Procès verbaux des séances de la Société littéraire et scientifique de Castres/3/6

VI.

Séance du 11 Février 1859.


Présidence de M. A. COMBES.

M. V. CANET rend compte de plusieurs livraisons de l’Art en province, Revue du centre, adressées à la Société.

Il se manifeste dans la province un mouvement qui doit être signalé, parce qu’il semble préparer pour elle une époque de vie réelle et de progrès actif. On comprend enfin que les travaux de l’esprit peuvent éclore en tout lieu ; que les œuvres d’imagination et les études d’art, les recherches historiques et les découvertes de toute sorte, ont leur droit de cité partout où il y a du travail et de la volonté : on voit surtout que Paris, quoiqu’il ait la plus belle part, est impuissant à tout absorber, et que, soit par la pente naturelle des choses, soit parce qu’ils résistent à l’entraînement général, des esprits en grand nombre, tiennent à répandre autour d’eux, dans le milieu où ils vivent, ce qu’ils peuvent recueillir de documents, ce qu’ils peuvent produire par leur propre force.

C’est ainsi que se réalisera cette décentralisation intellectuelle à laquelle tant de nobles intelligences ont aspiré : c’est ainsi qu’elle se traduira peu à peu, par des effets successifs, par des exemples isolés, jusqu’à ce qu’elle se manifeste comme un grand fait accompli. Certainement, Paris aura toujours un avantage, par les ressources de toute nature qu’il offrira : sans doute, les études générales trouveront seulement dans ses collections et ses bibliothèques, les documents ou les témoignages dont elles ont besoin : mais combien de travaux ont leur place naturelle et leur succès marqué dans la province ! Où peut-on mieux raconter une histoire, poindre une époque, faire revivre un monument, parler d’un chef-d’œuvre, que sur les lieux-mêmes où la vérité est prise sur le fait, avec les caractères qui la constituent, avec la physionomie qui lui est propre ?

Depuis que l’on est d’accord pour ne pas se contenter d’à peu près, pour aller au fond même des choses, une voie s’ouvre naturellement devant l’activité intellectuelle de la province. C’est à elle de profiter de ses avantages, de les revendiquer très-haut, et de montrer qu’elle est capable d’en tirer parti. Les études d’art, les recherches archéologiques ont fait de grands progrès. Des monographies importantes ont été publiées, des fragments d’histoire ont surgi sur tous les points, et comme ils ont été écrits en général, en dehors de tout système préconçu, à l’abri de tout intérêt étroit de parti ou de passion, comme ils se composent de faits comparés et éclaircis, ils peuvent prendre leur place parmi les documents que les historiens consultent et qu’ils citent. Mais il n’est pas toujours donné à des hommes isolés de réunir tout ce qu’il faut, pour donner à ces travaux une utilité réelle, et une autorité imposante : des associations passagères ou des institutions fortement établies, permettent de joindre à l’activité individuelle ce caractère plus puissant qui résulte d’une communauté de vues et d’une concentration d’efforts.

C’est ce qui explique l’importance de certaines publications collectives ; c’est ce qui donne à l’Art en province une influence qui doit s’exercer sur un rayon assez étendu. Fondée en 1836, interrompue en 1851, reprise en 1857 par sa fusion avec la Revue du centre, cette publication a fourni déjà une assez longue carrière, pour que l’on soit sûr qu’elle répond à un besoin véritable, et qu’elle a en elle-même cette vie qui résulte d’une volonté forte. Son programme est assez étendu pour donner place à un grand nombre de productions, fournir à tous les genres d’activité une occasion de se produire, et permettre de recueillir tous les avantages d’une variété constante. Vers et prose, études d’archéologie, et fragments historiques, souvenirs du paganisme et recherches sur toutes les périodes de l’art chrétien, biographies locales et esquisses étrangères, œuvres d’art contemporaines et critique littéraire, dessins et reproductions de toute sorte, n’est-ce pas assez pour donner de l’intérêt à une publication nouvelle, et lui assurer cette sympathie dont on a besoin pour maintenir l’esprit et le cœur dans ces dispositions qui éloignent d’eux l’incertitude et le découragement ? Voilà ce qu’a été l’Art en province ; voilà ce qu’il a offert à ses lecteurs. Qu’il se borne à son titre, qu’il reste la Revue du centre, car pour être vraiment puissants, les efforts doivent être bornés, et nous aimons à lui prédire un avenir bienfaisant. Faire connaître et faire aimer son pays, c’est un beau rôle. Savoir se contenter de cette gloire modeste qui consiste à recueillir tout ce qui risquait de disparaître, c’est donner peut-être un bien faible aliment à l’amour-propre, c’est se ménager assurément la plus douce des satisfactions et accomplir une mission moralisatrice. Qu’on ne l’oublie pas ; ceux qui se dévouent à leur pays, quelque pauvre qu’il soit en souvenirs historiques ou en œuvres d’art, luttent contre cette tendance au déplacement, qui est trop souvent le signe d’un malaise intérieur, et presque toujours le principe de redoutables désillusions. Or, rattacher les hommes à leur pays en le leur faisant connaître, c’est leur inspirer le désir d’avoir eux-mêmes les vertus qu’ils ont trouvées chez leurs devanciers. On demandait un jour à un philosophe des plus renommés de l’Inde comment il avait acquis cette haute sagesse qui lui valait tant d’hommages ; il répondit : « J’ai respecté ceux qui sont venus avant moi dans le pays où s’est écoulée mon existence, et je ne les ai pas adorés. » Faire connaître les hommes et les choses, sans faveur et sans passion, discerner le vrai du faux, laisser les vaines gloires s’éteindre dans leur prestige détruit, maintenir les gloires véritables, relever celles qui ont été méconnues, donner leur place aux œuvres et aux monuments, parce qu’ils sont des manifestations des volontés, des vertus ou des vices, de la médiocrité, ou du génie, voilà un moyen sûr d’acquérir de la sagesse pour soi, voilà le moyen de la communiquer aux autres. Ce rôle, bien des institutions, bien des hommes, bien des publications l’accomplissent modestement dans toutes les parties de la France. L’Art en province le poursuit dans plusieurs départements du centre, et voilà pourquoi il est permis de le saluer et de le signaler comme une de ces œuvres que l’on voudrait voir se multiplier dans la province et auxquelles on souhaite la vie et le succès.


M. CALVET, docteur en médecine, adresse à la Société le tableau des observations atmosphériques qu’il a faites depuis le 20 janvier. Il se propose de les continuer régulièrement.

Ces observations ne se bornent pas à l’indication du baromètre, du thermomètre, de l’hygromètre, de la direction des vents, et de l’état du ciel. M. Calvet a voulu porter son attention sur certains phénomènes dont l’existence paraît à plusieurs savants ne pas pouvoir être contestée, tandis que d’autres la considèrent comme fort problématique. Ces phénomènes, il n’est pas permis d’en douter, existent : mais sont-ils dûs à une cause connue, ou bien révèlent-ils la présence dans l’atmosphère, d’un principe jusqu’à ce jour ignoré ? Là est la question. Elle est assez importante pour que, de tout côté, les renseignements arrivent, et que les observations faites sur des points différents, permettent d’établir une moyenne, qui puisse servir de terme de comparaison, pour arriver à la constatation positive de l’influence de cette cause, et à la découverte de la manière dont elle se produit.

M. Schœnbein, conservateur du muséum de Bâle, a le premier, attiré en 1839, l’attention des savants sur l’existence d’un corps qui jusqu’à ce moment, avait passé inaperçu. Il fut conduit à ce résultat par l’examen de l’odeur qui se dégage lorsque, au moyen de la pile, on décompose l’eau. Il fit part à M. Arago de ses expériences, et lui signala la relation qu’il avait cru remarquer entre ce phénomène et celui qui se produit lorsque l’électricité passe des pointes d’un conducteur dans l’air. Il conclut que ce principe odorant est un corps simple, du genre du chlore et du brome, et propose de lui donner le nom d’ozone.

Van Marum, à la fin du xviiie siècle, avait signalé cette odeur particulière, mais il n’était pas allé plus loin. Les observations de M. Schœnbein attirèrent l’attention sur ce corps qui fut l’objet d’expériences répétées, et dont la nature fut vivement discutée. En 1852, MM. Frémy et Ed. Becquerel sont arrivés à établir que l’ozone n’est pas autre chose que l’oxigène électrisé. Ils ont constaté que son pouvoir oxidant est très-puissant, et qu’il décompose à froid l’iodure de potassium. Cette décomposition ne peut avoir lieu ni par l’oxigène, ni par l’électricité agissant séparément.

Jusqu’à cette époque, l’ozone n’avait guère été étudié qu’au point de vue chimique. L’analyse de l’ozone atmosphérique commencée par M. Schœnbein a été continuée. On a comparé la quantité d’ozone répandue dans l’atmosphère, aux changements thermométriques, barométriques, hygrométriques, à la direction des vents ; on a recherché la relation qui pouvait exister entre cette quantité et le caractère ou l’intensité des maladies régnantes. Pendant quelque temps, on a considéré l’ozone comme un agent capricieux, dont l’influence ne méritait pas beaucoup d’attention. Mais depuis le grand travail que M. Scoutteten de Metz a publié, des études nouvelles ont été entreprises, et si elles n’ont pas abouti à un résultat complètement satisfaisant, elles ont du moins prouvé qu’il fallait tenir compte de cet agent. Des expériences ont été faites en Crimée pendant la guerre d’Orient : elles se continuent sur des points divers en France et à l’étranger. Elles ne peuvent manquer d’amener quelques résultats.

Le moyen employé pour faire les observations est défectueux. Cependant, c’est le seul qui, jusqu’à présent, ait offert quelques résultats. Des bandelettes de papier préparé à l’iodure d’amidon sont exposées à l’air libre, à des hauteurs différentes. L’ozone est en quantité d’autant plus grande que l’on s’éloigne davantage du sol. Les bandelettes, après avoir subi l’action de l’air, pendant 24 heures, sont trempées dans l’eau. Elles prennent aussitôt une coloration plus ou moins forte, selon la quantité d’ozone qu’elles ont absorbée. Elles sont alors comparées à l’échelle chromatique dressée par M. Schœnbein, et graduée d’après ses expériences.


M. V. CONTIÉ lit une note sur un agneau monstrueux dont la préparation et la dissection, commencées chez M. Briane, l’habile créateur du musée d’histoire naturelle de Castres, ont été achevées de concert avec M. Léonce Roux.

Ce monstre se composait de deux individus, presque égaux en développement, parfaitement libres, séparés aux régions cervicale et céphalique, et soudés par la face sternale. La région abdominale tendait à l’unité dès l’appendice xiphoïde, et la réalisait presque aux régions sous-ombilicale et pelvienne. Les membres locomoteurs étaient au nombre de six, dont quatre thoraciques, et deux abdominaux. À la face anale se montraient deux queues non contiguës.

La dissection du squelette et des divers appareils et viscères de la nutrition, a fourni les résultats suivants : supérieurement, les deux colonnes vertébrales étaient opposées à un sternum en fer à cheval, dont les deux branches étaient unies par un double feuillet membraneux, résultat de la juxta-position des deux plèvres. L’insertion des quatre membres antérieurs n’offrait rien d’anormal. Intérieurement, les deux colonnes vertébrales s’infléchissaient l’une vers l’autre, en restant distinctes, ce qui a dû entraîner l’atrophie des apophyses contiguës. Rien n’a permis de constater sur les lignes de jonction, la présence, même à l’état rudimentaire, des os iliaques et des autres parties des deux membres postérieurs qui manquaient.

Le thorax a offert deux cavités contenant chacune, un cœur et des poumons enveloppés, l’un de son péricarpe, les autres de leurs plèvres. Le cœur du plus petit individu avait le plus grand volume. Le diaphragme, unique en apparence, indiquait cependant, par ses deux courbures bien distinctes, et par une longue ligne de suture, médiane, la présence de deux individus. Le foie était très-volumineux, à lobes peu distintcs et d’une très-faible consistance.

Les doux tubes digestifs étaient doubles jusqu’à la naissance du jejunum : ils constituaient ensuite une complète unité. Les reins se présentaient au nombre de deux, et bien lobés. Une ecchymose générale dans l’abdomen, annonçait que la parturition avait dû être laborieuse et violente.

De l’ensemble de tous ces caractères anatomiques, il est permis de conclure que l’agneau est un monstre composé double de l’ordre des autositaires, de la famille des sysomiens, du genre psodyme.

Cette détermination qui s’appuie sur les caractères distinctifs indiqués par M. I. Geoffroy St-Hilaire, dans son traité de tératologie, permet de conclure que l’agneau appartenait à un groupe de monstres viables. Les parties de l’organisme les plus essentielles à la vie, les appareils de la respiration et de la circulation, l’appareil digestif, tout était normal et complet dans chacun des deux individus composants. Rien n’était donc de nature à rendre la vie impossible.


M. A. COMBES rend compte de l’Armana prouvençau adressé à la Société par M. J. Roumanille, membre correspondant.

M. J. Roumanille accomplit une mission de moralisation et de progrès, en se servant, comme interprète de grandes pensées et de sentiments généreux, d’une langue dont la richesse est incomparable. C’est là, véritablement le rôle du poète, quel que soit le caractère de ses créations. Mais les grandes compositions, les œuvres fines et délicates, ne vont pas à tout le monde et ne peuvent pas s’adresser au grand nombre ; non pas peut-être, qu’il ne pût les comprendre, mais parce qu’il n’irait pas les chercher. Il fallait donc quelque chose de plus accessible, qui n’effrayât pas, et dont le cadre fût assez large, pour offrir à tous un attrait réel. Voilà l’explication de ce petit recueil qui, sous le titre modeste d’almanach, embrasse des faits nombreux, touche à des questions importantes, et présente sous une forme, presque toujours heureuse et piquante, des pensées élevées, des sentiments d’une grande moralité, de salutaires exemples. Destiné spécialement au peuple, il s’adresse à tout le monde, et, digne de sympathie par le but qu’il se propose, il devient une lecture agréable et saine, un passe-temps utile, qui aura le succès de tout ce qui est honorable dans son principe et porte l’empreinte d’un talent élevé, sincère, dirigé par le bon sens, et écrit sous l’influence des plus généreuses aspirations.

L’Armana présente d’abord les éphémérides de la Provence. C’est une bonne pensée, que de mettre sous les yeux de tous, les faits du passé qui portent avec eux quelques enseignements. L’histoire locale que l’on a tant de peine à reconstituer, et qu’il serait heureux d’offrir à l’attention des générations présentes, ne s’apprend guère quand il faut la chercher dans des livres spéciaux. Quand elle se présente sous des formes diverses, sans prétention, et pour ainsi dire par hasard, elle pénètre peu-à-peu, s’infiltre dans les masses, sans qu’on puisse dire de quelle manière, et se transmet avec une facilité étonnante. La Société littéraire de Castres ne peut qu’applaudir à cette pensée de Roumanille, et de cette pléiade d’hommes généreux qui se sont réunis pour la glorification et l’amélioration de la Provence. C’est qu’elle a aussi le même but à poursuivre ; et peut-être lui sera-t-il possible bientôt d’employer le même moyen.

Le présent n’est pas négligé. Tous les faits relatifs à la Provence, accomplis dans l’année qui vient de s’écouler, ou en projet pour l’année présente, ont leur place ; et tout ce qui peut devenir un moyen d’amélioration matérielle ou morale, tout ce qui élève les cœurs et ennoblit les intelligences, est l’objet d’un soin particulier.

À côté de ces récits toujours intéressants, parce qu’ils sont actuels, vivants, populaires, s’offrent des pièces de poésie de divers genres : contes, fabliaux, noëls, traits anecdotiques, stances, sonnets, odes, cantates. Il n’y a pas de choix à faire parmi ces joyaux d’un éclat pur, d’une solidité élégante ; le sérieux y côtoie le plaisant et n’y perd rien. Si la variété est le trait caractéristique de ce recueil, la confusion n’y est jamais, et l’on sent que ces hommes qui aiment leur langue et leur pays, se retrouvent toujours sur le terrain du bon sens et de la moralité.

À tous ces titres, l’Armana prouvençau va droit à son but, et c’est l’éloge le plus complet et le meilleur que l’on puisse faire de l’œuvre de M. Roumanille et de ses collaborateurs. Ils écrivent sous l’inspiration d’une pensée commune, avec un sentiment vif et puissant de leur mission. Ils préservent de la corruption une langue, riche, colorée, éclatante, harmonieuse. Ce sont de beaux talents mis au service d’une bonne pensée. Les résultats qu’ils désirent et qu’ils poursuivent avec une si active persévérance, ne peuvent se faire attendre. Ils seront leur plus douce et leur plus efficace récompense, et s’il est donné à la Société littéraire d’applaudir de loin, d’autres les béniront de plus près, parce qu’ils seront témoins du bien réalisé.


M. A. COMBES lit la première partie d’un mémoire intitulé : Particularités historiques sur la chambre de l’Édit de Castres, en Languedoc (1595-1670.)

Les cours souveraines de justice établies à la fin du XVIe siècle, comme moyen de pacification, méritent une attention particulière. Il y a un intérêt véritable à se demander quelle fut l’influence morale de ces grands établissements, à rechercher quelles idées ils répandirent autour d’eux, quels hommes ils mirent en lumière, en leur fournissant l’occasion d’exercer un ascendant dominateur, ou une influence bienfaisante ; enfin quelles institutions naquirent des opinions et des sentiments qu’ils firent prévaloir.

La chambre de l’Édit a eu pour Castres un triple résultat : elle a fait passer dans les mœurs le respect pour la liberté de conscience ; elle a servi de point de ralliement aux sommités sociales, et favorisé l’action de Richelieu ramenant tout à l’unité ; elle a rétabli le calme dans les esprits, en rapprochant tous ceux qu’inspiraient des sentiments honorables et le dévouement patriotique.

À peine monté sur le trône, Henri IV songea à rétablir la chambre mi-partie de Languedoc, et il chercha un lieu où elle pût siéger sans danger. Lisle en Albigeois qui l’avait possédée quelque temps, ne paraissait pas offrir assez de garanties. Le 1er  décembre 1594, Philippe du Fresne de Canaye, désigné comme président calviniste, vint à Castres, avec la mission de reconnaître l’état des esprits. Il repartit bientôt pour Montpellier où il devait trouver le duc de Montmorency. Gaches raconte que M. de Bellièvre et M. de Fossé, évêque de Castres étaient auprès du duc. Diverses villes furent proposées, mais M. de Fossé insista pour Castres qui fut accepté. Le duc en donna avis à M. le président de la Bourgade qui tenait le parlement à Béziers. Il n’y eut aucune opposition de sa part. Mais ce fut plus difficile à Castres. L’évêque écrivit, aux officiers et aux consuls. L’hôtel-de-ville craignit pour ses libertés, le consistoire déclara que ce serait ouvrir la porte au libertinage et renverser la discipline. Pour des motifs pareils, la chambre mi-partie avait été déjà refusée deux fois. Le conseil général de la commune décida qu’il fallait accepter. Le président de la Bourgade arriva le 3 avril 1595, à Castres accompagné des conseillers catholiques, et le président du Fresne le 16, avec les conseillers protestants.

Il était difficile de bien composer une chambre appelée à exercer une pacifique influence. Les troubles religieux et politiques avaient porté le désordre partout. Les parlements passionnés dans un sens ou dans un autre, avaient cessé d’être justes, et l’audace ou l’intrigue s’en applaudissait. Il fallait donc, non seulement choisir des hommes capables de rester fidèles à leur devoir, malgré les préventions, mais encore faire comprendre aux populations que la justice avait des interprètes intègres, fermes et vigoureux.

Le 28 avril 1595, la cour souveraine tint sa première séance. Elle avait auparavant entendu la messe qui n’avait pas été célébrée publiquement à Castres depuis la prise de la ville, le 23 août 1574. Elle décida que l’Hôpital Notre-Dame servirait de lieu à ses audiences, et qu’elle en paierait le loyer aux pauvres, indépendamment des aumônes qu’elle leur ferait distribuer sur le produit des amendes.

La chambre comptait pour les catholiques : un président, six conseillers, un procureur général, deux greffiers, deux huissiers, neuf procureurs ; pour les protestants : un président, huit conseillers, un avocat général, un chancelier, deux huissiers, neuf procureurs.

La chambre de l’Édit fit pénétrer à Castres des noms nouveaux. Elle s’était recrutée dans les débris de celle de Lisle ou dans le parlement qui siégeait à Béziers. C’était donc un élément étranger au pays, mais par cela même propre à affaiblir les divisions, à éloigner les mal-entendus, à ramener une unité désirable pour tous les partis. Une cour de justice qui admettait à siéger dans la même enceinte deux partis qui s’étaient longtemps déchirés, devait faire prévaloir la concorde, et rendre moins fréquentes les causes de trouble et d’agitation. C’était un rôle de pacification que la chambre d’Édit remplissait à Castres, et elle accomplissait ainsi les vues du grand roi qui, après avoir eu la gloire de conquérir son trône, voulut, par de sages mesures, par une intelligente économie, par une connaissance profonde des vues et des aspirations du moment, préparer une ère de paix, d’éclat et de prospérité.

Les choix furent universellement approuvés. Ils offraient toutes les garanties que pouvaient désirer les esprits sages ; et depuis le président de la Bourgade qui avait su rester fidèle, avec une indépendante fermeté, au parti du roi, pendant ces époques d’incertitude où les esprits les plus sûrs ne pouvaient pas toujours répondre d’eux-mêmes, depuis le président calviniste du Fresne de Canaye, qui s’était distingué comme ambassadeur dans des missions difficiles et délicates, jusqu’au dernier des conseillers, tous les membres de la chambre de l’Édit étaient entourés de cette considération universelle que la médiocrité peut surprendre par moments, mais que le véritable mérite sait seul conserver.

Sans doute, il y eut des difficultés intérieures : les bonnes dispositions des membres furent plusieurs fois mises à l’épreuve ; mais les discussions relatives à la préséance comme les désaccords extérieurs n’altérèrent en rien l’esprit de conciliation de la cour, ni l’estime et la confiance du public.

Gaches constate cet état ; et les changements qui survinrent dans le personnel ne l’atteignirent en rien. Le pays avait encore à subir le contre-coup des guerres religieuses. Une lutte de citoyens contre citoyens peut cesser dans son ensemble, l’effusion du sang peut être arrêtée, sans que la tranquillité soit complètement rétablie. Il reste encore après la tempête une agitation qui signale son passage et fait soupçonner les désastres qu’elle a provoqués. Cependant, à l’intérieur de la ville, les esprits se calmaient peu à peu, la tolérance personnelle s’étendait et les cérémonies du culte catholique n’éprouvaient aucun obstacle, pendant que les temples calvinistes étaient ouverts, et que nul n’avait de précautions à prendre pour pratiquer sa religion.

L’Édit de Nantes consacra l’existence de la chambre mi-partie et son maintien à Castres. Quatre articles établissent sa constitution, déterminent l’étendue de sa juridiction et règlent les formes dans lesquelles elle doit rendre la justice. Auparavant, le duc de Joyeuse avait sollicité vainement de Henri IV l’éloignement de Castres, d’une institution que le traité du 14 mars 1596 avait laissée à la disposition du roi. Mais l’Édit de Nantes (1598) fut exécuté dans toute son étendue, et Castres continua à voir siéger dans son sein une cour de justice qui devait exercer sur son esprit intérieur une influence salutaire.

On sait combien furent nombreuses les difficultés que rencontra l’enregistrement, par le parlement, de l’Édit de Nantes, et, plus tard, son exécution sincère et complète. Les rapports des catholiques et des protestants n’en furent nullement altérés à Castres. Ainsi se manifestaient déjà les premiers résultats de cet esprit de conciliation que la chambre cherchait à faire prévaloir autour d’elle, et dont elle savait en toute circonstance donner l’exemple.

La chambre mi-partie prit dès lors le nom de chambre de l’Édit. Jusqu’en 1609, elle est restée fidèle à ses principes. Gaches résumant les événements de cette année termine ainsi : « C’était un temps qui fourmillait de duels, et, hors de ce malheur, on jouissait d’une paix très-heureuse. La chambre fleurissait dans Castres en toutes façons, étant composée d’officiers de mérite qui étaient en telle estime partout, qu’il se disait que le roi parlant un jour par occasion de la chambre de Castres, en présence des plus grands de sa cour, dit qu’il croyait avoir dans cette compagnie d’aussi habiles officiers qu’en toute autre cour souveraine de son royaume. »

Un grand nombre d’avocats s’établirent à Castres, et, en prenant place peu à peu dans l’administration de la cité, ils y firent prévaloir de plus en plus l’esprit et les principes qui dirigeaient la chambre.

En 1613, la reine régente provoqua dans le pays une certaine agitation, en changeant le mode auparavant suivi pour la présentation des conseillers catholiques. Jusqu’alors, le Parlement de Toulouse les désignait lui-même, et les prenait dans son sein. La reine voulut choisir huit conseillers sur une liste de douze qui lui serait fournie par le Parlement. Le Parlement s’opposa à ce changement autant qu’il le pouvait, c’est-à-dire par des remontrances. Mais le parti était pris et des lettres de jussion le contraignirent d’obéir.

Rien ne constate l’attitude de la chambre dans cette querelle où elle était si directement intéressée. Cependant des bruits vagues se répandirent : on parlait de translation, on accusait le peu de dévouement des membres pour la personne du roi. Castres s’émut : il envoya à Paris son premier consul chargé des pouvoirs les plus amples. Il eut une audience royale, trouva auprès du roi de nombreux et actifs protecteurs, et rentra bientôt avec l’assurance que la chambre resterait à Castres.

Ce fut pour la chambre et pour le pays un grand événement. Les négociations furent longues. Les archives de la ville durent en garder les traces, ainsi que le constatent des copies échappées aux destructeurs révolutionnaires qui, en brûlant publiquement les papiers de la commune, crurent sans doute brûler des titres féodaux. L’ignorance et la passion vont assez souvent d’accord.

Sept pièces doivent particulièrement être citées : elles n’ont pas été publiées.

1° 29 mai 1615, une délibération du conseil de la maison consulaire.

2° 13 avril 1615, une lettre du roi aux habitants de Castres.

3° 15 avril 1615, une lettre du duc de Ventadour.

4° 1615, une lettre de Henri de Rohan.

5° 16 avril 1615, une lettre de Henri de Latour, duc de Bouillon.

6° 14 avril 1615, une lettre de Jean de Sully.

7° Sans date, une lettre des députés généraux des églises réformées de France.

Ces lettres, dont les dates sont si rapprochées, indiquent l’importance que l’on attachait au succès de la démarche tentée par les consuls de Castres. Du reste, ceux qui prenaient ainsi les intérêts de cette ville avaient joué un certain rôle dans son histoire des dernières années. Le duc de Ventadour avait fait de Castres le centre de ses opérations pour combattre les derniers efforts de la Ligue. Le duc de Bouillon, vicomte de Turenne, avait été gouverneur de la ville et y avait créé plusieurs embellissements. Les ducs de Rohan et de Sully n’avaient cessé d’être en rapport avec les calvinistes et les partisans du roi pendant la longue durée de la lutte qui précéda la reconnaissance de Henri IV. Il n’est donc pas étonnant que, pour des motifs divers, ils aient combattu le projet de translation.

Deux ans après, les États généraux du pays de Languedoc demandèrent que la cour des aides fût réunie au Parlement de Toulouse et à la chambre de l’Édit. C’était donc, non seulement conserver, mais augmenter la juridiction de la cour souveraine qui siégeait à Castres.

La célèbre assemblée de La Rochelle fut le signal de nouveaux troubles. Sur les instances du second consul de Castres, de Spérandieu, et de Bouffard-Madiane, le duc de Rohan choisit Castres comme le centre de ses opérations. La guerre n’eut pas alors l’importance de celle qui l’avait précédée ; elle n’en eut pas aussi les violences et les fureurs. De nombreuses pièces témoignent des sentiments de tolérance individuelle qui animaient les vainqueurs. Il n’y eut d’aucun côté ni spoliation, ni massacre ; mais, avec la domination absolue de l’élément calviniste, la chambre de l’Édit ne pouvait longtemps rester à Castres. Après la révolte de 1622, les conseillers catholiques rentrèrent à Toulouse. Le roi ordonna alors à ce qui restait, de se retirer à Lisle en Albigeois. Cette déclaration datée du 20 mai, fut signifiée aux conseillers protestants qui résolurent de faire des remontrances. Le roi ordonna le 1er  juillet que la chambre serait transférée à Béziers. Le Parlement de Toulouse, entièrement composé de catholiques, se trouva d’accord avec le chef des protestants, Henri de Rohan, qui réclamait avec hauteur et persévérance le maintien de la chambre à Castres. Les remontrances du Parlement ne furent pas écoutées ; il réclama, et le roi lui répondit sévèrement « qu’il voyait avec déplaisir que la cour était plus jalouse de ses propres intérêts que du bien de son service. » Pour le duc de Rohan, le roi lui fit enjoindre de n’avoir plus à s’occuper de cette affaire.

Cet accord des deux partis, alors en guerre, est un hommage aux intentions et aux actes de la chambre de l’Édit. C’est la démonstration la plus vraie qu’elle avait, autant que possible et dans la sphère où elle se mouvait, fait prévaloir les idées de paix et les sentiments de tolérance réciproque.


M. V. CANET fait un rapport sur le Misanthrope travesti, par le citoyen Daubian, de Castres (1797).

Le but de Daubian n’est pas douteux, et si sa préface ne l’indiquait pas expressément, le caractère général de l’œuvre ne permettrait pas de s’y tromper. Ce n’est pas un travestissement de l’œuvre de Molière, c’est une traduction ; et, le plus souvent, elle est littérale. Un travestissement présente sous une forme ridicule et grotesque, ce qui était élevé et sérieux ; il dénature les faits, il donne à tous les personnages un aspect nouveau qui contraste avec la nature des événements auxquels ils prennent part, il produit enfin des émotions directement opposées à celles qui devraient naturellement ressortir de l’œuvre originale. En est-il ainsi pour Daubian ? A-t-il voulu faire pour Molière, ce que Scarron a fait pour Virgile, Subligny pour l’Andromaque de Racine, plusieurs pour la Henriade de Voltaire, et ce que nous voyons tenter tous les jours, dans les petits théâtres de Paris, pour les ouvrages joués avec succès sur les grandes scènes ? Non sans doute. Il a voulu simplement traduire le Misanthrope en patois ; et cette traduction, — il ne faut pas négliger la date, — est de 1797. Ces deux considérations permettent de reconnaître à cet ouvrage son véritable caractère.

Molière met en scène des personnages de cour, mais il peint la nature humaine dans sa généralité. Il est possible, comme on l’a dit, qu’il ait fait des portraits : seulement ces ressemblances particulières, vivifiées par une haute inspiration, et traitées par un art merveilleux, sont aussi bien de notre temps que du xviie siècle. D’où vient ce singulier privilège ? De la puissance de généralisation qui, dans un génie vaste et profond, comme celui de Molière, permet d’associer le type à l’individu, de manière à faire disparaître ce qui est accidentel et passager, pour l’envelopper dans des caractères généraux et ineffaçables. Aussi Molière est-il neuf et vrai aujourd’hui, comme il l’était de son temps, et les changements politiques ou sociaux, accomplis depuis deux siècles, ont passé sur ses créations sans les altérer. Ce que Chénier disait d’Homère est vrai de tous les génies supérieurs :

Trois mille ans ont passé sur la cendre d’Homère,
Et depuis trois mille ans, Homère respecté
Est jeune encor de gloire et d’immortalité.

Cependant il y a des traits particuliers que l’on accepte sans les admirer, et qui sont dans chaque auteur, comme la constatation positive de l’époque où il a vécu, et des circonstances dans lesquelles il a pensé et écrit.

Daubian a voulu reproduire « par des expressions vulgaires et triviales, à la portée de l’intelligence la plus commune, les choses les plus brillantes énoncées dans la pièce originale. » Il a voulu faire « une comédie véritablement populaire. » La substitution du patois au français ne lui suffisait pas : il a fallu que la cour disparût, que des noms bourgeois se missent à la place des noms et des désignations aristocratiques ; de plus, que le sentiment si profondément monarchique de celui que le grand roi honorait, de manière à rendre les courtisans jaloux, ne fût pas même soupçonné par une population qui avait encore, quoiqu’affaibli, quelque chose de l’exaltation révolutionnaire. Voilà tout le secret des modifications apportées à l’œuvre de Molière par Daubian. Si la brillante Célimène est devenue Xanétoun, si l’homme aux rubans verts, le grand seigneur Alceste, s’appelle Brunet, si la liberté naïve et quelquefois grossière de l’idiome patois s’est substituée à la vigoureuse élégance et à la fine réserve d’une langue que la cour s’attachait à parler dans toute sa pureté, et que consacraient déjà tant de chefs-d’œuvre, on retrouve Molière tout entier dans l’ensemble de sa magnifique création, comme dans les plus légères nuances, dans les plus petits détails par lesquels il plaît à l’esprit et soutient l’intérêt.

Le Misanthrope est le chef-d’œuvre de la scène française. La première condition pour le bien traduire, était de se rendre un compte exact de toutes ces beautés si harmonieusement combinées entre elles, si neuves dans leur simplicité, si éclatantes dans leur mâle et un peu austère vérité. Le dessein de Molière n’a pas toujours été bien compris, et de grands esprits n’ont pas craint de l’accuser d’avoir voulu jouer la vertu. L’accusation était étrange : elle portait à la fois et sur le poète qui, malgré des écarts trop faciles dans la carrière où il s’était jeté, n’avait jamais négligé une occasion de faire entendre quelque vérité utile et de rendre hommage à ce qui est toujours bon et beau ; et sur le siècle, un peu sévère pourtant en ces matières, qui avait si chaleureusement applaudi et si vivement admiré.

Ces attaques passionnées n’ont pas prévalu. Molière a mis sur la scène une vertu outrée, capable, si elle devait triompher, de détruire la société humaine. Le véritable caractère de la vertu, c’est, à la fois, d’être sévère pour elle-même et indulgente pour les autres. Ces deux conditions se trouvent difficilement réunies : c’est qu’elles demandent un suprême effort. L’homme qui soumet son esprit et son cœur, ses mouvements et ses actes à une discipline rigoureuse, acquiert naturellement une certaine austérité qu’il est tenté de porter partout. Et lorsqu’il voit autour de lui le vice qui marche le front levé, la bassesse qui se complaît dans ses œuvres, lorsqu’il voit l’injustice, la mauvaise foi, la calomnie, prendre toutes les formes, et prétendre insolemment à tous les avantages, comme à tous les triomphes, est-il bien facile pour son cœur de rester inaccessible à ces mouvements qui condamnent et flétrissent, et,

De n’avoir pas pour eux ces haines vigoureuses,
Que doit donner le vice aux âmes généreuses ?

Tout cela sans doute, quoique émané d’un principe honorable, est mauvais parce que c’est exagéré. La vertu est l’éloignement de tout excès. Voilà la vérité que Molière a voulu mettre en relief et qu’il a exposée avec une raison si haute, avec une mesure si juste, avec une poésie éclatante et une éloquence vigoureuse auxquelles le théâtre n’a pas su atteindre depuis.

C’est le sentiment qui reste, c’est l’impression qui domine lorsqu’on a lu la traduction de Daubian. Voilà bien Molière tout entier, avec sa connaissance profonde du cœur humain, avec ses vues si justes sur la vie. L’action est suivie pas à pas ; les détails sont les mêmes. Si les personnages ont perdu leur rang à la cour, s’ils sont devenus bourgeois d’une petite ville, leur langage doit bien avoir subi quelques modifications. L’image est moins haute, le ton moins fier, la comparaison plus commune, le fond reste le même pour la pensée et pour les sentiments. Le patois a des libertés que l’imitateur a voulu conserver : il a sa vigueur native, son éclat intime dont il était dangereux de se priver, et voilà pourquoi, toutes proportions gardées, la traduction gagne d’un côté ce qu’elle semble perdre de l’autre. Il y a dans toute la comédie une verve, un entrain qui ne laissent pas un moment l’attention affaiblie ou distraite. C’est Molière traduit, mais c’est toujours Molière. Combien y a-t-il de traductions dont on puisse faire cet éloge ?

L’œuvre de Daubian, mérite d’être conservée. Elle fait regretter que des productions originales, en assez grand nombre, imprimées isolément ou laissées manuscrites par l’auteur, n’aient pas pu être réunies et publiées. Quelques personnes conservent encore dans leur mémoire ou par des copies, des ouvrages qui ont eu une grande célébrité locale, et dont la valeur est incontestable. Il serait possible d’en former un tout. Ce serait un hommage rendu à un esprit distingué qui a su s’approprier toutes les richesses d’une langue variée, éclatante, souple, harmonieuse et inépuisable. Ce serait un monument de notre histoire locale, que l’on a trouvée si pauvre, uniquement parce que l’on ne se donnait pas la peine de l’interroger. Rendre justice à un écrivain, à un homme utile quand ils sont morts, c’est moins séduisant peut-être que favoriser une renommée vivante dont on mesure la portée, et dont on prévoit l’avenir, mais c’est d’un grand exemple ; et il y a toujours au fond du cœur une satisfaction réelle à préparer une réparation ou à s’y associer.

M. V. CANET complète son étude sur les libertés et priviléges de la ville et université de Castres.

Une première réflexion se présente d’abord, quand on examine les immunités des communes. Il est difficile de voir un ensemble dans ces différents articles, et de retrouver, ou dans les objets auxquels ils se rapportent, ou dans la pensée qui les a produits, quelque chose qui indique un dessein arrêté, et qui laisse voir une liaison. Les libertés des communes, ne sont pas l’œuvre d’un jour. Conquises à la suite d’agitations intérieures, ou concédées par un mouvement généreux, elles se présentent sans ordre, et s’il était possible de déterminer exactement l’époque à laquelle elles remontent, elles jetteraient un jour éclatant sur plus d’un point historique, incomplet ou obscur. La ville enregistrait avec empressement tous les droits qui lui étaient reconnus, ou dont elle s’était emparée, se mettant peu en peine de faire disparaître les contradictions, à plus forte raison d’effacer les nuances. Il en résulte des oppositions inattendues et des inconséquences souvent étranges. Il en est de même encore aujourd’hui de la législation anglaise. Le respect pour la tradition nationale, pour la loi du pays, est tel, que l’on ne songe pas, lorsque les besoins nouveaux réclament des lois nouvelles, à détruire ce qui existait antérieurement. Ainsi, le code prend d’immenses proportions, et il faut un travail infatigable, une puissante érudition, pour démêler le vrai du faux, et aller retrouver la loi en vertu de laquelle il est possible de discerner ce qui est permis, de ce qui ne l’est pas.

Dans les communes du nord de la France, dont la constitution, il ne faut pas l’oublier diffère si essentiellement de celles du midi, la confusion n’est pas la même. Les libertés et privilèges des pays au-dessus de la Loire, ne se sont pas établis comme un retour à une vieille tradition, comme une résurrection plus ou moins complète d’un état ancien. Quelques villes aidées, soutenues, quelquefois excitées par la royauté, ont voulu se constituer, de manière à pouvoir opposer des droits positifs, aux droits ou aux prétentions des seigneurs. Leur exemple a entraîné les villes voisines ; et comme on agissait de dessein arrêté, comme dans une circonstance favorable, dans un moment critique, on obtenait ce qui avait été longtemps refusé, il en résultait que l’organisation était, au moment même de l’émancipation, aussi complète qu’elle pouvait l’être dans le midi, après plusieurs années et plusieurs siècles de luttes. On comprend dès lors que cet ensemble de libertés et de privilèges dont on se trouvait partout également jaloux, doit se présenter avec des caractères bien différents, et l’on s’explique ainsi la confusion qui se trouve à des degrés divers, mais d’une manière toujours évidente, dans les chartes méridionales.

Jusqu’à présent, il manque pour étudier le développement successif de la liberté dans la ville et université de Castres, les documents les plus essentiels. On ne sait ni à qui les privilèges doivent être attribués, ni à quelle circonstance il faut en rapporter la conquête ou la cession. L’ordre suivi dans les inventaires du xvie siècle, et dans l’hommage de 1613, reproduirait-il une succession chronologique ? Ce n’est pas probable. On retrouve une certaine intention dans la distribution ; et si cette intention ne produit pas un classement régulier, elle rapproche du moins plusieurs choses de même nature, et permet de suivre la trace de quelques extensions de privilèges qui ont dû être accordées, soit à la suite de contestations, soit par l’effet naturel du développement de la puissance communale, et de l’affaiblissement général de la féodalité.

Les premiers droits constatés sont relatifs aux avantages que peuvent donner les fruits de la terre. Le droit de dépaissance dans toute l’étendue du consulat se joint à l’usage des eaux et du bois, sans qu’il soit nécessaire de réclamer, ou d’avoir à rendre compte auprès d’une autorité quelconque. Il est facile de voir combien ces premiers avantages devaient encourager à demander et à conserver le droit de cité. Pendant que la campagne était tout entière à la disposition des seigneurs laïques ou ecclésiastiques, les villes, depuis les plus petites jusqu’aux plus peuplées, offraient d’abord une satisfaction à l’intérêt ; et l’on sait que ce n’est pas d’aujourd’hui seulement que l’intérêt est puissant.

Le respect pour les personnes ressort des articles suivants. Dans ces temps de troubles, au milieu de ces inimitiés que les moindres circonstances devaient traduire en actes de vengeance, au sein d’une société où l’autorité était si divisée, et où les pouvoirs se confondaient si souvent, il est beau de voir l’homme relevé dans sa dignité, par les soins que l’on prend de sauvegarder sa liberté et de constater ses droits. La guerre a toujours porté à faire bon marché des hommes. C’est sans doute pour cela que les communes les entouraient de tant de garanties, et semblaient toujours craindre de les voir trop facilement à la merci d’un pouvoir, même régulier. Aussi, l’emprisonnement pour dettes et pour crimes légers n’est-il pas permis, si l’on peut donner caution. Aussi les précautions dont la justice doit être entourée sont-elles nombreuses, et semblent-elles même descendre jusqu’à la minutie. Aussi, toutes les fois qu’une punition corporelle est prononcée, semble-t-il y avoir une espèce de rachat. Ce n’est pas sans doute la composition pour le sang, telle, que nous la trouvons dans les codes des peuples germaniques, mais il est facile de voir que tout ce qui est laissé à la discrétion du juge, est un appel à l’indulgence pour la personne du citoyen, même coupable.

Il est certain que considérées à ce point de vue, les priviléges de Castres, comme ceux de la plupart des communes, ont une grande importance. Plus on a de respect, dans la législation pour la dignité de l’homme, plus on oblige chacun à élever ses pensées et à tenir ses actes à ce niveau. Il faut d’ailleurs remarquer que ce respect pour l’homme n’était pas une garantie d’impunité. On voulait surtout empêcher les abus, et comme les abus devaient se présenter facilement dans une société toujours en mouvement, par les éléments qui la composaient, et qui cherchaient à prendre leur place et à retrouver l’équilibre, il fallait exagérer peut-être les droits de ce que l’on voulait sauvegarder. C’est par cette considération que l’on peut expliquer bien des mesures dont il serait difficile de trouver, d’une tout autre manière, la raison.

La confiscation n’existe pas, quelle que soit la condamnation prononcée. Il n’y a d’exception que pour les crimes d’hérésie et de lèse-majesté ; et il ne suffit pas dans ce cas d’une sentence, il faut qu’il y ait eu connaissance de cause, et par conséquent débat en présence de l’accusé.

L’organisation de la justice communale n’est pas indiquée. Le soin de veiller aux intérêts des habitants semble partagé entre le bailli, représentant du seigneur, et les consuls dépositaires de tous les droits de la cité. Les attributions ne sont pas définies. Les points de contact, et par conséquent de dissidence, devaient être nombreux, surtout avec la liberté laissée aux juges, sur beaucoup de points, de prononcer à discrétion.

Les droits des consuls sont fort étendus. Nommés, non point directement par la ville, mais par le conseil qui doit siéger auprès d’eux, créés par les officiers du comte et plus tard par ceux du roi, ils ont la surveillance des intérêts des habitants et de ceux de la communauté. Si leur pouvoir est grand, leurs devoirs sont nombreux ; et le compte qu’ils ont à rendre de leur administration, les rend justiciables de ceux qui les ont honorés de leurs suffrages. Les petits détails contenus dans la liste des libertés de Castres, les précautions prises pour maintenir la stricte observation des droits et privilèges, prouvent que tout était sérieux dans cette organisation communale. On le comprend davantage, à mesure que l’on pénètre plus profondément dans les institutions, et que l’on cherche à se rendre compte de l’influence qu’elles ont exercée sur la vie réelle de ces agglomérations animées d’un même esprit, rattachées par les mêmes intérêts, et jalouses de conquérir ou de conserver des droits également utiles à tous.


M. F. MARTIN rend compte de divers documents transcrits sur un cartulaire conservé à la mairie de Lacaune, et connu sous le nom de Livre Vert.

La commune de Lacaune a eu le rare privilége de conserver intact un volumineux cartulaire dont les indications méritent d’être signalées. Ce n’est pas qu’il renferme l’histoire de cette contrée depuis les temps les plus reculés, ainsi qu’on a pu le supposer ; mais il se rapporte aux franchises et libertés de la communauté de Lacaune, pendant le régime féodal, il nous fait connaître sur cette matière des détails curieux et intéressants, et puise ainsi en lui-même, une valeur réelle, que rend encore plus grande, le défaut de renseignements certains sur cette partie de notre histoire locale.

Ce cartulaire a reçu de la tradition le nom de Livre Vert, sans qu’on puisse assigner à cette dénomination, d’autre origine que la couleur de sa couverture. Il présente une écriture parfaitement correcte, et contient 68 actes divers, transcrits sur 150 feuilles de parchemin. Cette transcription est faite en langue romane, et l’idiome employé ne laisse paraître aucune trace de modification, malgré l’intervalle de 202 ans (1236-1438) qui s’écoule entre la date des actes les plus anciens, et celle des plus récents. On doit donc naturellement penser, qu’au lieu du texte original, écrit sans doute en latin, le cartulaire ne donne qu’une traduction littérale, faite au moment même de la transcription. Il n’y a du reste aucun doute à émettre sur l’authenticité des documents. Un notaire les a tous écrits de sa propre main, et les a revêtus de sa signature, après les avoir collationnés. Un second notaire les a ensuite de nouveau comparés avec les originaux, et, pour que la valeur des copies fût irréprochable, il y a également apposé sa signature : la formule employée par les notaires, constate que ces précautions ont été observées pour chaque acte.

Quant aux indications fournies par ces documents, elles sont toutes, d’une manière plus ou moins spéciale, relatives à la communauté de Lacaune ; quelques-unes se rapportent à l’entier comté de Castres, dont Lacaune faisait partie. Cette différence d’intérêt autorise à les séparer les unes des autres, de manière à les mettre mieux en lumière.

Voici ce qui concerne les noms des seigneurs et comtes de Castres, et l’ordre dans lequel ils se sont succédés.

Ceux dont les noms sont mentionnés au Livre Vert et de qui émanent les actes transcrits sont : Philippe 1er  de Montfort, 1236 — Philippe II faisant d’abord pour son père, et plus tard en son propre nom, 1268 — Jeanne de Lévis sa veuve, 1279 — Jean de Montfort, comte de Squillas et de Montroncous, son fils ; Éléonore de Montfort, sa fille ; Bernard de Comminge son gendre, 1279-1338 — Bouchard de Vendosme, fils d’Éléonore de Montfort, 1344 — Jean de Vendosme en faveur de qui le comté fut constitué en 1356 — Jeanne de Ponthieu, sa femme faisant pour son fils Bouchard II et Catherine de Vendosme sa fille, devenue épouse de Jean de Bourbon comte de la Marche, 1363-1398 — enfin Jacques de Bourbon, 1435 — et Bernard d’Armagnac son gendre 1438.

Quant à l’ordre de succession, les renseignements fournis par le Livre Vert ne sont pas en harmonie complète avec les généalogies données par divers auteurs.

Ainsi Defos et M. Nayral, après avoir énoncé qu’au décès de Philippe II de Montfort, la terre de Castres se trouva indivise entre ses enfants, la font rentrer tout entière dans la maison de l’un d’eux, Éléonore, en 1300 ou 1301, alors cependant que, postérieurement à cette date, et jusqu’en 1328, l’indivision subsistait encore entre Éléonore et Bernard de Comminge. Divers actes émanant d’eux, ou d’officiers royaux, sont en effet transcrits avec ces dates sur le Livre Vert, et ne peuvent sur ce point laisser place à la moindre incertitude : ils indiquent la quotité des droits ; quatre portions pour Éléonore, une pour Comminge : ils expliquent aussi que la terre de Castres était à ces époques en la main du roi, qui la faisait administrer par les sénéchaux de Carcassonne. Il faut donc pour rétablir la vérité, dire que l’entière terre de Castres ne se trouva réunie sur la tête d’Éléonore de Montfort qu’après 1328.

D’un autre côté, les mêmes auteurs disent que Catherine de Vendosme ne devint comtesse de Castres qu’à la mort de Bouchard II son frère ; cette indication se trouve aussi inexacte. On voit en effet, dans divers actes du Livre Vert, que Jean de Bourbon, époux de Catherine de Vendosme, prend le titre de comte de Castres, de 1363 à 1391 ; que de même, Jeanne de Ponthieu se dit aux mêmes époques comtesse de Castres au nom de son fils Bouchard. Il faut donc admettre qu’avant 1363, Jean de Vendosme s’était dessaisi du comté de Castres en faveur de ses enfants, et qu’à défaut de partage régulier opéré entre eux, ils prenaient l’un et l’autre le titre de comte ; la mort de Bouchard II fit ensuite passer l’entière seigneurie sur la tête de Catherine de Vendosme.

À côté de ces renseignements, se placent ceux qui sont relatifs aux officiers chargés de gouverner, et d’administrer la justice il est question dans le Livre Vert de sénéchaux, de lieutenants et de juges.

Les premiers sont : 1236-1268 Guilhem Miquel ; 1294 Girmon de Burlats ; 1307-1399 Ramond de Rabastens pour Éléonore de Montfort Jean Valestra pour M. de Comminge ; 1321-1324 Guiraud de Cogera et Rostaing de Bagnolas sénéchaux de Carcassonne ; 1328 Jean Bertolmieu sénéchal nommé par le roi ; 1330 Baudo de Alt Pol ; 1334-1337 Guilhem d’Espériat ; 1341 Bonnet de san Stève ; 1344-1347 Isarn de Lautrec ; 1355 Jean de Bayne seigneur d’Escroux. Les seconds sont : 1363 Philippe Manissart lieutenant de Jeanne de Ponthieu ; 1398 Louis de Bourbon lieutenant de Catherine de Vendosme sa mère ; 1435 Bernard d’Armagnac lieutenant du roi son père, ou pour dire vrai, son beau-père, car le comté de Castres appartenait alors à Jacques de Bourbon, roi de Naples.

Enfin les juges sont : 1279 Jean de Cassanhas ; 1294 Arnaud de Pujols ; 1307 Guilhem Bras ; 1321-1324 Guilhem del Balut et Aymon Goffa lieutenants des sénéchaux royaux ; 1330 Armand d’Annès ; 1334 Guilhem Pastre ; 1341 Ramond Corda ; 1344 Bernard de Calmon ; 1355 Jean de Valgon ; 1363 Alric de Majanel ; 1377 Pierre Isarn ; 1382 Jean Lamanhia.

Quoique ces renseignements soient insuffisants à cause du petit nombre de documents transcrits, ils sont précieux, et forment la liste des officiers seigneuriaux la plus complète qui ait été publiée. Réunis à ceux que fournit Borel, ils ne doivent laisser que de faibles lacunes.

Le Livre Vert renferme l’énumération des lieux dépendant du comté de Castres. Placée dans un document émanant d’officiers royaux, Ramond Huro, juge mage à Toulouse et Berthomieu Vidal, d’Albigeois, cette énumération ne saurait être l’objet d’aucune critique ; et si Jeannes, Rayssac, Montredon, Vénés, Sénégas, Trivisy, Lacaze, Vabre, Ambres, Graulhet, Briatexte, Réalmont et la Fenasse n’y figurent point, il faut admettre que ces lieux ne devaient pas y être compris. C’est donc à tort que Borel, Defos et M. Nayral les indiquent comme faisant partie intégrante du comté de Castres. Ils ont pu sans doute y être incorporés plus tard, à l’époque où le roi est devenu seigneur direct de ce pays ; mais en 1376, et pendant que la terre de Castres formait une seigneurie distincte, il n’en était pas ainsi.

On peut s’en rendre compte. Jeannes et Rayssac dépendaient de la vicomté de Paulin. Sénégas, Vabre, Lacaze formaient une seigneurie particulière, désignée sous le nom de Sénégadas et possédée en 1300, par la famille de Lévis, comme le prouve un arrêt du parlement de Paris de 1299, portant que cette terre de Sénégas relève directement du roi, contrairement à la prétention de Philippe de Lévis qui soutenait la tenir de Dieu seulement, selon l’usage et coutume d’Albigeois. Ambres formait une baronnie dont les seigneurs figurent dans l’histoire avec un certain éclat. Enfin Réalmont était, depuis son origine, une ville royale, comme son nom l’indique.

Voici du reste à quelle occasion cette énumération de lieux se trouve mentionnée. Grands et petits, tous les fiefs étaient soumis en faveur du roi, à un impôt fixé au dixième du revenu. La guerre, la disette, la peste avaient à la fois désolé le pays : le revenu que les habitants retiraient de leurs terres se trouva réduit dans une proportion considérable. De là, de nombreuses réclamations sur la quotité des taxes royales : à la suite de ces réclamations, une ordonnance fut rendue par le duc d’Anjou, gouverneur du Languedoc, pour enjoindre aux officiers déjà nommés, de se rendre dans le comté de Castres et de fixer le revenu de ses habitants.

Cette vérification contradictoire prouva que le revenu avait été réduit de 20,000 livres tournois à 8,690, et comme il était alors d’usage de désigner par le mot feu, un ensemble d’immeubles produisant dix livres tournois de revenu, et formant l’unité imposable, l’acte mentionné constate, qu’au lieu de contribuer aux taxes royales à raison de 2,000 feux, le comté de Castres ne devait compter que pour 869 feux.

Deux autres documents transcrits dans le Livre Vert s’occupent aussi des taxes royales : l’un est une quittance datée de 1376, fournie par le duc d’Anjou aux communautés du comté de Castres, pour l’année qui a précédé la révision des feux ; la somme est de 20,000 livres, à raison de 2,000 feux. L’autre constate qu’en dehors de l’impôt ordinaire, le roi prélevait parfois des sommes considérables sur les habitants : c’est une lettre du roi Philippe, datée de Paris 1er  juin 1334, dans laquelle il ordonne à tous officiers, députés dans le royaume pour lever les subsides destinés à fournir l’apanage de ses enfants, de ne rien exiger des hommes et sujets demeurant sous la haute et basse justice de son aimée Éléonore de Montfort ; il oblige même de rendre tout ce qui pouvait avoir été déjà perçu. Il paraît que ce subside était fixé à 20 livres par feu, et absorbait par conséquent le revenu de deux années. — On peut facilement comprendre la joie que les habitants du comté durent éprouver en se voyant exemptés d’une charge aussi lourde.

C’était au reste l’époque où la perception des tailles était poussée jusqu’aux dernières limites ; et ce que le roi n’exigeait pas, le seigneur manquait rarement de le percevoir ; on n’a qu’à lire pour s’en convaincre, les lettres de lieutenance données par Jeanne de Ponthieu à Philippe Manissart, en 1363, par Catherine de Vendosme à son fils, en 1398 : elles portent l’une et l’autre pouvoir d’imposer tailles, aides et subsides, aussi nombreux et aussi forts que la nécessité pourrait le commander.

Enfin le Livre Vert mentionne comme appartenant aux communautés du comté un droit qu’on ne saurait passer sous silence : c’est celui de se réunir par leurs consuls ou délégués, pour délibérer sur toutes les questions d’intérêt commun, et, pour l’exécution des décisions prises, imposer les taxes nécessaires.

Ce droit concédé par Jean de Bourbon en 1377, établissait à vrai dire dans le comté un espèce de conseil général, dont les pouvoirs avaient avec ceux des assemblées départementales de nos jours, une analogie frappante. Il répondait du reste à un besoin qui s’était manifesté à l’occasion des guerres soutenues contre les Anglais. Castres était en effet déjà devenu un centre de défense ; et les dépenses rendues nécessaires par ses fortifications avaient été payées par diverses communautés du comté. Seulement les consuls de la ville avaient cru pouvoir imposer les habitants forains, de leur propre autorité ; et Lacaune, Viane, Espérausse, Brassac, Castelnau, Gijounet, Cabanes-et-Barres, Escroux et Roquefère, réclamaient contre cette usurpation. La cause fut portée devant Guilhem de Spériat sénéchal, et la sentence rendue par lui dans une des salles de la Tourcaudière de Castres, décida qu’à l’avenir les consuls de Castres ne pourraient pas imposer les communautés du comté. Lorsque des affaires d’intérêt commun se présentèrent postérieurement, il devint donc indispensable d’être autorisé à se réunir pour délibérer.