Projet en l’air (Verlaine)
PROJET EN L’AIR
Il fait bon supinément,
Mi-dormant,
Dans l’aprication douce
D’un déjeuner modéré,
Digéré
Sur un lit d’herbe et de mousse,
Bon songer et bon rêver
Et trouver
Toute fin et tout principe
Dans les flocons onduleux,
Roses, bleus
Et blancs d’une lente pipe.
L’éternel problème ainsi
Éclairci,
Philosopher est de mise
Sur maint objet réclamant
Moindrement
La synthèse et l’analyse…
Je me souviens que j’aimais
À jamais
(Pensais-je à seize ans) la Gloire,
À Thèbes pindariser,
Puis oser
Ronsardiser sur la Loire,
Ou bien être un paladin
Gai, hautain,
Dur aux félons, qui s’avance
Toujours la lance en arrêt !
J’ai regret
À ces bêtises d’enfance…
La femme ? En faut-il encor ?
Ce décor
Trouble un peu le paysage
Simple, petit et surtout
De bon goût
Qu’à la fin prise le sage.
À vingt ans, même à trente ans,
J’eus le temps
De me plaire aux mines gentes,
Et d’écouter les propos
Faux mais beaux,
Sexe alme, que tu nous chantes…
La Politique, ah, j’en fis !
Mon avis ?
Zut et bran ! L’amitié seule
Est restée, avec l’espoir
De me voir
Un jour sauvé de la gueule
De cet ennui sans motif
Par trop vif,
Qui des fois bâille, l’affreuse !
Et de m’endormir, que las !
Dans tes bras,
Éternité bienheureuse.
Tire-lire et chante-clair !
Voix de l’air
Et des fermes, cette aurore
Que la Mort nous révéla,
Dites-la
Si douce d’un los sonore !