Progrès et Pauvreté/Conclusion

Traduction par P. L. Le Monnier.
Guillaumin et Cie (p. 526-536).

CONCLUSION

On ne trouve dans la vie des nations aucune trace
Du soleil prédit il y a si longtemps ;
Le canon parle à la place du maître,
Le siècle est dégouté de travail et d’or,
Et les espérances plus élevées s’évanouissent, et les souvenirs s’effacent ;
Dans les foyers et sur les autels les feux sont éteints ;
Mais cette foi vigoureuse n’a pas vécu en vain,
Et c’est tout ce que nous dit notre observateur.

Frances BROWN.

LE PROBLÈME DE LA VIE INDIVIDUELLE

Ma tâche est achevée.

Et cependant la pensée monte plus haut encore. Les problèmes que nous avons étudiés nous conduisent à un problème plus élevé et plus profond. Derrière les problèmes de la vie sociale, il y a le problème de la vie individuelle. Je trouve impossible de penser aux uns sans penser à l’autre, et je crois qu’il en sera de même pour tous ceux qui, lisant mon livre, ont suivi ma pensée. Car, ainsi que l’a dit Guizot, « quand l’histoire de la civilisation est complète, quand il n’y a plus rien à dire sur notre existence présente, l’homme se demande inévitablement si tout est épuisé, s’il a atteint la fin de toutes choses. »

Ce problème, je ne puis le discuter en ce moment. J’en parle seulement parce que la pensée qui, pendant que j’écrivais ce livre, s’est imposée à moi peut également s’imposer à ceux qui le liront ; car, quelque soit son destin, il sera lu par quelques hommes qui, au fond de leurs cours ont pris la croix de la nouvelle croisade. Cette pensée leur viendra sans que je la leur suggère, mais nous sommes plus sûrs que nous voyons une étoile quand nous savons que d’autres la voient aussi.

La vérité que j’ai essayé de montrer clairement, ne sera pas facilement acceptée. Sans cela elle l’aurait été il y a longtemps. Sans cela elle n’aurait jamais été voilée. Mais elle trouvera des amis parmi ceux qui travailleront, qui souffriront pour elle, et même, si cela est nécessaire, qui mourront pour elle. Tel est le pouvoir de la vérité.

Prévaudra-t-elle à la fin ? En dernier lieu, oui. Mais de notre temps, ou dans un temps où l’on gardera encore quelque souvenir de nous, qui peut le dire ?

Pour l’homme qui, voyant le besoin et la misère, l’ignorance et l’abrutissement causés par des institutions sociales injustes, s’emploie lui-même, avec toute la force dont il est capable, à vouloir les redresser, il n’y a que désappointement et amertume. Il en a été ainsi dans l’ancien temps. Il en est de même aujourd’hui. Mais la pensée la plus amère qui vient quelquefois même au meilleur et au plus brave, c’est celle de l’inutilité de l’effort, et du sacrifice. Il est donné à bien peu de voir croître la semence jetée, ou même de savoir avec certitude qu’elle croîtra.

Ne déguisons rien. Bien des fois déjà on a levé dans le monde l’étendard de la Vérité et de la Justice. Bien des fois il a été foulé aux pieds dans le sang répandu pour lui. Si les forces opposées à la Vérité étaient faibles, comment l’Erreur aurait elle si longtemps prévalu ? Si la Justice n’avait qu’à lever la main pour faire fuir l’injustice, comment les plaintes des opprimés se font-elles toujours entendre ?

Mais pour ceux qui voient la Vérité et voudraient la suivre ; pour ceux qui reconnaissent la Justice et voudraient combattre pour elle, le succès n’est pas tout. Le succès ! Mais la Fausseté et l’Injustice le donnent souvent. La Vérité et la Justice n’ont-elles donc pas à donner quelque chose étant leur propriété de droit — leur appartenant par essence et non par accident ?

Elles ont ce quelque chose et quiconque a connu leur exaltation le sait bien. Mais parfois les nuages descendent. C’est une triste lecture que celle des vies des hommes qui ont fait quelque chose pour leurs semblables. À Socrate ils ont donné la ciguë ; ils ont tué Gracchus à coups de bâton et de pierres ; ils ont crucifié le plus grand et le plus pur de tous. Et ceux — là sont les grands martyrs. Aujourd’hui les prisons russes sont pleines, et de longues processions d’hommes et de femmes qui, sans leur ardent patriotisme, auraient pu vivre dans l’aisance et le luxe, se dirigent vers la Sibérie où ils seront des morts vivants. Et combien, dans la pénurie et le besoin, dans l’abandon et le mépris, sans même connaître la sympathie ou la pitié qui leur auraient été si douces, combien sont morts, martyrs inconnus, dans tous les pays ! Nous pouvons nous en rendre compte par nos propres yeux.

Mais voyons-nous tout ?

En écrivant mes yeux sont tombés sur un journal où était ra contée brièvement, d’après un document semi-officiel, l’exécution de trois nihilistes à Kieff – un sujet prussien Brandtner, un inconnu se donnant le nom d’Antonoff, et un noble appelé Ossinsky. Au pied du gibet on leur permit de s’embrasser. « Alors l’exécuteur coupa la corde, les médecins déclarèrent que les victimes étaient mortes, les corps furent enterrés au pied de l’échafaud, et les nihilistes furent abandonnés à l’éternel oubli. » C’est ainsi que finissait le récit.

Je ne le crois pas. Non ; pas à l’oubli !

J’ai suivi dans cette enquête la marche de ma propre pensée. Quand je la commençai dans mon esprit, je n’avais aucune théorie à prouver, aucune conclusion à présenter. J’avais seulement compris l’étendue de la misère d’une grande ville, ce spectacle m’attirait, me tourmentait ; il ne me laissa de repos que lorsque je me mis à étudier quelles étaient les causes de la misère, comment on pourrait la guérir.

De cette enquête est sorti pour moi quelque chose que je ne pensais pas y trouver, la renaissance d’une foi perdue.

L’espérance d’une vie future est naturelle et profonde. Elle se développe avec le développement intellectuel, et personne ne l’a peut être mieux ressentie que ceux qui les premiers virent combien l’univers était grand, combien étaient vastes les horizons que chaque progrès de la science ouvrent devant nous horizons ne demandant rien moins, pour être explorés, que l’éternité. Mais dans l’atmosphère mentale de notre époque, pour grande majorité des hommes qui ne se soumettent plus à de simples croyances, il semble impossible de considérer ces espérances autrement que comme un espoir vain et enfantin, né de l’égoïsme de l’homme, qui n’a aucun fondement, aucune garantie, qui est même en contradiction avec les données de la science positive.

Et quand nous arrivons à analyser et à chercher les idées qui ont ainsi détruit l’espoir d’une vie future, nous trouvons qu’elles ont leur source non dans les révélations de la science physique, mais dans certains enseignements de la science politique et sociale, enseignements qui ont eu dans toutes les directions une profonde influence. Elles ont leurs racines dans ces doctrines : il y a une tendance à la production exagérée des êtres humains par rapport aux moyens de subsistance ; le vice et la misère sont les résultats des lois naturelles, et les moyens par lesquels se fait le progrès ; le progrès humain est le résultat d’un lent développement de la race. Ces théories, qui ont été généralement acceptées comme des vérités prouvées, font ce que la science physique ne fait pas, elles réduisent l’individu à un rôle insignifiant ; elles détruisent l’idée qu’il pourrait y avoir dans l’ordonnance de l’univers une certaine considération pour son existence, ou une reconnaissance quelconque de ce que nous appelons les qualités morales.

Il est difficile de concilier l’idée de l’immortalité de l’homme avec l’idée que la nature prodigue les vies humaines, et appelle constamment à la vie des êtres alors qu’il n’y a pas de place pour eux sur la terre. Il est impossible de concilier l’idée d’un Créateur intelligent et bon avec la croyance que la misère et la dégradation qui sont le lot d’une si grande partie de la race humaine, résultent de ses lois ; tandis que l’idée que l’homme, mentalement et physiquement, est le résultat de lentes modifications perpétuées par l’hérédité, suggère d’une manière irrésistible l’idée que c’est la vie de la race et non la vie de l’individu, qui est l’objet de l’existence humaine. Et c’est ainsi que s’est évanouie pour beaucoup de nous, et que s’évanouit encore pour un plus grand nombre, cette croyance qui, dans les batailles et les malheurs de la vie, offre le plus grand appui, la consolation la plus profonde.

Dans l’enquête que nous venons de faire, nous avons justement rencontré ces doctrines et nous avons découvert leur erreur. Nous avons vu que la population ne tend pas à augmenter plus vite que les moyens de subsistance ; nous avons vu que la dépense inutile des forces de l’homme, que le luxe de souffrances d’une vie humaine, ne sont pas imposés par des lois naturelles, mais viennent de l’ignorance et de l’égoïsme des hommes qui refusent de se conformer aux lois naturelles ; nous avons vu que le progrès humain ne se fait pas par une altération de la nature des hommes ; mais qu’au contraire, généralement parlant, il semble que cette nature soit toujours la même.

Le cauchemar qui banissait du monde moderne la croyance en une vie future se trouve ainsi détruit. Ce n’est pas que toutes les difficultés disparaissent en même temps — car de quelque côté que nous nous tournions, nous arrivons toujours à ce que nous ne pouvons pas comprendre ; mais les difficultés qui semblaient concluantes et insurmontables sont détruites. Et l’espoir renaît.

Mais ce n’est pas tout.

On a dit que l’économie politique était une science sinistre ; en effet, telle qu’on l’enseigne couramment, c’est une science désespérée et désespérante. Mais, comme nous l’avons déjà vu, ce n’est ainsi que parce qu’elle a été abaissée et enchaînée, que ses vérités ont été désunies, qu’on a méconnu ses harmonies, que le mot qu’elle devait prononcer a été retiré, et que ses protestations contre l’injustice se sont changées en proclamations d’injustice. Dégagez-là, comme j’ai essayé de le faire, de ses entraves, et l’économie politique, dans sa propre symétrie, sera rayonnante d’espérance.

Car, convenablement comprises, les lois qui gouvernent la production et la distribution de la richesse montrent que le besoin et l’injustice que renferme l’état social actuel, ne sont pas nécessaires ; mais au contraire, qu’un état social où la pauvreté serait inconnue, et où toutes les bonnes qualités et les facultés élevées de l’homme auraient l’occasion de se développer complètement, est parfaitement possible.

De plus, quand nous voyons que le développement social n’est gouverné ni par une Providence spéciale ni par un destin sans pitié, mais par une loi à la fois immuable et bienfaisante, quand nous voyons que la volonté humaine est un facteur important, et que les hommes, dans leur ensemble, font leur condition, quand nous voyons que la loi économique et la loi morale sont une en essence, et que la vérité que saisit l’intellect après un pénible effort n’est que la vérité que le sens moral découvre rapidement par intuition, un flot de lumière’se répand sur le problème de la vie individuelle. Ces vies de millions innombrables d’hommes semblables à nous, qui ont passé et passent encore sur notre terre, avec leurs joies et leurs chagrins, leurs travaux et leurs luttes, leurs aspirations et leurs craintes, leurs fortes perceptions des choses, leurs sentiments communs qui forment la base des croyances les plus diverses ces petites vies ne nous semblent plus autant une dépense vaine et dépourvue de signification.

Le grand fait que prouve la science dans toutes ses branches, c’est l’universalité de la loi. Partout où il peut l’étudier, que ce soit dans la chute d’une pomme ou dans la révolution des soleils binaires, l’astronome constate l’œuvre de la même loi, qui opère dans les plus petites divisions de l’espace que nous puissions observer, comme dans les distances incommensurables que sa science l’habitue à concevoir. De ce qui est au delà de son télescope, sort un corps mouvant qui bientôt disparaît. L’astronome ignore la loi de ce corps. Se dira-t-il qu’elle est une exception ? Non, bien au contraire, il se dira qu’il n’a vu qu’une partie de son orbite ; qu’au delà de la portée de son télescope, la loi agit comme à sa portée. Il fait ses calculs, et l’événement prouve leur excellence, bien des siècles plus tard. Si nous retraçons les lois qui gouvernent la vie humaine dans la société, nous trouvons qu’elles sont toujours les mêmes, dans la plus grande comme dans la plus petite des communautés. Nous trouvons que ce qui nous semble, à première vue, être des divergences et des exceptions, ne sont que les manifestations diverses des mêmes principes. Et nous voyons que partout où nous pouvons l’étudier, la loi sociale se conforme à la loi morale, se confond avec elle ; que dans la vie d’une communauté la justice porte infailliblement en elle sa récompense et l’injustice sa punition. Nous ne voyons pas cela dans la vie individuelle. Si nous considérons seulement la vie individuelle, nous ne pouvons voir que les lois de l’univers aient le plus petit rapport avec le bon ou le mauvais, le juste ou l’injuste[1]. Dirons nous donc que la loi qui est manifeste dans la vie sociale n’est pas vraie pour la vie individuelle ? Cette assertion ne serait pas scientifique. Nous n’en dirions pas autant de n’importe quelle autre chose. Ne devrions-nous pas plutôt dire que cela prouve simplement que nous ne voyons pas l’ensemble de la vie individuelle ?

Les lois de l’économie politique, comme les faits et rapports de la nature physique, s’harmonisent avec ce qui semble être la loi du développement mental — un progrès non pas nécessaire et involontaire, mais un progrès dans lequel la volonté humaine joue le rôle de force initiale. Mais dans la vie, telle que nous la connaissons, le développement mental ne peut pas aller bien loin. L’esprit commence à peine à s’éveiller alors que les forces physiques commencent à décliner, il ne devient imparfaitement conscient du vaste champ qui s’ouvre devant lui, ne commence à apprendre à appliquer sa force, à reconnaître les relations entre les choses, à étendre ses sympathies, que lors qu’il disparaît, avec la mort du corps. À moins qu’il n’y ait la quelque chose de plus, il semble que ce soit un défaut de construction, un insuccès. Qu’il s’agisse d’un Humbolt ou d’un Herschel, d’un Moïse ou d’un Josué, ou d’une de ces âmes patientes et douces qui dans un cercle étroit mènent une vie radieuse, il semble, que si l’intelligence et le caractère ici-bas développés ne peuvent continuer à progresser plus loin, la vie est une chose sans but, incompatible avec ce que nous pouvons voir de la séquence ininterrompue de l’univers.

Par une loi fondamentale de notre intelligence — loi sur laquelle, en réalité, l’économie politique appuie toutes ses déductions nous ne pouvons concevoir un moyen sans une fin ; un mécanisme sans objet. Le soutien et l’emploi de l’intelligence qui est en l’homme fournit ce but et cet objet à toute la nature, à la partie du moins avec laquelle nous sommes en contact en ce monde. Mais à moins que l’homme lui-même puisse s’élever jusqu’à quelque chose de plus élevé, son existence est inintelligible. La nécessité métaphysique est si forte que ceux qui refusent à l’individu quelque chose de plus que cette vie, sont forcés de transférer l’idée de perfectibilité à la race. Mais ainsi que nous l’avons vu (et l’argumentation aurait pu être plus complète), rien ne peut prouver une amélioration sensible de la race. Le progrès humain n’est pas l’amélioration de la nature humaine.

Les progrès qui constituent la civilisation ne sont pas fixés dans la constitution de l’homme, mais dans la constitution de la société. Ils ne sont donc ni fixes ni permanents, ils peuvent se perdre, ils tendent même constamment à se perdre. Bien plus, si la vie humaine ne continue pas au delà de ce que nous voyons ici-bas, nous nous trouvons, par rapport à la race, en face de la même difficulté que pour l’individu. Car il est certain que la race doit mourir, comme il est certain que l’individu doit mourir. Nous savons qu’il y a eu des conditions géologiques dans lesquelles la vie humaine était impossible sur la terre. Nous savons qu’elles doivent se reproduire. Même maintenant, la terre tournant sur son orbite déterminé, son bonnet de glace s’épaissit au nord, et le temps approche graduellement, où ses glaciers s’étendront à nouveau, où les mers australes monteront vers le nord, ensevelissant les centres actuels de civilisation au fond des océans, comme sont peut-être aujourd’hui ensevelies des civilisations aussi développées que la nôtre. Et au delà de ces périodes, la science aperçoit une terre morte, un soleil éteint, une époque où le système solaire, après bien des chocs, se résoudra en une forme gazeuse pour commencer à nouveau des changements incommensurables.

Quelle est donc la signification de la vie, de la vie absolument et inévitablement limitée par la mort ? Elle ne me semble intelligible que considérée comme l’avenue, le vestibule d’une autre vie. Et les faits qui la remplissent ne sont explicables, à mon avis, que par une théorie ne pouvant être exprimée qu’avec des mythes et des symboles, et qu’expriment sous une forme quelconque les mythes et les symboles dans lesquels les hommes de tous les temps ont essayé de peindre leurs perceptions les plus profondes.

Les écrits des hommes qui ont existé et sont morts — la Bible, le Zend Avestas, les Vedas, les Dhammapadas, le Koran ; les doctrines ésotériques des vieilles philosophies, les théories cachées sous une enveloppe religieuse grossière, les dogmes des Conciles œcuméniques, les prédications des hommes comme Foxe, Wesley, Savonarole, les traditions des Indiens rouges, et les croyances des sauvages noirs, ont un centre, un cour commun ; quelque chose comme l’interprétation diverse et altérée d’une vérité primaire. Et de la chaîne de raisonnements que nous avons suivie, semble vaguement sortir une lueur de ce qu’ont vaguement vu tous ces hommes, lueur incertaine indiquant des relations suprêmes, tentative d’explication tombant fatalement dans le symbole et l’allégorie : un jardin dans lequel se trouvent les arbres du bien et du mal ; une vigne où il y a à faire le travail du maître : un passage de la vie de derrière à la vie d’au dela : une épreuve et une lutte dont nous ne pouvons voir la fin.

Regardez autour de vous, aujourd’hui.

Ici, encore dans notre société civilisée, les vieilles allégories ont une signification, les vieux mythes se rouvent vrais. Le sentier du devoir conduit encore souvent dans la vallée de la mort, chrétien et fidèle marchent à travers les rues de la foire aux vanités, et sur l’armure de Grand — cœur retentissent des coups nombreux. Ormuzd combat toujours contre Ahriman le Prince de la Lumière contre les Puissances des Ténèbres. Les clairons appellent encore au combat ceux qui veulent les entendre.

Comme ils sonnent, comme ils appellent, jusqu’à ce que les cœurs qui les écoutent s’enflamment ! Le monde a besoin d’âmes fortes et entreprenantes. La beauté est encore dans les fers, et des roues de fer écrasent le bien, le vrai et le beau qui pourraient sortir des vies humaines.

Il viendra un temps, en un lieu quelconque, où ceux qui combattent avec Ormuzd, bien qu’ils ne se connaissent pas les uns les autres, seront appelés et passés en revue.

Bien que la Vérité et le Droit semblent souvent vaincus, nous ne pouvons l’affirmer parce que nous ne voyons pas l’ensemble complet des choses. Comment pourrions — nous tout voir ? Nous ne pouvons même pas connaître tout ce qui passe ici-bas. Les vibrations de la matière qui nous donnent les sensations de lumière et de couleur, ne sont plus distinctes pour nous quand elles dépassent un certain point. Nous n’avons connaissance des sons que lorsqu’ils appartiennent à une échelle très limitée. Les animaux eux-mêmes ont des sens que nous n’avons pas. Comparée au système solaire, notre terre n’est qu’un point imperceptible ; et le système solaire lui-même, n’est plus rien en face des profondeurs étoilées. Dirons-nous que ce qui passe devant nos yeux et disparaît, passe dans l’oubli ? Non, pas dans l’oubli. Au delà de la portée de notre vue, les lois éternelles doivent conserver leur empire.

L’espoir qui naît au cœur de toutes les religions ! Les poètes l’ont chanté, sa vérité fait palpiter le cœur de chaque homme. Voilà, suivant Plutarque, ce qu’ont dit dans tous les temps et dans toutes les langues, les hommes au cœur pur, et à la vue perçante, qui, se trouvant sur les sommets de la pensée et regardant l’océan sombre, ont entrevu la terre, au loin :

Les âmes des hommes, environnées ici-bas de corps et de passions, n’ont de communication avec Dieu que par la conception qu’elles peuvent atteindre par le moyen de la philosophie seulement, comme dans une espèce de rêve obscur. Mais quand elles sont délivrées de leur corps, et emportées dans la région inconnue, invisible, et pure, ce Dieu est alors leur chef et leur roi ; là elles dépendent entièrement de lui, le contemplent sans fatigue, elles aiment passionnément cette beauté qui ne peut être exprimée par les hommes.

FIN.
  1. Ne trompons point nos enfants. Et cela simplement pour la raison donnée par Platon, que lorsqu’il viennent à écarter ce que nous leur avons dit comme une fable pieuse, ils peuvent aussi mettre de côté ce que nous avons dit comme la vérité. Les vertus qui ont rapport à soi-même amènent généralement leur récompense. Un marchand ou un voleur, s’il est sobre, prudent, fidèle dans ses promesses, sera mieux ses affaires ; mais pour les vertus qui n’ont pas rapport à soi-même :

    « Cela semble une histoire du monde des esprits,
    Quand quelqu’un obtient ce qu’il mérite,
    « Ou mérite ce qu’il obtient. »