Promenade autour de la Grande Bretagne/Mer d’Allemagne. Edinbourg


MER D’ALLEMAGNE.


AYANT différé mon départ d’un ou deux jours, pour avoir l’occasion de voyager avec un jeune chirurgien du régiment alors a Edinbourg, qui connaissait fort bien le pays misérable que je devais parcourir, et qui même y avait des parens ; je me remis en route avec lui, et passant par un pays, quel pays, bon Dieu ! et des montagnes que l’on appelle avec juste raison, l’escalier du diable, nous traversames un bras de mer que l’on appelle Loch Leven, ou la scene devint grande et vraiment intéressante, de hautes montagnes couvertes de verdure ou de bois, l’entourent de toutes parts, l’œil se perd au loin sur ses eaux, et se repose agréablement sur quelques endroits de ses bords que la culture a rendu profitable.

Apres avoir été obligé de traverser plusieurs ruisseaux ayant de l’eau jusqu’a la ceinture, et de plus une pluie perpétuelle ; nous fumes nous presenter au fonds de la vallée chez Mr. Macdonald of Achtrieton, dont l’hospitalité nous dédomagea de notre peine. J’ai peu vu de situation aussi éxtraordinaire que celle de cette maison, qui est au fonds d’une vallée assez étroite, éntourée de rochers perpendiculaires et très élevés : Elle semble être comme un hospice pour passer dans un autre monde ; car l’on croit réélement être a la fin de celui-cy. Cependant notre hôte, nous ayant conduit le long d’un petit sentier pour un quart de mille, nous fit apperçevoir de loin un pont tremblant de quelques pièces de bois a demi-couvert de terre, qui traversait le torrent ; et mettant avec précaution un pied l’un devant l’autre, nous parvînmes a l’autre bord, et grimpant un autre devil’s staircase, nous arrivâmes au devil’s turnpike : En vérité les gens de ce pays ont des noms bien adaptés a la chose, car c’est en effet le pays du diable. Traversant des rochers, des montagnes, des précipices, nous allions avec une pluie averse, qui pourtant fit place pour quelque momens a un temps clair, pendant lequel je vis que le pays n’était pas si desert que je l’avais pensé. On appercevait, a de grandes distances, il est vrai, quelques huttes, et bientôt nous vimes quelques paysans sur la route : Mais ce qui m’étonnait, c’était de les voir s’enfuir a toutes jambes dans les bruyeres, du plus loin, qu’ils appercevaient les habits rouges de mon chirurgien et du soldat qui l’accompagnait. Je leur en ai demandé la raison, et ils m’ont répondu que les paysans craignaient d’être fait soldats par force, et ayant l’air de se mettre en mouvement comme pour courir après eux, cela redoublait la vitésse des autres, et faisait rire de tout leur cœur mes compagnons de voyage. Le soldat meme fit une plaisanterie que j’ai trouvé déplacée : Un jeune paysan ne s’étant point écarté de la route, passa au milieu de nous ; le soldat nous laissant aller devant, l’arrêta, et tirant un grand poignard ou couteau des montagnes, le menaça (en riant) de le tuer, s’il ne s’engageait. Le pauvre diable s’est mis a pleurer, et même a crier. Entendant du bruit, je me suis retourné, et voyant de quoi il s’agissait, avec un ton de commandement qu’on fait retrouver au besoin, je m’en suis approché, et l’ai fait relâcher ; sur quoi le soldat m’a dit que je ne connaissais pas leurs usages, et que c’était la coutume de faire peur aux paysans.

Jamais l’habit blanc, ne produisit plus d’effet en France, que le rouge dans ces montagnes. C’était un dimanche, et du plus loin que les filles revenant de l’eglise, nous appercevaient, elles s’enfuyaient, mais je crois afin qu’on leur courut apres, car on les atteignait toujours dans leurs maisons, et les peres, ou les freres, loin d’en être offensé, offraient du bainn[1] a messieurs les saighaidair[2]. Etant dans leur compagnie, il fallait bien prendre part a la fête, et en me retirant donner un gros baiser a la fille de la maison, au grand contentement de toute la famille, dans le fait c’était une occasion unique, et je suis bien sur que dans cinquante ans elle n’en trouverait pas une autre d’être embrassé par un Français.

Quoique dans un pays si miserable, j’etais cependant étonné, de voir dans leur huttes, au milieu de la fumée des mottes, un air d’aisance que leur premier aspect était loin d’annoncer ; ils ne paraîtraient pas le moins du monde surpris de me voir, quoique je parierais que je sois le premier étranger qu’ils ayent jamais rencontré. On m’a dit au sujet de la fumée qui les étranglent, qu’ils sont intimement persuadé que c’est ce qui les tient chauds : Un bon paysan étant interrogé comment il trouvait Edinbourg, repondit qu’il ne concevait pas comment on pouvait vivre tout un hiver dans des maisons, ou la fumée s’echapait entièrement par en haut. Tel est la force de l’habitude que ces bonnes gens accoutumés au désagrément de la fumée, ne pensent qu’a la chaleur qu’elle leur procure ; en effet, elle est si épaisse, qu’ils en sont envellopés comme d’un manteau.

L’aspect du Black Mount que je traversai ce jour la, est un des plus horribles que j’aye vu ; dans un espace de près de trente milles on ne trouve d’autres maisons que cellés que le roy a fait bâtir pour servir d’auberge, avec un très petit nombre de huttes, au milieu de la tourbe qui couvre presque toute la face du pays, dont les pauvres habitans ne vivent que de laitage et de pomme de terre ; depuis quelques années on y éléve des milliers de moutons qui paissent a l’avanture. Le chasseur y rencontre quelques daims et beaucoup d’oiseaux, comme les moorfowls, tarmegan, &c. On prétend que ce pays était autrefois couvert de bois, mais que pour en chasser les voleurs qui les habitaient on y a mis le feu ; il est sur que dans les ouvertures que l’eau s’est pratiqué dans la tourbe on apperçoit encore, couvert de leur peau, des racines et de gros morceaux de bouleau ou birch-tree, qui est l’arbre le plus commun en Écosse, et que l’on trouve encore par ici dans les endroits protégés du vent de mer.

Je crois a propos de dire, que dans quelque parties de l’Écosse j’ai vu faire de cet arbre un usage bien singulier ; on fait au printemps une incision a différentes branches, auxquelles on suspend une bouteille, pour recevoir la séve qui coule en grande abondance. On la fait ensuite fermenter, et en y mêlant du sucre et de l’eau de vie, cela forme un petit vin mousseux qui n’est pas mauvais.

Les chemins sont bien entretenus, et ne manquent pas de pont, j’ai cependant été obligé de traverser plusieurs rivières dans les quelles il y avait deux ou trois pieds d’eau, parcequ’ils étaient en réparations, aussi cela, joint a la pluie continuelle, fit que nous ne pûmes arriver avant dix heures du soir a la maison de Mr Campbell of Ach. Mon chirurgien et son soldat étaient si fatigués, que sans attendre le souper, ils furent se coucher : Un peu plus fait a la fatigue, je soutins le choc, et ne quittai pas la table avant deux heures du matin, pour répondre a la politesse de notre hôte. Le lendemain c’était une autre affaire, et j’acceptai avec grand plaisir l’offre qu’il me fit d’y rester un jour, pour me reposer.

Partant de grand matin, nous traversames un pays a peupres semblable à celui de la surveille, et joignîmes Tyndrum, qui est le premier village un peu considerable que nous ayons rencontre depuis Fort William. Ce pays est un peu plus fréquenté étant a la jonction du chemin d’Inverary, et aussi un peu moins sauvage et plus habité ; il y a même des endroits assez bien cultivés, et qui paraissent agréables. On m’a montré un lac a quelque distance, ou la tradition rapporte que l’on plongeait les fous ; s’ils devaient guérir ils guerissaient ; si non, ils mouraient sur le champ, ce qui j’imagine était souvent le cas. Nous étant arrêtés dans une petite auberge, nous trouvâmes plusieurs habitants des montagnes, qui firent un mélange de whisky, de lait, de sucre, et de jaunes d’œufs cruds, qu’on appelle old man’s milk[3], qui me parut assez éxtraordinaire, et cependant n’était pas mauvais.

Ayant vu l’annonce d’une fameuse relique, en la possession d’un paysan aux environs, nous avons demandé a la voir. Elle ressemble assez au haut bout d’une crosse d’êveque, et est d’argent doré. Le bon homme qui nous l’a montré, et qui gagne quelque peu d’argent avec elle, vraisemblablement pour augmenter notre intérêt, nous a dit très serieusement, que quand les béstiaux étaient enragés il suffisait de leur faire boire de l’eau passée par l’intérieur de sa relique ; l’eau bouillone sur le champ quand le remède ne veut pas opérer, (d’ou on pourrait conclure qu’il opere souvent), et que l’on venait de plus de cent milles chercher de son eau ! J’ai été très fâché de n’avoir pas d’occasion pour nos gens en France, a qui j’ai pensé tout de suite ; mais au moins ils doivent m’en savoir gré. — Le propriétaire a un certificat des magistrats d’Edinbourg de 1773, en attéstation d’un autre de Jacques Premier, roy d’Ecosse ; quoiqu’il en soit, j’ai été charmé de trouver une relique parmi les Présbyteriens.

Le soir mouillé, et horriblement fatigué, il nous fallut gîter a l’auberge de Loch-earn head, encore bâtie par le gouvernement, ou mon compagnon trouvant une occasion pour aller a Stirling, en profita, et me laissa finir ma route tout seul.

Loch-Earn est une belle piece d’eau, de huit a neuf milles de long. Le pays semble cultivé sur les bords, on, m’a même dit qu’il y avait quelques belles maisons et des sites charmans ; mais j’étais si fatigué et si ennuyé de la pluie perpétuelle, mes habits aussi étaient dans un tel état de délabrement, que je jugeai préférable de retourner sur le champ dans les pays habités que d’en faire le tour comme j’en avais le dessein, aussi bien que de Loch-Tay, qui n’est pas loin ; depuis Loch-Earn, j’ai quitté les mosses éternelles du Black Mount, et traversant un pays assez fertile, et bien couvert de bois, le long d’un lac charmant, qui forme un coude au milieu des montagnes élevées, qui le couronne, j’ai rencontré une noce, précédée d’une musette et d’un violon ; aussitot je me suis cru transporté dans mon pays, car c’est ainsi que nos bons paysans de Bretagne conduisaient la mariée a l’église, et la ramenaient chez ses parens ; poussé par un instinct de curiosité et de plaisir, je me suis mêlé a la bande joyeuse ; un paysan m’a présenté un ruban, et j’ai taché de faire connaître que je prenais part a leur joye, en regardant leur danse, et mêlant mes cris, a leurs chansons d’allégresse. Dans les pays peu fréquentés, l’instinct de l’homme est le même, on le trouve toujours bon, humain et l’ami de l’homme lorsque des motifs de haine ou de vengeance ne l’anime pas. Mon habillement ici n’était plus extraordinaire ; grand nombre de paysans n’avaient pas de philibeg, et parlaient Anglais, c’est a dire, leur patois Écossais.

Le language comun des montagnards, le Gaelic, dont j’ai deja eu souvent occasion de parler, est absolument différent d’aucunes langues existantes en Europe, et n’a de rapport bien apparent qu’avec les differens idiomes Celtiques, épars, tant dans les isles Britanniques que sur le continent. Ayant eu occasion de voir un livre traitant de cette matière, j’ai choisi un petit nombre de mots qui pussent faire voir le rapport que ces langues ont entre elles.


Français. Cornouaillois. Gallois.         Gaelic d’Irlande
et d’Ecosse.
Bas Breton.
Mère main mam mathair mam
Fils mab mab mak map
Frère bredar braud brathair breur
Un baiser   impog impok pog pok
Aimer kara kari karam karet
Ame ena enaid anain ene
Agneau ôan oen ûan ôan
Eau dour dur uisge et dovar dur



En voila assez pour faire connaître que ces langues ont la même origine. J’ai cependant commis une erreur dans le cours de cet ouvrage, en disant que les habitans des differens pays ou elles sont parlées pouvaient s’entendre entre eux. Ceux de Galles, de Cornouailles, et de Basse Bretagne, le peuvent faire, m’a-t-on dit, avec quelque peine ; mais ceux des montagnes d’Ecosse et d’Irlande ne peuvent pas les comprendre.

Ayant prié, dans une maison aisée des montagnes, que l’on voulut bien chanter une chanson Gaelic afin de pouvoir m’en former une idée, la dame de la maison engagea un jeune homme qui jusqu’alors m’avait paru enfoncé dans ses rêveries, a me satisfaire, et sur un ton des plus mélancoliques, il chanta une chanson assez longue, dont voici le dernier couplet.


Ge do leibhin dhuibh gach cruaigh-chas
Phuair mi on a bha mi’m phaiste
Air leam shein nach’eil ni’s truaighe
Na gaol a thoirt is fuadh ga phaigh.

________


J’ai brave les dangers, j’ai vu de près la mort,
J’ai connu tous les maux, que peut donner le sort,
Mais rien ne m’a jamais causé si grande peine
Que de voir mon amour repayé par la haine.

Ce n’est qu’a Callender, une assez jolie petite ville que l’on retrouve la terre constamment cultivée, et que l’on laisse entièrement les montagnes, qui quoi que très agreste et très miserable, sont l’asyle d’un peuple fidèle, brave, intelligent et industrieux ; accoutumé au besoin dès son enfance, le montagnard sait le supporter sans se plaindre. Il a pour son pays un amour sans borne, ou plutôt pour les parens qu’il y a laissé, et qu’il trouve moyen de soulager souvent meme, sur les épargnes qu’il peut faire sur sa paye de soldat, qu’un Anglais trouve a peine suffisante pour son existence. Comme leur moisson se fait plus tard, que dans la plaine, on les y voit déscendre en foule a cette époque, pour la faire, et s’en retourner dans leur famille avec le mince produit de leur travail. J’avoue qu’apres avoir vécu quelque temps parmi ce peuple, il m’a paru éxtraordinaire d’apprendre que leurs voisins plus riches, et plus instruits, avaient fait des depenses énormes, pour établir la religion parmi eux. Je l’y ai trouvé toute établie, et peut-être mieux observée qu’au sud. Apres l’histoire du Prétendant, le gouvernement, pour détruire entièrement les restes de cet amour qu’ils conservaient pour la famille de leur roi, imaginant avec quelque raison, qu’il changerait leurs mœurs en changeant leurs habits, défendit sous des peines séveres de porter le philibeg ; mais a present toutes craintes étant évanouies, on leur en permet l’usage.

Ils étaient autrefois gouvernés par le chef de leur clan, ou famille, dont tous les individus étaient tenus a la plus grande soumission pour lui et obligé d’émbrasser sa querelle. On m’a conté que pour les assembler, un homme allait de portes en portes avec une croix de bois dont le bout était brûlé, et criait a haute voix Craig-Elachy dans un clan, Tulloch-dar dans un autre, car chacun avait le sien qui était communément leurs endroits ordinaires de rassemblement, et fameux pour maints hauts faits. C’était le signal de la guerre, auquel tout le monde s’armait et se rendait a son poste. Il y a tel canton en Écosse, ou presque tous les habitans ont le même nom, ils viennent indubitablement de la même famille, et du plus pauvre au plus riche, portent le plus grand réspect au chef de leurs clans ; tellement que quelques pauvres diables ont a ma connaissance réfusé seize louis d’un colonel qui voulait les engager, et en ont accépté trois de leur chef, qui levait un régiment ; Ces idées cependant commencent a tomber, et j’ose dire que c’est dommage, car quoique ces sentiments tendent a separer une famille du reste de la societé, cependant ils en unissent les membres, si étroitement, qu’on ne peut s’empêcher d’y trouver quelque chose de réspéctable et d’intéréssant. Les differens comtés sont gouvernés sur le même plan que ceux du réste de l’Ecosse, et l’autorité qu’y peuvent encore preserver les chefs de famille, n’est que volontaire, et en raison du respect, et de l’interet qu’ils inspirent, mais dans aucuns cas ils ne peuvent jamais en abuser.

Down est fort bien situé ; son vieux chateau est entouré de grands arbres et de bélles promenades. Le pays aux environs est assez bien cultivé ; mais, en arrivant sur la colline d’une belle maison qui domine la riche vallée ou serpente le Forth, la tête encore pleine de bruyeres, de mosses, et de tourbes, je me suis cru transporté dans un pays de fées. Quoique ce fut le huit Octobre, la terre était encore couverte de la récolte, que les moissoneurs étaient occupés a ramasser, le souvenir d’avoir vu récement ce pays, la vue des maisons des différentes personnes qui m’y avaient accueilli, et que j’allais rejoindre, tout dans ce moment contribua a me faire oublier mes fatigues, et a rendre mes sensations plus vives et plus agreeables.

Quoique générallement parlant, les Écossais soyent a peu près entièrement devenus Anglais, ils ont cependant conservé certains traits charactéristiques qui les distinguent encore, et qu’ils doivent a leurs institutions, et particulièrement a leur religion, dont l’établissement est absolument différent de celui d’aucune nation en Europe.

La religion dominante est le Calvinisme Presbyterien, dont le gouvernement est établi sur un systême des plus républicain. Il consiste en quatre cours subordonées les unes aux autres ; la Séssion de la paroisse, le Présbytere, le Sinode provincial, et l’Assemblée General. La Session est une cour établie dans chaque paroisse, qui a le pouvoir de juger toutes les causes écclésiastiques qui y prennent naissance ; elle consiste dans le ministre et les elders de la paroisse. On appelle de la, au Presbytere du district, qui est composé de douze a quinze ministres des paroisses voisines, et autant d’elders. Les affaires sont ensuite portées devant le Sinode, formé de cinq ou six presbyteres a la ronde, et ne s’assemble que deux fois l’an. On peut appeller de la meme maniere des jugemens du Sinode a l’Assemblée Generale, qui est composée des députés de tous les Presbyteres d’Écosse, et d’un délégué de chaque Université et bourgs royaux. L’Assemblée Générale est la cour suprême a la quelle toutes les autres sont soumises, et ne s’assemble qu’une fois l’an. Le Roy y est representé par un commissaire, qui doit toujours être un pair, mais qui n’a pas le droit de discuter ni de controller les délibérations, a moins qu’elles ne s’écartent des matières éclésiastiques. Cette Assemblée a dans le même temps le pouvoir judiciaire et legislatif, ses jugemens sont sans appel, lorsqu’il s’agit de la revision des sentences prononcées par les tribunaux inférieurs ; mais son pouvoir est limité, lorsqu’il est quéstion de la formation d’une nouvelle loi, la proposition doit en être faite dabord aux différents présbyteres, et ce n’est qu’apres le consentement de la majorité d’entre eux que l’Assemblée a le droit de la passer. Il y a en Écosse entre 800 et 900 paroisses, 78 presbytéres, et 15 sinodes ; l’Assemblée Générale consiste de 270 membres a peu près.

Les ministres des paroisses sont en général mieux pourvus que les éclesiastiques dans la même position presque par toute l’Europe. Leur revenu varie de puis 50 jusqu’a 200 livres sterlings ; mais le taux commun est entre 80 et 90 livres par an. Ils doivent avoir deplus la maison, et quatre acres de terre labourables, en outre assez de pâtures pour un cheval et deux vaches. Ils ne peuvent recevoir les ordres qu’après avoir étudié huit ans dans une université, et l’immoralité de conduite dans leur office serait suffisante pour les en faire priver. On les trouve même dans les parties les plus recullées sociables dans leur famille, et généralement instruits et intelligens. Il n’y a point d’autre poste que celui de ministre, ce qui peut-être empêche les premières classes de rechercher des places dans l’eglise, on trouve cependant quelques fois parmi eux des gens assz riches, dans le fonds des campagnes, avec toutes les manieres aisées d’un homme accoutumé a la bonne compagnie.

Le service consiste dans un long sermon, et une pseaume en vers. Il dure communément deux heures le matin, et autant le soir ; et comme on regarde toute éspéce de musique, comme une profanation du dimanche, les églises n’on point d’orgues, ce qui rend la mélodie languissante. Dans quelques endroits, j’ai cru remarquer que le ministre prêchait d’une maniere particulière, sans faire le moindre geste, et même fixant pendant tout le temps de son discours un objet dont il detourne a peine la vue. Quelque fois aussi le pauvre Pape est traité assez lestement ; on l’appelle la prostituée de Babylone et la bête de l’Apocalypse ; mais a la fin du sermon on le recomande aux prières des fideles avec son église, aussi bien que les superstitions des Juifs, et la delusion des Mahométans.

Lorsqu’une jeune fille fait un pas de travers, on la fait venir dans l’église avec son amant, et la ils sont admonéstés publiquement et séverement par le ministre trois dimanche de suite. Quoique cette cérémonie ne soit pas abolie je n’en ai cependant point entendu parler dans la ville, on ne là met en usage qu’a la campagne, ou elle produit de bons effets, a ce qu’on m’a assuré, ce qui parait difficile. Les gens riches reçoivent le batême et sont mariés dans leur maisons ; les gens du commun présentent leurs enfants a l’église, mais ce n’est regardé comme nécéssité par aucuns. Leur seule cérémonie religieuse consiste dans leur communion (the Lord’s supper), qui n’est distribué que deux fois l’an, et a laquelle on se préparé par un jeune, le Jeudy avant le dimanche qui l’a précédé : Ce jour la, les boutiques sont fermées, tous les ouvrages sont arrêtés dans la paroisse, et les habitans vont au sermon comme le dimanche, mais ne jeûnent que par l’ésprit, car ils regardent comme une superstition horrible celui de corps. Quoique je n’entende pas trop, de que c’est qu’être a jeun, après avoir bien mangé, il est sur que leur maniere m’accommode fort, et que je préféré de beaucoup jeûner avec eux, qu’avec — certain autres ; c’est la leur seul grand jour de fête, car ils n’en ont aucune autre que le dimanche, et ne célèbrent même pas les fêtes de noël où de paques.

On m’a conté qu’un ministre ayant prononcé a haute voix, suivant l’usage, avant la distribution de la communion, Y a-t-il des fornicateurs parmi vous ! qu’ils s’éloignent — Y a-t-il des joueurs ! qu’ils s’éloignent — Y a-t-il des buveurs ! qu’ils s’éloignent ; — un impie qui ne se trouvait pas la, avec les dispositions qu’il devait y avoir apporté, eut l’ impudence de s’écrier, en s’en allant, il vaudrait autant dire, Let every gentleman be gone[4].

Je ne crois point cette histoire, car a le prendre a la lettre aux deux premiers articles, vu la froideur du climat, et les usages du pays, un très petit nombre seulement se fut retiré, mais aux mots, Y a-t-il des buveurs parmi vous ! quils s’éloignent, il eut été a craindre que l’église ne se fut trouvé vide.

Toutes les différentes séctes Chrétiennes sont tolerées : On en compte plus de vingt dans le Presbyterianisme seulement. Cette multiplicité les fait se surveiller les unes les autres, et est peut-être la cause de la grande rigidité avec laquelle les habitans observent le culte de celle ou ils se trouvent placés. Cependant quoique très attachées a leur forme, toutes les séctes vivent paisiblement entre elles : Il n’y a que les Catholiques, contre lesquels il reste encore quelque peu du levain, que la politique avait fait fermenter dans des temps de trouble, pour avoir une defense de plus contre toute tentative de la maison détrônée ; il m’a semblé, qu’ils sont tout aussi paisibles et bons citoyens que les autres, mais des préjuges de cent cinquante, ou deux cents ans ne se déracinent pas dans un jour ! au surplus toutes les autres séctes sont allez tolérantes les unes envers les autres, pour que les jeunes personnes ne fassent point de difficulté de se marier dans une, différente de la leur, et de suivre la religion de leurs maris, avec autant de zele qu’élles ont suivies célle de leurs parens.

La justice n’est pas distribuée sur le même plan qu’en Angleterre. La Cour de Session semble être une imitation du Parlement de Paris, quoique le nombre des juges soit tres limité. Ils ne sont que quinze, et portent la même robe que les présidents a mortiers des parlements de France. C’est devant cette cour, que sont décidées toutes les affaires qui ont deja subi la décision préliminaire d’un seul des juges dans la grande salle. On ne saurait donner trop d’éloge a l’activité avec laquelle les affaires sont terminées : Cependant leur grand nombre ont souvent fait desirer a quelques uns des juges eux mêmes, d’être separés en deux chambres, et l’un d’eux accablé de la fatigue de son emploi, un jour, dans un moment d’impatience, de ne pouvoir finir comme il le voulait les affaires dont il était chargé, exprima son humeur de cette maniere.


Tis not the art of Politics alone
That in this age has to perfection grown ;
Mechanics claim in these enlightened days
An equal wonder and an equal praise.
They make the flail by hands unguided thrash ;
With greatest ease they spin, they churn, they wash,
Save to the maid the labour of the tub,
And gently press what she was wont to rub ;
Nay, true-it is, though strange I must confess,
They shine in music, and they beat at chefs.
One effort more I trust they will not grudge,
But kindly help us by machines to judge,



Tant bien que mal en voici la traduction.


On a vu de nos jours le fameux Vaucanson
A l’aide des ressorts, d’un berger mécanique
Tirer le plus doux son !
Kemplen dédaignant la musique,
Semble a son Turc, de la réfléxion
Avoir donné l’usage,
Et fait voir au public, plein d’admiration
Phillidor aux échecs battu par un rouage !
Depuis peu la chicane a fait de tels progrès,
Que sans votre secours, mecanistes habiles,
Les juges harrassés vont quitter le palais !
Ne sauriez vous tirer de vos cerveaux fertiles,
Une machine a juger les procès.



Quoiqu’il en soit, le public tache par son réspect de les dedommager de la fatigue qu’ils prennent pour lui. Les juges de la Cour de Session sont tirés de l’ordre des Avocats, qui est fort nombreux, et est généralement composé des propriétaires les plus riches et les plus réspéctables. Les writers, qui representent les procureurs et les notaires, sont aussi composé de propriétaires pour le plus grand nombre.

Le militaire n’est pas autant considéré dans la Grande Bretagne qu’il l’était en France, quoique communément les ainés des principalles familles s’y trouvent ; mais dans les rangs intermédiaires, les parens aiment mieux voir leurs enfants s’occuper d’affaire. On ne parvient a aucun grade sans payer, et les soldats sont engagés pour leur vie.

Quoique l’Angleterre et l’Ecosse soient reunis depuis bien des années, et ne forment qu’une nation, cependant les habitans se rappellent encore qu’ils ont été separés, et ont les uns contre les autres des préjugés égallement faux, du moins aux yeux d’un étranger, mais qu’on est tout aussi mal venu a faire voir dans un pays que dans l’autre. Les deux nations se joignent a présent dans les idées bizarres, qu’elles se sont formées des Français. J’ai entendu une jeune personne dire a sa mere, en parlant de mof, “Oh, maman, il n’est certainement point Français, for he is fat, and not black[5]. Leur diétte est extrêmement simple, et ne consiste gueres que de rôti ou de bouilli ; leurs légumes même sont cuits a l’eau, souvent sans sel. Ils se plaisent plus particulièrement dans les mets qu’ils croyent appartenir a leur pays, comme leur soupe d’orge mondée, qu’ils ont a chaque dîner ; la tête de mouton bouillie, dont la laine a été brûlée sur la peau, &c.

Dans certains cantons les gens du commun ne voudraient pas manger de lievre, ni même du cochon, particulièrement son sang qu’ils jettent communément. Ils entretiennent aussi des préjugés contre certains légumes, comme les haricots verds ou secs, qui sont cependant la principale ressource du pauvre sur le continent, et un mets favori des riches, ils en ont aussi contre les choux fleurs, et quelques autres. Il est singulier comme dans tous les pays les hommes prennent un dégoût pour certaines choses que dans d’autres on trouve éxcéllentes. Les paysans de Bretagne avaient des préjugés violens contre les pommes de terre, qui forment la principale nouriture des habitans de ce pays, et malgré le desir et l’attention des propriétaires a ce sujet, on n’avait encore pu les induire a en faire usage.

On ne fait pas la moindre difficulté de boire dans un verre qui a deja servi a d’autres, et quelquefois meme ou lui fait faire le tour de la table. L’usage des toasts parait allez étrange dans le commencement, et l’on commet bien des bévues avant de repondre juste : Par exemple, quand on vous offre un verre de vin, il est de la derniere impolitésse de le refuser. Il est réputé malhonnête de donner pour toast aucunes des personnes présentes, ou leur parens proches, ce que l’on est toujours tenté de faire. La première toast après le départ des dames est toujours en leur honeur ; en ensuite toutes les fois que le vin passe, chacun s’évertue a en trouver de plaisantes, ou qui éxpriment leur pensées ; comme par exemple, Land of cakes, ce qui veut dire l’Ecosse par excellence, Peace and plenty, The beggar’s bennison, et d’autres allez joviales, qui ont passé en proverbe depuis bien des d’années, quelques fois en raisons d’aventures connues. Ces longues seances paraissent extrêmement fatiguantes a un étranger dans le commencement, mais on s’y fait peu a peu aussi bien qu’a un autre usage, pendant que les bouteilles sont la ronde. — On est pourtant plus longtemps a s’y faire. Les dames cependant, sont autour d’une triste table de thé, et passent leur temps comme elles peuvent, en attendant que les hommes ayent finis de boire, et viennent les joindre, quelques fois un peu gais.

Les richesses que le commerce a répandu générallement dans la nation, dans ces derniers temps, y ont aussi introduit un peu de l’ésprit Hollandais : Il n’y a pas le moindre doute, que c’est a lui, qu’on en est redevable ; mais cependant, il faut des bornes a tout. La loi est très sévere dans la Grande Bretagne pour les partages, l’ainé a toutes les terres, les cadets n’ont de droit qu’au mobilier, a moins qu’ils n’en soit décidé autrement par le testament de leur pere, qui ne peut avoir de valeur que lorsqu’il a été fait soixcente jours avant sa mort. Le fils ainé d’un Lord est seul noble ; ses frères et sœurs n’ont pas droit au partage par la loi, et n’ont pas même la faible consolation d’être noble.

Les éspéces d’or sont très rares en Écosse, le change se fait en papier, et on y est si accoutumé qu’il a plus de crédit que l’or même, dont on se défie par la crainte du manque de poids.

On m’a dit que c’est depuis dix ou douze ans seulement, que les villes ont entre elles ces communications aisées, qui raprochent les distances, celles au sud de l’Ecosse ont toutes des diligences. Il serait a desirer que celles du nord jouissent du même avantage ; il est fâcheux qu’il n’y ait d’autre maniere que la poste, pour arriver sur les côtes de Banff et d’Inverness.

A peine fait il nuit en été au nord de l’Ecosse ; et même a Edinbourg on apperçoit en même temps pendant près de six semaines, le crepuscule et l’aurore.

Il est singulier que, malgre les préjugés que les peuples de l’Europe, et particulièrement ceux de la Grande Bretagne ont contre la France, presque tous les gens aisés employent trois ou quatre ans a apprendre le Français.

Il y a quelques bons peintres a Edinbourg depuis peu d’années ; mais il n’y a de sculpteur que pour les tables de cheminées, et les tombeaux. Les principaux musiciens sont étrangers. Le maitre de danse le plus a la mode, fait ce metier depuis quarante ans. Il donne quelques fois des bals, ou les jeunes personnes aussi bien parées que possible, dansent publiquement, et reçoivent des applaudissements sur leur bonne grâce, dont dans bien des pays (reputés frivoles) les parens ne se soucieraient gueres.

Il n’y a qu’un seul maitre d’armes, et qui encore n’a pas beaucoup de pratique. Il est en même temps écuyer du manège payé par le gouvernement ; et quoiqu’il ait justement gagné l’approbation généralle depuis près de trente ans qu’il fait le metier, il n’est cependant pas suivi comme son talent mériterait de l’être.

Il regne, (en apparence du moins,) une tres grande sévérité de mœurs, ce qui rend peut-être la societé moins animé. Les jeunes personnes possédent presque toutes des talents agréables, sont d’une franchise et d’une gaité charmante ; et rien ne donne envie de se marier, comme la vue du grand nombre de ménages paisibles, qui se trouve dans ce pays. J’ai souvent dit, que l’Ecosse était le paradis des maris ! Cependant ces Meilleurs ne paraissent pas connaître tout leur bonheur, et en jouissent assez froidement.

Il suffit de dire devant témoins, telle personne est ma femme, pour quel que soit son état et son caractere, elle ait droit a être traitée comme telle, et qu’elle ait les loix de son coté. Aussi quand les Anglais veulent faire un mariage impromptu, ils se rendent en hâte sur la frontière d’Ecosse, et au premier village, reçoivent la bénédiction nuptiale d’un certain Maréchal Ferrant très connu pour ces fortes d’éxpéditions. — Il ne parait pas que ce manque de forme dans une affaire qui semblerait n’en jamais trop avoir, ait aucune des conséquences qu’on serait tenté de croire, qu’il dut entraîner. C’est une nouvelle preuve que l’on doit laisser quelque fois la bride un peu lâche a l’homme ; l’opinion produit dans ce pays plus d’éffet pour le maintien et la surété du mariage, que les lois séveres dans d’autres ; comme tout le monde fait quelles pourraient être les conséquences d’un mot imprudent, on se tient davantage sur ses gardes ; cependant, je suis loin de prétendre qu’une telle coutume ne fut éxtrêmement dangereuse dans un pays plus fréquenté, ou l’opinion n’aurait pas la meme force, et ou les passions recevraient de l’ardeur du climat une violence qui, a dire vrai, est presque entièrement inconnue, dans celui ou elle est établie.

En Angleterre la couleur commune des cheveux est blonde, la peau éxtrêmement blanche et sans tache. En Écosse les races semblent avoir été beaucoup plus mêlées ; les cheveux noirs sont très communs ; le peau n’est pas générallement si blanche ; en un mot, ils semblent plutôt Français. Un Anglais est tout aussi aisé a distinguer dans les rues d’Edinbourg que dans celles de Paris. Il y a certains cantons, ou les habitans ont des traits marqués ; les montagnards, par éxemple, ont communément les os des joues très élévés ; ceux du Sutherland sont particulièrement remarquable pour cela, et encore plus pour leur taille extraordinaire, ce qui joint aux traits de leur visage, leur donnent un rapport singulier avec les habitans du Jura en Franche Comté, ou il n’était pas rare de trouver des hommes et des femmes de plus de six pieds.

Si j’eusse publié cet ouvrage dans mon pays ou chez l’étranger, j’y eusse vraisemblablement donné plus d’éloges au peuple dont je parle ; mais je suis chez lui, ils eussent paru suspects ! j’ai donc préféré dire simplement la vérité, et c’est peut-être ce que je pouvais dire de plus flatteur. J’ai aussi craint d’exprimer trop vivement la reconnaissance que je dois aux personnes qui m’ont accueilli. La position dans laquelle je me trouve, aurait donné aux éxpréssions de mes sentimens une apparence de flatterie ; j’ai restraint le desir que j’avais d’en rendre un témoignage public, mais j’ose encore esperer qu’un jour plus heureux luira pour la France, alors je pourrai sans bassessie, reconnaître l’interët qu’on m’a montré, et peut-être meme, avoir le bonheur de faire voir par mes attentions que j’en ai senti tout le prix.


F I N.




ERRATA.

P. 4. l. 23. pour la tout c’est, lisez c’est la tout.

P. 8. l. 11. pour ou perdit, lisez ou il perdit.

P. 19. l. 17. pour le reduissaient quelques escaramouches, lisez le réduiraient a quelques escarmouches.

P. 92. l. 10. pour ou se saissiait, lisez on se sa saisissait

P. 131. l. 9. pour et pourquoi, lisez et pour qui.

P. 209. 1. 11. pour animumque lisez animæque.

  1. Du lait.
  2. Soldats.
  3. Lait des vieillards.
  4. Que tous les gens comme il faut s’en aillent.
  5. Il est gras, et point noir.