Promenade d’un Français dans l’Irlande/Westport



WESTFORT — SLIGO — LA SOURCE DU SHANNON.



JE traversai enfin la belle baye de Killery et suivant le rivage de celle de Clew, j’arrivai encore d’assez bonne-heure à Westport House, chez Lord Altamont. Ce fut pour moi une joye réélle de pouvoir offrir mes respects à la fille aimable du victorieux Howes. La petite ville de Westport a été entièrement bâtie par le pere et le grand pere du présent Lord, qui suivant un si bon éxemple vient de commencer à jetter les fondations d’une autre ville appellés Louisburg ; il y donne asyle aux malheureux qui sont obligés de quitter le Nord de l’Irlande.

Lady Altamont reçoit les mémoires des pauvres, qui viennent aussi la consulter sur leur maladie et ensuite elle leur donne un billet pour aller prendre des drogues chez un Apothicaire, avec qui elle a un compte courant ; me promenant par le pays, on m’instruisit d’un projet bienfaisant qui l’occupe et qui pourrait en changer bientôt la face. C’est d’établir une manufacture où les enfans et les femmes pussent trouver de l’ouvrage : on me fit aussi voir un hôpital, qu’elle a fondé et qu’elle entretient à ses frais.

Toutes les fois que sur mon chemin, j’ai le bonheur de trouver des vertus pareilles, je me fais un devoir de les metre au jour, sans avoir la moindre intention de flatter et seulement comme un moyen qui peut exciter à les imiter.

Le pays aux environs de Westport est tres bien cultivé et la vue de la maison et du parc de Lord Altamont me parut infiniment satisfaisante en sortant des montagnes noires que je venais de parcourir. C’est dans le voisinage, qu’est située cette fameuse montagne au sommet de laquelle St. Patrice fit venir tous les diables et, les bêtes venimeuses, afin de les précipiter dans le trou qui s’y voit encore au sommet. On appelle la montagne, Croagh Patrick ; c’est un endroit très renommé par les pénitences des fidelles, qui s’y rendent de toutes parts certain jour de l’année. Ils en montent une partie à genoux où pieds nuds, je ne sais lequel : on m’a assuré qu’à la fête du saint, il s’y trouvait jusqu’à quatre où cinq mille personnes ; il y a au sommet une petite chapelle, où on dit la messe ce jour la ; on en a tiré une espece de cloche noire, pour laquelle les habitans ont une vénération particuliere, il est d’usage de les faire jurer dessus en matiere de loi et ils n’oseraient se parjurer. Ils ont je ne fais quelle idée au sujet de cette cloche et croyent que le diable s’emparerait d’eux sur le champ, s’ils osaient affirmer quelque chose qui ne serait point vrai.

Croagh Patrick est formée en cône et ressemble fort à un volcan, dont il se pourrait que le trou de St. Patrice, eut été la bouche. Le pays aux environs est couvert de ruines d’Abbayes et de fontaine sacrées : j’y ai vu particulierement, une large pierre dans laquelle il y avait deux trous assez profonds et pour laquelle, les habitans ont beaucoup de vénération, comme ayant été usé par St. Patrice, à force de se mettre à genoux dessus. Les Catholiques et les Protestans se servaient alors de la même salle pour célébrer l’office en attendant que leurs églises fussent bâties. Le Roy Jacques avait établie quelques fonderies de canons dans les vallées du voisinage, dont on voit encore les ruines : c’était pour profiter du voisinage de la mer et des bois qui s’y trouvent.

J’avais dessein d’aller faire un tour dans l’Erio, pays considérable et à-peu-prés aussi sauvage que le Conomara, mais la saison était si avancée que je fus obligé de m’en passer et je me rendis à Castlebar, qui est une assez jolie petite ville ; comme je n’y demeurai que peu de temps je n’eûs que celui d’admirer la forme du clocher ; il est absolument bâtie comme une seringue et cela ne doit paraitre que peu surprenant ; l’architecte était un Apothicaire. J’avais bien lu dans l’histoire, que l’on avait fait un clocher, de la seringue de la jument de gargantua, mais je ne savais quel pays possédait ce trésor : si le voyageur veut la voir, je l’engage à venir à Castlebar. Je fus ici fort bien reçu par le doyen de Killala, qui me mit en chemin vèrs cette petite villéte, qui cependant est un évêché.

Je m’accostai dans les montagnes, avec un homme qui avait l’air d’un assez bon vivant. Il m’apprit qu’il était inoculateur de son métier et qu’il s’en allait inoculant les enfans des paysans dans ce pays sauvage ; il m’assura positivement, que sur 361 enfans qu’il avait inoculé cette année, il n’en était mort qu’un seul. Lorsque l’on saura, que quand Mr. l’Inoculateur a le malheur d’avoir un enfant qui meurt dans ses mains, non seulement il n’est point payé, mais qu’il faut encore qu’il s’échappe promptement pour éviter la bastonnade des parens affligés : on verra clairement l’attention que le pauvre diable doit avoir pour ses malades. J’ai souvent pensé que ce ne serait point une mauvaise coutume à introduire dans les villes, pour encourager les médecins, à qui la mort où la guérison de leurs malades est indifferente, car ils sont toujours sûrs d’être payés et jamais battus.

En cheminant avec ce bon humain qui me parut être gai et très franc, il m’apprit toute son histoire. Il était né dans ce pays et avait été élevé pour l’église par des parens pauvres, dans l’espoir de la protection d’un homme riche, qui mourut à Dublin ; se trouvant alors sans amis, sans protections et sans argent, il rêva quelques-tems à quoi il pourrait s’employer utillement pour ses compatriotes et pour lui-même. Dans ce temps l’inoculation commençait à être mise en pratique : les effets funestes que la petite vérole occasionait souvent parmi ces montagnards, lui donnerent l’idée de se rendre près d’eux, afin de les engager à adopter cette méthode, et à l’éxercer lui-même ; s’y étant donc appliqué quelques tems dans les hopitaux, il se rendit dans les montagnes de son pays, où il éxerce avec succès ce métier depuis plus de trente ans : ce qu’il lui rapporte, ne monte gueres qu’à trente ou quarante livres Sterlings par an. On ne saurait nier que cet homme ne soit très utille à la société, et je croirais digne de l’attention du gouvernement de le récompenser de ses travaux, en lui faisant un petit traitement, pour l’encourager à les continuer.

Lorsqu’il m’eut expliqué toute son histoire, il voulut naturellement aussi connaitre la mienne : pray Sir, dit-il, what do you follow yourself ? you perceive, lui répondis-je, I follow the road — ay, me tapant sur l’épaule, you take me short. Il aurait eu de la peine à s’imaginer que c’était éffectivement là, ma seule affaire.

D’après cette petite histoire, peut-on ne pas croire faux, ces rapports qui représentent les gens du commun en Irlande comme entêtés paresseux et incapables d’improvement, dans aucun genre, pendant que des peuples réputés plus éclairés se sont refusés, jusqu’à présent à adopter la méthode salutaire de l’inoculation. Sur le Continent, non seulement les paysans ne voudraient point consentir à faire inoculer leurs enfans, mais j’ai vu bien des gens aisés s’y refuser. En Angleterre, les propriétaires humains sont souvent obligés de séduire les parens pour les y engager : en Écosse ils n’ont encore pu y réussir, et cependant cette méthode a été adoptée généralement en Irlande, même dans les endroits les plus sauvages comme celui-cy ; les enfants ne sont pas le moins du monde préparés pour recevoir le germe, ils courent et s’amusent presque nuds avant, comme après la piqûre. Lorsque la fievre les prend, c’est alors seulement que l’inoculateur les voit et leur administre quelques remèdes innocents, qu’il tâche de faire valoir le plus qu’il peut afin d’augmenter son crédit et crainte que les parens ne s’accoutumassent à faire sa besogne eeux mêmes, ce qui nécéssairement lui oterait son gagne-pain.

Suivant enfin les bords variés de Lough Conn qui est encore une très grande piece d’eau et qui devrait être desseché depuis longtemps: je fus me présen ter chez Mr. Cuff à Castle-Gore. Il était allé voir son oncle, mais je fus reçu avec bonté par sa jeune Mariée et un homme agé dans la. maison qui avait été son tuteur.

Je fus visiter dans le voisinage la petite ville de Killala, où l’on voit une de ces tours Rondes, dont j’ai déjà eu souvent occasion de parler ; celle-cy est située à quelque distance de l’Eglise et ne semble pis y avoir jamais été jointe ; elle est seule, sur un tertre élevé et semble plutôt avoir été bâti comme une espece de signal pour les vaisseaux en mer que comme un clocher où aucun autre bâtiment joint à une église. C’est la seule, que j’aye vu en Irlande dans cette situation. Je fus aussi voir le Palais de l’Evêque, qui dans cette province sert de proverbe pour exprimer quelque chose de bien médiocre ; c’est aussi mauvais que le Palais de i’Evéque de Killala, était une expression assez commune dans la province de Connaught, malheureusement l’Evêque présent, venait de le réparer et d’y ajouter une aile considérable, de sorte que le proverbe n’est plus bien placé. Cet Evêché est réputé le plus pauvre de l’Irlande et l’Evêque ne jouit que de trois milles livres sterlings de rente. . . . . Le pauvre homme. Le Doyenné aussi est réputé tres mauvais et ne vaut que cinq cent livres sterlings de rente.

Comme je me promenais à cheval dans les rues ; un homme, qui j’imagine était était le Maitre d’Ecolle, m’a arrêté d’un air d’importance et m’a dit pray Sir, wbat is your name ?pray Sir, lui ai-je répondu aussi gravement, what is yours ? il a été un peu surpris de ma question, et n’a pas jugé à propos de me répondre. J’ai souvent rencontré la même curiosité, et pour premiere question un homme sur le chemin venir me demander mon pays, pour seconde, mon nom, et pour troisieme, mes affaires, &c. &c.

Je revins à Castlegore par Ballina, qui est une petite ville assez bien bâtie ; il y a une pêcherie de saumon sur la riviere qui sort du lac Conn, et forme la baye de Killala. La situation de cette baye suffit presque, pour faire connaitre qu’elle est remplie de sables. Je me fuis arrêté, entre Ballina et Killala pour voir les ruines considérables d’une Abbaye, à deux milles de cette derniere ville : il parait qu’il y avait dans cet endroit un collége et quelques autres établissemens publics ; le clocher est parfaitement bien conservé, et comme dans toutes les Abbayes de cette isle, il est placé au milieu de l’église entre la Nef et le Chœur ; cet endroit est encore un des lieux où les habitans viennent faire leurs dévotions et se promener autour des murailles. Il y a aussi une sainte fontaine, mais on voit évidement qu’elle n’a pas été faite par la Nature, comme les autres : n’en déplaise aux dévôts, elle a l’air de toute autre chose ; c’est un petit cabinet de quatre à cinq pieds de large, sur le derriere des bâtimens et situé sur le courant d’un ruisseau qui les traverse. J’ai vu plus d’un cabinet de ce genre où l’on ne se mettait pas à genoux : mais, n’importe, l’eau du ruisseau est pure.

Les bords de la riviere qui sort du lac Conn sont tres pittoresques et couverts de maisons charmantes. En me rendant à Scuramore chez Mr Nisbet je vis un grand fort rond, tel que ceux que j’ai décrit. Le soutérrain (qui est dans tous, à ce que je m’imagine) était assez grand dans celui-cy pour que les bestiaux s’y retirassent pendant la chaleur du jour. Plusieurs s’y étant cassé les jambes et ayant obligé les paysans de venir de loin pour les chercher : ils en ont comblé l’entrée avec des pierres et de la terre.

Il avait fait la nuit un temps du diable : tous les chemins étaient remplis d’eau: c’était apparemment afin que je pusse remarquer qu’on aurait bien dù faire des ponts sur les ruisseaux, au lieu de laisser seulement un cours à l’eau.

Je m’accostai sur le chemin d’un homme à cheval assez bien mis ; nous causames quelques temps de choses et d’autres et sachant que le cheval que j’avais, ne devait pas me conduire plus loin : il m’en fit avoir un autre chez un de ses gens à la campagne et enfin sans autre recomandation pour lui, que mon passeport et ma bonne mine, il me conduisit chez lui près de Sligo et me présenta à sa famille : il m’est flatteur d’avoir cette occasion d’offrir mes complimens à Mr. Holmes et de le remercier de la bonne hospitalité Irlandaise, avec laquelle il m’a traité. Il me fit remarquer chemin faisant les vagues de la mer entrant avec fureur dans une caverne et jaillissant par une ouverture à deux où trois cents pas dans les terres, à la hauteur de quinze à vingt pieds. Au village de Ballyfedere, je vis une cascade tres considérable tombant directement dans la mer, et auprès, encore une de ces saintes fontaines, couvertes de Ronces et d’épines, où ces bonnes gens étaient en prieres.

Siigo est une ancienne ville et par conséquent mal batie et tres irréguliere ; le port cependant n’est pas mauvais quoique peu large ; je ne m’arrêtai dans cette ville qu’autant de temps qu’il m’en fallut, pour me munir d’un rempart contre le mauvais temps qui s’avançait à grand pas, quoique je visse clairement que ma promenade ne pourrait guères être terminée avant deux mois : en un mot, j’augmentai ma garde-robe d’un Spencer. Je fus aussi visiter une foire de bestiaux à l’entrée de la ville et j’en trouvai les bonnes gens tout aussi grossiers que nos Bas Bretons et terminant leur marché avecla même bonne foi, se donnant et se rendant leurs guinées, jusqu’à quatre où cinq fois, avant de terminer et d’aller boire bouteille.

Je fus tout de suite me présenter à Haselwood, chez Mr. Wynne : c’est un des plus beaux lieux que j’aye vu dans ma promenade et c’est aussi un de ceux où j’aye été traité avec le plus de bonté.

J’ai eû bien des peines et des fatigues dans ce long pélerinage de l’émigration : j’ai souvent, tres souvent été tourmenté par des âmes étroites, qui faisaient naitre des pretextes pour me véxer : l’un me disait Démocrate, l’autre trop Aristocrate ; un troisieme Athée et le quatrieme un Papiste bigot. En un mot il n’est sorte de bêtises et de vexations ridicules et cruelles, que le sordide intérêt ne m’ait fait eprouver. l’estime de quelques gens de sens, l’accueil flatteur d’une seule famille respectable, m’a toujours fait tout oublier.

Je passai cinq où six jours charmans à Haselwood. Le soir de mon arrivée, je fus invité à aller au concert de Sligo : il se donnait dans la salle de session et ne ressemblait pas mal à une révolution complette : le grand tambour était sur le thrône de la justice, les fifres et les fluttes à la place des avocats et l’audience à celle des patients .

Je fis la folie le lendemain de me promener tout seul, sur le lac GillGilty. Une tempête soudaine vint tout à coup : peu s’en falut qu’elle ne fut fatale à ma pauvre nacelle, je fus trop heureux de prendre asyle comme Robinson Crusoé, dans une isle déserte ; ces islettes sont toutes couvertes de bois et les bords de ce lac, le sont aussi dans plusieurs endroits. Quoi qu’il n’ait pas tant de variété que celui de Killarney, il offre souvent des situations tout aussi interréssantes. Il a sept à huit milles de long : la riviere qui s’y jette, passe au milieu des montagnes de l’autre coté desquels le Shannon prend sa source. On m’a assuré qu’un canal de sept à huit milles joindrait tres aisément le lac Gilty, avec la partie du Shannon qui peut porter bateau. Ce ferait faire à bon compte, une isle de la province de Connaught et ouvrir une communication intérieure prodigieuse : je partis enfin avec le Colonel Cole et je me rendis au travèrs des montagnes, à la maison de son pere Lord Enniskillen, à Florence Court, où il me laissa pour se rendre à Dublin ; je me trouvai ainsi deux jours, seul dans un tres beau chateau. Il y a sur cette route deux lacs assez considérables qui se joignent par une petite riviere : leurs bords sont boisés et recréent la vue du voyageur, fatigué des montagnes arides qu’il vient de traverser. Je rencontrai sur le chemin un enterrement et j’observai que les femmes ne criaient point comme dans le Sud et l’Ouest de l’Irlande ; cela semblerait faire croire que le Sud et le Nord de cette isle sont habités par des peuples qui n’ont pas la même origine et effectivement ceux du Nord de l’Irlande sont beaucoup plus mélangés et sont pour la plupart originaires d’Ecosse.

Le jour même du départ du Colonel Cole, je mis à exécution le plan que j’avais formé, d’aller visiter la source de ce vénérable Partriarche parmi les Irlandais, (le Shannon) et je fus lui offrir mes respects. Je commençai mon expédition par visiter ces cavernes profondes, que l’on appelle the marble arch. La pierre est effectivement d’un assez joli marbre marqueté : ces cavernes sont formées par un ruisseau qui tantôt parait au jour et tantôt coule comme un torrent sous des masses énormes de rochers ; la montagne entiere est creusée presque partout, par son cours : il est évident qu’il coulait autrefois au dessus des précipices, dans lesquels il s’engloutit à présent ; on voit encore dans quelques endroits un lit assez large pour le contenir, au dessus des cavernes qu’il traverse.

En me rendant à la voute de marbre, mes guides m’en rapporterent toutes les histoires ; le nom des fées qui y demeuraient, des goblins, hob-goblins, witches, ghosts, &c. &c. qui la hantaient. Un d’eux il est sùr, avait l’air de s’en moquer, mais le plus jeune semblait y ajouter de l’importance ; ce fut dans ces dispositions que j’y entrai : un des deux hommes resta à l’entrée, disant qu’il l’avait déjà, vu et que le jeune homme serait capable de me la faire voir aussi bien que lui. Ce fut fort heureux qu’il eut cette idée, car sans cela j’aurais bien pu rester quel que tems dans la demeure des fées et des génies.

Après m’être promené près d’une heure au milieu des Rochers, des précipices et des cascades sans fin du ruisseau qui la traverse. Je pris la chandelle des mains de mon guide, pour regarder dans un précipice au fond duquel j’entendais l’eau courir ; je ne sais quoi, éteignit la chandelle. Now s’ecria-t-il d’un ton mélancolique, we are done for ever ! I would not move my foot front this place, for a guinea. Après m’être fait entendre avec beaucoup de peine, par l’homme à l’entre de la caverne et que je fus sùr qu’il était allé chercher de la lumiere ; je m’assis tranquillement et pour passer le temps, je m’amusai de la frayeur de mon compagnon. " Ne l’avez vous pas vu, " lui dis je ? " qui ? " me répondit il : " le grand diable d’enfer ! " c’est lui qui a éteint la chandelle ― with his cloven foot. " — " ay, ay !" et après avoir beuglé un moment, " oh non " Monsieur, me dit il, quand j’y pense c’est la fée ; oh j’en suis sùr c’est la fée, elle est jalouse et n’aime pas qu’on vienne la troubler :"—" eh bien si c’est la fée, repartis-je, she is a " d —n b — h, to have plaid us such a trick. " — " Ah Monsieur, Monsieur, ne parlez pas de cette maniere des gens de bien, " vous êtes sur le bord d’un précipice, ils pourraient fort bien vous pousser dedans ! quant à moi je ne les ai jamais offensé, je les respecte infiniment, and I am sure " they will not hurt me. " À cette dernière apostrophe, je ne pus m’empêcher de rire et je lui fis remarquer un petit rayon de lumiere au fond du précipice ; cela parut le rassurer un peu, et nous attendimes patiemment le retour de notre guide, qui vint enfin une heure après, nous tirer de cette situation peu agréable, au fait.

Au sortir de la caverne, mes guides m’exposerent toutes les difficultés que j’avais à rencontrer, pour aller visiter la source du Shannon ; il y avait encore six milles et autant pour revenir. Dans le fait quinze milles Anglais dans des tourbes, pour voir la source d’une riviere c’était bien du chemin. " Mais Mr. Bruce, " me dis je, a bien été employé, (à ce qu’il dit) pendant sept à huit ans pour voir la source d’une autre riviere (Le Nil) ; pour quoi ne le ferais je pas quatre où cinq heures pour le même object ? " et je me mis,en route à travèrs les tourbes, pour aller voir la source du Shannon.

Comme tous les grands personnages de ce monde, ses approches sont très difficiles et quand on en est près, comme eux encore, il n’est pas grand chose. Cependant il y a peu de rivieres, qui ayent un tel commencement, un ruisseau large de quatre à cinq pieds et profond de deux où trois, sort d’un bassin rond, d’environ vingt pieds de diametre et assure-t-on sans fonds ; après avoir couru un mille à l’Ouest, il forme le Lough Clean, qui a trois milles de long sur un de large, et poursuit son cours au Sud, en formant des lacs à l’infini, dont les principaux sont Lough Allen, Lough Boffin, Lough Rea et Lough Derg. Ces deux derniers, ont près de trente milles de long chaque, sùr neuf à dix de large, et sont couverts d’un grand nombre d’isles.

Le pays près de Lough Allen est plein de mines de charbon et de fer : on y a établi des forges, qui seront d’un grand profit, quand la riviere aura été rendue navigable tout le long de son cours.

Après avoir satisfait ma curiosité, et bu un grand coup de la source, dans le creux de mon chapeau ; je pris congé du Shannon et Souhaitai bien sincerement, qu’il put voir heureux, les bords hospitaliers qu’il arrose. " il est bien surprenant dis-je à mon conducteur, que l’on n’ait pas fait une sainte fontaine, de la source du Shannon ? " " les saints seuls, me répondit il, peuvent en faire. Mais pourquoi cette fantaisie a-t-elle pas pris à quelques saints c’est ce dont je suis fort surpris.

Mon conducteur semblait un bon vivant, et comme il me reprochait souvent, de n’avoir pas pris la précaution de porter quelque chose à manger." You speak always of eating, lui dis je, " I am sure you are an Englishman, are you not ?" " dont call we, by names, me répondit il ? " mais un Anglais, lui répartis-je, vaut bien un Irlandais je pense. " La dessus secouant la tête d’une manire très intélligible, il m’articula proprement un G-d . . d—n, qui me fit comprendre tout ce qu’il ne voulait pas dire. Il est fort singulier, qu’après tant de siecles que la Conquête de l’Irlande a été faite, les deux peuples ne soient pas encore unis et probablement ne le seront jamais. En France un Provençal se vante d’être Français, aussi bien qu’un Breton et un habitant de l’ancienne France, sans entretenir aucuns préjugés les uns contre les autres, excépté ceux que la distance peut faire naître.

Pour tacher cependant de rassasier mon conducteur, nous entrames dans une cabane, dont les bonnes gens se firent un plaisir de nous offrir ce qu’ils avaient chez eux, et ne voulurent absolument rien prendre en retour.

Je quittai bientôt le chateau de Florence Court et à travèrs un joli pays, je me rendis à la ville d’Enniskillen, où je fus fort bien reçu par le Rev. Dr. Stock.