Promenade d’un Français en Suède et en Norvège/19

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Quelques détails sur la religion, l’ancienne histoire et les pirateries des peuples habitant les côtes de la Norvège.


Rutgerus, Hermandus, Torfæus et beaucoup d’autres gens en us, ont écrit d’immenses in folio, sur l’antiquité de la Norvège et souvent aussi sur l’histoire chétive d’un seul petit canton ou d’un seul monument. Je n’imagine pas qu’un seul étranger, ait jamais eu la patience de lire jusqu’au bout aucun de ces auteurs. Ils écrivaient pour leurs compatriotes, et ces futiles dissertations, flattant l’amour-propre des Norvégiens, devaient les intéresser. Torfæus, commence ainsi son histoire de Norvège, Tres erant Noæ filii, Sem, Cham et Japhet etc. Il est fâcheux qu’il ne l’ait pas commencée à la création du monde.

L’ancienne histoire de la Norvège au fait, est la même que celle de Suède, aussi bien que l’ancienne religion et tous les dieux. Avant Harald Haar-fager (aux beaux cheveux) qui réunit presque toute la Norvège sous sa domination[1] chaque canton obéissait à un roi particulier. Il suffisait pour être réputé tel, d’avoir un port sûr, où l’on pouvait déposer le butin et quelques vaisseaux avec lesquels on allait pirater en mer, ou piller les peuplades voisines. Après la conquête, Harald établit plus d’ordre, et défendit aux rois de mer, comme on les appelait, de plus piller en Norvège.

La contravention à cette défense, fut ce qui le détermina à chasser Gange Rolf qui était un chef norvégien, malgré les supplications menaçantes de sa mère, que Mallet a traduites, et dont voici le premier couplet ; « est-ce que le nom de notre race vous est devenu odieux ? vous chassez de la patrie un des plus grands hommes qu’elle ait produits ; l’honneur de la Norvège !... A quoi bon exciter le loup, à dévorer les troupeaux errans dans les bois sans défense ? craignez que devenu furieux il ne vous cause un jour de grandes pertes. » Harald qui était puissant, fut inexorable, et Gange Rolf se retira d’abord aux îles Hébrides avec d’autres chefs de

cml la Norvège, qui en avaient également été chassés. Il se mit à leur tête, et fut d'abord exercer ses pirateries sur les côtes de l’Ecosse et de l’Angleterre ; mais ayant été repoussé, il prétexta un songe pour attaquer la France ; la faiblesse du gouvernement de Charles le Simple, le servit à souhait, et il réussit à se former dans ce pays une principauté, qui depuis ce temps s’est appelée la Normandie.

Il y avait huit à dix rois dans le district de Drontheim : cette ville était alors, sinon la seule, du moins la plus considérable de la Norvège ; elle se nommait Nidaros, (bouche de la Nida) du nom de la rivière à l’embouchure de laquelle elle est située. Elle fut long-temps après Harald, le séjour des rois de Norvège : il y avait lui-même sa résidence. C’était près de Drontheim, qu’était le temple païen le plus considérable de ce pays, et lorsque le Christianisme eut été établi en Norvège le siége de. cette ville fut érigé en Archevêché.

Ceux qui ne voulurent pas se soumettre au joug d’Harald, furent forcés de quitter le pays et d'aller s'établir ailleurs ; ce furent ces exilés qui découvrirent et peuplèrent l’Islande, où ils établirent une république qui a été assez florissante pendant quatre et cinq siècles. Les beaux arts même y fleurirent, et les seuls renseignemens que l’on ait sur l’ancienne histoire des pays du Nord viennent des écrits, que quelques savans de cette île ont laissés. Ils établirent aussi une colonie dans le Groënland, qui même était assez importante pour avoir été érigée en évêché. Après que l’Islande eut été réunie à la Norvège vers la fin du treizième siècle, la communication de la métropole à la colonie cessa tout-à-fait, sans qu’on puisse en donner d’autres raisons, que les troubles qui l'agitaient. Lorsque la Norvège a enfin été réunie au Dannemark, on a envoyé des vaisseaux sur ces parages trois siècles après, et l’on n’a pu découvrir la plus faible trace de l’ancienne colonie. On suppose qu’une peste ou les naturels du pays ont fait périr tous les colons.

On peut croire que ce furent encore ces exilés qui dans le onzième siècle, découvrirent les premiers l’Amérique. Il paraît par plusieurs relations, que voguant au sud du Groënland ils découvrirent une terre qu’ils appellèrent Vinland, où ils s’établirent.

On croit communément, que ce pays est l’île de Terre-Neuve. On a effectivement trouvé parmi les Esquimaux, une race particulière d’hommes, tout a fait distincte des autres peuplades de sauvages ; ceux-ci ont de la barbe et parlent un jargon tout-à-fait différent[2]. Il serait à souhaiter que quelques Danois ou Suédois s’occupassent d’en faire la comparaison avec leur ancien idiôme.

Le pays, après Harald haarfager, fut encore divisé, et aussi plusieurs fois réuni sous un seul maître. Les rois, ayant souvent été élevés en Angleterre, y embrassèrent de bonne heure le christianisme. Le roi Hegel-Adelstein, fils de Harald, voulut le faire embrasser à ses sujets ; mais ceux-ci, sans trop s’embarrasser de son culte, le forcèrent à assister aux cérémonies du leur. Quoiqu’il tâchât souvent d'esquiver les rites païens, en suivant ceux des chrétiens qui y ressemblaient, pour s'accorder avec eux, il fut cependant plusieurs fois forcé de manger du foie crud d’un cheval, qui venait d’être offert en sacrifice, et de se frotter de sa graisse.

Ohif Trygesson, le troisième après lui, s’y prit d’une manière plus vigoureuse et bien digne de ces temps barbares ; il ordonna péremptoirement, dans les différens ting[3]. (assemblées des bonde), à chacun d’embrasser le christianisme, sous peine d’être sur-le-champ mis à mort. Dans quelques endroits il fut obei, dans d’autres, les peuples se soulevèrent, et tous ceux qu’il avait en son pouvoir, et qui refusaient obstinément d’embrasser le christianisme, étaient égorgés sans miséricorde.

Ces férocités engagèrent grand nombre de Norvégiens à abandonner le pays, et a chercher par la piraterie, à s’établir ailleurs ; ce fut alors que les expéditions des Normans devinrent plus redoutables. La manière de faire la guerre de ces peuples, était absolument celle dont les barbaresques se servent ; mais comme la religion d’Odin portait encore plus que l'Islamisme à la guerre, et que les peuples ne croyaient pouvoir jouir du paradis (walhal), que par une mort violente, on doit sentir que leurs hostilités étaient beaucoup plus redoutables. Aucuns traités ou tributs ne pouvaient les arrêter, et comme l’Angleterre l’a vu par les dévastations qu’ils y ont faites et enfin par sa conquête totale, ces tributs n’étaient qu’un leurre Fatal, qui attirait d’autres pirates et souvent les mêmes.

Les défaites les plus sanglantes n’étaient rien pour eux ; à peine étaient-elles connues dans le pays, et quand elles l’étaient, ce n’était qu’un motif de plus pour se venger, en pillant dans le pays perdu ou ailleurs. Ainsi que les barbaresques, ils emmenaient en captivité les hommes, femmes ou enfans, à qui ils donnaient la vie, et saccageaient tout ce qu’ils ne pouvaient emporter. Quoique cette politique ait été suivie de l’usurpation de l’Angleterre, c’est cependant un fait qui me parait avéré, la meilleure manière de se défendre, était d'opposer les Normans aux Normans eux-mêmes ; mais il eût fallu en même temps avoir des troupes, en état de contenir ceux dont on était allié. C’est probablement cette politique qui a sauvé la France.

Les mœurs et la religion de ces peuples les portaient naturellement à la dévastation, au pillage et à la guerre. Quoique les conquêtes qu’ils ont faites soient immenses, je m’étonne en vérité qu’ils ne se soient pas rendus maîtres de toute l’Europe, et de tous les pays dont ils se sont approchés. La fureur qui les dominait, était absolument l’enthousiasme jacobinical, consacré par la religion et par une longue habitude.

Snore Sturleson rapporte que Herlaugh et Hrollaugh, deux rois de mer, établis dans le Numedal, une province de la Norrland, à l'approche de Harald haarfager, prirent la résolution, l’un de se soumettre, et l’autre de se donner la mort. Celui qui fut trouver Harald, fut établi comme Jarl[4], dans le pays qu’il possédait ; l’autre fit construire un de ces monts funéraires que l’on trouve par-tout dans le Nord ; il y avait dans l’intérieur une voûte, dans laquelle il descendit avec quelques bestiaux ; il y fit aussi placer son bateau, et s’enterra ainsi tout vivant.

Dans ces dernières années, le général Von-Kraagh eut l’idée de faire fouiller ce monument. Après avoir traversé une couche de sable fin et de charbon, on arriva effectivement à une voûte, dans laquelle on trouva d’un côté des ossemens de bestiaux, au milieu du bois pourri et des clous, et du côté opposé, le squelette d’un homme assis, la tête tombée entre les jambes et la lame d’un sabre dont la poignée était entre les cuisses et la pointe parmi les os du corps. On a transporte les os brisés du squelette au museum de Drontheim ; ils n’ont rien de fort remarquable, et leur situation dans le museum, m’a rappelé l'ingénuité de ce maçon qui, ayant trouvé dans les ruines d’Herculanum une inscription avec des lettres de cuivre, s’avisa de les détacher et de les envoyer dans un sac à l’académie de Naples.

Le roi Oluf Haraldson (St. Olaüs), le septième seul roi de Norvège, travailla pendant tout son règne à établir la religion chrétienne. Il voyagea dans les vallées et obligea les paysans à se soumettre. Il faisait souvent mettre à mort, ou couper les membres de ceux qui refusaient de se laisser baptiser. Dans une de ces occasions, le seigneur et les paysans de gald - brand - dal (vallée d’or brûlé) sortirent la statue gigantesque de Thor, couverte d’or et d’argent et son marteau en main. Il y eut une longue discussion, dans laquelle ils appelèrent l’évêque qui venait de prêcher, l'homme cornu (horned mand), par-ce qu’il avait sa mître en tête. Celui qui portait la parole, termina ainsi son discours : » Où donc est ton dieu ; oseras-tu le mettre en présence du nôtre ? »

Dans l’instant le soleil venant à paraître, le roi leur dit : » Le voici qui vient dans toute sa gloire. » Comme les paysans se tournaient pour le voir venir, on profita du moment et l’on brisa la statue de Thor. Cette statue était creuse, et comme on fourrait tous les jours dans sa bouche, de la viande et quatre galettes[5], il parait que nombre de rats avaient été logés dans son corps pour manger ces provisions. À l’instant où la statue fut rompue, ils s'échappèrent de toutes parts ; les paysans épouvantés s’enfuirent à cette vue. Le roi les fit revenir, leur tint un discours sur les vilaines bêtes qu’ils avaient nourries si soigneusement, et ils furent baptisés sur le lieu même.

Ce Fut le même roi Oluf-Haraldson qui eut une conférence à Kong-helle, en 1028, avec les rois de Suède et de Dannemarck, et le fait que je viens de rapporter, semble être arrivé l’année précédente. Cette époque de 1028 est la première que l’on trouve marquée exactement dans l’histoire de Norvège. Le christianisme ne put encore être introduit généralement que trois siècles après. Il n’est pas de doute que c’est son établissement qui peu-à-peu accoutuma les peuples à une vie sédentaire et leur fit abandonner la pratique usitée depuis l’arrivée d’Odin, de pirater sur les mers, d’égorger et de piller les habitans des côtes où ils pouvaient aborder.

L’année suivante, le roi Knut de Dannemamk que les Anglais appellent Canut, qui était un des plus puissans princes de son siècle, ayant achevé tout-à-fait la conquête de l’Angleterre, voulut aussi joindre la Norvège à ses vastes états. Il envoya des troupes sous la conduite de Hagen-Jarl. Les sujets, mécontens des violences qu’on leur avait faires pour embrasser le christianisme, se déclarèrent contre leur roi ; Oluf fut obligé de s’enfuir ; il se retira dans le royaume de Garda (cette partie de la Russie près la Courlande), où demeura plusieurs années.

Oluf ne s’occupa dans sa retraite que de la religion et en suivait toutes les pratiques avec une exactitude minutieuse. Les moines ont rapporté, que comme un jour il grattait avec son couteau l'écorce d’un bâton, un jeune garçon lui fit remarquer que le lendemain serait lundi Pour se punir de ce qu’il appelait une infraction du dimanche, il ramassa cette écorce et la fit brûler sur sa main.

Ayant ensuite, d’après un rêve qu’il lit, résolu de profiter de la mort du gouverneur Hagen Jarl pour rentrer dans ses états, il passa en Suède, où il fut fort bien reçu par le roi son beau-père, qui lui donna la permission de lever des troupes dans son pays. Ce fut dans le Jämeteland, que Gauca-Tor et Afra-Foste, chefs d’une bande armée dans ces pays, vinrent lui offrir leurs services et qu’il les refusa, parce que Afra-Foste lui fit la réponse : Je ne suis ni chrétien ni païen etc. ; rapportée dans le premier volume, au chapitre sur l'ancienne histoire de la Suède.

En arrivant au-delà des Fiälles à Stafsmÿr, en Norvège, St. Uluf fit la revue de sa petite armée qui se trouva être de trois mille hommes. De ce nombre, il y avait neuf cents païens ; le roi leur ordonna de recevoir le baptême sur-le-champ, ou de se retirer. Quatre cents furent baptisés et les autres le quittèrent. Afra-Foste qui avait suivi St. Oluff avec sa troupe presque malgré lui, dit alors : » Je veux être du côté du roi, parce qu’il me parait le mériter, et puisqu’il Faut enfin que je croie en un Dieu, mieux vaut croire au Christ qu’à quelqu’autre. »

L’histoire rapporte aussi la réponse d’un homme très-fort et très-grand qui était venu joindre le roi, sur la demande qu’on lui fit, en quel dieu il croyait ? » Je crois au roi, dit-il, et ne m’embarrasse guères du culte .J'ai bien entendu parler du Christ, mais je ne connais ni sa puissance ni sa gloire ; je veux croire tout ce que le roi m’enseignera. »

À l’instant de livrer la bataille, St. Oluf s’écria : » En avant, chrétiens, hommes de la croix, hommes du roi. » Il donna quelque argent à un prêtre pour dire des messes pour les âmes des paysans révoltés qu’il allait combattre et qui I avaient abandonné le christianisme ; mais pas pour ses soldats, parce que, dit-il, tous ceux qui seront tués, seront sauvés. Son armée fut totalement défaite, et lui-même fut tué dans la bataille. Quelque temps après, ses sujets revinrent sur son compte, et avec la permission du nouveau roi Swend-Knudtson (fils de Canut), on l’enterra dans l’église, et l’on prétendit que ses reliques avaient fait beaucoup de miracles.

La cathédrale de Drontheim fut bâtie depuis 1252 jusqu’en 1274. Les descriptions de sa magnificence semblent bien exagérées. Rutgerus s’exprime ainsi. AEdificium fuit magnificentissimus, coetera totius Europae templa omnia superans, imo in toto christiano orbe, ut quidam affirmant, sibi simile aut par non habens sive artificium sive amplitudine species[6]. Shönning en a aussi donné une description dans un léger in-quarto en petit caractère, d’environ 600 grandes pages. La première m’a du moins appris que le titre de Dom-kirka, donné aux églises cathédrales de Suède et de Dannemark, et sans doute aussi d’Allemagne, vient de Dom, jugement, à cause du chapitre du consistoire qui s’y tenait, et qui jugeait les causes ecclésiastiques. Au surplus, tout est marbre, or, argent et pierres précieuses dans les descriptions de ces messieurs.

Par ce qui reste du bâtiment, il devait réellement être fort vaste. La nef et une aile ont été détruites par le feu, mais les murailles en existent encore, et le chœur est assez grand, pour servir à présent de cathédrale. Ayant lu dans les ouvrages dont j’ai parlé, la description de colonnes de marbre blanc et vert, je m’étonnais de n’en pas trouver de trace ; à la fin je m’avisai de prendre une pierre et de gratter un morceau des colonnes plâtrées que je voyais autour de l’église ; à mon grand étonnement, je trouvai du marbre blanc dessous. Voici comme la chose s’est faite ; l’église ayant été pillèe et saccagée plusieurs lois, les pirates ont emporté quelques-uns des piliers de marbre : pour y suppléer, on en a mis de bois et on les a plâtrés en blanc ; afin que les autres ressemblassent à ceux-ci, on les a aussi plâtrés. On ne saurait nier que cette amélioration ne soit d’un goût exquis.

C'est sur-tout le portail qui fait extasier les historiens ; ils font mention des statues dorées des douze apôtres qui l’ornaient. Il devait y avoir d’autres saints, car on y voit encore dix-huit niches. Il y reste bien encore trois ou quatre statues, mais elles ne sont nullement dorées et fort ordinaires. La forme du portail, telle qu’elle paraît à-présent, ne paraît pas avoir jamais été d’un grand goût.

Le feu du ciel est tombé trois fois dessus l’église avant la réformation. Torfœus prétend que c’est à cause des impiétés qu’y commettaient les papistes. Quoi qu’il en soit, le réformateur Otto-Stigius l’a depuis pillée avec une dévotion particulière : il a enlevé jusqu’aux cloches et brûlé tout ce qu’il ne pouvait emporter, avec les livres de la bibliothèque du chapitre, dont il avait fait un tas sur la place. Des deux vaisseaux chargés des dépouilles, l’un fit naufrage-près d’Agdanasia, à l’entrée du bras de mer, et l’autre fut pris par des corsaires Hollandais.

Les persécutions du roi Swend-Knudtson ne tardèrent pas à faire revenir les habitans de la Norvège sur le compte du roi St. Oluf. Un des fils de ce dernier qui avait un royaume en Angleterre, vint avec une flotte pour reprendre son héritage, mais il fut battu et tué. L’année d’après, grand nombre de Norvégiens, conduits par Sigwald, passèrent en Suède et de-là dans le royaume de Garda, ou ils offrirent leurs services à Magnus, le second fils d’Oluf. Ils repassèrent la mer ; et ayant été aidé d’hommes et d’argent par son grand-père en Suède, Magnus prit pour rentrer dans ses états, le même chemin que son père, et ne trouva pas la moindre résistance. Swend-Knudtson, après quelques tentatives, jugea à-propos de se retirer sur-le-champ en Dannemark près de son frère.

Magnus fit faire une châsse magnifique en argent pour le corps de son père : on l’y trouva, dit-on, bien conservé cent ans après. Pendant longtemps, les chefs entreprenaient rarement une grande expédition, sans avoir auparavant été lui couper un poil de sa barbe, qu’ils portaient sur eux. Le maître autel de la grande cathédrale de Drontheim fut placé depuis dans l’endroit même Où il avait d’abord été enterré. Magnus tracassa d’abord les paysans qui avaient été armés contre St. Oluf, mais il sut ensuite s’en faire aimer. Par une suite de la condition qu’il avait faite avec le frère de Swend, il hérita du royaume de Dannemank, où il fut reconnu généralement aux états de Vibourg en 1033.

Il panagea ensuite son royaume de Norvège avec Harald, son oncle, qui avait conquis et pillé maintes villes en Afrique et en Sicile. Étant à Constantinople, il avait aidé à détrôner l'empereur grec Constantin Monomaque, pour placer sur le trône l'impératrice Zoë. Il traversa ensuite la mer Noire, et se rendit par terre dans le royaume de Garda chez le roi Jarisleff, dont il épousa la fille.

C’est de cet Harald, qu'est la chanson que plusieurs auteurs ont citée et qu’il fit en l’honneur de sa maîtresse Ellesif ou Elizabeth, à qui il rend hommage de tous ses exploits.

Pendant plusieurs années, Harald fit une guerre sanglante à Swend-Knudtson, à qui son neveu Magnus avait cédé en mourant tous ses droits sur le Dannemarck. Chaque année il venait faire une descente sur les côtes de ce pays, piller et ravager tout.

Après la mort d’Eclouard, il envahit l’Angleterre avec une grande armée, à l’instigation de Toste-Jarl, frère du roi Harald d'Angleterre[7]. Il lui livra une bataille sanglante dans le Northumberland, ou son armée fut battue et lui-même tué. Cette bataille eut lieu dix-neuf jours seulement avant celle que le même roi Harald d’Angleterre livra en 1066 à Guillaume le Conquérant, et dans laquelle il perdit le trône et la vie.

Ainsi l’Angleterre fut pendant plus de huit siècles attaquée, dévastée et cinq ou six fois conquise par ces peuples du Nord, ces redoutables Normans qui ne regardaient leur pays que comme un asyle pour y déposer leur butin. À cette époque, le christianisme commençant à faire des progrès, les peuples perdirent enfin la férocité qui les avait dominés jusqu’alors. Le dernier roi Harald avait bâti Opslo dans le Sud, et son fils bâtit Bergen. Peu-à-peu les peuples s’accoutumèrent à des mœurs plus douces ; mais ce ne fut que lorsqu’ils eurent tout-à-fait abandonné les dogmes féroces de la religion d’Odin.

Ils portèrent cependant dans le christianisme toutes les pratiques superstitieuses de leur ancien culte. C’était toujours à Odin et à Bruno que l’on envoyait les âmes des gens qu’on tuait dans les batailles ; c’était pour ses corbeaux que l'on préparait un festin, suivant les expressions de tous les chants de guerre qui nous restent de ce temps.

Le roi Hagen en 1250 profitant des troubles de l’Islande, réussit à s’emparer d’une partie de l’île. Elle se soumit entièrement à son successeur qui lui envoya un code de loix appellé Jons-bog (livres de Jons, c’était le nom du ministre qui les avait rédigées) que l’on suit. encore dans ce pays. Ce fut seulement à cette époque que les habitans de cette île embrassèrent le christianisme. La cause de religion qui les séparait de ceux de Norvège n’existant plus, un grand nombre vinrent s’y fixer.

Depuis cette époque, l’histoire de Norvège n'offre plus les détails que d’une seule grande expédition, dans les pays étrangers. Ce fut en 1260, lorsque le roi Hagen passa en Écosse avec une flotte considérable ; il soumit les rois ou chefs des îles qui avaient secoué son joug, et avaient recherché la protection du roi d’Ecosse. Il gagna et perdit quelques batailles dans le pays même, et mourut enfin sur la côte. Son corps fut rapporté à Drontheim et enterré dans la cathédrale que l’on commença à bâtir sous son règne.

La possession de ces îles occasionna de longues guerres entre les rois d’Écosse et ceux de Norvège. Malcolm d’Écosse fit un accord avec Magnus-Barfod (nu-pied) de Norvège, par lequel tous les pays dont le roi de Norvège pourrait faire le tour en bateau, lui appartiendraient. Maguns se fit traîner en bateau par-dessus l’isthme de Galloway et acquit ainsi tout le pays au-delà. Ce fait est rapporté par les historiens des deux pays ; j'en ai fait mention dans le volume sur la Grande-Bretagne, page 151. Il fut enfin conclu un agrément entre le successeur de Magnus et le roi Alexandre d’Écosse, par lequel celui-ci consentit à payer la somme de 1000 marcs en dédommagement des îles que le roi de Norvège lui céda entièrement.

L’histoire après ceci ne parle plus que de batailles sanglantes entre les différens partis dans l’intérieur du pays. Chacun d’eux adoptait un roi, qui souvent n’était qu’un aventurier, et sous son nom on exterminait et saccageait tout.

Plusieurs légats des papes sont venus à Nidaros (Drontheim) dès le onzième siècle, et y ont établi la cérémonie de couronner les rois, comme cela se pratiquait dans les autres états de l’Europe. Quoique ces peuples furent long-temps à embrasser le christianisme, ils adoptèrent cependant avec une promptitude singulière toutes les formes superstitieuses usitées dans ce siècle. L’épreuve du fer ardent fut souvent faite, pour connaître la vérité ; on l’employa sur-tout fréquemment dans le cas où un aventurier, arrivant des îles ou du Dannernark, se disait fils de quelque roi de Norvège.

Magnus-Smeck (le leurre), troisième successeur de Magnus-Barfod, hérita de la Suède ; mais les Suédois s’étant révoltés, donnèrent la couronne à Albreckt duc de Mecklenbourg. Celui-ci soutint de longues guerres contre Magnus-Smeck et ensuite contre sa veuve, la célèbre Marguerite de Valdemar, qui était reine de Dannemark par naissance et qui le devint de Norvège après la mort de son fils Oluf-Hagen.

On peut se rappeler que j’ai déjà parlé île ces divisions dans la première partie. Elles se terminèrent en 1587 par la bataille, dans laquelle Albreckt perdit la couronne et la liberté. La reine Marguerite fut ensuite reconnue à Calmar, reine des trois royaumes du Nord ; les états des trois pays, assemblés dans cette ville, firent devant elle l’acte solennel, appelé l’union de Calmar, par lequel les trois nations unies sous un seul roi, ne devaient plus former qu’un peuple.

Gustave Vasa, en 1515 (126 ans après) brisa ce pacte et fut reconnu roi de Suède. La Norvège a toujours depuis ce temps été réunie au Dannemark, et son histoire est celle de ce pays.

— Il est donc temps de revenir à ma promenade que suivant mon usage je n’ai pas voulu commencer avant d’être au fait de l’histoire des anciennes mœurs et du langage des habitans.

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  1. L’époque de la conquête d’Harald Haar-fager n’est pas marquée exactement ; mais comme ce fut lui qui exila Gange Rolf que nous appelons Rollo, à qui la France fut depuis obligée de céder la Neustrie ; on peut la placer dans le neuvième siècle. Gange signifie le grand marcheur. On avait donné ce sur-nom à Rolf. d’après son habitude d’aller très-vite.
  2. Voyez le London Magazin de juin 1725.
  3. Ting-hus (assemblée de jurisdiction). Cet usage est encore suivi en Suède, comme je l'ai marqué page 107 de la première partie.
  4. Jarl, d'où est venu l’Earl anglais : comte, gouverneur.
  5. Der bliver hwer dag sat fire bröd-kager, tilige med kiöd for ham. Shönning Norske Kongers Kronike P. 250.
  6. Cet édifice fut très-magnifique, il surpassait en splendeur tous les autres temples de l’Europe, et comme plusieurs affirment tant pour l’architecture que pour sa vaste étendue, il n’avait rien qui pût l’égaler dans tout le monde chrétien.
  7. Les rois d’Angleterre et de Norvège portaient le même nom.