Projet de restauration de Notre-Dame de Paris/Quatrième Partie

Quatrième Partie.
Sacristie.


La démolition de l’Archevêché, en supprimant toutes les dépendances de l’ancienne sacristie de Notre-Dame, a rendu indispensable la construction d’un nouveau bâtiment destiné à cet usage. Plusieurs projets ont déjà été présentés à l’administration des cultes. La première difficulté qui se rencontrait pour l’exécution de ces différens projets provenait de l’emplacement à choisir.

Devait-on conserver le local actuel ? devait-on élever la nouvelle sacristie derrière l’abside ou la comprendre dans l’intérieur de Notre-Dame, soit en occupant plusieurs chapelles, soit en modifiant quelque partie du plan de l’église.

L’emplacement situé derrière l’abside aurait l’inconvénient de masquer l’un des points les plus beaux de l’église métropolitaine, et éloignerait d’ailleurs les bâtimens de la sacristie du chœur, tellement que le service serait toujours très difficile et deviendrait même impossible les jours de fêtes, lorsque les bas-côtés sont remplis de monde.

Placer la sacristie dans l’intérieur même de Notre-Dame, ce serait admettre que le plan de la basilique peut être modifié, et nous avons, cet égard, repoussé toute idée de changement de l’ensemble ou des détails de l’édifice.

Quant à nous, nous avions déjà manifesté notre opinion à cet égard dans le projet d’archevêché que nous avons eu l’honneur de soumettre à Votre Excellence, en janvier 1842. À cette époque, comme aujourd’hui, nous avons cru devoir nous en tenir à l’emplacement actuel comme le seul possible.

En agissant ainsi, nous nous sommes appuyés sur les dispositions analogues des sacristies de Chartres, de la Sainte-Chapelle de Paris[1], de celle de Vincennes, et de tant d’autres, toujours placées sur le flanc du monument principal. Évidemment, ce parti est le seul qui soit réellement dans le caractère de l’architecture gothique. On a quelquefois parlé de déguiser, de masquer, autant que possible, cette annexe indispensable, tout cela pour éviter de nuire à la symétrie du monument ; mais cette idée est tout-à-fait contraire à celle des architectes gothiques, qui se sont toujours gardés de dissimuler un besoin. C’est même grâce à cette liberté dans la composition de leurs plans que ces artistes nous ont transmis des édifices aussi remarquables par la variété motivée de leurs constructions que par la beauté de leurs détails.

Au reste, la disposition que nous proposons est celle qui a existé de tout temps : et, pour construire la sacristie actuelle, Soufflot a démoli, de ce côté, un passage qui communiquait avec l’ancienne sacristie de la métropole, et tenait alors à l’évêché. La gravure que nous avons fait exécuter, d’après une ancienne tapisserie du XVe siècle, en donne la preuve, ainsi que plusieurs gravures d’Israël Sylvestre.

Le projet que nous avons aujourd’hui l’honneur de vous soumettre, Monsieur le Ministre, n’est donc que l’étude en grand de la disposition prise par nous dans notre projet d’archevêché. Nous avons choisi l’emplacement actuel consacré par un long usage, parce qu’il est le plus à proximité du chœur, et parce qu’il permet d’isoler ce bâtiment de l’église, dont il ne masque qu’une faible partie, et sur un point qui, d’ailleurs, l’a toujours été.

Ce parti présente encore l’avantage de n’apporter aucun changement dans la disposition générale du plan de Notre-Dame.

Le choix de l’emplacement une fois arrêté, il nous restait encore à résoudre la question du style à adopter pour cette annexe, si peu importante relativement à l’ensemble de la cathédrale. Nous l’avouons, Monsieur le Ministre, il ne nous a pas semblé possible d’hésiter un instant ; car nous avons la conviction qu’il fallait rester en harmonie avec cette partie du monument.

Il est évident que si l’on abandonne l’imitation de l’architecture de Notre-Dame pour édifier une sacristie dans le style de notre époque, autant vaut peut-être conserver celle de Soufflot en la complétant.

Les formes de cette architecture ne sont certainement pas plus en désaccord avec le monument que celles en usage aujourd’hui. Dans l’un et l’autre cas, il est positif que ce serait là une tache sur le flanc de Notre-Dame. Nous avons cru devoir considérer la sacristie comme partie inhérente au monument, et, par conséquent, nous ne pouvions que nous efforcer d’en imiter le style.

Du reste, Monsieur le Ministre, nous avons fait tous nos efforts pour satisfaire aux données du programme que vous avez bien voulu nous adresser. Nous avons établi au rez-de-chaussée tous les services journaliers de plein-pied avec le sol de l’église. Un grand vestibule et le petit passage couvert permettraient aux processions de prendre leur ordre avant d’entrer dans le chœur. Les latrines sont disposées le plus en dehors possible du bâtiment, de manière à éviter la mauvaise odeur. Une porte de service est réservée pour l’entrée directe du vin dans la cave et pour la vidange de la fosse. Un large soupirail, donnant dans la petite cour, du côté de l’ouest, permet l’introduction du bois et du charbon qui seront nécessaires pour chauffer le calorifère établi dans une des caves ; enfin, l’escalier présente une communication facile du grand vestibule à la salle capitulaire, qui, par son étendue, pourra, dans certaines occasions solennelles, recevoir un grand concours de monde : elle servira de bibliothèque et de lieu de réunion pour le chapitre.

Il nous reste, Monsieur le Ministre, à vous faire part des motifs qui nous ont déterminés dans le choix des échelles adoptées pour l’exécution des dessins. Nous avons pensé que l’échelle d’un centimètre pour un mètre était celle qui convenait le mieux aux ensembles, d’abord parce qu’elle est imposée par l’administration, puis parce qu’elle nous permettait de saisir plus facilement l’aspect général de notre restauration. Une échelle plus grande n’aurait pu l’être assez pour faire voir dans les dessins de façades toutes les délicatesses de la construction et de la forme, sous peine d’avoir des feuilles d’une dimension démesurée et difficiles à embrasser d’un seul coup d’œil. Mais aussi, pour les détails, nous avons choisi une échelle beaucoup plus grande, c’est-à-dire de quatre centimètres pour un mètre, ce qui nous a permis d’indiquer d’une manière précise toutes les formes de l’architecture et de l’ornementation des points importans que nous proposons de restaurer.

Quant à la dépense qu’entraînera l’exécution des travaux nécessaires pour la restauration complète de Notre-Dame et la construction d’une sacristie neuve, nous avons cru devoir la prévoir aussi largement et aussi complètement que possible ; mais nous avons disposé nos devis de façon à ce qu’il soit très facile d’établir toutes les coupures et divisions que Votre Excellence pourra juger convenables pour fractionner le travail.

Nous avons l’honneur d’être, avec le plus profond respect,

Monsieur le Ministre,
De Votre Excellence,
Les très humbles et très obéissans serviteurs,

LASSUS, VIOLLET-LEDUC.


  1. Voir le fac-simile d’un ancien dessin représentant la sainte chapelle avec la sacristie, détruite sous Louis XVI.