blé. Cela influa-t-il beaucoup sur les événements ? On n’en sait rien. Les témoignages sont contradictoires. Taine a rassemblé ceux qui font de Paris un atelier de misère et les Goncourt ceux qui en font une vaste frairie, toute à la ripaille. Presque tous les aristocrates de naissance ont émigré, dès 1790, mais ce départ blesse le commerce et crée assez de mécontents pour faire vivre, parfois d’une vie éphémère, il est vrai, cinquante journaux contre-révolutionnaires. La France n’a jamais été un pays d’unanimité. D’ailleurs, la plus grande liberté règne. Celle de la presse, jusqu’au 10 août, est absolue ; jusqu’au 21 janvier, elle n’est pas toute abolie, mais elle agonise ; elle meurt, avec la Feuille du Matin[63], dans les temps qui suivent la mort du roi.
Je veux donc dire qu’il ne faut pas chercher dans les ouvrages systématiques, dans les Origines de M. Taine, par exemple, un tableau exact des premières années de la Révolution. Elles ne furent pas aussi sombres qu’il les a vues, elles furent même des années de gaîté, et, davantage encore, des années de renouveau. On jouit de bien plus que de la liberté, on jouit de la licence. Plus de censure, plus de police des mœurs, plus de taquineries administratives : on fait tout ce qu’on veut, on dit tout ce qu’on veut, on imprime tout ce qu’on veut. C’est l’âge d’or des journaux : ils sont amusants. « Pour tout homme impartial, écrit Malouet, la Terreur date du 14 juillet. » M. Taine[64] a cité cette opinion en caractères cérémonie, pour bien nous la faire entrer dans la tête ; mais la première Terreur, car il faut tout de même la distinguer un peu de la seconde, fut une époque bien souriante et bien riante : il nous en reste, entre autres comédies, les Actes des Apôtres et le Petit Dictionnaire des grands hommes de la Révolution, par un citoyen actif, ci-devant rien[65].
Les Actes des Apôtres parurent régulièrement tous les deux jours, depuis le mois d’octobre 1789 jusqu’en juin 1791, puis irrégulièrement jusqu’en janvier 1792. Peltier, Mirabeau, Champcenez, puis Suleau, sont les rédacteurs ordinaires ; Rivarol, dont ils prennent souvent, mais pas toujours, les ordres, se joint à eux de temp à autre. Les collaborateurs occasionnels sont en nombre infini : tout ce qui avait de l’esprit et parfois tout ce qui croyait en avoir. Les écrivains royalistes qui aboient autour de la Révolution, depuis cent ans, n’ont jamais osé y entrer ; ils n’ont même pas eu la pudeur de rendre justice à leurs devanciers. C’est qu’entre les royalistes de la Révolution et ceux qui suivirent la crédulité religieuse est venue s’interposer. Entre des hommes qui défendirent à l’occasion les institutions religieuses, parce qu’ils les croyaient utiles, et les hommes qui défendent la religion, parce qu’ils la croient vraie, aucun accord n’est possible. Les catholiques sont bien plus près du pieux Robespierre, Torquemada du déisme, que de Rivarol qui n’estimait que la logique et l’esprit. C’est pourquoi, dédaignée par les révolutionnaires, méprisée par les royalistes, l’histoire de la presse indépendante, de 1789 à 1792, n’a jamais été faite. Un écrivain sans préjugés s’y mettra peut-être, qui s’y amusera, comme un botaniste, à l’étude d’une flore méconnue.
Le ton général des Actes des Apôtres est trop souvent donné par Champcenetz, qui est amusant, mais un peu vulgaire. On reconnaît les articles de Suleau à leur emportement, leur grosse ironie ; Mirabeau est plein de verve, il fait le boniment[66] ; Peltier prend tous les tons, aventurier de la plume, qui finira à Londres aventurier véritable[67]. Cependant, ce concert, un peu indistinct et charivarique, se tait et les exécutants même écoutent : M. de Rivarol parle.
« Des hommes connus en France sous le nom de persifleurs ont essayé de répandre du ridicule sur la démarche de M. de Lameth[68]. Nous croyons rendre un service important à la patrie en lui dénonçant le persiflage comme une aristocratie, et de l’espèce la plus dangereuse ; car on peut définir le persiflage, l’aristocratie de l’esprit[69]… » Tout cet article, la lettre à Robespierre, et sa prétendue réponse[70] sont de l’esprit le plus fin et le plus inattendu : « M. Suard, l’homme de son temps qui fait le mieux ce qui est à faire, a passé de la police à la liberté, et n’y a pas trouvé grande différence. Toute la révolution, selon lui, se réduit à ceci : Qu’on pouvait jadis penser sans parler, et qu’on peut aujourd’hui parler sans penser ; ce que le cyclope Artaut, qui voit toujours les choses du bon œil, appelle une véritable équation[71]. » Quant au Robespierre de Rivarol, il réclame « le droit de se moquer des règles du langage (comme de toutes les autres) et de répondre librement à tous les esclaves qui criaient qu’on ne peut vivre sans gouvernement, ni écrire sans style et sans idées. »
L’Explication d’une charade[72] est une satire des commissions parlementaires, très spirituelle et à peine méchante. Les députés y apparaissaient tels que de braves gens, ignorants, innocents et vaniteux, qui croient qu’une niaiserie devient importante, parce qu’elle leur passe par les mains. Les satires politiques de Rivarol, comme ses satires littéraires, ont gardé un à propos incroyable. Ces pièces, qui dormaient dans les bibliothèques, depuis cent quinze ans, elles se sont mises à rire et nous faire rire, sitôt qu’elles ont revu le jour. Il n’est pas jusqu’au Dialogue des Morts[73], entre Suard et Ruhlière, qui, malgré sa franche méchanceté, ne soit bien amusant. Hélas ! dit Suard, « tout m’échappe à la fois, ma femme n’est plus une nymphe ! M. Necker n’est plus un Dieu ! » Les deux personnages étaient peu estimés. Est-ce Rivarol qui a dit, sur Ruhlière ou Chamfort, ce mot singulier : « Il reçoit le venin comme les crapauds et le rend comme les vipères. » Quant à Suard, sa conduite avec Condorcet proscrit, errant, est bien équivoque.
Mais l’esprit de cette qualité a-t-il besoin d’être excuse ? On pardonnera à Rivarol jusqu’à ses injustices contre Beaumarchais, contre La Fayette, contre Mirabeau. Beaumarchais se plaignait, après une longue course à pied, d’avoir les jambes rompues : « C’est toujours cela », répondit Rivarol. Il a été particulièrement dur pour La Fayette, d’abord dans le Journal politique, puis dans une brochure[74] lancée à un moment où c’était celui de pardonner à un homme qui fit des fautes de caractère et de conduite, plus que de conscience. La Fayette cependant l’inspire mal, c’est-à-dire lui inspire plus de colère que d’esprit. C’est à peu près le seul personnage, avec l’équivoque duc d’Orléans et la fâcheuse gouvernante de son fils[75], qui le poussa à l’invective. Avec Mirabeau, peut-être parce qu’il le connaît mieux, il est plus à l’aise et sa méchanceté, même quand elle se fait cruelle, reste toujours la méchanceté d’un homme d’esprit. Il y a là, dans cette série, des mots d’une belle qualité : « Mirabeau est capable de tout pour de l’argent, même d’une bonne action » ; « Mirabeau est l’homme du monde qui ressemble le plus à sa réputation : il est affreux » ; « Mirabeau est franc en affaires ; sa conscience a un tarif : ainsi les filles de Venise ont leurs prix affichés sur leur porte » ; et cette apostrophe, dans les Actes des Apôtres[76] : « … Vos ennemis mêmes conviennent que la potence est le seul genre d’élévation qui vous manque. … »
Il faut encore nommer, parmi les injustices de Rivarol, Mme de Staël. Et c’est précisément à elle que voici dédié, avec une impertinence un peu dure ; le Petit Dictionnaire des grands hommes de la Révolution[77]. « Publier les noms des grands hommes du jour, c’est vous offrir la liste de vos adorateurs… Tous les bons Français ont été réduits à ne désirer en vous que le bien public et à se sacrifier pour lui entre vos bras… Qu’il est beau, Madame, d’éteindre ainsi l’amour en se prodiguant soi-même, et de faire de la jouissance une peine redoutable au lieu d’une vile récompense !… » Le morceau est d’une ambiguïté extrême. On ne sait si « l’ambassadrice près de la nation » fait manœuvrer les patriotes par le don ou par la crainte de ses faveurs. C’était blesser la femme même, et dans ses centres nerveux les plus sensibles, la pudeur et l’orgueil. C’est le mouvement le plus fâcheux de Rivarol. Il en aurait eu du regret, comme d’une page mal écrite, tout au moins, s’il avait mieux connu cette femme si ardente et si franche en toutes ses passions[78]. Plus tard, sans devenir équitable, il se fera un peu moins injuste. On sent très bien que, en 1797, Rivarol, après avoir détesté Mme de Staël, ressent pour elle un commencement d’admiration. Il la sépare avec soin de Garat[79], autre écrivain en style poétique, mais du plus misérable.
Le Petit Dictionnaire est le pendant politique du Petit Almanach. Rivarol dit plaisamment dans la préface : « Je ne me suis pas dissimulé que j’avais un modèle inimitable dans l’Almanach des grands hommes de 1788. L’auteur de ce registre immortel a si bien varié ses éloges qu’il ne m’a pas laissé de formes nouvelles pour encenser mes personnages ; mais l’importance de mon sujet fera peut-être oublier la supériorité de son talent[80]. Il n’a exhumé qu’un millier de bons écrits ; moi, je ressuscite un millier de grandes actions, et, à obscurité égale, le héros doit l’emporter sur l’écrivain. »
La liste des héros est des plus variées : on y voit Mitouflet à côté de Mirabeau, et l’abbé Noël près du duc d’Orléans. Voici Brevet de Baujour, secrétaire de l’Assemblée nationale : « On l’a soupçonné de n’être parvenu à tant d’honneur qu’en contrefaisant la médiocrité ; mais jamais soupçon ne fut plus injuste, ni déguisement plus inutile. M. Brevet est arrivé naturellement à tout, et il n’a eu besoin que de se faire connaître pour désarmer l’envie. » Voici De Croix : « Un des muets de l’Assemblée nationale : mais la nation est sûre de lui. Il est dévoué à la bonne cause, il se lève pour la bonne cause, il reste assis pour la bonne cause, il tape du pied pour la bonne cause, et il ne se tait même que pour une bonne cause. » Voici Demeunier, « un de ces hommes dont la révolution a décidé le genre ; sous le signe du despotisme, il traduisait modestement des gazettes, et ne prévoyait pas qu’un jour il aurait des idées… » Ce Demeunier n’est-il pas éternel et le type même de ces politiques de tous les partis qui n’arrivent à quelque chose que parce qu’ils ne sont bons à rien ?
Il est d’ailleurs visible que Rivarol a voulu faire moins des portraits satiriques qu’une collection de types, et il y a en partie réussi. En voici un que nous avons revu périodiquement à toutes les législatures : « Gérard, grossier laboureur, mais un des meilleurs répondants du patriotisme de la Bretagne. À la vérité, il n’a jamais ouvert la bouche, mais la sublime simplicité de son costume a suffi à l’admiration de Paris et de Versailles… » Ils y sont tous, tels que nous les voyons encore, tels qu’ils nous font encore rire par leur vanité d’étaler à Paris les ridicules qu’une petite bourgade était seule destinée à connaître.
Quand il passe aux véritables meneurs de la Révolution, les griffes s’enfoncent, quoique encore avec bonne humeur. Comme le chat dont il a dit « qu’il ne nous caresse pas, mais se caresse à nous », Rivarol ne poignarde pas ses ennernis, il les amène doucement à venir s’embrocher sur son poing armé d’une légère dague. Camille Desmoulins fut sans doute flatté en lisant : « Il ne paraît pas un de ses numéros qu’il n’y ait quelque part du sang répandu » ; et Mirabeau était assez blasé sur sa propre estime pour accepter ce brevet d’ingéniosité : « Le comte de Mirabeau n’en passe pas moins pour un des meilleurs ouvriers de la révolution, et il n’est pas commis un grand crime dont il ne se soit avisé le premier. »
Pendant les deux ans qu’il passa encore à Paris après la publication du Petit Dictionnaire, Rivarol ne donna plus rien au public. Il semble même que, dès la fin de 1790, il se soit désintéressé des Actes des Apôtres[81]. La liberté, quoique diminuée, n’est cependant pas morte. Les journaux royalistes sont très actifs. Si les Actes deviennent un peu ritournelle, d’autres feuilles, assez alertes, entretiennent l’esprit d’opposition, la Chronique scandaleuse, la Feuille du jour, le Journal Pie et bien d’autres. Il y avait toujours des salons, celui de Mme de Coigny, qui goûtait tant Rivarol et ne pouvait se passer de son esprit ; celui de la marquise de Chambonas, qui fut souvent la salle de rédaction des Apôtres ; celui du vicomte de Ségur ; celui de Champion de Cicé, où Dampmartin assista aux succès du plus prodigieux causeur qui fut jamais : « Rivarol ravissait les suffrages par sa rapide et lumineuse éloquence. Mon imagination me retrace souvent cet homme rare dont la superbe figure et la voix harmonieuse embellissaient la diction, qui chez aucun autre n’atteignit à un si haut degré de perfection. Entraîné par un charme irrésistible, on ne se lassait pas de l’entendre. Dans sa bouche, les sujets les plus sérieux prenaient de l’intérêt et les plus arides appelaient l’attention. Sa délicatesse ingénieuse donnait de la valeur aux choses ou légères ou frivoles. Un tact heureux des convenances le sauvait du pédantisme et l’éloignait de la présomption. Enfin, signe rare, mais incontestable, de sa supériorité, il faisait éprouver une satisfaction qui prévenait le développement des germes de la jalousie[82]. »
Ne faisant plus rien, il s’avisa de donner des conseils à Louis XVI, qui en avait grand besoin. Venu pour une affaire personnelle chez M. de la Porte, intendant de la Liste Civile, il parle politique ; ses propos sont rapportés au roi et on lui demande de mettre ses idées par écrit. De là ces Lettres et ces Mémoires qui vinrent, avec tant d’autres paperasses, prendre place dans l’armoire de fer. Tout ce qu’on en peut dire, c’est que c’est de la belle littérature politique et que Louis XVI n’eut jamais de conseillers d’un si beau style et d’idées si ingénieuses. Mais il disait trop de vérités pour être lu sans indignation, et le conseil d’abandonner la noblesse ne pouvait plaire à ce pauvre roi, qui croyait s’en faire une armure, alors qu’elle n’était qu’un épouvantail. Il répéta la même chose, dès son arrivée à Bruxelles, dans sa Lettre à la noblesse française : « N’oubliez jamais qu’en effet vous n’êtes point en rapport avec l’énorme population de la France ; que si, avant la Révolution, vous viviez en sûreté au milieu de ce peuple immense, c’est qu’on ne l’avait pas accoutumé à vous regarder comme son ennemi… » En somme, il conseillait au roi de gouverner avec l’opinion et à la noblesse d’accepter les faits. Mais le parti auquel il prodiguait ses trop sages avis n’était pas de force à les comprendre. Rivarol a conclu lui-même : « Ils sont toujours, disait-il, en retard d’une année, d’une armée et d’une idée. »
Il travaillait, dès ce moment, à sa Théorie du corps politique, ou, du moins, il commençait à la ruminer. Aucune page ne semble en avoir jamais été rédigée, mais il en avait dressé le plan, marqué les chapitres. Ce manuscrit fut dérobé à sa mort par l’abbé Sabatier, en même temps qu’un écrit, entièrement achevé, De la Souveraineté du peuple. Avec ces deux œuvres, l’abbé Sabatier en composa une troisième[83]. Outre que les idées de Rivarol sont trop personnelles pour pouvoir être volées, l’abbé eut la maladresse de mêler à ses larcins inédits, des larcins imprimés : comme les Chinois bourraient autrefois de copeaux de santal une caisse de porcelaines, il a comblé les vides de son in-octavo avec des fragments du Discours préliminaire. Les voleurs intelligents sont très rares ; mais celui-ci était très bête. La vanité l’aveuglait, d’ailleurs, et il se croyait en droit, égal de Rivarol par l’intelligence, de lui donner, au nom des vrais bons principes, des leçons de morale et de logique. Je crois qu’il serait possible d’extraire du volume de Sabatier une centaine de pages qui seraient à peu près de Rivarol ; elles en seraient presque autant que celles que son frère publia sous son nom en 1831, sous un titre analogue : De la souveraineté du peuple. Ce livre, en effet, s’il est de la pensée, n’est pas de la main de Rivarol. Or, si la pensée est rarement séparable de son expression, elle ne l’est jamais chez Rivarol, écrivain de nuances et qui aime à employer les mots selon un sens un peu détourné. Il ne faut pas oublier que, comme presque tous les écrivains exacts, Rivarol était grammairien ; il n’aimait les idées nues que pour avoir le plaisir de les couvrir de vêtements beaux, élégants et inattendus.
Il n’était pas loin, du reste, vers la fin de sa vie, d’admettre la parfaite inutilité, ou du moins la difficulté extrême des théories politiques. Des hommes, comme M. Taine, emploient les faits à démontrer leurs idées ; d’autres examinent d’abord les faits et en tirent les généralisations que la logique impose. Rivarol ne refusa jamais la leçon des événements. Il allait certainement, quand il est mort, prendre son parti de la Révolution, ce que les disciples de Bonald et de M. Taine n’ont pu faire encore après plus de cent années révolues. Il en faudra une seconde pour qu’ils oublient la première : peut-être qu’alors ils lui trouveront d’excessives vertus.
Rivarol écrivait donc en 1799[84] : « Je sens bien qu’il faudrait appuyer tout ceci de preuves, avant qu’une triste expérience vienne le démontrer ; mais je ne suis pas encore en état d’offrir au public la théorie du corps politique. J’éprouve de jour en jour que les matières politiques sont d’une toute autre difficulté que les abstractions métaphysiques ; il est plus aisé d’analyser que de composer, et le corps politique ne vit que de composition. L’esprit purement analytique lui est funeste, comme j’espère le prouver. »
La science et l’action suivent une évolution parallèle. Y a-t-il des moments où les lignes s’infléchissent pour se mêler ou se toucher ? On le croirait volontiers, mais cela n’est pas certain. La société moderne semble née de la Révolution ; mais que seraient devenues les idées de la Révolution, sans les chemins de fer et les usines ? La démocratie vient-elle de la déclaration des droits de l’homme ou des manufactures d’objets de demi-luxe à bon marché ? L’influence des idées sur la marche physique des choses n’est peut-être qu’une illusion. Nous vivons une vie et nous en pensons une autre, mais nous sommes toujours enclins à juger que la vie que nous pensons se confond avec celle que nous vivons. Se croire heureux et être heureux, c’est la même chose. La vie n’est qu’une représentation et sa réalité vive nous échappe. Le peuple le plus malheureux de la terre peut se trouver content, et des peuples heureux, méconnaissant leur félicité, peuvent se précipiter dans les révolutions. Il est probable que la condition relative des hommes n’a jamais beaucoup changé. La paille, qui est le tapis des bœufs à l’étable, a été la litière des rois dans leurs chambres du Louvre. L’éclairage public date d’hier ; l’éclairage privé date d’avant-hier ; des vies éclatantes se sont déroulées dans cette même soumission au soleil, qui régit l’activité des animaux sauvages. Tout est relatif, voilà ce qu’il ne faut jamais perdre de vue. Rivarol plaignait les peuples qui ont ignoré le cheval et la voile, et nous rions des civilisations qui n’ont pas connu la vapeur ; plus tard, on se moquera de nous, qui ne faisons encore que vingt-cinq lieues à l’heure. Mais quel rapport tout cela a-t-il avec les bonheurs personnels, dont la somme fait le bonheur social ? Le bonheur, c’est à cela enfin que se réduit la politique. Toute théorie politique est une théorie du bonheur. D’où la diversité des opinions, parallèle à la diversité des goûts. « J’ai entendu dire au célèbre Cuvier, dans une de ces soirées curieuses où il réunissait à ses amis français l’élite des étrangers : « Voulez-vous vous guérir de cette horreur assez générale qu’inspirent les vers et les gros insectes, étudiez leurs amours, comprenez les actions auxquelles ils se livrent toute la journée sous vos yeux pour trouver leur subsistance[85]. » Pour se guérir des dégoûts ou des haines de partisan, il faut incorporer l’activité politique à l’activité générale de l’animal humain, et comprendre qu’il ne peut y avoir un de ses actes, conscients ou inconscients, dont le but ne soit la recherche du bonheur. Aucun mot ne nous laissera dupe : Vérité, justice, liberté, socialisme, anarchie, autorité, fraternité, vertu, tout cela veut dire bonheur. Mais l’homme cherche toujours, trouve toujours, cherche encore et n’est jamais heureux : « La nature, dit Rivarol[86], l’a mis sur la terre avec des pouvoirs limités et des désirs sans bornes. »
- ↑ Cf. Le Breton, Rivarol, p. 187.
- ↑ Hist. de la litt. fr., p.303.
- ↑ De qui peut-on être connu pour un ouvrage que l’on n’a pas fait ?
- ↑ Un morceau de 380 pages in-4o.
- ↑ Il n’y a pas cinquante lignes dans les 56 numéros du Journal politique national qui ne soient de Rivarol.
- ↑ Dans les 320 numéros, il n’y a pas 30 pages de Rivarol.
- ↑ Il n’en fréquentait presque aucun, et M. de Lescure, salonnie par excellence, en convient avec tristesse.
- ↑ C’est bien son moindre talent.
- ↑ Outre les études de Saint-Beuve, d’Arsène Houssaye, etc., les livres systématiques sur Rivarol sont assez nombreux ; Léonce Curnier, Rivarol, sa vie et ses œuvres (1853) ; Alègre, Rivarol, dans les Notices biographiques du Gard (1880) ; M. de Lescure, Rivarol et la société française pendant la Révolution et l’Émigration (1883) ; enfin : André le Breton, Rivarol, sa vie, ses idées, son talent, d’après des documents nouveaux (1895), de beaucoup le meilleur, et on peut dire le seul, car il efface tous les autres, les rendant inutiles, aux citations près des lettres inédites (Alègre, Lescure).
- ↑ Ou plutôt physiologie, mais seulement dans le sens de recherche des causes physiques.
- ↑ Petit Almanach. Supplément.
- ↑ L’Enfer. Avis de l’éditeur.
- ↑ Dont le travail est un excellent, et méritoire, et utile exercice de philologie comparée.
- ↑ Inf., xxi, 139.
- ↑ xxie chant, Note 8.
- ↑ Rivarol, p. 11.
- ↑ Ce Despois a écrit, avec la même bonne foi et la même sagacité, un ouvrage dont le titre voudrait être ironique, le Vandalisme révolutionnaire, où il prouve aisément que tout, en France, et la France même, date de la Révolution. Dans un autre genre, le genre badin, M. Deschauel a rédigé une Histoire de la conversation en France, sans nommer Rivarol. Son raisonnement est excellent : Rivarol n’ayant été ni un acteur, ni un précurseur, ni un fils de la Révolution, ne peut avoir d’esprit. Uu peu moins fanatique, les moines du douzième siècle, pour avoir le droit d’admirer Virgile, en avaient fait un prophète. En général, tout le monde est de l’avis de l’abbé Noël, abbé révolutionnaire : « Je ne puis croire, disiait-il, qu’un homme qui ne pense pas comme moi soit un honnête homme. »
- ↑ C’est le mot que reprit Buffon, en disant que son Enfer « était une suite de créations ».
- ↑ Voyez la lettre de Rivarol « Aux auteurs du Journal de Paris ».
- ↑ Dans le Vrai Désaveu, les plaisanteries sont plus grosses : « J’ignorais jusqu’à ce moment qu’il y eût d’autre Garat que Je chanteur…, que M. Gaillard fût de l’Académie… Tout cela me paraît fort étrange, ainsi que M. Bexon, M. Ginguenaud de Montbéiiard, M. Maison-de-Molière, etc. ». Cela, c’est du pur Champcenetz. Que l’on cherche dans les Actes des Apôtres ses plaisanteries sur les députés aux noms ridicules, les Bouche et les Dutrou, les Poule et les Perdrix, les Pétion, les Fricot, les l’Asnon ; sur le citoyen Lanusse déclarant : Je resterai sur mon siège jusqu’à la mort. »
- ↑ Conversation de Rivarol notée par Chênedollé.
- ↑ Voyez le Petit Almanach.
- ↑ Il l’a prévu, du reste. Voyez l’article Roudier. Il a dit aussi dans un Avertissement : « Beaucoup de ces articles ne signifient rien. Ce sont les plus ressemblantes. »
- ↑ Et encore, à un autre article : « La postérité apprendra tous ces détails avec le plus vif intérêt… »
- ↑ Encore qu’il se borne à les renvoyer dos à dos, sans les juger.
- ↑ Ancien Jésuite, homme de toutes besognes, pas sans talent, au jugement même de Rivarol (Conversation notée par Chènedollé). Grimm a dit de lui : « Il n’y a point un homme de lettres célèbre qui n’ait reçu de lui un tribut d’hommages distingués. Tout cela n’est peut-être pas si loin d’un jésuite qu’on le dirait bien. » Rivarol a dit la même chose (Actes des Apôtres), no 182), mais en ces termes plus beaux : « Cérutti, avec ses phrases luisantes, s’attache à tous nos grands hommes ; c’est le limaçon de la littérature : il laisse partout une trace argentée, mais ce n’est que de la bave. »
- ↑ A. Le Breton, Rivarol, p. 105.
- ↑ Carnets, cités par A. Le Breton, Rivarol, p. 95, qui ajoute, et c’est mon sentiment : « J’ai souvent songé à l’ivresse que lui eussent causées les découvertes scientifiques du xixe siècle… »
- ↑ Discours préliminaire, § V. Des Nombres.
- ↑ Il y en a. L’Intermédiaire enregistre très souvent des notes de gens inquiets de savoir si les Romains n’ont point connu l’imprimerie. L’un d’eux a prouvé qu’ils avaient des voitures automobiles.
- ↑ Carnets.
- ↑ Tilly, Mémoires, t. V.
- ↑ Il y a un mot de Rivarol sur cette habile duplicité de Pauckouke. Il estimait beaucoup Mallet, et, quand il eut cessé le Journal politique national, c’est le Journal de Genève qu’il recommande à M. de Gaste.
- ↑ Il ne se mêla jamais d’aucune élection, dit Pelletier, Dernier tableau de Paris.
- ↑ Il déroba à Hambourg les manuscrits de Rivarol et les publia sous son nom, en les dénaturant, malheureusement : De la Souveraineté, Altona, 1807.
- ↑ Cette phrase même est pillée de Rivarol : « L’esprit qui trouve l’or en lingots, ajoute aux richesses du genre humain ; mais le talent façonne cet or en meubles et en statues qui ajoutent à nos jouissances, etc. » Discours préliminaire, § VI. Les facultés et opérations habituelles de l’esprit. »
- ↑ De la Souveraineté, p. 15.
- ↑ « Si la Révolution était arrivée sous Louis XIV, disait-il plus tard. Colin aurait fait guillotiner Boileau. En m’en allant, j’ai échappé à quelques jacobins de mon Petit Almanach. » Ils y foisonnent : Collot d’Herbois, Fréro fils, Pons de Verdun, etc.
- ↑ Mémoires d’un touriste, I, p. 165.
- ↑ Il sera plaisant de voir un jour les philosophes et les apostats suivre Bonaparte à la messe en grinçant des dents ; et les républicains se conrber devant lui. Ils avaient pourtant juré de tuer le premier qui ravirait le pouvoir. Il serait plaisant qu’il créât un jour des cordons et qu’il en décorât les Rois : qu’il fît des princes et qu’il s’alliât avec quelque ancienne dynastie… Malheur à lui s’il n’est pas toujours vainqueur ! » Rivarol est mort le 11 avril 1801.
- ↑ Journal politique national, Ire série, no 8, Résumé.
- ↑ Ibid., no 12. Avertissement.
- ↑ Journal politique national, première série, no 5, Seconde Lettre à l’auteur du Journal. Ces lettres sont de Rivarol.
- ↑ Taine redit cela, beaucoup moins bien : « La toute-puissance subite et ! a licence de tuer sont un vin trop fort…, etc. » Origines, III, ch. ii. § 6.
- ↑ Première série, no 9, Résumé.
- ↑ D’un mot, qui ne semble qu’un mot, il éclaire tout. « Les États-Généraux du Palais Royal. » Cela eût donné une figure au chapitre peu substantiel de Taine, Origines, III, ch. ii, § 4.
- ↑ Journal politique, 1re série, no 14, Résumé. — Le 5 octobre, quand l’émeute arrive à Versailles, le roi chassait à Meudon. Rivarol note avec soin ce détail si caractéristique. Taine, qui accumule tant de petits faits sans valeur, le dédaigne.
- ↑ Dans les Actes, il dit cela tout légèrement : « Ces gens de droite qui sont si gauches et ces gens de gauche qui sont si peu droits. ».
- ↑ Il connaît, comme nous l’avons dit, la réimpression partielle, sous le titre de Mémoires. Taine suit Mallet du Pan, comme Mallet suivait Rivarol. Il appelle Mallet « le plus compétent, le plus judicieux, le plus profond observateur de la révolution ».
- ↑ « Personne, pas même Michelet… » dit M. Le Breton, à propos du récit des journées d’octobre, et c’est peut-être vrai.
- ↑ Journal politique, IIIe série, no 4.
- ↑ Lettre de M. Burke sur les affaires de France et des Pays-Bas ; 1791. Burke en avait profité sans le savoir par ses correspondants de Paris, qui lui communiquaient les idées de Rivarol. C’est ainsi que les Réflexions sur la révolution de France ont tant de rapports avec le Journal politique national.
- ↑ N° 94.
- ↑ Ire série, no 10.
- ↑ « … Je quittai Paris le 10 juin 92 fort à propos ; car on vint, sept jours après, soit pour me massacrer, soit pour me mener à l’échafaud. Les brigands dirent en entrant chez moi : « Où est-il, ce grand homme ? Nous venons le raccourcir. » C’est un des cararactères de la Révolution que ce mélange de plaisanterie et de férocité… » (Lettre du 12 mai 1797.) M. Taine, toujours triste, n’a guère vu que la férocité.
- ↑ Ire série, no 13.
- ↑ Ire série no 16. « … Mirabeau, c’est un barbare effroyable en fait de style… » Conversation de Rivarol, notée par Chênedollé.
- ↑ IIe Série, no 1.
- ↑ IIe Série, no 11. L’italique est de Rivarol.
- ↑ C’était lui-même et non, comme le croit P. Malassis, l’abbé Sabatier, dont il était séparé depuis longtemps.
- ↑ Sur la manière historique de Taine, voyez l’ouvrage de M. Aulard : Taine et la Révolution française. Je n’ai pu en faire état, le présent écrit étant très antérieur, mais je me suis trouvé d’avance à peu près de l’opinion de M. Aulard.
- ↑ L’histoire est contée, non sans perfidie, par La Feuille du jour, 1er janvier 1791.
- ↑ Le Journal Français vécut jusqu’au 7 février, la Feuille du Matin jusqu’au 4 avril 1793, toujours royaliste et insolente, « énigme inexpliquée, inexplicable », disent les Goncourt.
- ↑ Origines, tome III, ch. ii, § VIII.
- ↑ 1790. Grimm annonce, en septembre, « ce modèle de persiflage et d’impertinence »
- ↑ Voir la Lanterne magique nationale, son chef-d’œuvre en ce genre.
- ↑ Voyez les Mémoires d’outre-tombe.
- ↑ Son expédition contre le couvent des Annonciades.
- ↑ Actes des Apôtres, no 1.
- ↑ Nos 5 et 7.
- ↑ Actes, no 7. « Ce M. Artaut est borgne, » ajoute Rivarol, en note. Il collaborait aux Apôtres.
- ↑ N° 94.
- ↑ N° 163.
- ↑ De la vie politique, de la fuite et de la capture de M. de la F*** (1792).
- ↑ Portrait du duc d’Orléans et de Madame G… (1794).
- ↑ N° 181. Lettre de M. Vilette à M. Riquet-à-l’Enchère.
- ↑ Que la plupart des historiens, politiques ou littéraires, se sont obstinés, ne connaissant sans doute ni l’un ni l’autre, à confondre avec le Petit Almanach de nos grands hommes. Je lis, par exemple, dans l’ouvrage de M. Herriot sur Madame Récamier (tome I, p. 75), à propos de Mathieu de Montmorency, ce renseignement véritablement un peu confus : « Le comte de Rivarol, qui s’était fait le flatteur de la haute société, lui avait réservé une place dans son célèbre Petit Almanach de nos grands hommes (1788). » C’est naturellement dans le Petit Dictionnaire (1790), ouvrage politique, et non dans le Petit Almanach (1788), ouvrage littéraire, qu’il est question de ce Mathieu, qui faisait alors le libéral et sous la Restauration fit le rétrograde. Quelle justification pour Rivarol, et comme il avait vu clair dans l’enthousiasme naïf ou factice de ces jacobins titrés !
- ↑ Elle est très bien dessinée, quoique au second plan, dans le même ouvrage de M. Herriot, qui est très bien documenté sur elle, aussi bien qu’il l’est mal sur Rivarol, d’ailleurs hors de son sujet.
- ↑ Lettre sur L’ouvrage de Mme de Staël intitulé « de l’Influence des Passions » ; 1797.
- ↑ Avant 1797, Rivarol n’a jamais sigué aucun de ses ouvrages.
- ↑ Où il donna peut-être cependant les trois Lettres du citoyen Bacon, no 230, 239, 264.
- ↑ Dampmartin, Mémoires, t. I.
- ↑ De la Souveraineté. Altona, 1806.
- ↑ De la philosophie moderne, 2e édition, page 74, note. Cet ouvrage, qui n’est qu’un extrait du Discours préliminaire, a été modifié dans les notes.
- ↑ Sthendhal, Mémoires d’un touriste, t. II, p. 22.
- ↑ Discours préliminaire, § viii, Récapitulation.