Le Parnasse contemporain/1866/Prométhée

Le Parnasse contemporainAlphonse Lemerre [Slatkine Reprints]I. 1866 (p. 16).

PROMÉTHÉE


Quand le Titan roula des voûtes immortelles,
Foudroyé par le bras du Kronide irrité,
Les pleurs ne mouillaient point ses farouches prunelles.
Il se sentait vaincu, mais toujours indompté.

Sous l’ongle du vautour à ses flancs incrusté,
Il amassait en lui les douleurs fraternelles,
Et gardait sur son front, meurtri de grands coups d’ailes,
L’espoir de la vengeance et de la liberté,

Nous subissons encor cet antique supplice.
Mais nous n’attendons plus la trop lente justice :
Héraklès ne vient pas, car il n’est plus de Dieux.

Et nous sentons peser sur notre âme écrasée
Toute une mer de honte, et l’ardente rosée
De l’honneur révolté ruisselle de nos yeux.


JOSÉ MARIA DE HÉRÉDIA.