Promenade d’un Français en Suède et en Norvège/10



SUR LES MŒURS, L'HISTOIRE ET LE LANGAGE DES ANCIENS HABITANS DE CES PAYS.
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Le Chef de la nation prend le titre de roi. — Proclamation à Mora-stenar. — Indifférence de la vie. — Trait d’Ingial-Ill-rôdet (le mal avisé) qui brûle douze petits rois. — Les Allhäyar-ting ou états-généraux. — Les vieillards et les infirmes précipités. — Traits ayant rapport à la bible et à la fable. — Le langage gothique et ses dialectes — La langue Finoise — Passage de la Voluspa sur l'émulation. — Les caractères runiques. — Les mois nommés d’après les saisons. — indifférence de religion. — Temple de Thor brûlé. — L’ancienne capitale, Sigruna, brûlée par une flotte Russe en 1188 — fondation de Stockholm en 1260.


Le chef de la nation se nommait Drottnar (le grand juge). Snore Sturleson rapporte que Dygvi, le dixième successeur d’Odin, prit le titre de Konung (roi).La reine n’en changea pas et encore à présent on l’appelle Drottning[1].

Le pays fut divisé par la suite entre un très-grand nombre de petits seigneurs, qui s’appelaient rois : ils reconnaissaient cependant pour chef un premier roi (Öfver-konung) qui quoique élu, devait toujours être de la race d’Odin. Ce monarque était le roi d’Upsal ; il était proclamé près de la ville, à Mora-Stenar (champ des pierres). Il y avait douze grandes pierres en cercle et une plus élevée au milieu, sur laquelle il montait, entouré des roitelets ses vassaux et il était ainsi proclamé à la vue du peuple[2]

Les historiens rapportent que dans ces occasions les rois de Dannemarck et de Norvège tenaient l’un la bride et l’autre l’étrier de son cheval ; je voudrais bien savoir ce que les Danois pensent de ce petit trait d’histoire, car il faut toujours entendre les deux partis. Il se pourrait après tout, qu’ils rendissent hommage au descendant d’Ordn, et au grand prêtre de sa religion. Les rois chrétiens en rendent un pareil au Pape ; les princes musulmans aussi, ont de la vénération pour l’empereur des Turcs, et avant lui pour les Caliphes. Leurs états cependant sont indépendans et ils se permettent quelquefois de leur faire la guerre. Les rois du Nord, même les plus petits, ne se faisaient pas de scrupule, pour la déclarer à leur Öfver-konung.

Lorsque l’intérêt général faisait prendre les armes, les rois d’Upsal commandaient les autres ; c’était à peu-près à cela que se bornait tout leur pouvoir.

On doit bien présumer que cette foule (le petits rois, qui désolaient le pays, devaient fort déplaire à leur Öfver-konung, à l’autorité duquel ils mettaient des bornes et tâchaient souvent de se soustraire tout-à-fait. Les Öfver-konung cherchèrent souvent à se défaire d’eux : Ingiald surnommé Ill-Rôdet (le mal avisé) invita tous les rois feudataires à se rendre près de lui pour la cérémonie de prise de possession du trône de son père. Lorsqu’ils furent ivres, il fit entourer la salle du festin par des soldats pour qu’aucun l’échappât, et il y fit mettre le feu. Ils furent tous brûlés. Deux seulement qui ne se trouvaient pas à cette fête, échappèrent à la mort pour le moment, mais pas pour long-temps ; car Ingiald surprit le roi Granmar de Sudermanie avec son beau-père dans une île appelée Silier. et il mit encore le feu à la maison. Il fit épouser sa fille au roi de Scanie le dernier restant ; elle lui persuada d’abord de faire mourir son frère., et ensuite elle le tua, et se rendit auprès de son père.

Jwar-Vidfame (le fameux) fils du roi de Scanie, qui était aussi roi de Dannemarck, fit à Ingiald une guerre terrible, et finit par l’obliger à se brûler lui-même avec sa fille et ses gens, dans un fort qu’il avait construit sur une hauteur, pas loin d’Upsal. Ainsi finit la race d’Odin en Suède, huit cents ans après son arrivée dans le royaume. Olaf fils d’Ingiald, quoique innocent des crimes de son père, ne put jamais remonter sur le trône, Il se retira dans les bois de la Värmelande, où il sut se former un état. Les historiens l’appellent Oluf Trä-telge (le bûcheron), parce qu’il fut obligé de couper les bois pour s’établir.

Les Suédois qui ne voulaient pas se soumettre au joug d’Iwar-Widfame, apprenant qu’Oluf avait trouvé un bon pays, vinrent le joindre en si grand nombre, que la disette s’en suivit bientôt, et on le sacrifia aux dieux pour obtenir l’abondance.

Oluf avait épousé une princesse de Norvège, et Harald-Haarfager (aux beaux cheveux), son arrière petit-fils, acheva la conquête entière de ce pays, où la race d’Odin a régné jusques dans le quatorzième siècle.

Les trois pays ont souvent été unis ; Iwar-Widfame, possédait à-la-fois la Suède, le Dannemarck, tous les pays qui sont autour de la Baltique et une partie de l’Angleterre. La grande reine Marguerite de Valdemar avait sagement uni les trois royaumes, mais les trois princes qui lui succédèrent n’eurent point d’enfans ; les nobles aussi, jaloux de leur pouvoir. sentaient bien, que sous le gouvernement d’un prince puissant, il serait bien faible. Les traitemens rigoureux, on pourrait dire absurdes des gouverneurs danois, finirent par désespérer la nation. Gustave-Vasa parut et son pays fut délivré du joug de l’étranger. Tout en admirant son courage, on ne peut s’empêcher de regretter pour le bien des peuples, que cette union si politique n’ait pas été durable.

Dans le mois de février, il se tenait des états sur cette même plaine de Mora-Stenar appelée All-häyar-ting, comme qui dirait place ou chose à écouter tout le monde. On avait fixé le temps le plus froid. afin de faciliter les moyens de s’y rendre ; dans ces temps sur-tout, où vraisemblablement les chemins n’étaient pas très-bien entretenus, on devait attendre la neige pour faire de longs voyages. Comme d’ailleurs ces états se tenaient en plein air, le froid cuisant devait faire dépêcher les affaires. La se trouvaient les Jarlar (les comtes ou petits rois) les Hersar (les propriétaires de terre), les Lagmän (les gens de loi) et les Boude (les paysans libres et propriétaires qui devaient un service militaire). Le roi était assis sur un siège élevé, entouré de sa cour.

Les états se séparaient d’eux-mêmes après huit jours : on n’y délibérait guères, que de la paix ou de la guerre, car il n’y avait point d’impôts établis ; chacun marchait ses frais et se nourrissait comme il pouvait. Les rois avaient leurs domaines et ceux qu’ils pouvaient prendre, mais rien de fixe. Ce qui intéressait le plus dans ces All-häyar-ting était la question assez simple de quel côté et à quel peuple il fallait faire la guerre et souvent on partait sur-le-champ pour l’expédition projetée.

Comme toute l’attention de ces peuples était tournée du côté de la guerre, leur principale police aussi consistait dans la manière de s’armer et dans le partage du butin fait sur les ennemis. Les chefs avaient une plus grande part, mais chaque soldat devait avoir la sienne. Les armes des vaincus étaient aux plus braves ; les fuyards étaient déshonorés, et leur témoignage n’était pas reçu en justice. Les vaisseaux étaient forts, et bien construits ; les habitans d’un canton bâtissaient les leurs et devaient avoir part au butin pris sur mer.

Le peu de justice, qu’il y avait à attendre d’un peuple toujours armé, se rendait en plein air, dans certains lieux désignés pour cet usage. Les juges s’asseyaient, à ce qu’on assure, sur ces pierres hautes de sept à huit pieds que l’on trouve éparses çà et là dans le royaume. Elles forment un cercle dont le diamètre peut être de quinze pieds. Il y en a communément huit ou neuf ainsi placées ; si elles servaient de sièges aux juges, ils étaient assurément bien isolés et devaient déclarer leur opinion à la vue du peuple et sans que les parties pussent craindre les insinuations du voisin.

Dans le cas de quelques occasions extraordinaires, comme une attaque ou la révolte d'une province, le chef du conseil appelé Lagman, convoquait l’assemblée du peuple, en envoyant une certaine marque de main en main, comme une flèche, un petit marteau représentant celui de Thor, une hache, ou autre instrument ; après l’établissement du christianisme, on se servait Pour le même usage d’une petite croix de bois dont le bout était brûlé[3].

On rapporte qu’Haquin régna 190 ans en rachetant sa vie tous les dix ans, d’après l’avis de l’oracle, par la mort d’un de ses fils : il aurait sacrifié le derniers sans le peuple qui s’y opposa, et il mourut a l’âge de 210 ans.

Dans toutes les actions de ces peuples on trouve le mépris de la mort le plus décidé : on précipitait du haut de certains rochers, les vieillards et les gens infirmes pour leur procurer l’entrée du Vallhall d’Odin. Le roi Haka blessé dans un combat, près d’Upsal, se fit mettre sur un vaisseau avec les blessés et les morts, il conduisit ensuite le vaisseau en pleine mer, puis il y mit lui-même le feu.

Les guerriers formaient des liaisons entre eux : ils juraient de se défendre et de ne pas se survivre. Quand l’un mourait, l’autre devait sur-le-champ le rejoindre. L’on rapporte que Hunding roi de Suède, s’étant réconcilié avec Hadding roi de Dannemarck qui avait tué son frère, ils formèrent ensemble une liaison pareille. Hunding apprenant la mort de son ami, se jeta la tête la première dans une tonne d’hydromel. La nouvelle se trouva fausse ; et Hadding, pour ne pas lui céder, se pendit lui-même devant tout son peuple. Je pourrais en citer un beaucoup plus grand nombre d’exemples, mais celui-ci les vaut tous.

Les jeunes gens étaient émancipés à dix-huit ans, en leur donnant un bouclier, une épée et une lance ; après cela ils devaient pourvoir eux-mêmes à leurs besoins et par la force.

Ces peuples avaient des mœurs très-sévères dans l’intérieur de leurs maisons : en Dannemarck, le mari pouvait mutiler le galant, et en Suède il pouvait le tuer ainsi que la femme coupable : dans la république d’Islande, les lois assignaient aux adultères une place particulière aux enfers. Il y a plusieurs traits dans l’histoire, qui ont quelques rapports à ceux de la fable ou de la bible. On y trouve presque l’histoire d’Œdipe ; le trait suivant rappelle l’histoire de Judith. La princesse de Finlande qu’Agne roi de Suède avait fait prisonnière, après avoir défait son père, consentit à l’épouser. et la première nuit des noces, elle le pendit à l’arbre qui soutenait sa tente et sut échapper du camp[4].

La langue de ces peuples, communément appelés gothiques, et d'où sont sortis, l’Allemand, le Hollandais, l’Anglais, le Suédois, le Danois, l'Islandais et plusieurs autres dialectes, a encore un rapport plus ou moins grand avec toutes celles qui en sont dérivées ; mais le Suédois tel qu’il est parlé aujourd’hui, n’y a pas beaucoup plus de rapport que les autres. On peut considérer l’Islandais comme le langage qui en approche le plus.

Cette langue pourrait servir de point de rapprochement entre le Suédois, le Danois, l’Anglais et leurs dialectes. La conformité de ces quatre langues est telle que, sans craindre de se tromper, on pourrait assurer que tous les mots d’une d’elles se trouvent épars dans les trois autres. Si On excepte les mots dérivés du latin, du grec et du français.

Le Finois n’a aucun rapport avec le Suédois ; ce langage était celui des habitans de la Suède, avant qu’Odin en fit la conquête. Les Finois sont cependant aussi d’origine tartare ; et quoique je n’aye pas trouvé de matériaux satisfaisans à ce sujet, c’est cependant un fait prouvé par la conformité de leur langue avec le Hongrois. Il est bien connu que ceux-ci sont les descendans des Huns, qui des confins de l’Asie se répandirent en Europe, et se fixèrent dans la Pannonie à laquelle ils donnèrent leur nom.

Le rapport de ces deux langues est tel, que Jean Ihre assure que dans les guerres de Gustave-Adolphe en Allemagne, les soldats Finois entendaient sans beaucoup de peine les habitans de la Hongrie. Voici le passage. Milites quosdam fennicœ nationis in Hungariam translatos, intra perexiguum tempus cum regionis ejus incolis colloqua miscere potuisse[5].

Le Lapon est évidemment un dialecte du Finois : j’en ai vu une grammaire et un dictionnaire à la bibliothèque de Stockholm. Les mots se déclinent comme dans le latin, et on y fait peu d’usage des articles. Il est assez extraordinaire que le pronom personnel des Lapons, soit le pronom possessif de la langue française ; je n’aurais jamais cru que nous eussions le moindre rapport.


  Lapon   mon, todn, sodn, mije, tije, sije,
  je tu il nous vous ils
  Finois   minun   sinun   hanan   meida   teida   heidan  


Voici une courte phrase dans les deux langues.

_________Je l’aime de tout mon cœur
__Lapon.   Mon etsab so kaiket waimost
__Finois.   Minun rakastan kaikesta minun sydämestärei.


Je pourrais bien remplir quatre ou cinq pages de rapprochemens ; mais à quoi cela menerait-il ? cependant celui-ci est singulier, Áttie veut dire père en Lapon et mère en Finois. Ces deux langues (Tailleurs ne sont point fixées : sur les confins du pays, elles se mêlent. Plus les peuples sont éloignés, plus elles diffèrent. Toutes les langues d’ailleurs ont des points de contact entre elles ; à qui voudrait se donner la peine, je parierais qu’entre le Bas-Breton et le Chinois, on trouverait bien du rapport.

Pour terminer cet article, ie vais transcrire un passage de la Voluspa : poëme religieux qui a été écrit long-temps avant l’Edda, et qui comme ce dernier est par demande et par réponse. On sait que les peuples anciens avaient l’usage de se faire des questions difficiles, et que la science consistait à ne jamais rester court. J’ai choisi ces couplets parce qu’ils sont brefs, qu’ils ont un sens moral et que le premier vers est Anglais.


COUPLET XX.

Vindkaldr qvap :

Seg thu me that Fiölsvithr[6]
Hvat that barr heitir
Er breithir vm
Könd ö oc limnar.

Vindkaldre chante :

Dis - mois cela Fiölsvithr
comment cet arbre s’appelle
qui étend par
tous pays ses branches ?


COUPLET XXI.

Fiãlsuithr quap :

Mima-meithr hann heitir :
Men that fair vitv
Of hvereom rötum rennr,
Vit that han fellr,
Er fœstan varir.
Flor-at hann Eldr ne jam.

Fiolsvizhre chante :

L’émulation il s’appelle :
peu d’hommes savent
ca qui de ses racines vient ;
ce que de lui tombe
très-peu savent apprécier.
il écorche le feu et le fer.

Il se rit du Fer : ou le fer et le feu ne sauraient l’endommager


J’ai traduit littéralement pour faciliter l’intelligence du passage : on en trouvera le style très-simple et pas sans élégance.

Les caractères runiques ont autrefois embarrassé les savans, mais ils sont bien connus à présent, aussi bien que la langue dans laquelle ils sont écrits : c’est l’ancien gothique. plus ou moins pur, suivant que l'inscription se rapproche des temps modernes On a trouvé en Suède 1060 pierres gravées avec des caractères runiques, il en est sans doute beaucoup d’autres que l’on ne connaît pas encore. Elles sont presque toutes sans date et ont la plupart des croix, ou des marteaux : elles sont communément placées près d’un pont, d’un chemin ou de quelque autre établissement, L’inscription en est ordinairement de peu de conséquence : on y voit d'ordinaire, que c'est à un tel fils d'un tel, que la maison, le pont ou le chemin auprès desquels elles se trouvent, doivent leur origine.

Les inscriptions les plus importantes sont celles qui disent, que la pierre fut érigée en l’honneur d’un tel qui mourut dans le Levant : et il y en a beaucoup qui le disent. La garde des empereurs de Constantinople était composée de Goths de Thrace, et ces pierres prouvent que ceux de ce pays regardaient encore les Goths de Suède comme leurs compatriotes. Ce qui le prouve encore davantage, c’est que lorsque les Goths de Suède furent battus, et une partie de leur pays conquis par les Angles du Jutland, ils se retirèrent en grand nombre l’an 588, vers Théodoric roi des Ostrogoths, en Italie, et en furent reçus.

On attribuait souvent des qualités magiques aux caractères et aux bâtons runiques. Les sorciers prétendaient qu’ils en pouvaient faire d’une vertu assez puissante pour ressusciter les morts.

Run dans l’ancien langage voulait dire courir ; il a encore la même signification en Anglais et dans quelques idiomes Suédois, que j’ai rencontrés sur mon chemin. Je serais tente d’en conclure que l’ancien terme de Ranar appliqué aux caractères runiques, ne veut pas dire autre chose que caractères courans. Ce nom leur serait venu dans ce cas, de la facilité de les tailler dans la pierre, n’étant que des lignes droites sans jambages, arrondies ; peut-être aussi aurait-il pu leur être donné de la manière dont on faisait courir et mêler la bande sur laquelle ils étaient écrits, entre des serpens et de longues lignes entrelacées.

Cette explication ne s’accorde pas autrement avec celle des savans étymologistes d’Upsal ; mais enfin pourquoi ne pourrait-on pas se permettre d’aller chercher ce qu’il y a de plus simple dans une matière, ainsi que ces messieurs ont toujours run (couru), après le plus difficile et le plus obscur[7] ?

Il n’y avait que seize lettres dans l’alphabet runique : on en peut voir l’ordre, et la conformation à la page 42 du volume sur l’Irlande ; les caractères dits vulgaires sont ceux dont on faisait le plus d’usage, et que l’on trouve sur presque toutes les pierres ayant des inscriptions runiques. Les Helsinge, ou sacrés, n’étaient, dit-on, employés que par les prêtres : on a aussi trouvé quelques inscriptions faites de cette manière.

Les républicains modernes ont cru faire une invention étonnante, en donnant aux mois les noms ayant rapport a la saison, ou aux occupations champêtres. les Goths suivaient la même coutume ; les noms romains ne les ont remplacés que depuis l’établissement du christianisme, et encore à présent on écrit dans les almanachs en Suède, en Dannemarck et même en Allemagne l’ancien nom à côté du nouveau. Voici ceux de Suède. L’usage est d’ajouter mônad (mois), après chaque nom, ainsi que day en Angleterre et di en France et en Italie après le nom des jours de la semaine.

Thor mônad Gój Wôr Gräs
mois du dieu Thor,   de la déesse Göje   du printemps   de l’herbe
Janvier Février Mars Avril


Blomster Sommär Sknede
des fleurs       de l’été         du foin         de la moisson
May Juin Juillet Août


Höst Slagt[8] Vinter
de l’automne   de la tuerie   de l’hiver
Septembre Octobre Novembre


Jul
des fêtes de Jul, du retour du soleil[9].
Décembre


On trouvera avec raison que le printemps ne paraît guères en Suède dans le mois de Mars : au fait les anciens Goths ne comptaient que deux saisons dans l’année, l’été et l’hiver, et ils avaient raison ; car il n’y en a pas davantage dans tous les pays du Nord. L’hiver commence vers le milieu d’octobre, et l'été à la fin de May. Ces deux nom ; de Wör et de Höst me semblent ajoutés.

La fête chrétienne de Noël a succédé à celle de Jul. On célébrait alors la fin de l’année et le commencement de l’autre : on se réjouissait, on se félicitait : il était aussi d’usage de se faire des présens appelés Jul Klap (Caresses de Jul ou du retour du soleil, de la saison). Tous ces usages existent encore, les Jul Klap sont charmans, mais c’est à Noël qu’on pense.

Les premiers missionnaires de la religion chrétienne ont été très-prudens et très-adroits. Toutes les grandes fêtes du Christianisme sont placées dans le même temps que l’étaient les grandes fêtes du paganisme. On sait que les Romains célébraient aussi à cette époque les Saturnales, dans lesquelles les maîtres servaient leurs domestiques. Cet usage existait aussi en Suède, et même à présent si on ne les sert pas, il est du moins d’usage de les régaler et de leur faire un petit présent.

Les noms des jours de la semaine, sont les mêmes que chez les peuples dont le langage est dérivé du latin ; c’est-à-dire que les noms des dieux, quoique différens par l’expression, sont les mêmes par le fait. Le dimanche est dédié au soleil, le lundi à la lune, mardi à tiens qui ressemble à mars, mercredi à Odin, jeudi à Thor, vendredi à Freya, comme dans les langues dérivées du latin au soleil, à la lune, à Mars, à Mercure, à Jupiter, à Vénus et à Saturne. Le samedi seul Lägerdag[10], exprime une action commune de la vie. Il était d'usage, dit Jean Ihre, de se laver et de se baigner ce jour-là, pour paraît décemment au temple, et c'est de-là que le non lui est venu.

La chûte de toutes les religions s’annonce longtemps avant qu’elle n’arrive : d’abord les gens raisonnables ouvrent les yeux sur quelques abus : les entêtés et les ignorans y renoncent tout-à-fait et deviennent athées ; les moins pervers, comme il est prouvé par l’exemple des philosophes du paganisme, se contentent de croire simplement en dieu. Si cet esprit de philosophie gagne la masse du peuple, on peut être sûr de grandes convulsions dans l’état, suivies d’un changement de culte. Pour établir une nouvelle religion, il faut que de grands et longs malheurs ayent fait oublier l'indifférence philosophique de l'ancienne, en plongeant de nouveau dans l’ignorance et dans la barbarie ; autrement, des philosophes verraient la nouvelle religion avec la même indifférence quel’ancienne, et elle ne s’établirait pas.

Les peuples du Nord paraissent souvent avoir fait profession de l’athéisme le plus prononcé. Rien ne le prouve comme la réponse de Gauke-tore, un guerrier du Jämeteland, qui offrait ses services à St. Oluf, que nous appelons Olaüs, roi de Norvège. St. Oluf lui ayant demandé de quelle religion il était. Je ne suis, répondit-il, ni chrétien, ni païen, mes compagnons et moi n’avons d’autre religion que la confiance en nos forces, et dans le bonheur qui nous suit toujours à la guerre, et il nous semble aussi que c’est là tout ce qu’il faut. » Assurément les républicains modernes n’auraient pas parlé autrement.

Dans le même temps on trouve souvent des phrases religieuses parmi eux, semblables a celles de nos philanthropes : » Je suplie et je conjure, disait Gaest, un autre guerrier, celui qui a fait le soleil de rendre ton entreprise heureuse. Il recevra, disait Thorstein, une récompense de celui qui a fait l’univers, quel qu’il puisse être[11] «.

Ces nations gothiques, que leur indifférence religieuse portait à traiter avec mépris les missionaires chrétiens, aussi bien que leurs propres prêtres, ne manquaient cependant jamais, aussitôt qu’elles avaient conquis un pays,d'embrasser la religion des habitans. Rolf, que nous appellons Bono, fit beaucoup plus de façon pour prêter hommage au roi de France, pour la Normandie qu’il avait conquise, que pour embrasser le Christianisme, dont il savait bien que la profession lui servirait à se maintenir dans sa conquête.

Tous les Barbares qui de leurs immenses contrées, se sont répandus sur l’Europe, le sud de l’Asie ou sur les côtes de l’Afrique, ont suivi le même système. Voyez Clovis avec ses francs, se faire baptiser dans les Gaules : les Turcs et Turcomans tout en abattant le trône des calyphes, embrasser la religion des vaincus et leur chef se dire descendant de Mahomet ; suivez-les à la Chine, vous les verrez adorateurs de Fo. Ce n’est qu’après s’être établis et avoir adopté les opinions, souvent exagérées, des nations vaincues, que les barbares ont persisté dans leur croyance.

L’indifférence religieuse des peuples du Nord, jointe à leur ignorance, et à la misère où devaient se trouver des peuples, à tous momens exposés aux invasions de leurs voisins, ou se disposant eux-mêmes a les attaquer, semblait promettre des succès aux mission aires chrétiens. Il ne parait pas cependant, qu’aucune fussent écoutés, avant qu’Asgardius, Archevêque de Brême, vint visiter le roi Biörn et réussit à le baptiser vers l’an 829[12]

Ce roi y consentit sans doute par complaisance ; car le culte de Thor continua encore longtemps après. L’historien Emund rapporte avoir vu vers le milieu du onzième siècle, le temple d’Upsal couvert d’or et d’argent et fréquenté par les peuples qui venaient faire leurs sacrifices ordinaires. St. Sigfred enfin réussit à baptiser Olöf-Sköt-Konung, la reine et la cour. Vers l’an 1100 (sous le roi Inge, qui fit une paix glorieuse avec les rois Erick-Svendsen de Dannemarck et Magnus-Barefoot (nud pied) de Norvège à Konghhell en Vestrogothie) ce qui était de bois dans le temple de Thor, brûla. Les sectateurs d’Odin furent découragés par cet accident et comme on ne le répara pas et que les rois d’ailleurs encourageaient le christianisme, peu-à-peu les peuples l’embrassèrent.

En 1155 le roi St. Eric conquit une partie de la Finlande et égorgea ou força à fuir tous ceux des habitans, qui refusèrent de recevoir le baptême. Ils furent obligés de quitter leur pays et furent s’établir sur les côtes vers le fond du Golphe de Bothnie où il parait qu’ils fleurirent pendant plus d’un siècle et firent un commerce assez considérable. Mais enfin l’indépendance de la Suède, dans laquelle ils vivaient, excita la jalousie de leurs voisins. Magnus-Ladulôs promit de laisser leurs terres en souveraineté, à ceux de ses sujets qui les chasseraient ; après une guerre de peu de durée les Birkarles, habitans de quelques cantons voisins, s’emparèrent de toutes leurs terres.

Ces malheureux Scristofins (comme les historiens les appellent) furent rejoindre dans les bois leurs anciens compatriotes les Lappes (Lapons) chassés comme eux, à la vie errante desquels ils se sont accoutumés, et ne la voudraient pas changer pour les palais des rois.

St. Eric fut tué en 1160, dans une bataille contre Magnus-Henricksen, roi de Dannemarck, à l’endroit même où l’on a depuis bâti l’église appellée Dannemarch près dUpsal. C’est sa châsse que l’on voit dans la Cathédrale de cette ville auprès de l’autel. Elle y est, on l’y laisse par habitude et par respect pour l’ancienneté ; mais, à sa qualité de chrétien près, il est assurément peu d'hommes qui ayent moins mérité le titre de saint.

Sigtuna cependant était toujours la capitale du royaume. Vers l'an 1000 le site de l’ancienne ville d’Odin fut abandonné : la nouvelle Siqtuna fut bâtie sur une autre branche du lac Mälarn à une demi-heure de chemin de l’ancienne. En 1026, sous le règne de Stenkill, on bâtit la cathédrale appelée St. Pierre, et plusieurs autres églises, dont les ruines sont encore existantes. Ce devait être offusquant pour les sectateurs de l’ancien culte ; car Gamla-Upsala où était le temple de Thor, n’est guères qu’a quatre milles suédois de Sigtuna.

Il paraîtrait que cette ville devint assez florissante quelque temps après ; car lorsque le premier évêque Adelward y fut introduit en 1064, on fit après le service, une collecte pour les pauvres, qui monta à 70 marcs d’argent (égalant à présent 560 Ricksdalers, près de 5,000 liv. tournois) ce qui était très-considérable alors.

En 1188 les Russes, Courlandois et Caréliens pour se venger de l’expédition de St. Eric en Finlande, envoyèrent une flotte dans le Mälarn, qui brûla Sigtuna le 4 juillet de la même année, et fit un grand butin. On voyait dans les dépouilles une porte ou grille d’argent, qui servait a fermer le chœur de la cathédrale, et qu’ils portèrent à Novogorod. L'assesseur Brenner, (qui fut fait prisonnier dans les guerres du roi Charles XII et qui revint en Suède en 1722) écrivit de Novogorod au docteur Wallin depuis évêque de Gothenbourg, qu’il avait vu dans cette ville, cette grille d’argent servant dans une église, au même usage et portant le nom de Sartunsky vorota les portes de Sigtuna.

La tradition rapporte que cette grille d’argent était fermée par une clef d’or, que les Russe par accident, laissèrent tomber dans le lac en s'en retournant. Le peuple de cette partie, croit l’appercevoir à une grande profondeur sous l’eau. On prétend aussi, que depuis ce temps son empreinte a été marquée sur un rocher de granit, vis-à-vis de l’endroit où elle tomba.

Il est vraisemblable, que c’est la singularité d'une grosse clef représentée par les veines du granit, qui a donné lieu à cette histoire ; car la figure d’une clef sur le rocher existe certainement, je l’ai vue et j’en parlerai après.

Les églises de Sigtuna furent toutes brûlées à cette époque, et le grand nombre des habitans, craignant encore un malheur pareil, se retirèrent à Öszerôs (le port de l’est, par allusion à Vesterôs, le port de l'ouest sur le lac Mälarn), où ils s’établirent et bâtirent une ville, qui après la destruction du paganisme, et du temple d’Odin prit le nom d’Upsala et fut jusques vers le quatorzième siècle la capitale du royaume.

L’ancienne ville du même nom, bâtie autour du temple fut presque tout-à-fait abandonnée. Ce n’est plus à présent qu’un village, au milieu duquel on voit encore la partie du temple de Thor, que le feu a épargné ; elle est bâtie en pierre de champ, et sert d’église aux habitans. Autour sont les monts funéraires, dont j’ai parlé, et qui lorsqu’on est instruit de l’histoire du pays deviennent très-intéressans.

La ville de Lund en Scanie, avait déjà un archevêque, et celle d’Upsal était encore païenne : elle n’a proprement jamais été le séjour d’un Evêque : ce n’est qu’après le sac de Sigtuna, que l’Evêque de cette dernière ville se transporta à Österôs, qui parla suite, a pris le nom d’Upsal, et dont l’évêque est devenu le primat et le seul archevêque de Suède.

Birger-Jarl en 1260, voulant fermer l’entrée du lac Mãlarn aux pirates, crut enfin devoir bâtir une ville à son embouchure. Il sut engager les habitans riches d’Upsal et de Sigtuna à venir s’y établir. Stockholm, un demi-siècle après, est devenue la capitale du royaume ; les autres villes ont toujours déchu depuis ; Sigtuna n’est plus qu’un village avec nombre de ruines, et Upsal se soutient par son université, qui fut établie en 1476, sous l’administration de Sten-Sture l’ancien.

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  1. Il y a encore à présent une grande charge de la couronne en Suède, dont le possesseur se nomme Ricks-Drotte (justicier du royaume). Ainsi Drottning la reine, c’est comme qui dirait madame la présidente. La reine en Angleterre se nomme Queen, mot qui dans ce pays est générique pour toutes les femmes de bas étage, ou même pour le sexe en général, comme Quin-folket, Quin-kôn, Quinna.
    Il y a plusieurs états en Europe dont le chef avait une appellation pareille ; dans la république d’Islande, il se nommait Lagman (l’homme de la loi), en Hollande Stadtholder (le gardien de la ville, de l’état), en Suisse Landman (l’homme du pays).
    Voici le passage de Sturleson dans la langue Islandaise :Dyggvi var fyrestr konungr kallud sina attmana ; en adrvoru their. Drottnar kolladir enn konur theirra Drolningar, enn Drott hyrd Swelttin ; Dyggvy fut le premier appelé roi : le chef portait un autre nom avant. Il se nomma Drottnar, et sa femme Drotning, comme juge sur les Suèdes.
  2. Les petites pierres, que l’on a soigneusement mises à couvert des injures de l’air, sous une petite maison surmontée d’une couronne à Morzhstenar près d’Upsal, ne me semblent répondre en aucune manière à celles sur lesquelles le roi et sa cour montaient pour la proclamation. Si j’osais avancer une opinion il ce sujet, je dirais que je présume que, ces pierres sont tout simplement des débris de pierres de tombes d’un cimetière voisin. Les pierres sur lesquelles les juges s’asseyaient et dont il y en a encore beaucoup en Suède d’existantes, n’ont jamais moins de huit pieds de haut : il est fort à présumer, que celles qui servaient à la proclamation du roi, devaient être plus élevées. Il se pourrait cependant que ces pierres qui sont plates, eussent été placées sur les plus grandes : on n’a jamais pu retrouver ces dernières. Il y a quelques caractères gothiques sur celles que l’on montre à Mora-stenar. Personne n’a encore pris la peine de les déchiffrer.
  3. Mallet dans l’Introduction à l’histoire de Dannemarck fait mention de cette coutume. On peut se rappeler que dans le volume sur la Grande Bretagne, j’ai cité page 229, une coutume pareille, établie parmi les Écossais.
  4. Cet endroit s’est depuis appelé (Agué-fit). C'était une péninsule à l'embouchure du lac Mälarn, dont on a depuis fait une Île, sur laquelle la ville de Stockholm est située.
  5.  » Les soldats Féniciens (finois) transportés dans la Hongrie, pouvaient dans très-peu de temps, converser avec les habitans de ce pays. »
  6. Le premier vers en Anglais serait. Say thou me that Fiölsvithr. La même prononciation que la vers gothique.
  7. Par exemple on a fait des in-folio pour prouver qu’il y avait eu un peuple Runique, qui avait donné son nom à ces caractères
  8. Dans le mois d’octobre, chacun, encore à présent, fait sa provision de viande. Il est d’usage de tuer alors, et de saler pour tout l’hiver.
  9. Dans la mythologie de la Norvège par Shönning, on trouve que les Thuleternes, habitans de la Fin-Mark ou Laponie, étant privés de la vue du soleil pendant plusieurs jours, avaient une fête appelée Jolen, parce qu’ils la célébraient avec une roue, que l’on tournait chaque jour d’un rayon pour imiter le mouvement du soleil et annoncer son retour. Cette fête commençait le 5 janvier, et durait cinq jours.

    Ifiul qui se prononce comme Jul. veut dire roue en suédois.

  10. Noms des jours de la semaine en suédois : Sundag, Mondag, Tiensdag. Onedag. Torsdag. Freydag, Lögerdag.
  11. Je me suis servi de la traduction de Mallet, parce qu’elle est exacte : je reviendrai sur ce sujet au chapitre sur l'ancienne histoire de la Norvège au second volume.
  12. Asgardius, à son retour chez lui, baptisa aussi Harek, roi de Dannemarck.