Promenade d’un Français dans l’Irlande/Le Chemin des Plats
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E l’autre côté du ruisseau qui sépare la Conacie d’avec la Momonie, où Munster d’avec Connaught, il me sembla rééllement, que je n’étais plus dans le même pays. La figure des gens n’était pas la même ; leurs habitations n’étaient pas disposées de la même maniere ; ici c’était de long villages mêlés de champs, tandis que de l’autre côté ils étaient communément tres rassemblés. Suivant un chemin formé sur la crête d’une longue colline, qui semble avoir été jettée exprès au milieu de la plaine, je fus me présenter à Pallace chez Lord Riverston.
La dixme dans cette partie, n’est pas aussi onéreuse que dans la province voisine ; elle ne peut être perçu en Connaught que sur les bleds et sur les moutons, pendant que dans Munster, le lait de la vache, les poules, les œufs et les légumes du jardin pourraient y être fournis, si le ministre le reclamait absolument.
On construit sur le Shannon à Portumna, un pont dans le genre de ceux de Wexford, Ross et Waterford ; ils commencent à être assez communs, mais ils ne perdent rien de leur beauté. C’est dans cet endroit que le Shannon se jette dans Lougb Derg : on y voit un ancien et grand chateau, où demeure le Marquis de Clanricard.
A douze à quinze milles à l’Ouest, il y a un petit lac charmant qu’on appelle Lough Rea : il donne son nom à une jolie petite ville qui est située sur ses bords et qui semble plus florissante que même Galway, quoique cette derniere soit un port de mer ; il est facheux seulement, que l’on n’ait pas fait plus d’attention au rivage du lac ; on devrait y faire, un quai : en outre de la beauté, ce ferait une promenade agréable,
J’ai entendu parler, d’une jonction proposée de ce lac, d’un côté avec la baye de Galway, et de l’autre avec le Shannon ; je ne crois pas que cela offrit de grandes difficultés : le pays n’est pas tres montagneux et le lac semble être le point le plus élevé.
J’avais deux lettres, à-peu-près à la même distance de la ville ; il s’agissait de déterminer laquelle je présenterais. Je m’addressai à un bon homme à la sortie de la ville" connaissez vous Mr. un tel, lui dis-je ? " oui surement, he his a very rich man. " "quelle espèce d’homme est ce ? " " mais tout ce que j’en sais, c’est qu’il est a very fine gentleman, that is all. " " Et Mr. un tel ? " " why he is a good, honest, hospitable, well informed man " mon parti fut bientôt pris et je me rendis à Castle Taylor.
Dans le chemin je rencontrai quelque paysans Irlandais, qui voulurent lier conversation avec moi, mais malheureusement ma rhétorique dans leur langue, ne s’étendait pas au delà du nécéssaire ; ils me firent entendre cependant, de me débarrasser de mon paquet et qu’ils m’éviteraient la peine de le porter, ce qu’ils firent effectivement jusqu’auprès de la maison où je rencontrai une de ces récéptions flatteuses qui font oublier les chagrins et la fatigue.
Il y a plus de choses curieuses sur cette terre, que dans bien des provinces et Mr. Taylor eut la complaisance de me les faire voir. A quelques distance, est un grand fort rond que l’on appelle, le palais de Dondorlass ; c’est là, dit on, que Goera roy de Connaught faisait sa résidence ; il n’y a pas le moindre vestige d’habitation comme aux autres ; ce palais n’était qu’à une petite distance, d’une ville fameuse qu’on appellait Ardrahan. Elle n’est plus à présent qu’un village, mais la tradition plus que l’histoire, rapporte qu’elle a été immense ; dans le fait si la largeur d’un chemin qui conduit à une ville peut donner une idée de son étendue, il est sùr que les traces encore éxistantes de celui qui y conduisait, donne lieu de croire qu’il était du double au moins plus large, que la grande route qui l’a remplacé ; à moins qu’il n’y eut des deux côtés, une avenue plantée d’arbres comme près des grandes villes, on ne voit pas à quel usage il pouvait servir. Ce chemin s’appelle en Irlandais, Bothar lean da nae mias — le chemin sur lequel on a suivi les plats, et l’histoire originale qui, dit-on, a donné lieu à ce nom, est assez curieuse.
Certain St. Macduagh, frere du roy, s’était retiré sur la montagne avec un Moine, pour y faire ses prieres : au bout de deux jours, le Moine qui n’était pas si fort occupé de ses dévotions, qu’il n’entendit avec douleur les gémissemens de ses entrailles, commença à murmurer et dit au saint : " ne déplaise à votre sainteté, vous m’avez conduit sur cette montagne déserte pour y mourir de faim ; je sais que votre frere Goora donne aujourdhui un régal à ses nobles, " j’aimerais bien mieux être là qu’ici ? " " Oh ! homme de peu de foi, repliqua le saint, pensez vous que je vous aye conduit ici pour vous faire mourir de faim," et sur le champ il se mit à prier avec plus d’ardeur que jamais. Tout à coup le moine fut charmé de voir un diner excéllent se mettre en ordre autour de lui.
Cependant le Roy Goora et ses nobles, après une partie de chasse où quelques batailles, revenant tres affamés au logis eurent la douleur de voir les plats de leur table s’envoler ! ils firent dans ce moment, ce qui parait fort raisonnable et ce que tout le monde ferait, si l’on voyait son diner s’en aller : le cuisinier avec la broche, les valets et les palfreniers, les chiens et les chats, laissant toute autre affaire, accompagnerent le Roy et toute sa cour, qui soit à pied soit à cheval, suivait à la piste et au grand galop les plats fugitifs.
Le diner arriva cependant un grand quart d’heure avant eux et le moine qui commençait à se refaire et à se délecter apperçut tout-à-coup avec effroy, cette foule qui venait lui ôter les morceaux de la bouche. Il fit de nouvelles plaintes au saint, disant qu’il eut encore mieux valu ne pas lui donner à manger que de le faire assommer et peutêtre dévorer par les gens affamés de la cour de Goora. " Oh ! homme de peu de foi, dit le saint, laissez les venir ! "
Ils vinrent en effet : lorsqu’ils furent à trente pas de la table, le saint les mit dans la situation la plus désagréable dans laquelle d’honnêtes gens puissent être : il fixa leurs pieds dans le roc et les obligea d’assister à la gogaille que le moine fit de leur diner. On montre encore à présent dans le roc la marque des pieds d’hommes, de chevaux, de chiens &c. même la marque des lances, qui furent aussi fixées crainte qu’il ne leur prit la fantaisie de les jetter par la figure du Moine. Comme on le voit, c’est positif et depuis ce temps la route s’est appellée et s’appelle encore le chemin sur lequel on a suivi les plats.
O grand Saint Macduagh, combien d’obligations j’aurais à votre sainteté, s’il vous plaisait de renouveller de temps à autre, ce petit miracle en faveur de votre serviteur.
Ce bon saint, est toujours fort respecté dans le pays : il y avait une abbaye tres considérable qui portait son nom : c’était même un Evêché qui est uni à présent avec celui de Killaloe. J’en ai vu les ruines : elles sont vraiment tres nombreuses et fort belles : on y voit celles de sept à huit petites Eglises, en outre de la Cathedrale qui devait être assez grande. On voit auprès de cette derniere une tour ronde très élevée et parfaitement bien conservée : les soldats puritains de Cromwell, en passant par ce pays eurent la mechanceté de vouloir la detruire : ils tirerent dessus quelques coups de canon : on en voit les marques vers la base. Il y avait dans cet endroit plusieurs colléges et des séminaires pour l’éducation des prêtres : on en montre encore les ruines.
Les pénitences autour de ces eglises sont très rigoureuses : on en fait d’abord le tour pieds nuds et ensuite sur les genoux : cependant comme le pélerinage est fort long, on peut prendre deux os de morts pour se soutenir en le faisant. Il y a un arbre dans le cimetierre plus particulierement dédié au saint : les dévots en portent des morceaux comme un préservatif contre le feu. J’ai vu des protestans qui moitié en riant, moitié de bonne foi en avaient toujours sur eux : l’on rapporte différentes occasions, où la vertu du bois a éteint des incendies. Quel domage, que je n’aye pas pensé à en faire une provision ; ce ferait un objet tres important, pour la compagnie d’assurance contre les incendies à Londres.
Mr. Taylor me conduisit de là à une de ses terres, que l’on appelle Capavarna, il me fit remarquer en passant plusieurs grandes cavités, qui étaient pleines d’eau lorsque j’avais passé cinq heures avant et qui alors étaient à sec, entre-autres un petit lac, qui certainement avait au mâtin près d’un mille de tour et dans lequel il n’y avait pas alors assez d’eau pour que les bestiaux pussent y boire.
Ce pays semble être supporté sur une voute de pierre à chaux : il n’y a point d’eau courante à la surface de la terre, mais j’ai vu des rivieres souterraines dans plusieurs cavernes où je suis descendu ; dans quelques endroits la voute s’est écroulée, et c’est ce qui forme ces bassins plein d’eau et ces lacs dont j’ai parlé, lorsque ces rivieres souterraines se trouvent refoulées par la marée : l’eau disparait ensuite au reflux parceque ces rivieres reprennent leur cours ordinaire. Ce n’est qu’à un demi mille de la mer que l’on retrouve le courant : il n’y en a pas la moindre trace sur la terre depuis Gort où il s’engloutit, excepté dans quelques endroits, où il parait et disparait sur le champ. En hyver les eaux augmentant dans ces rivieres elles débordent dans l’intérieur du pays et forment de grands lacs dans des endroits qui sont des prairies pendant l’Eté.
Il semblerait que tout ce pays, ait été lavé par les eaux de l’Océan dans quelque grande convulsion et que la terre qui le couvrait, ait été enlevée entièrement. On voit des plaines de sept à huit milles de long, sans le moindre vestige de terre et sans autre verdure que quelques noisetiers qui croissent dans les intervalles des pierres.
Ces lieux sauvages et retirés étaient communément ceux que les Druides choisissaient pour leur culte. On y voit deux de leurs autels ; c’est à dire des pierres énormes de vingt où trente pieds de long, sur presque autant de large supportées par trois pierres latérales de sept à huit pieds de haut. Je suis monté sur les deux : il est vraiment inconcevable comment ils ont été capables de placer de pareilles roches à une si grande distance de la terre et solidement établies, que je n’imagine pas qu’on put les jetter bas sans briser les pierres latérales qui les soutiennent.
On a conclu de ce que ces autels sont communément supportés sur trois pierres latéralles, que les Druides avaient du respect pour ce nombre et qu’ils y joignaient quelques idées d’une Trinité, comme les Bramines aux Indes. Je suis plus porté à croire, qu’ils n’y attachaient aucune importance et qu’ils plaçaient ces autels sur trois pierres par ce que l’opération était plus aisée, que sur un autre nombre : J’ai vu à huit milles de Dublin, sur la route de Bray, dans le Vallon de Bannan, Bannan’s Glin, une pierre pareille soutenue par quatre pierres latérales : le général Vallancey donne la représentation d’une autre soutenue par deux, et d’une troisieme sur six. Pour donner une idée de la grandeur de ces pierres, je puis ajouter ici, que sous celle que j’ai vu près du village de Cabinteely dans le vallon de Bannan, le pere, la mere, avec une famille de dix enfans, ont vécus pendant des années avec le chien, le chat, la chevre, le cochon et des volailles, et n’ont quittés leur retraite, que parce que, le propriétaire désirant exposer le monument au public, leur a bâti, une cabane dans le voisinage.La petite vallée de Capavarna présente au voyageur un contraste bien frappant avec le desert de pierre qui l’entoure : La terre y est tres fertile et la vue y est agréablement frappée par un mélange de cultivation et de bois, au milieu desquels, on se trouve conduit par des chemins aisés, aux différentes choses extraordinaires dont j’ai fait mention : j’y ai remarqué sur une grosse pierre, une inscription en honneur de la restauration l’Irlande à ses droits naturels en 1782.
Ce coin de terre, quoique tres peu connu, et tres peu visité, m’a cependant semblé avoir plus de droits à la curiosité du voyageur, que beaucoup d’autres où la mode conduit souvent. En m’en retournant sur le chemin des plats enlevés devèrs la ville fameuse d’Ardrahan, je passai auprès d’un Cromliah ou grand cercle de pierre : les savans se sont fort inquiétés pour savoir ce que c’était qu’un Cromliah : les uns ont crus que ces cercles avaient été formés autour de la sépulture d’un chef, où pour motif de religion : je les croirais de même origine que les raths, ou grand cercles de terres, et construits comme eux pour se défendre. Sur une petite hauteur, la seule que l’on voye sur cette plains de pierres, en fouillant une terre qui semblait avoir été brulée, on a trouvé une statue hideuse, que l’on imagine avoir été celle de Beal.
La tradition rapporte que Beal, (qui est un mot qui signifie le soleil, ou plutôt une qualité du soleil) était adoré dans cet endroit : on voit sur un des côtés une crosse d’Evêque et de l’autre des clefs, On sait que le christianisme fut obligé de conserver à son établissement, une grande partie du culte qui l’avait précédé, afin d’accoutumer les peuples à ses rites. Dans les autres pays de l’Europe, les traces de l’ancienne religion ne sont pas aussi marquées qu’elles le sont dans cette isle. Ce qui m’a paru appartenir le plus à la religion des Druides dans les dévotions Irlandaises sont les saintes fontaines isolées dans les campagnes. Leur usage est le même par toute l’Irlande, quoique avec des formes plus où moins religieuses, suivant la vénération que les peuples ont pour le saint, qui a remplacé le dieu où la nymphe qu’ils y adoraient avant.
Ce pays est couvert de vieux chateaux à qui les nouveaux propriétaires ont communément donné leur nom, mais si l’on désire en trouver le chemin, il faut tâcher d’en savoir l’ancien nom Irlandais car les paysans ne le sont pas encore donné la peine d’apprendre les modernes, où plutôt ne veulent pas les apprendre, à moins cependant qu’ils ne veuillent du bien au propriétaire. Il n’y a la moindre tourbe dans le pays et les habitans sont obligés de l’aller chercher de l’autre coté de la baye de Galway ; les bois de la vallée de Capavarna sont les seuls que l’on rencontre : aussi ce n’est pas sans peine que le propriétaire empêche les paysans de couper les arbres pour leur usage.
La nudité des pauvres près de Galway est choquante : n’y aurait il donc aucuns moyens d’ouvrir des branches à l’industrie et de leur procurer une éxistence moins pénible ? leurs huttes n’ont pas l’air d’être faites pour des hommes, et cependant on en voit sortir des troupes d’enfans bien portans et frais comme la rose. On peut les voir d’autant mieux, qu’ils sont souvent nuds comme la main et jouent quelques fois devant la cabane sans autre habits que ceux de la nature.
Ces pauvres gens cependant, réduits à un tel état de misere, que l’homme qui a connu une autre situation ne saurait concévoir, sont humains, bons, patiens et quoique l’avarice puisse suggérer, seraient industrieux et laborieux s’ils pouvaient croire que le travail put améliorer leur sort. Ils ne vivent que de pommes de terre et ils ont pour cette racine (qui leur tient lieu de tout,} un respect singulier : ils lui attribuent tout ce qui leur arrive. Je demandai un jour à un pauvre paysan qui avait une douzaine de jolis enfans, " comment tous vos compatriotes peuvent ils avoir, un si grand nombre d’enfans et surtout si bien portans ? " it is the potatoe Sir, et toujours la (prate) pomme de terre.
On rencontre souvent des ecolles nombreuses sous des hayes, toujours par la même raison que j’ai déjà indiqué : c’est une erreur de croire le paysan de ce pays si ignorant, où si stupide ; la misere le stupéfie il est vrai, et le rend indifférent à tout, mais je le declare, c’est l’espéce d’homme de ce genre, parmi laquelle j’ai vu plus de disposition à faire tout tout ce qui peut rendre la société heureuse et florissante, si l’on savait leur inspirer de l’intérêt pour leur pays.
Je passai par Ardfrey, chez Mr. Blake, on a de sa maison une très belle vue de la baye de Galway ; il y avait dans l’intérieur de la maison, une vue encore beaucoup plus intéréssante, mais l’aimable A * * * était trop jolie, pour qu’on put espérer l’y retrouver. Presque tous les habitans de cette partie sont Catholiques, riches comme pauvres ; seulement les riches se soumettaient autrefois à la forme Anglicane pour pouvoir posseder leurs biens en paix et à présent afin de pouvoir être élu au Parlement. Il y a une trentaine d’années que le propriétaire d’une très belle terre, que l’on appelle Oranmore, craignant que quelque cousin ne s’aviza de se faire protestant pour la lui enlever, s’en fut trouver l’Evêque et offrit de faire son abjuration des superstitions de l’Eglise de Rome. " Quels motifs, mon fils, " lui dit le passeur," vous engagent à vous réunir au bercail des fideles, et à abandonner la prostituée de Babylone ? " Oranmore ! dit l’autre, et à toutes les questions d’usage dans pareil cas, il répondait toujours, Oranmore ! l’Evêque fit quelques difficultés de l’admettre à prendre (le test) la communion, sur un motif aussi mondain ; mais il avait offert de se soumettre à la loi, et c’est tout ce qu’elle pouvait éxiger.
Traversant la belle baye de Galway, je me rendis dans cette ville : elle est située entre un grand lac et la mer sans trop avoir l’avantage de l’un ni de l’autre : la riviere qui fort du lac, un quart de mille avant de se jetter dans la mer coule comme un torrent, et l’on n’a pas pris la peine de faire un canal de communication, et le port est hors de la ville. On est d’abord surpris en entrant dans Galway de voir la disposition des rues, et surtout la situation des maisons qui est entièrement différente que dans les autres villes Irlandaises. Elles ont presque toutes, le pignon sur la rue et une porte Cochere, comme les vieilles villes du Continent. Elle fut, dit-on, bâtie par les Espagnols à qui elle appartint * ; Il est encore possible de suivre la régularité du plan, quoiqu’il soit bien défiguré à présent, on rappporte aussi que ce furent treize familles dont les noms sont encore très communs, qui en jetterent les fondations, et la tradition rapporte, que pendant qu’une bonne Dame du nom de Joyce regardait les maçons qui bâtissaient à ses dépens le pont de Galway, un aigle laissa tomber une chaine d’or dans son giron et lui mit une couronne sur la tête. La famille des Joyce conserve toujours la chaine d’or, à ce qu’on m’a dit. Les peuples ont toujours aimé les fables ; si Galway fut devenue une Rome, celle-cy aurait sans doute pris crédit.
- Je rapporte ceci comme on me l’a donné : l’époque à laquelle les Espagnols étaient maitres d’une partie de Irlande, est bien confuse dans l’histoire. Toutes les côtes de l’Ouest cependant, depuis Galway, jusqu’à Bantry, se rappellent encore d’eux et les noms de quelques endroits sont Espagnols comme Valentia, &tc. &tc.
Cette ville faisait autrefois un grand commerce, il a beaucoup tombé dans ces derniers temps ; il serait nécéssaire à présent qu’on y encourageat l’industrie, et qu’on prit des moyens pour faire travailler les mendians, et empêcher les fous de courir dans les rues. Un marchand de vin m’a donné cette raison du peu d’activité du commerce dans cette ville, et m’a vraiment dit de bonne foi, " avant que la France sut préparer le vin, c’était à Galway qu’on le faisait ;" " comment," lui répondis-je, " je n’imaginais pas que vous " eussiez jamais eu de vignes à Galway ?" " oh ! non," me répondit il, " mais en France, le vin était tout simplement le jus du raisin et on nous l’apportait à Galway, pour le rendre buvable ; malheureusement les marchands de Bourdeaux le préparent aussi bien que nous, et cela nous a coupé les bras."
On est fort peu accoutumé à voir d’étrangers dans ce pays, et l’on me fit l’amitié de me prendre pour un Cresus. Les gens avaient un telle envie de me faire payer les frais de la guerre que j’aurais eu bien de la peine à me loger, si Mr. Anthony Lynch, à qui j’étais recommandé, n’avait eu la complaisance de m’offrir un lit dans sa maison.
Lough Carrib, qui se décharge à Galway, peut avoir trente milles de long, et je suis bien convaincu, qu’avec une où deux ecluses on pourrait faire remonter les bateaux du port dans la riviere. Ce lac n’est encore formé, que par les pierres énormes qui se sont accumulées près de l’embouchure de la riviere, et par des tourbes à l’endroit où elle en sort. Il parait qu’il y avait autrefois un canal qui faisait le tour des anciennes murailles, et se jettait dans la baye ; il est comblé depuis longtemps, et l’on a bâti dessus ; puisqu’on ne veut pas faire à présent les frais d’un ouvrage pareil, on devrait au moins profiter des eaux de la riviere au dessus de la ville, pour avoir un ruisseau d’eau courante dans toutes les rues : il y a peu d’endroits où une telle précaution fut plus nécéssaire : je croirais aussi assez à-propos d’abbattre les vieilles murailles qui ne servent plus à rien, et qui sont ruinées presque partout ; si l’on bâtissait aussi des quais le long de la mer et de la riviere, ce ferait un grand embellissement.
Les boutiques ici sont ouvertes le dimanche à-peu-près comme les autres jours, surtout celles où l’on vend du Whisky qui le sont peutêtre davantage ; cependant tout le monde va à l’Eglise, l’un après l’autre. Il est communément d’usage pour les marchands d’avoir la fenêtre de leur boutique à demie fermée, mais la porte est ouverte comme à l’ordinaire.
Il y a differens clubs où l’on va lire les papiers, un entre-autres, l’amicable Society, où il faut être abonné pour pouvoir être admis, mais tout le monde peut aller au Mercantile Coffee-House.
Le principal Ecclesiastique s’appelle ici, Warden, le Gardien : il a autant de pouvoir que les Evêques ailleurs, c’est un privilège que le Pape accorda autrefois au Chapitre en lui permettant de l’élire parmi les Chanoines. Les protestans ont suivi la même méthode depuis la réformation : tout le monde ici est Catholique, et il est fort heureux qu’il y ait beaucoup de Ministres Anglicans, car sans cela il n’y aurait personne de la religion dominante.
Les jeunes gens Irlandais vont chercher fortune au loin et s’accrochent souvent à de vieilles veuves riches, dont ils savent se faire amouracher avec beaucoup d’addresse, en dépit de freres, sœurs, enfans, et même petits enfans ; les jeunes personnes n’ayant pas le moyen de courir le monde, semblent s’être donné un rendez-vous général à Galway. Elles arrivent pendant l’été de tous les coins de la province de Connaught, sous prétexte de se baigner dans la mer ; mais si j’osais, je dirais que c’est pour des projets qui leur tiennent beaucoup plus à cœur.
Il y a peu de pays où l’on puisse voir plus de jolies brunettes, et tout semble conspirer avec elles pour les faire réussir dans leur projet humain. Les marchandes de mode leur font crédit et leur fournirent des rubans et tous les affiquets nécéssaires sans leur demander rien : elles réservent le payement de la dette pour le lendemain de la nôce ; alors le pauvre mari est dans la même situation que ces nations battues, que leur vainqueurs forcent, pour avoir la paix, de payer les bombes et les boulets qui ont servis à les assommer.
Il y a des assemblées publiques presque tous les jours à un prix tres modéré, tantôt c’est habillé, demi-habillé, et deshabillé, et on les appelle suivant ces cas, Assemblée, Drum, ou Promenade. Le prix de l’entrée de la salle varie en conséquence des noms qu’elle a ce jour là, mais c’est toujours la même. Il y regne la plus grande gaité et un air d’aisance qui charme ; en u» mot, l’esprit de coquetterie des belles de Galway, ferait en état d’en apprendre à nos dames Françaises. On doit bien s’attendre que ce concours de jolies personnes doit attirer un bon nombre de jeunes gens, qui la plupart ne pensent d’abord qu’à s’amuser et s’en retournent souvent, avec une chere côte de plus. Il y a dans la ville, un certain ci-divant Prêtre Catholique, qui n’ayant pour vivre que les quarante livres Sterling, que la loi accorde aux Prêtres qui embrassent la Religion Anglicane, augmente son revenu en faisant des mariages à l’Ecossaise.
Le matin, les jeunes personnes, chargées cinq ou six sur un Car, les jambes pendantes, s’en vont rafraichir leurs appas dans la mer, à deux milles de la ville ; le soir lorsqu’il n’y a pas d’assemblée, elles vont de boutiques en boutiques, marchandant, riant et causant avec leurs amis, qui se trouvent sur le chemin. Le séjour de Galway doit être pendant trois mois de l’été pour bien des jeunes gens, un véritable pays de Cocagne, aussi l’on m’a conté Qu’-
Un jour devant nombreuse compagnie,
Certain mari vantait le temps heureux
De sa jeunesse ; " alors, j’étais digne d’envie,
Disait il, " bon vivant, sémillant et joyeux, "
" Les Dames m’adoraient, aussi j’ai dans ma vie,
" Fait plus de cent Cocus " ... lors avec modestie,
Sa femme d’un ton doux, répartit au chrétien,
" Mon cher Epoux, qui dit trop, ne dit rien :
" Moi je n’en n’ai fait qu’un, mais certes il l’est bien."
Il y a cependant des demoiselles qui sans s’en appercevoir vieillissent dans cette bonne ville, et qui s’en vont boutiquant, dansant et se baignant dans la mer, jusqu’à l’age de raison de cinquante ans et plus : mais je suis bien sùr qu’elles n’auraient pu passer leur temps plus agréablement dans aucun pays.
Le voisinage de Galway, est le plus aride et le plus caillouteux de l’Irlande, quoique la pierre à l’Est de la riviere étant pierre à chaux, les morceaux que l’on a réussi à nettoyer, sont assez fertiles. C’est une remarque assez singuliere et que j’ai fait souvent : plus le pays est laid, plus les femmes sont jolies et tentantes ; elles sont charmantes ici ; Conomara, que l’on dit le pays le plus abominable de la nature, doit être habité par des Anges. Sur cette belle refléxion, ayant déjà pensé à l’aller visiter je confirmai ma ma résolution.
Il est fort extraordinaire que ce vaste pays, qui forme une partie du Comté de Galway et qui n’est pas à quinze milles de la ville, y est beaucoup moins connu que des isles dans l’Océan pacifique. Entre les personnes auxquelles j’ai demandé des informations, les unes m’ont répondu vaguement, d’autres m’ont fort engagé à ne pas aller visiter ce pays barbare, dans lequel disaient elles, je ne trouverais même pas une pierre seche pour m’asseoir et où les habitans en très petit nombre étaient aussi sauvages que les Iroquois. Plus on en disait et plus je sentais s’augmenter le désir de connaitre ce pays si redoutable. Les gens à Galway en étaient autrefois si éffrayés, qu’ils avaient gravés sur la porte qui y conduisait ; Oh ! God ! deliver us of the ferocious O’Flaharty’s, et de plus ils avaient décrétés que tout homme du nom d’OFlaharty, qui passerait la nuit dans la ville, serait puni de mort.
M’armant donc de courage je passai sur le terrain même où était cette porte et après quatorze ou quinze milles je fus me présenter à Lermon’s Field, chez Sir John O’Flaharty, en qui je fus loin de rien trouver de féroce : j’en reçus au contraire un accueil charmant : le pays depuis Galway, se nomme Eyre Connaught, mais n’est pas encore Conomara. Dans bien des endroits il est assez bien cultivé et quoique peu visité il n’a rien d’effrayant. La vue du lac Carrib a quelque chose de majestueux que l’on ne saurait s’empêcher d’admirer ; il est couvert d’isles, dont le grand nombre est cultivé. Si on demande leur nombre, on est sùr que l’on répondra 365, une pour chaque jour de l’année : j’ai vu trois lacs en Irlande qui en avaient la même quantité, ou plutôt, c’est pour s’éviter la peine de compter, que les paysans donnent ce nombre plutôt qu’un autre.
Quoique ce mélange d’eau et de terre flatte la vue, il rappelle aussi à un etranger les inondations de quelques grandes rivieres et cette idée en diminue la beauté. Rien au monde ne pourrait me faire croire que ces lacs devraient exister et je suis bien convaincu que lorsque l’industrie aura fait quelques progrès de plus, on les verra disparaitre les uns après les autres.
On voit quelques curiosités dans ce voisinage : la pierre est ici de la même espèce qu’auprès de l’Abbaye de Killmacduagh et comme dans cet endroit, on y voit des rivieres souterraines qui paraissent et disparaissent souvent : ce n’est cependant que par intervalle et on en peut toujours suivre le cours : on a profité dans un endroit, de la voute naturelle pour faire passer le chemin dessus : dans un autre, on avait bâti, dans l’ancien temps, un chateau tres considérable ; il fit, dit-on, une forte résistance contre les soldats de Cromwell, qui ne voulant pas perdre plus de temps après, commençaient déjà à se retirer, lorsque le pauvre Gouverneur, glorieux de cette retraite, parut à une fenêtre : on lui lâcha un coup de fusil et le chateau se rendit tout-de-suite après sa mort.
Ces pays de Conomara et d’Eyre Connaught sont presque entièrement séparés du reste de l’Irlande par deux grands lacs, Lough Carrib et Lough Mask : ils ont entre eux, près de soixante milles de long. L’intervalle montagneux qui les sépare, (qui peutêtre de trois mille) et le pont de Galway, sont les deux seuls points par où on puisse y arriver par terre. Les armées n’ont jamais pénétré dans l’intérieur du pays, qui a de tout temps été l’asyle des déserteurs et des contrebandiers : il est, même à présent, de pauvres paysans qui descendent de leurs montagnes, vont s’engager de l’autre côté des lacs et lorsqu’on les a vêtu et payés, un beau matin ils repassent l’eau et l’on n’entend plus parler d’eux.
Lough Carib a neuf à dix milles de large ; il y a un bateau public vis-à vis d’une petite ville appellée Conne ; on y voit une caverne profonde dans laquelle les eaux du lac s’engloutissent en partie. Le seul commerce qui y fasse quelques fois paraitre des bateaux, semblera bien frivole, c’est celui de la tourbe, qui souvent sert à couvrir des barriques d’eau de vie, ou de vins de France, que les Bateliers tirent du Conomara, où jamais commis de la Douane n’osa approcher.
Bien des Pairs Irlandais prennent leur titre de ces grandes pieces d’eau, aussi bien que des rivieres ; ainsi, l’on m’a dit, qu’il y avait en Irlande, Lord Carrib, Lord Neagh, Lord Earn, &c. Une des personnes les plus respectables chez qui j’ai été, prenait son titre du Shannon, un autre de la baye de Kinmare, un troisieme de la baye de Glandore : quelques fois c’est d’une haute montagne dont la vue les a frappé : j’ai entendu parler d’un homme qui voulut prendre pour titre dans ses lettres patentes Lord Peloponese, Earl of Greece. Puisque quelque chose de grand, flatte tant leur amour-propre, pourquoi personne n’a-t-il encore eu l’dée de se faire appeller Lord Atlantique .... Lady Océan surtout, me charmerait l’oreille ! Pirron a fait prendre à son Poëte le surnom de Monsieur de l’Empyrée, c’était lui donner le nom du seul domaine que l’on puisse dire appartenir aux amans affamés des muses. Pourquoi, les lords Anglais et Irlandais n’en feraient-ils pas autant et s’ils ne voulaient pas conserver leur noms de famille, pourquoi au moins, ne s’appelleraient ils pas de celui d’une propriété quelconque.
Je remarquai dans quelques endroits de ce pays, des piles de pierres et je ne pouvais trop concevoir quel en pouvait être l’usage. L’on m’informa que c’était une espèce d’hommage que l’on rendait aux morts ; lorsque le convoi passe devant cet endroit, on le fait arrêter et il ne recommence sa marche que lorsque la pile a été érigée en honneur du défunt : je crois que l’on ne rend cet espèce d’hommage, qu’aux gens qui étaient aimés dans le pays et que l’on regrette.
Ces piles de pierre se nomment Carn en Irlandais et plus hautes elles font, plus c’est honorable pour le défunt. Ni cursadh me leach ar de Carn, c’est a dire, je ne jetterai pas une pierre sur votre tombeau, est un terme de mécontentement parmi les habitans de ce pays, presqu’aussi grand que si dans un autre, une tendre épouse disait à son cher mari, qu’elle espere danser la courante sur le sien.
Il y a aussi une sainte fontaine ; celle-cy a quelque chose de particulier : il y a deux endroits où l’eau parait, l’un sert à l’usage ordinaire de la vie : les pénitens seuls, boivent de l’autre et s’en frottent les yeux. C’est un ruisseau souterrain, tel que celui dont j’ai déja parlé, quoique beaucoup moins considérable. Lorsque les bonnes gens ont récité leurs prieres, ils pendent quelques hâillons sur les ronces qui croissent autour et pour rien au monde ih ne voudraient les ôter. Je ne fais quelle est l’idée qu’ils v attachent : la pénitence ne se fait point sur les genoux mais seulement pieds nuds : il fallait qu’il y eut autrefois une chapelle où l’on disait la messe, à moins que ce ne fut en plein air, car l’Autel éxiste encore et il ne semble pas qu’il y ait jamais eu de bâtimens.
Auchterard est le dernier village D’Eyre Connaught, on y trouve une fontaine d’eau minérale et une chûte d’eau qui attirent souvent du monde de Galway : de cet endroit, la vue du lac et de ses iles nombreuses est bien faite pour attirer les curieux ; il y a aussi un corps assez considérable, de Casernes à quelque distance ; il est situé sur un bras d’une des rivieres souterraines dont j’ai parlé, et il sert d’hopital aux troupes en garnison à Galway.