Promenade d’un Français en Suède et en Norvège/27


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Les Scanies. — Le Kronoberg. — Port royal de Carlscrona.


Après quatre mois, ayant enfin fini ma besogne, je songeai à me remettre en route pour achever ma longue promenade. Par un hasard très heureux, je passai le Sund, la veille du jour où la flotte Anglaise y parut, dans le mois d’août 1800. L’énergie et la prudence que le gouvernement de Dannemarck a montrées dans cette occasion lui fait certainement honneur ; l’affaire fut alors heureusement accommodée ; elle s’est renouvelée depuis, et la guerre menace de porter chez les peuples du Nord, les maux qu’elle a faits à ceux du midi ; pour le bien de tous, je désire sincèrement qu’elle n’ait pas lieu, et j’espère encore que les choses s’accommoderont.

Je me retrouvai le 17 août, sur le territoire de Suède à Helsingbourg, que je me donnai le loisir d’examiner lus a mon aise. Le Comte de Runth, dont l’esprit actif et entreprenant, est bien connu et apprécié de ses compatriotes, vient d’établir dans cette petite ville une faïencerie et une fonderie de fer considérable. C’est aussi sur son terrain que l’on travaille la mine de charbon de terre près de cette ville. Le charbon y est très bon, mais en bien petite quantité ; la veine n’a pas plus de trois pieds d’épaisseur. En Angleterre, on ne travaillerait pas pour si peu de chose. Les mines de charbon ne peuvent être productive, qu’autant que la veine est assez épaisse, pour qu'un homme puisse se tenir debout dedans, et qu’on ne soit pas obligé d’enlever des pierres.

Près de cette ville, est une fontaine minérale, où beaucoup de monde se rend en été. L’endroit où elle est située, est vraiment théâtrale ; la grande salle de bal, est placée contre le rocher d’où elle sort : rien ne parait : tout à coup on ouvre le fonds de la salle, et un beau rocher, éclairé par en haut, et planté de quelques arbustes, se découvre a une grande hauteur. Cette fontaine est située dans une vallée étroite et assez bien boisée. On commence a bâtir autour et je ne doute pas que l’agrément de sa situation n’en fasse bientôt un endroit très-fréquenté. On voit auprès une belle pierre, gravée en caractères runiques ; ceci prouve, que quoique on ne fasse usage des eaux de cette fontaine, que depuis peu de temps, elle était connue anciennement.

On voit au dessus d’Helsingbourg, une vieille tour reste d’un ancien château, que les historiens, toujours exagérés de ces pays, prétendent avoir été bâtie avant l’ère chrétienne par le roi Frode III (que nous appelons Frothon) de Dannemarck, mais que le successeur de la reine Marguerite de Waldemar, Eric de poméranie, fit au moins réparer en 1425. La ville, qui est à présent près du rivage, a d’abord été batie autour. Ce qui est vraiment singulier, c’est que sur cette hauteur, qui est plus de cinquante pieds au dessus du niveau de la mer, on trouve des coquillages, des pierres rondes, et même des vestiges de cales ou petits ports préparés pour recevoir les bateaux. La tradition n’en fait aucune mention. Cette observation pourrait servir de nouvelles preuves au retrait des eaux de la mer Baltique.

L’idée originale des historiens, qui assurent que les colonnes d’Hercule, dont l’antiquité fait mention, étaient placées à ce détroit et non à celui de Gibraltar, ne mérite pas d’être discutée. Tout prouve que les pays du Nord sont nouveaux, et malgré la folle ambition des écrivains nationaux, n’existaient pas il y a deux mille ans. L’ancien nom de certaines provinces, dénote clairement quelles étaient isolées ; celui même de celle ci, la Scanie Skaney, ou Skansey[1] ; signifie une île fortifiée dans l’ancien langage : ce nom même était celui du royaume entier, que nous avons traduit par Scandinavie.

Je fus me présenter à Tomarp, chez M. le général baron de Cederström, où ie fus accueilli avec toute la complaisance possible : Tomarp est le bostelle (lieu de résidence) du commandant de la province.J'ai déjà dit, je crois, que les troupes nationales n’avaient point de paye, mais les officiers comme les soldats ont un bostelle, une maison avec des terres suivant leur grade. Cette méthode, qui est sans doute excellente pour les troupes, a cependant l’inconvénient de les attacher trop à leur maison. Lorsque l’on fait une guerre lointaine, le soldat soupire pour son toit solitaire, où il se laisse souvent aller a la fainéantise la plus complète.

Si la formation actuelle du militaire en Suède, ne rend pas le soldat propre à une guerre lointaine, elle est bien calculée pour la guerre défensive ; le soldat se battrait dans ce cas pour sa propriété et pour sa famille. En général la Suède peut se dire inexpugnable : la chaîne de rochers qui entourent la côte ne permet pas aux gros vaisseaux d’ y aborder facilement ; les ports royaux sont pleins d’un très grand nombre de galères, portant six à sept pièces de canons et allant à la rame, qui pourraient détruire très promptement les gros vaisseaux, qui se hasarderaient à passer entre les récifs ou rochers bordant la côte[2]. L’étendue et le peu de population du pays pourraient aisément affamer l’ennemi, qui aurait fait un débarquement ; son inégalité continuelle faciliterait fort les embuscades des habitans, qui d’ailleurs connaissant les défilés et les bois, pourraient sans peine échapper à l’ennemi.

Le climat de cette province est très tempéré, plus peut-être que celui du nord de la France. Les fruits y viennent fort bien, et je puis assurer avoir vu dans le jardin de Tomarp, un olivier en pleine terre qui donnait du fruit tous les deux ans. J’ai mangé de ces olives préparées dans la saumure ; elles ressemblaient pour le goût et pour la forme à celles de provence.

Ce n’est que depuis l’arrivée du général, qu’on a ramassé les fruits de cet arbre ; on ne savait guères quel fruit ce pouvait être avant lui, et on le laissait tomber sans y toucher. Les branches de cet arbre prennent facilement racine dans la terre ; les feuilles assez semblables à celles du saule tombent à l’automne, et les fleurs paraissent au printemps avant même que l’herbe ne soit verte.

Les oliviers de provence, ne perdent point leurs feuilles à l’automne, mais elles tombent au printemps lorsque les nouvelles paraissent ; ils prennent également de bouture et ne donnent ordinairement du fruit que tous les deux ans.

Puisque l’arbre que j’ai vu dans le jardin de Tomarp, olivier ou non, mais très certainement portant un fruit semblable à de grosses olives, s’est acclimaté dans la Scanie, il faudrait tâcher de le multiplier, et en tirer un parti avantageux. Qui sait si on ne pourrait pas réussir à en faire de l’huile[3] ?

Dans ce moment, où l’esprit d’entreprise éclairé par l’industrie, commence à faire de si grands progrès en Suède, il m’a semblé qu’il serait à propos, de mettre en avant l’excavation d’un canal entre la ville d’Engelholm et celle de Christianstadt, pour joindre les deux mers. Ce canal n’aurait que huit milles de long et trouverait aisément a se remplir en remontant du côté de la Baltique par la rivière Hellie-ô, les lacs Finia-siö et Vester-siö, puis descendrait dans la baye d’Engelholm par la rivière Sunas-Löss-ô.

La citadelle de Landscrona existe encore avec le donjon, mais elle est bien vieille et tombe en ruines. Le port pourrait, avec un peu de travail, devenir assez important ; il faudrait élever au dessus du niveau de l’eau, le banc de sable qui joint au continent la petite île, qui est vis-à-vis la ville.

L’ancienne capitale de ces pays, quand ils formaient un royaume séparé, Lund, dont tous les écrivains danois parlent avec orgueil, est dans un est dans un état assez déplorable à présent. Si l'université n'y était pas, elle tomberait totalement en ruines.

C’est dans cette partie que le christianisme s’est d’abord établi. La ville fut érigée en évêché en 1065, et en archevêché en 1103. Upsal et toute la Suède à cette époque, suivaient encore le culte de Thor ; je mets en fait qu’à l'époque de la réformation, la religion chrétienne n’avait pas été généralement établie par tout le royaume, depuis plus de deux cents ans.

La vieille église cathédrale de Lund, est encore très-remarquable ; elle est la plus vaste du royaume. On y voit une église souterraine assez considérable ; les piliers grossièrement sculptés de cette église souterraine méritent l’attention, par les figures qu’ils représentent ; on voit sur l’un, la figure d’une géante, à ce qu’on prétend, qui embrasse le pilier et semble chercher a l’abattre. Je ne fais mention de ceci, que parce que la tradition du pays rapporte sous plusieurs formes cette allégorie étrange : j’aurai encore occasion d’en parler. Il y a aussi dans cette église une fontaine revêtue d’un bord en pierre, sur lequel on voit sculpté un pou, monstrueux, qui tient un mouton dans sa gueule. Je ne me hasarderai pas a expliquer ce grossier hiéroglyphe.

Je crois fort que les fontaines, que l’on trouve dans la plupart des anciennes cathédrales de l’Europe, servaient au même objet de culte, que les stes fontaines dont j’ai souvent eu occasion de parler, dans le volume sur l’Irlande.

Le collège est assez en vogue : il y a une belle bibliothèque et des cabinets de toutes sortes. La seule cathédrale est ce qui reste a cette ville de son ancienne splendeur. Elle était alors la résidence du roi de la Scanie et un port de mer ; la rivière qui y passe a cessé d’être navigable depuis long-temps, et le dernier roi de ce seul pays, Iwar-Widfam, dont j’ai déjà parlé, maître du Dannemarck et d’une partie de la Saxe, conquit la Suède pour venger la mort de son père et des autres petits rois brûlés par Ingiald-ill Rôdet. Depuis ce temps, cette province a appartenu au Dannemarck, jusqu’à son union avec la Suède en 1658. C’est certainement une grande perte pour ce royaume ; mais aussi cette réunion a fait terminer des guerres sanglantes et envenimées entre les deux pays, qui n’auraient jamais pu voir de fin, aussi long-temps que la mer ne les eût pas séparés

Les bonnes parties de la Scanie ne le cèdent pour la fertilité à aucun pays. C’est sur-tout les environs de Lund et de Malmö qui semblent les mieux cultivés, et en général toute la grande péninsule qui s’avance sur le Dannemarck. Malmö est une jolie ville, assez florissante et peuplée. Le port est fort mauvais cependant. Du quai on distingue aisément les clochers et les mâts des vaisseaux à Copenhague. La traversée est de quatre à cinq milles. Quoique cette ville ne soit pas au nombre des forteresses, les fortifications de sa citadelle m’ont semblé bien préférables à celles de Landscrona.

Au bout de la péninsule, il y a, près l’une de l’autre, deux anciennes villes, autrefois très-renommées, Skanor et Falsterbo ; on y voit encore quelques restes des palais qui y étaient bâtis. Les Danois qui ont, comme tous les peuples, la manie de l’antiquité, ont, fort bien dit :

Da Christus lod sig föde,
Stod Lund og Skanor i gröde[4].

En dépit des jolies histoires de M. Suhm, on n’a guères de preuve de cela ; et n’en déplaise aux antiquaires, je suis fermement persuadé que le Nord n’a jamais été si florissant qu’il l’est à présent. Je ne crois pas non plus qu’à l’époque de l’ère chrétienne, il y eut aucune ville, florissante ou non, dans tout le Nord. Les historiens qui racontent ces belles choses, disent en même temps que la guerre et la chasse étaient l’occupation des habitans, qui d’ailleurs, poussés par la famine, refoulaient souvent tous à-la-fois sur les pays voisins et formaient ces hordes immenses, connues sous les noms de Cimbres, Goths, Visigoths etc. Si le pays eût été si florissant, ces gens ne l’eussent pas quitté pour aller s’établir ailleurs. Il faut absolument renoncer à une de ces deux hypothèses.

On trouve a tous pas dans ce pays une foule de monts funéraires, de tribunaux (Ting) et autres monumens. Il y a bien aussi des pierres gravées en caractères runiques. Mais je fus surpris de voir près d’Ystadt un autel tel que ceux qu’on attribue en Irlande aux Druides ; c’est le seul que j'ais vu dans le Nord. La pierre principale n’a guères que sept pieds de long, sur six de large et quatre d’épaisseur ; le réduit en-dessous est formé par cinq pierres latérales, dont trois seulement supportent l’autel. C’est d’autant plus singulier, que la religion des peuples goths était toute autre que celle des Celtes[5].

C’est à Ystadt qu’est le paquebot pour la Poméranie ; l’instant du départ n’est pas bien fixé, il n’y a pas assez de vaisseaux destinés à cet usage ; il n’y en a que trois, et il en faudrait au moins six.

Je fus me présenter à Swanholm, chez M. le baron de Maclean, qui a fait des améliorations considérables sur sa terre. Il a dispersé les habitans de quatre villages qui lui appartenaient, dans des métairies séparées, bâties sur le terrain qu’il a loué aux paysans. Le nombre des habitans depuis cette opération a plus que triplé, et la terre cultivée sous les yeux du maître, a doublé de valeur.

Il y a quelques bonde (paysans propriétaires) dans le sud de la Suède ; mais beaucoup moins que dans le nord. Les saterys dans le sud emportent tout, et le paysan n’est qu’un laboureur, obligé de travailler pour le château. C’est surtout sous ce point-de-vue, que l’établissement du baron de Maclean mérite tous les éloges.

Le comte de Ruuth a sa terre de Marsvinsholm dans cette partie. Il n’y était pas alors ; mais je reçus l'hospitalité pendant quelques jours chez son fils à Gundralöf. Le château de Marsvinsholm est fort beau, et bâti avec le meilleur goût. On découvre sur-tout dans ce pays l’esprit d’entreprise du maître ; le comte de Ruuth vient d’établir, non loin de là, une filature de coton mue par l’eau, telle que celles de l’Angleterre. C’est la première qu’on ait encore introduite en Suède. Les bestiaux nombreux de cette terre sont d’une grosseur extraordinaire. Ceux du pays sont très-beaux, mais comme ils ne sont pas si bien soignés, il est tout simple qu’ils paraissent moins.

À un ou deux milles de-là, sur la route de Christianstadt, la face du pays change beaucoup ; on n’y voit plus que des terres sablonneuses, qui dans quelques endroits cependant ne manquent pas de fertilité. Je fus fort surpris de voir atteler à la charrue six bœufs et deux chevaux, pour tracer un sillon dans ces terres légères, qu’un âne et une chèvre auraient ouvertes sans grande peine.

Je fus me présenter près de Christianstadt à Lillö, au bostelle du lieutenant-colonel De Lindekrona, dont le frère, gouverneur de la Norrland, m’avait comblé d’amitié à Hernösand, l’année d’avant.

Christianstadt a été bâtie par Christian IV en 1614. Un souverain, maître des trois royaumes du Nord, ne saurait placer plus convenablement sa capitale. Elle serait vraiment au centre de ses états. Je crois probable, que si les successeurs de Marguerite eussent eu le bon esprit de se fixer dans cette partie, ils n’eussent pas vu dissoudre l’union de Calmar. Charles X s’est emparé de Christianstadt en 1656 ; ses troupes cependant en avaient été repoussées avec perte en 1644. Le chiffre du fondateur se voit encore par-tout. Il y a dans cette ville un arsenal en bon état. Les fortifications nouvelles sont loin d’être finies ; le côté de la rivière en manque presque entièrement ; il est vrai que les marais défendent assez bien la place de ce côté.

De Christianstadt, je fis une petite tournée dans l’ancienne Suède, dans la province du Kronoberg, qui est une division de la Smôland. A quelques milles, on retrouve les sapins du Nord ; le pays s’élève beaucoup et bientôt on entre dans cette province, la plus stérile et la plus sauvage de la Suède. Le Kronoberg est précisément au centre du pays ; c’est de cette province que toutes les rivières du sud de la Suède tirent leur source ; elle est horriblement couverte de grosses pierres, qui ne laissent presque point d’espace entre elles pour la culture ; tout le pays est coupé de grands lacs et de bois qui l’occupent presque en entier.

Du temps, même de Gustave Vasa, cette province se nommait encore Finweden (le pays des Finns ou Lapons). J'ai lu quelques écrits, qui prétendent qu’à cette époque, cette nation errante occupait toutes les hauteurs de l’intérieur de la Suède, depuis cette province. La population considérable qui se trouve a présent du côté de Jönköping, a dû s’engager à se retirer plus loin. Les Lapons à-présent ne viennent que rarement, même dans les montagnes de la Värmelande et de la Dalécarlie, ce qui fait une étendue de pays immense, abandonné par eux.

Je fus me présenter à Huseby chez le comte Hamilton, qui a une fonderie d’instrumens de fer. Le minerai est tiré du lac voisin en petit grains creux, semblables à du gros sable ; il faut le mêler avec du fer de montagne. On a pilé la scorie dans cette forge, et on s’est trouvé bien payé de sa peine par le fer qu’on a trouvé.

La tradition rapporte que les Danois ayant fait une incursion dans ce pays ; pendant que les hommes étaient occupés à une expédition, les femmes se rassemblèrent sous la conduite d’une d’elles, nommée Blenda, et gagnèrent une victoire mémorable, dans laquelle le roi Olof fut tué, aussi bien que le général danois Tumlinger. Ce fait est confirmé par les noms que portent encore plusieurs villages, lacs, bois et hauteurs de ce canton, comme Dansiö-by (village et lac danois), Olof’s-Backen (hauteur ou tombeau d’Olof). Le district entier, l’härad, en a pris le nom de Värnsland (le pays défendu). Dans ce district, les femmes jouissent de certains privilèges dont elles sont privées dans les autres ; elles ont le partage égal dans les successions avec les hommes. Le district voisin au contraire est chargé d’un impôt qu’on appelle spring's skatte (lïmpôt de la fuite), parce que les habitans en prirent la fuite, en voyant venir l’ennemi. On voit sur le terrain quelques monts funéraires et de grosses pierres élevées, mais point d’inscription. Aucune histoire ne mentionne ce fait, ainsi on ne peut en fixer l’époque.

Wexiö est la seule ville de cette province. Elle avait eu le malheur d’être brûlée en 1793 ; elle se remettait tout doucement. Quelques personnes bien intentionnées avaient offert de payer les frais de la première maison qu’on bâtirait en terre ; mais on n’a trouvé aucun habitant qui voulût bâtir ainsi sa maison. Les Suédois sont accoutumés à se servir de bois, ils n’aiment pas à faire usage d’autres matériaux. Dans cette province, qui est couverte de bois, c’est assez indifférent, mais sur le bord de la mer, il serait essentiel de changer la manière de bâtir.

Le Kronoberg a été une des premières provinces de la Suède qui ait embrassé le christianisme ; un roi de la Smôland, St. Sigfrid, l’y introduisit vers l’an 1000, et bâtit à Wexiö la première église. Je fus me présenter et je reçus l’hospitalité chez le gouverneur, le comte de Mörner, qui demeure a quelque distance de la ville. L’endroit où il réside (Kronoberg), donne son nom à la province. St.Sigfrid jeta les fondations de cette forteresse en 1002 ; elle servit depuis comme place de sûreté pour les évêques catholiques de Wexiö, et s’appelait alors Biskop-berg (rocher ou montagne de l'évêque). A la réformation, Gustave-Vasa s’en empara, la rebâtit et lui donna le nom qu’elle a à présent : elle fut brûlée et ruinée sous son successeur ; elle est située dans une petite île du lac Helga, et est sans contredit la plus belle ruine de la Suède.

Il n’est rien dans ce pays, qui pour la grandeur et l’antiquité, puisse lui être comparé ; de gros chênes et de gros sapins sortent des murailles, quelques uns de ces derniers, semblent y être morts de vieillesse ; cependant la plupart des voûtes tiennent encore, et la construction singulière de ces temps reculés mérite bien d’être examinée.

C’est un horrible pays de loups, que ce Kronoberg, et extrêmement peu habité. Les rochers dans les bois sont couverts de mousses de rennes ; je suis étonné, que les habitans des parties peu fréquentées de la Suède ne sachent pas en tirer parti, pour y élever cet animal si utile.

Retournant à-peu-près sur rues pas je rentrai dans la Scanie, dont l’aspect fertile, en venant des déserts du Kronoberg, flatte encore davantage. Les monumens des anciens Goths se retrouvent à tout moment dans les bons pays de la Suède ; aucune province n’en a tant que la Scanie. Deux milles a l’est de Christianstadt, on voit un rocher énorme de granit, seul au milieu de la plaine ; on l’appelle Magle-sten : il peut avoir trente pieds de long sur 24 de large et 20 de haut. La tradition du pays dit que Magie, une certaine géante païenne, désespérée de voir la religion chrétienne s’établir, mit cette large masse dans sa jarretière ; après l’avoir balancée convenablement, elle la lança avec fureur contre la première église chrétienne qui ait été bâtie en Suède : heureusement que par l’effort qu’elle fit, la jarretière se brisa, et que la pierre tomba à moitié chemin.

J'ai vu au château de Liundby une corne garnie en argent et montée sur pied, avec un siflet d’or, foré aux deux bouts, qui d’après les certificats qui y sont joints, ont dû être trouvés dessous ce rocher en 1490. Les paysans ont une vénération particulière pour tous les anciens monumens qui couvrent les campagnes : il en est fort peu qui consentissent à travailler à l’abaissement d’un mont funéraire, ou même qui pensent à en rendre la terre productive.

Non loin de cet endroit il y a une fontaine, où les gens vont jeter des pièces de monnaye et autres petits effets pour se rendre la fée favorable. On peut se rappeler que j’ai fait mention de superstitions pareilles à Ekolsund.

À quelque distance de la ville ruinée de Solvitsbourg, qui fut autrefois le siège d’un gouvernement, on voit trois grands cercles de pierres près l’un de l’autre, un est rond, et est composé de 24 grosses pierres, l’autre est quarré et en a 52, le dernier est ovale et en a 20 : entre ces cercles, il y a une pierre plus élevée. Les paysans ne connaissent rien à ce monument, et comme à l’originaire, ils l’attribuent aux géans. Il est probable qu’il se tenait dans ce lieu, une assemblée du pays, divisée en états, et que le chef était assis au milieu de ses gens, sur une pierre plus élevée. À quelque distance de ces cercles, plus près de Carlshamn, il y en a un autre composé de huit roches, si grosses, que je serais presque tenté de croire ce cercle naturel : on y reconnaît pourtant un dessein et sur la plus grosse pierre, il y en a une autre placée.

Charles XII, après avoir achevé la conquête de la Scanie et se l’être assurée par la paix de Roskild en 1658, a bâti dans cette province, deux villes auxquelles il a donné son nom Carlshamn (le port de Charles) et Carlscrona (la couronne de Charles). La première de ces villes est destinée pour le commerce, et l’autre pour la marine royale. Ces deux ports sont très-sûrs et très-bons. Quoique bâtie au milieu des rochers, Carlshamn est une jolie petite ville ; le commerce y parait assez florissant. Malmiö et cette ville sont les deux seules sur cette côte, qui n’ayent pas l’air ruinées ; toutes les autres paraissent languir et manquent d’industrie, ou de moyen de l’exercer.

Cette partie des Scanies, qui forme la province de Blecking, n’a pas l’apparence des deux autres gouvernemens ; ce ne sont plus de longues plaines, ni du sable. On retrouve les rochers et les vallées étroites du reste de la Suède. Le pays au-de-là de Carlshamn est très-varié et assez agréable.

Carlscrona est située sur les rochers qui bordent cette côte à un demi-mille en mer : on y arrive de rochers en rochers, par des ponts. C’est dans cette ville qu’est l’établissement de la marine suédoise ; quoiqu’elle ait souffert beaucoup dans la dernière guerre avec la Russie elle se relève peu à peu. Le port est de toute beauté ; dans ces derniers temps, on a fait des difficultés pour le montrer aux étrangers ; on m’a seulement permis de voir les chantiers secs et creusés dans le granit.

Ces chantiers secs sont de la plus grande beauté ; mais ils ne sont pas achevés et ne le seront probablement pas de long-temps. Jamais l’esprit d’entreprise des Suédois ne se fit mieux voir que dans cette ville.

Charles XII avait fait creuser dans le granit, un chantier sec, d’après les dessins du fameux ingénieur Polhem en 1716. Ce fut ce bel ouvrage, qui donna l’idée d’en construire sur un plan si étendu, qu’on pourrait le dire gigantesque. On voulut avoir toute la flotte à sec, et sous des toits. On fit deux digues pour enfermer des deux côtés un terrain bas entre deux îles. On le dessécha par le moyen de pompes à vent, on creusa dans le granit, et Gustave III posa la première pierre le 1er octobre 1775. Depuis ce temps, deux chantiers seulement ont été achevés ; on a jeté les fondations de trois autres, mais les travaux sont discontinués. Le plan était d’en construire vingt pareils.

Les deux chantiers achevés sont sans contredit les plus beaux ouvrages de ce genre. Deux gros vaisseaux de guerre sont aisément à couvert sous chacun d’eux. Il ne paraît nullement douteux, que le bois doit se conserver beaucoup mieux, que quand il est continuellement exposé à tous les changemens de temps ; mais les frais immenses d’une construction pareille, viennent peut-être à un prix plus considérable que l’entretien d’une flotte exposée à l’air. Je vis aussi dans l’enceinte du port, un cabinet des modèles de toutes les formes possibles de vaisseaux, tant pour la construction que pour leur forme extérieure : il me parut très-complet et en bon état.

La ville de Carlscrona a eu le malheur d’être réduite en cendres dans le mois de juin 1790 ; depuis ce temps elle s’est rétablie, elle est sans doute beaucoup mieux bâtie, mais la misère la plus grande se fait voir de toutes parts.

On voit dans plusieurs endroits, de beaux bâtimens commencés et fort peu d’achevés ; c’est, on ne peut le nier, la maladie du pays et que j’ai eu bien souvent occasion de remarquer. Cela s’explique aisément : un homme en place veut avoir l’honneur de passer à la postérité au moyen d’un édifice, dont il aura ordonné la bâtisse. On jette les fondations, l’entrepreneur met son nom sur la première pierre, et la construction va tout doucement, jusqu’à ce qu’il vienne à mourir, ou qu’il soit prié de quitter le ministère.

Un autre vient après, qui ne se soucie nullement de travailler pour son prédécesseur, et veut avoir aussi son nom dans les fondations d’un autre bâtiment ; on abandonne donc l’édifice commencé, comme inutile, et on en construit un autre qui aura aussi le même sort. Pour parer à cet inconvénient, j’ai dans l’idée qu’il devrait paraître une belle ordonnance qui ne permît d'avoir son nom sur un bâtiment public, qu’autant qu’on y aurait mis la dernière main, et enfin que ce serait celui qui l’aurait achevé, et non celui qui l’aurait entrepris, qui jouirait du bonheur de voir son nom gravé dans la pierre.

Si jamais séjour dans un pays quelconque m’a paru maussade et fatigant, certes c’est bien celui de cette bonne ville. On dit communément que le pays aux environs est fort joli. Oui sans doute, j’ai bien vu des bois, des plaines, des collines et des champs, mais j’en suis fâché ; j'avais mes raisons pour trouver tout cela très-laid ; qui voudra les connaître, retourne se promener avec moi en Norvège.

Lyckeby cependant est un endroit charmant, c'était autrefois une ville : on y voit les restes d’un château royal ; il y a une forge assez importante ; il faudrait être de bien mauvaise humeur pour ne pas admirer le goût de celui qui a placé un banc au milieu de la rivière, sur une digue qui la traverse. Devant soi, est un beau pont d’une seule arche, et en dessous on voit dans le lointain la ville et le port de Carlscrona, comme dans une jolie miniature.

Je fis un détour assez considérable pour aller voir Christianopel ; c’était autrefois une ville, qui fut fortifiée en 1606, par les Danois ; on y distingue encore très-bien l’ancienne enceinte des murailles. — La ville fut prise d’assaut et saccagée en 1611 par Gustave-Adolphe, qui n’était encore que prince royal ; depuis elle ne s’est jamais relevée. Il y a dans l’église un grand squelette desséché, que l’on prétend être le corps du gouverneur de la ville à cette époque.

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  1. Shans fort, ey île : le nom actuel de cette province en Suédois, est Skône.
  2. Les galères Suédoises et Russes, ne sont point construites comme celles de la Méditerranée ; ce sont de grands bateaux découverts, calculés seulement pour naviguer entre les rochers. Dans la dernière guerre entre la Russie et la Suède, on en a souvent fait usage. La bataille de Swine-Sund que Gustave II a gagnée, était entre deux flottes de galères. Le roi de Suède prit oùu détruisit dans cette occasion, plus de cent galères aux Russes, et fit sept à huit mille prisonniers ; c’est cette bataille qui amena la paix.
  3. Il y a dans le jardin de la poterie du comte Runsb, à Helsinbourg, un arbre qui m’a paru semblable à celui de Tomarp, mais un ne le connait pas.
  4. Quand le Christ se laissa naître (naquit).
    Lund et Skanor étaient florissans.
  5. Cette pierre est sur le bord du chemin entre Ystadt et Skibarp, la dernière poste du côté de Malmöe, mais les habitans ne savent pas qu’elle existe.