Principes de philosophie zoologique/De la théorie des analogues, appliquée à la connaissance de l’organisation des poissons

DE LA

THÉORIE DES ANALOGUES,

Appliquée à la connaissance de l’organisation des poissons.
(Séance du 22 mars 1830.)

Le système de l’argumentation qui m’a été opposée dans la séance du 22 février dernier fut composé de deux parties distinctes, des deux objections suivantes :

Première objection : Si en insistant sur les analogies des êtres vous vous tenez dans d’étroites limites, vous ne dites qu’une chose vraie, convenue depuis 2,200 ans et posée par Aristote. J’ai répondu, dans mon mémoire lu le premier de ce mois, que ma doctrine dite théorie des analogues, reposant sur les seules données de l’anatomie et à tous égards sur des principes différens, n’était point une répétition de la doctrine aristotélique.

Seconde objection : Pour arriver à un principe d’unité, vous sortez du champ des faits réellement comparables, vous lui donnez une étendue qu’il faudrait au contraire restreindre, afin de se renfermer dans de plus étroites limites. C’est ce point que je vais aujourd’hui examiner en ce qui concerne l’organisation des poissons.

J’examinerai en outre plus tard la valeur de cette objection ; la première fois, en ce qui concerne les anomalies des développemens organiques dans chaque animal, anomalies qui constituent les faits de la monstruosité ; une autre fois, en donnant un précis de mes recherches sur la composition de la tête osseuse ; et, dans un troisième mémoire enfin, en rappelant ce qu’il y a de rapports acquis à la science entre les animaux supérieurs et les crustacés, les insectes, et généralement tous les animaux articulés[1].

Faut-il effectivement s’efforcer d’étendre de plus en plus, ou doit-on plutôt, au contraire, retenir dans des limites restreintes les applications du principe de la ressemblance philosophique des êtres ? je n’entends traiter aujourd’hui cette question qu’en ce qui concerne l’organisation des poissons.

Toutefois, avant d’aborder ce sujet, je pressens et ne veux nullement écarter une objection qui pourrait m’être faite et que je pose comme il suit : « C’est de mollusques et non pas de poissons qu’il s’est agi au commencement de ces débats : refuser d’arriver au moment même sur le terrain de la lutte, c’est se placer sous la prévention inévitable d’un arrêt déjà porté, sous le coup d’une décision fermement prononcée et qui est consignée dans la science de la manière suivante : Les céphalopodes ne sont le passage de rien, n’étant point résulté du développement d’autres animaux, et leur propre développement n’ayant non plus produit rien de supérieur à eux[2]. »

La théorie des analogues puise dans ses règles un caractère d’inspiration et d’avenir. Le ton dogmatique, appliqué au jugement des cas différentiels, répugne surtout à ses allures. Que, non employée jusqu’à ce jour pour la détermination des organes des céphalopodes, elle soit à leur égard restée silencieuse, serait-il juste de s’en prévaloir pour une condamnation définitive ? Non, certes. Qu’importe que l’on n’ait de faits acquis que pour les résultats suivans, que je reconnais volontiers ? Les céphalopodes, qui occupent un rang élevé parmi les animaux inférieurs, n’ont encore été étudiés que sous le point de vue des larges intervalles, de leur distance des groupes dont ils se rapprochent le plus. S’il n’est alors d’autres antécédens à leur sujet, la science seule est en défaut ; rien n’établit donc encore que, dans la question qui a été agitée, l’avenir de la théorie des analogues soit, en ce qui touche les mollusques, pour le moins du monde compromis.

Que d’espoir, au contraire, pour que, dans la suite, les vraies affinités des mollusques soient enfin exposées et expliquées. Il n’est besoin pour cela que de poursuivre, par une autre marche et dans une mesure convenable, des recherches selon l’esprit de notre nouvelle méthode pour la détermination des organes : surtout qu’on ne demande aux faits que leur partie possible et seulement relative au degré d’organisation où ils sont observés. Car c’est d’animaux descendus de plusieurs degrés dans l’échelle zoologique qu’il s’agit, et par conséquent cela équivaut à considérer des êtres qui appartiennent à l’un des âges des développemens variables de l’organisation. Et, en effet, il est juste de considérer les mollusques comme réalisant à toujours l’un des degrés inférieurs de l’ordre progressif des développemens organiques, à les voir comme arrêtés à ce point, et pour cet effet, comme n’ayant point encoure fourni une telle sorte d’organe, ou si celui-ci commence à poindre, comme ne l’ayant point encore produit au grand complet.

Voilà pourquoi je ne dois ni ne puis comparer immédiatement entre eux des degrés extrêmes de l’échelle. J’aurais à donner d’abord aux anneaux intermédiaires toute l’attention possible : autrement ce serait prendre le contre-pied de l’ordre logique des idées, et réellement commencer par où il convient au contraire de finir.

C’est ce que je ferais de la même manière, si je devais démontrer que le bourgeon qui apparaît d’abord appartient, mais dans un degré inférieur d’organisation, au même système de composition que la branche qui en doit provenir. Et, par exemple ; appliquons ceci au bourgeon d’où proviendra le cep d’une vigne, richement chargée et ornée de grappes pendantes. Il ne serait non plus, ni raisonnable, ni logique, d’essayer une explication à cet égard, en omettant l’examen de tous les âges intermédiaires du rameau, la considération des degrés successifs du développement.

Il en est de même de chaque famille retenue dans les degrés du milieu de l’échelle : chacune correspond à l’un de ces âges que le bourgeon devra parcourir, pour qu’il vienne à produire sa branche et ses fruits au grand complet.

Cela posé, nous ne saurions nous écarter d’une situation donnée. Les poissons viennent après les reptiles, et en avant des mollusques ; les poissons sont donc nécessairement cet anneau intermédiaire que l’ordre logique des idées nous appelle préalablement à examiner.

Mais d’abord, que se trouve-t-il d’établi à cet égard chez Aristote, dans les ouvrages de ce fondateur, de l’anatomie comparée, source invoquée de toutes lumières ? Quelque confusion y existe ; on va le voir : Les mollusques ne sont pas des poissons, nous apprend son histoire des animaux, au liv. 4, chap. I, parce qu’ils n’ont pas de sang ; puis, plus loin, au liv. 9, chap. II, il est dit qu’ils en font partie. Du moins Aristote range parmi eux le calmar ; en ne voyant dans cette citation que l’effet d’une méprise, j’en conclus du moins qu’Aristote croyait les mollusques placés auprès des poissons.

Une autre question mérite un peu plus d’attention, celle de savoir si les poissons ont été, à l’égard de leurs matériaux constituans, ramenés aux animaux dont ils sont précédés, et avec lesquels on les a toutefois et à toujours classés. Si c’est encore là un fait laissé en question, on comprend qu’il doive être traité d’abord ; car nous ne saurions laisser ce point de la discussion en arrière, sans le priver, au profit de la question générale, des faits les plus nécessaires et de l’action de leur puissance. Et en effet, que vous passiez des poissons légitimement renfermés dans l’embranchement des animaux vertébrés, d’eux parfaitement ramenés sur les animaux supérieurs par l’identité de tous les détails de leurs organes aux êtres de la seconde série qui viennent après, c’est se procurer l’appui d’une transition naturelle, c’est se ménager un avenir pour connaître mieux ces animaux des degrés inférieurs, qu’un hiatus manifeste, dit-on, sépare absolument, et que par conséquent il faudrait attribuer à un autre plan.

Plaçons ici une remarque ; c’est que, si la lutte qui s’engage aujourd’hui avait eu il y a quinze ans les poissons pour objet, elle nous eut pris beaucoup plus au dépourvu que nous ne le sommes au sujet des mollusques ; car alors personne ne s’était essayé ex professo, dans la carrière de la détermination philosophique des organes. Mais présentement, à la place d’une sorte de tâtonnement et des ressources d’un instinct plus ou moins bien dirigé, nous possédons un corps de principes dans la théorie des analogues. Ainsi, il y a quinze ans, on eût tout naturellement dit, l’on eût facilement établi, en se fondant sur la doctrine aristotélique qu’il n’y avait aucun rapport appréciable et précis entre les animaux de la respiration atmosphérique et ceux de la respiration aquatique, à l’égard de leurs organes respiratoires. Effectivement une argumentation habile, possédant les faits comme ils existaient alors dans la science, sans être arrêtée par les décisions des méthodistes par les données des classifications dès-lors approuvées, n’eût pas manqué de se prononcer en faveur de l’existence d’un type ichthyologique à part. Pour qui étudiait il y a quinze ans les organes de la respiration, les différences étaient partout, quand l’analogie des matériaux constituans n’apparaissait nulle part.

Mais enfin, après l’époque où l’on étudia les faits sous le point de vue de leurs différences, arriva celle de la recherche de leurs rapports ; j’ai employé de quinze à vingt ans dans ces recherches quant aux poissons ; et ce fut assez tard que j’en suis venu à penser, à admettre avec toute confiance qu’il n’y a pas de matériaux créés spécialement pour un type ichtyologique ; et que, par conséquent, il n’existe chez les poissons, de même que chez les animaux supérieurs à l’homme, pour en composer les organes respiratoires et autres, qu’un nombre quelconque de parties identiques, absolument les mêmes, essentiellement parlant, mais qui, susceptibles de varier dans leur volume respectif, puisent la raison de leurs modifications comme formes et comme fonctions dans l’influence des milieux, où ces mêmes parties sont appelées à se développer.

Je vais rendre ma pensée sensible, en citant un exemple appréciable par tout le monde. La rose qui a conservé ses étamines intéresse le botaniste sous le rapport du maintien de ses faits de famille, et la rose qui les a perdues, par une transformation en pétales, n’en plaît que davantage au jardinier, dont elle embellit les parterres. Mais pour le philosophe qui échappe aux inductions de ces positions spéciales, ces deux sortes de roses sont un seul et même végétal, variable sous l’influence des milieux ambians ; car cette rosacée est composée de parties, les mêmes comme substance, identiques comme élément constituant. La forme et les fonctions de ces parties n’ont aucune importance dans ce point de vue ; seulement, comme en disposent et l’influence et les réactions de son monde extérieur, cet élément est une étamine, ou bien un pétale ; mais précédemment à toute qualité acquise, chaque élément est d’abord lui-même, puis capable de tous les volumes possibles, c’est-à-dire, susceptible de se maintenir dans un medium, de se restreindre au minimum, ou enfin d’être emporté au maximum de son développement ; quelquefois jusqu’à subir les écarts de la plus étrange métamorphose.

Qu’y a-t-il en de si habilement combiné dès l’origine des choses, pour qu’on soit reçu à nous opposer le consensus omnium, que semblent donner à la détermination des organes, leurs dénominations actuelles ? Qu’aurait effectivement fondé, plusieurs siècles avant l’ère chrétienne, la doctrine aristotélique, pour qu’on s’en prévaille aujourd’hui, et qu’on soit en droit de déclarer qu’il s’y faut tenir ? Il n’y a de réel en faveur du passé qu’une seule raison, laquelle n’est pas bonne, c’est qu’on n’a point soumis à révision les anciens usages, et qu’on s’est long-temps tenu satisfait d’opinions, qui cependant ne sont pas toujours restées stationnaires. Nous sommes les premiers à publier que, durant les siècles, et principalement par les soins de l’Auteur des leçons sur l’anatomie comparée, un savoir très étendu, les ressources d’une sagacité exquise, et le bonheur de laborieux efforts ont fait découvrir un grand nombre de précieux rapports, tous inaperçus dans l’enfance de la science. Les travaux de Perrault, de Daubenton, de Vicq-d’Azir, etc., mais particulièrement ceux de 1795, et des années suivantes, ont commencé à faire de l’anatomie comparée une science positive.

Cependant quels avaient été les inspirations et les procédés d’Aristote ? Comment comprenait-il et les rapports et les traits différenciés des êtres ? Je distingue, a-t-il écrit, deux sortes d’animaux, les uns qui ont du sang, et les autres qui n’en ont pas. Cette division et l’idée sur laquelle elle repose ont été toujours reproduites ; au temps de Linnéus, on disait animaux à sang rouge et animaux à sang blanc ; de Lamarck a recommandé et fait adopter cette autre formule, animaux vertébrés et animaux invertébrés.

Pour Aristote, il y avait donc des animaux de deux sortes ; mais remarquez ; il ne dit pas de deux types, il les fait au contraire sortir d’un type primordial. Il y a d’abord, selon ce philosophe, des animaux : les considérant ainsi abstractivement, il prend cette vue générale pour un premier fait, et ce n’est que secondairement qu’il aperçoit en eux des qualités distinctes. L’organisation animale est donc fondée dans les idées d’Aristote sur quelque chose d’essentiel et de primitif, qu’il n’a malheureusement pas spécifié ; en ajoutant, sur un même système de composition pour les organes, nous complétons sa pensée.

Dans cette première partie des vues d’Aristote, nous ne différons point : la priorité de ces vues lui reste par conséquent acquise ; mais quant à la seconde partie de son ancienne doctrine, nous différons totalement. Faute d’avoir compris que cette composition des organes, une au fond, essentiellement la même, comme résidant uniquement dans la considération de l’élément anatomique, était altérable dans une mesure quelconque de la part du monde extérieur, le philosophe grec a cru que les analogies de l’organisation, pressenties, aperçues par son génie, reposaient entièrement sur la considération des formes et des fonctions. Là est l’erreur introduite dans sa doctrine ; erreur qui s’est perpétuée durant tant de siècles. C’est cette erreur dont nous garantit aujourd’hui la théorie des analogues, qui, s’étant fondue avec un principe vrai, a causé depuis tant de dissentimens. Ce principe vicié dans son application, et l’erreur qui en obscurcissait l’utile reflet, agirent simultanément pour inspirer également et les naturalistes qui tenaient à une réalité de différences absolues, et ceux qui prétendirent rallier et ramener les faits de variation à l’unité de rapports. Telles sont les idées confuses qui ont plus ou moins profondément pénétré dans tous les travaux de la précédente école, et dont on peut trouver un exemple remarquable dans le passage ci-joint. « Il n’y a de ressemblance entre les organes des poissons et ceux des autres classes, qu’autant qu’il y en a dans les fonctions. » Cuv., hist. des poissons, tom. i, p. 550.

De ressemblance absolue, sans le moindre doute ; qui en pourrait douter ? Cependant, comme il est placé dans cette phrase, le mot ressemblance est équivoque, pouvant être étendu dans un cas à ressemblance philosophique, puis dans un autre restreint à similitude parfaite.

À ce moment il serait peut-être utile au développement de ma thèse que, par un précis historique de ce qui fut pratiqué, je fisse ressortir toutes les inconséquences des procédés usuels dans l’imposition des noms qui furent attribués aux organes supposés identiques. Il y avait difficulté d’opérer quand on passait d’une famille bien connue à une autre placée à d’assez grands intervalles de celle-là. Les considérations tirées de la forme et de la fonction formaient le point de départ ; les céphalopodes et les crustacés gravissent ou rampent à la surface du sol ; les appendices qui s’y emploient sont donnés pour des pieds. Chez les crustacés décapodes, ces appendices, les mêmes, essentiellement parlant, sont de trois sortes relativement à leur usage ; les antérieurs s’emploient à saisir la nourriture ; ceux du milieu à marcher ; et enfin les postérieurs ne portent à l’esprit que l’idée de leur inutilité, soit dans la locomotion, soit de toute autre manière. Or, tels sont leurs noms : pates-machoires, pates ambulatoires et fausses pates. Ainsi toujours la fonction est placée au premier rang des considérations invoquées : qu’il y ait ce motif de se décider, c’en est assez pour arriver à un nom commun ; douter pour mieux juger de cette considération, pour justifier de ce parti pris, ce ne serait pas aller au plus pressé ; il suffisait que la fonction se présentât sous un aspect nouveau. Dans ce cas, on ne se fait aucun scrupule ; des noms nouveaux interviennent. Ainsi ont été imaginé pour plusieurs des matériaux de l’organisation des poissons, les noms inusités chez les autres animaux vertébrés d’opercule, de préopercule, d’interopercule, de subopercule, de rayons branchiostèges, d’arcs branchiaux, de branchies, etc. Cependant la fonction dans ce cas invoquée, la fonction ne signifie qu’usage, service. Mais alors, je le demande : usage, service, de quoi ? Quelle partie corporelle aurait, se trouverait avoir cette fonction ? Que sont en eux-mêmes, intrinséquement, ces matériaux ? Voilà ce que vous laissez, sans même y avoir réfléchi, parmi les inconnus de votre problème : vous n’avez donc encore donné à l’objet de vos considérations qu’un nom provisoire.

Mais cet aveu précis, qui devait avoir l’avantage de présenter l’état actuel de la science, aucun ichtyologiste n’a songé à le faire ; d’où il est arrivé que toute omission à cet égard équivaut à une déclaration implicitement prononcée qu’il y a chez les poissons quelques matériaux détournés du plan commun, créés pour eux spécialement, qu’enfin c’est la nouveauté de ces parties qui a fait recourir à de nouvelles dénominations.

Or, une telle spécialité, je la conteste formellement. Je vais plus loin, je la tiens pour impossible. Et en effet, quand les poissons correspondent aux classes supérieures par la presque totalité de leurs organes, il faudrait admettre que sur un seul point, l’appareil respiratoire, cette correspondance serait en défaut. Faire une telle supposition, n’est-ce pas croire possible l’alliance de choses hétérogènes ? n’est-ce pas vraiment retirer son principe d’existence à un composé organique, qui n’est et ne peut être que par les relations réciproques et l’harmonie de ses parties constituantes ?

Mais cessons de nous occuper de ce qui s’est fait dans l’enfance de la science, de ce qu’il y a de vicieux dans les termes dont on s’est servi pour exprimer des idées non encore suffisamment élaborées ; et voyons de plus haut notre sujet.

Il n’y a organisation animale que par l’intervention nécessaire et sous la puissance du phénomène de la respiration. Or, l’exercice de ce phénomène n’est possible que dans deux milieux différens, l’air et l’eau. Avec les différences de leur densité respective, ces deux fluides auraient pu également recevoir d’autres conditions d’existence, et, par exemple, se trouver agir avec une entière et réciproque indépendance relativement aux animaux.

Je ne me suis point d’abord donné cette hypothèse, mes premiers travaux ayant été faits sous l’inspiration des idées aristotéliques. Mais, parvenu au milieu de ma carrière, j’ai jugé nécessaire d’y recourir, pour examiner à fond la question de savoir, si les deux milieux, dont je ne pouvais méconnaître la puissante intervention, toute la force de réaction, ou bien avaient le pouvoir d’exiger que l’organisation animale fut préalablement pourvue des conditions d’un type à part, ou bien se trouvaient suffisamment appropriés aux conditions d’existence d’un seul type, dans ce cas préexistant à toute fonction ; mais que chaque milieu aurait la ressource de modifier, c’est-à-dire, d’accommoder au caractère de sa densité spécifique.

Lacépède dut croire à la première de ces hypothèses, supposer l’action d’une double donnée primitive, considérer enfin l’organisation animale comme assujettie au développement de deux plans distincts, quand, dans le discours préliminaire de son histoire des poissons, il en vint à proposer une théorie nouvelle de respiration pour les animaux pourvus de branchies. C’est, selon les principes de cette théorie, l’eau en nature, et nullement l’air disséminé entre les molécules de l’eau, que les poissons respirent directement. La décomposition de l’eau serait produite par leur action vitale ; un mécanisme à part, une autre sorte d’appareil respiratoire auraient ce pouvoir et donneraient ce résultat. On suit, dans l’hypothèse donnée, les deux élémens du liquide après leur séparation ; chacun s’incorpore à sa manière dans la substance des organes. Cependant l’on ne trouva pas que les effets répondissent, quant aux degrés des différences, à la diversité de la cause. Des êtres, se développant sous l’influence d’un tel régime, devaient en justifier par des formes encore plus singulières que ne le sont celles des poissons, devaient donner des produits tout-à-fait bizarres, des reliefs à dépasser toutes les prévisions, les suppositions les plus exagérées.

Les faits interrogés, la seconde hypothèse en a paru la véritable expression : personne n’en doute aujourd’hui. Ainsi il n’y aurait, il n’y a véritablement qu’un seul système de composition organique, qu’un dessein primitif pour régler l’arrangement de ses parties, qu’un seul plan, enfin, unique à l’égard de ce qui forme l’essence et l’enchaînement des élémens compris dans toute formation organique. Mais ce système est altérable dans ses parties, de la part des milieux ambians, où il puise des élémens assimilables et la raison de sa variation sur chaque point ; différence introduite par la diversité des volumes respectifs.

Quels faits auraient donné ces réponses avec autant de précision ? Quelles recherches m’autorisent à m’y fier entièrement ? Pour l’expliquer, il suffira de raconter ce qui m’est arrivé. De 1804 à 1812, j’ai agi sous les inspirations de la science comme elle existait alors. J’avais eu d’abord besoin, décrivant, pour le grand ouvrage sur l’Égypte, un poisson du genre tétrodon, de déterminer une pièce d’une grandeur démesurée ; laquelle joue un rôle très remarquable dans le mécanisme de cette espèce. C’est un os long, qui tient lieu des côtes absentes. Sur lui arrivent et s’attachent, d’une part, les muscles de l’épaule, et de l’autre, les muscles intercostaux : ceux-là l’entraînent en devant, et ceux-ci par derrière : position variable, à laquelle se rapportent les phénomènes curieux du gonflement des tétrodons, et au moyen de laquelle ils passent d’une forme allongée à une autre entièrement sphéroïdale. Cet os, sur l’existence duquel reposent tant de faits curieux d’une industrie individuelle, il fallait l’appeler par son nom ; mais ce nom manquait. Au lieu de le créer pour cette circonstance particulière et arbitrairement, je préférai le demander à la science, le tenir des déductions de l’analogie ; et c’est de cette époque que datent mes premières recherches sur la ressemblance philosophique des organes. Je me fixai à l’idée que c’était une partie de l’épaule, et j’en donnai la détermination sous le nom d’os coracoïde.

De cet appareil ainsi ramené, je passai aux pièces adjacentes, m’attachant à parcourir de proche en proche toutes les régions anatomiques. Comme formes, c’était pour moi un spectacle nouveau : car rien, ou à peu près rien, de l’aspect que montrent les autres animaux vertébrés n’était conservé chez les poissons. Au fur et à mesure que les difficultés se multipliaient, j’avais l’espoir d’en triompher par un travail persévérant, quand je me trouvai définitivement arrêté.

Ce fut en abordant cette question : Qu’est-ce que l’opercule ? Quelle partie de l’organisation des classes supérieures devra fournir son analogue ? De 1809 à 1812, je fis d’inutiles efforts pour le savoir. Après beaucoup d’hypothèses, qui se trouvèrent de fausses spéculations, je me résignai ; je m’arrêtai devant cet obstacle, que je considérai décidément comme insurmontable.

Mes recherches, d’abord si ardemment poursuivies, n’étaient donc plus vivifiées par le principe qui les avait inspirées ; plus d’espoir d’en faire l’application à la totalité des organes : et ce qui rendait cette crise encore plus pénible, c’est que l’obstacle qui m’arrêtait me faisait douter de la réalité des rapports précédemment trouvés. Je ne ramenai ma pensée sur tant de labeurs inutiles qu’avec un sentiment très vif de regrets. Cependant, en 1817, un éveil de l’esprit m’avertit que les cinq années de mon involontaire repos ne s’étaient point infructueusement écoulées. Je crus enfin à la solution de cette question : Qu’est-ce que l’opercule des poissons ? lorsque je vins à savoir que les trois os de la plaque des ouïes sont analogues à la chaîne des osselets, nommés spécialement chez l’homme et les mammifères les petits os de l’oreille.

Dès ce moment je repris courage et recommençai mes travaux pour ne plus les abandonner. Mes idées, fixées désormais, acquirent de l’étendue. Les obstacles eux-mêmes qui m’avaient arrêté, examinés dans ce qu’ils avaient de portée, furent appréciés. En ramenant ma pensée sur les fautes que j’avais commises, ces souvenirs devenaient pour moi une source tellement utile d’instruction, qu’engagé dans de profondes méditations à leur sujet, je fus insensiblement amené sur la chaîne des faits : ayant saisi leur ensemble, je les vis aboutir enfin à de hautes et importantes généralisations, à l’établissement de quelques règles et à la révélation de principes, qui sont le fondement de ma théorie des analogues.

On conçoit maintenant que, me reposant sur un tel appui, sur une théorie ainsi déduite d’un grand nombre de faits et de propositions générales fournissant leurs justifications, je ne m’étonne plus des transformations que subissent les parties employées dans l’acte de la respiration. Nécessairement les mêmes fondamentalement, car elles doivent exister en harmonie avec les autres systèmes organiques, dont les rapports communs ne sont point contestés ; nécessairement, dis-je, les mêmes au fond, elles arrivent juste à l’état de transformation, où il faut s’attendre à les trouver. Car elles doivent être, et elles sont effectivement modifiées et accommodées sur la nature diverse des deux milieux, l’air et l’eau, où elles sont appelées à entrer en exercice. Ce serait même un fait inexplicable, un effet manquant à sa cause, que ces parties de l’organe respiratoire ne répondissent pas par une variation de formes proportionnelle à la diversité de densité des deux milieux. Voilà comment les grandes métamorphoses des pièces respiratoires ne devinrent pour moi qu’un fait simple, que la conséquence de prémisses aperçues.

Cela posé, je me suis demandé ce que deviendraient les matériaux employés dans le jeu des phénomènes de la respiration s’il fallait qu’ils entrassent successivement en fonction dans les deux milieux, et j’ai trouvé que le fait lui-même répondait péremptoirement. Il n’est besoin, en effet, 1o , quant au milieu atmosphérique, que d’accroître les surfaces de l’appareil, de l’augmenter en longueur, de l’établir dans le centre de l’animal ; car l’air élastique peut s’insinuer dans les retraites les plus profondes, s’il lui est, à cet effet, ménagé une issue : et 2o , quant au milieu aquatique, que de rapprocher toutes les parties de l’appareil, de les concentrer et de les amener au dehors de l’animal, pour qu’elles puissent être continuellement immergées dans le milieu ambiant ; liquide sans ressort, dans lequel chaque molécule du sang n’a plus que la ressource d’un contact immédiat pour vaincre plusieurs résistances, la cohésion de l’air avec l’eau et celle des deux élémens de l’air lui-même. Or, voilà ce que des recherches à posteriori et poursuivies durant vingt ans de ma vie, m’ont fait connaître comme étant ce qui existe, comme donnant en réalité le rapport des animaux avec leurs milieux ambians.

Oui, sans le moindre doute, tout l’appareil respiratoire n’est que modifié en deux systèmes[3] : les formes que ces deux systèmes affectent et les fonctions qu’ils remplissent sont variées comme le sont elles-mêmes les résistances des milieux ambians ; mais l’appareil quant à l’essence et à l’arrangement de ses élémens reste au fond le même. Et ne tombe-t-il pas en effet sous le sens que c’est à un appareil unique, que c’est à un organe identique au fond, qu’il appartient de produire ce qui n’est dans les deux cas que le même phénomène ; lequel consiste dans la combustion d’une partie du sang par l’absorption de l’oxigène de l’air[4].

Ainsi l’ont aperçu d’une manière vague et l’ont déclaré implicitement dans leurs classifications les naturalistes méthodistes, quand, sans la moindre hésitation, ils rangèrent les poissons dans l’embranchement des vertébrés. Mais en accédant à ces vues de rapports, ces naturalistes n’auraient-ils cédé qu’au besoin d’aligner, d’ajuster et d’isoler les êtres dans des classifications ? On est vraiment tenté de le croire, puisqu’à peine ces travaux ont-ils porté quelques fruits, qu’ils sont aussitôt démentis dans l’exécution. On distingue bientôt chez les poissons des parties qui sont ramenées à leurs analogues chez les animaux supérieurs, et d’autres qui ne le sont pas : celles-là ont un nom commun, et celles-ci au contraire un nom spécial, comme si elles étaient un produit nouveau de la création.

Expliquons ceci. Nous n’en saurions douter : on ne s’est point livré de gaîté de cœur à cette contradiction manifeste ; on y a été poussé par le besoin de marcher vite dans les travaux de l’ichtyologie proprement dite. La zoologie, dans son besoin d’activité, n’a pu attendre les travaux plus réfléchis et plus lents de la zootomie. Celle-ci n’avait pu livrer à temps ses considérations philosophiques. Des noms étaient nécessaires, il a bien fallu s’en pourvoir. Des noms provisoires ont donc été imaginés et accueillis, pour aider à décrire les espèces. S’il en est ainsi, cet établissement provisoire ne constitue point une légitime possession d’état, et ne saurait être invoqué comme un résultat présentant le dernier terme de la science : cette adoption d’un langage spécial atteste seulement des habitudes irréfléchies.

Les pièces de la tête des poissons ne sont, suivant moi, ramenées à leurs véritables analogues qu’à l’égard d’un peu plus du tiers de leur nombre, 13 sur 32, dans l’Histoire naturelle des poissons, récemment publiée. La différence au point de départ explique un aussi grand dissentiment. Dans l’opinion que 13 pièces seulement sont ramenées, on admet les rapports qui portent à la fois sur l’objet, ses formes et ses fonctions ; dans le système contraire, celui que la détermination de 32 pièces est possible, on s’en tient à la seule considération de l’élément anatomique. Je reviens sur la préférence que j’ai cru devoir donner à cet unique point de vue, pour remarquer, qu’agir autrement, c’est reconnaître chez les poissons deux natures distinctes : l’une, se rapportant à l’organisation commune des animaux vertébrés ; et l’autre, qui aurait donc réussi à y échapper entièrement. On ne peut dire maintenant que les déterminations d’organes, que tous les efforts pour les ramener à une même conformation sont improbables, par la raison qu’introuvés, qu’inutilement tentés ; je rappellerai que le premier volume de ma Philosophie anatomique a été consacré à montrer que, partie pour partie, il n’est point de région anatomique qui n’offre le caractère de la similitude philosophique d’organisation, qui ne soit de fait décidément ramenée à leurs communs rapports.

Toute cette discussion précise d’une manière nette le point de notre controverse. Le champ des considérations philosophiques est nécessairement restreint dans le cas où trois élémens, qui ne coïncident pas toujours ensemble, sont appelés à y concourir ; et, tout au contraire, ce principe devient un sujet d’observation indéfiniment étendu, reposant uniquement sur la considération de l’élément anatomique. Dans le premier cas, c’est tout-à-la-fois le sujet, ses formes et ses fonctions, trois conditions qui ne peuvent se rencontrer et ne se rencontrent réunies que dans les animaux d’une même classe ; dans le second cas, l’élément anatomique reste partout comparable, même lorsqu’il disparaît ; car alors il reste, encore pour l’observation, des traces indicatives de sa disparition.

Mais il y a mieux, et c’est par cette dernière réflexion que je vais terminer : la fonction elle-même, en l’embrassant dans son énoncé général, ne manque véritablement point : elle se retrouve entière dans les cas que je viens de signaler. Effectivement, où frappent les faits différentiels ? c’est seulement en des régions et parties, dont l’ensemble se nomme l’organe respiratoire, sur des parties ici accommodées au milieu atmosphérique, et là, au milieu aquatique. Voyons la fonction : quels doivent-être en définitive l’emploi et l’usage de cet ensemble de pièces ? de produire l’oxigénation du sang veineux. Mais c’est à quoi s’appliquent également les deux sortes d’organe respiratoire. Et en effet dans un cas, l’air se précipite au fond d’une bourse sanguine ; en elle consiste tout l’appareil pulmonaire. Et dans l’autre, cette même bourse, qui perd sa condition d’un sac à une seule ouverture, puisqu’elle est plusieurs fois percée à son fond, réagit toutefois sur l’air engagé et retenu entre les molécules d’eau : cet organe ainsi transformé se porte sur l’élément respirable, s’y rend comme s’il arait été refoulé, repoussé, ramené dehors à la manière d’un doigt de gant retourné ; sous cette autre forme, il est appelé appareil branchial. Ainsi même en ce qui regarde les fonctions, si l’on en juge de hauteur et dans le but définitif de l’organisation, l’analogie est conservée.


Des faits exposés dans ce mémoire, je tire la conclusion qu’il ne faut point renfermer dans des limites autant restreintes que dans les cas posés par l’argumentation du 22 février, les questions de la ressemblance philosophique des êtres, et que par-conséquent j’ai pu et dû entendre dans un sens plus large qu’on ne l’avait fait avant moi les idées d’identité, les faits d’analogie des organes.

Et en définitive, c’est donner cette même pensée sous une expression plus générale que de considérer comme arrivée l’heure d’une salutaire réformation dans les études et le langage des faits de l’organisation animale. Serait-il sage en effet de prétendre qu’il faille à toujours se laisser dominer par des habitudes non suffisamment justifiées, de ne pourvoir aux besoins du moment que par des inspirations tâtonnées ou conçues dans l’ignorance des faits ; et de préférer enfin le vague et les oscillations d’un passé sans doctrine aux enseignemens des temps présens, riches de faits élevés à philosophie. On doit au contraire recourir aux inductions de tant de nouvelles propositions générales, dont l’ensemble devient une sorte de méthode, comme fournissant l’appui d’un guide assuré, et comme étant vraiment un instrument de découvertes, qu’on peut utilement appliquer à la détermination des systèmes organiques.

En d’autres termes, faut-il repousser ou au contraire admettre l’idée d’une nouvelle époque scientifique en ce qui touche l’organisation animale ? doit-on rester irrévocablement engagé dans les routes successivement et si diversement frayées de l’anatomie, ou bien tenter d’en ouvrir de nouvelles, sous l’entraînement et dans la direction des découvertes récentes ?

  1. Ces considérations, je me flatte toujours de m’en occuper ; comme je les conçois, elles seront une révision de mes anciens travaux, auxquels j’aurai beaucoup à ajouter. Trop étendues dans leur objet, aucune n’a pu trouver place dans cette première publication.

    Qu’en attendant, on veuille bien me permettre de déposer ici la pensée d’un rapport très élevé. Je hasarde sans doute beaucoup, en la privant de l’appui d’un grand nombre de faits indispensables à son développement.

    Les insectes et les mollusques, si on leur donne pour chefs de file les êtres du centre de chaque série, sont très différens, et présentent surtout des traits importans à constater, encore moins pour leur extrême précision, que par un caractère très curieux de relations réciproquement inverses. Car d’ailleurs, si vous jugez des deux embranchemens sur leurs animaux des confins de chaque série, on voit ceux-ci rentrer dans une commune conformation, et se confondre à tel point que la borne de démarcation entre les deux grandes familles est difficile à placer.

    La composition de l’animal n’est produite utilement qu’au moyen d’une distribution proportionnelle, régulière et harmonique des deux principaux systèmes, l’un pour la circulation des fluides, et l’autre pour l’excitation nerveuse. Il tombe sous le sens que, dans les développemens successifs et progressifs de l’organisation, le système sanguin et le système nerveux sont entre eux dans une raison nécessaire. Cependant, c’est à l’observation à fixer dans quelle mesure. Or, ce que chacun a pu remarquer comme un fait particulier, ce que chacun se trouvera savoir aussitôt qu’énoncée dans sa généralité, c’est la position respective de ces deux systèmes chez les insectes et chez les mollusques ; c’est leur balancement inverse pour la quantité ; d’où chaque groupe reçoit sa spécialité. Le système sanguin est en excès et au contraire le système nerveux est frappé d’atrophie chez les mollusques ; c’est l’inverse chez les insectes. Cela explique le large hiatus que l’on a remarqué entre ces familles, spécialement à l’égard des êtres du milieu de chaque série, et aussi les rapports si nombreux qu’elles montrent à leurs confins ; car, qu’il y ait des mollusques avec le système nerveux proportionnellement plus développé, et des insectes pareillement avec excès à l’égard du système sanguin, ce sont autant de conditions qui convergent vers le même point, pour ramener vers une commune conformation. Mais ce va et vient d’une organisation ici plus riche et là beaucoup moins, fournit ses faits pour des hiatus plus ou moins larges, sans compromettre en quoi que ce soit le principe de l’unité de composition organique.

  2. On m’a reproché de chercher des détours pour éviter de répondre catégoriquement sur les céphalopodes, véritable terrain de la controverse, au dire de plusieurs.

    1o  Je me suis expliqué sur le dessein que j’avais de laisser aux jeunes auteurs du Mémoire sur les mollusques, le soin et le mérite d’une réponse.

    2o  J’établis ici que je ne puis me dispenser d’étudier en premier lieu l’organisation des poissons.

    Ce n’est point là refuser le combat sur le terrain des mollusques. Que le champ soit libre encore, lorsque je ferai paraître ma seconde publication, j’aurai fait des recherches, et je les donnerai alors avec une parfaite sécurité.

    Cependant, si dès ce moment il me fallait agir, il suffirait d’une remarque pour montrer comment porte à faux l’échafaudage des raisonnemens et des dessins dont on a cru pouvoir s’étayer. Tout repose sur l’objection suivante : « Nous admettrions à la rigueur l’hypothèse de MM. Laurencet et Meyranx et la comparaison à laquelle elle donne lieu, si ce n’était qu’ils placent le cerveau au devant du cou. »

    Depuis les belles recherches de M. Serres sur le système nerveux des animaux, nous savons qu’il n’y a ni moelle épinière, ni cerveau chez les mollusques, non plus que chez les insectes. J’ai un instant cru et dit le contraire ; l’argumentation en a fait la remarque. Alors que j’étais, ainsi que tous les naturalistes, sous l’empire des opinions et des erreurs de l’enfance de la science, j’ai eu ce tort : je le reconnais sans peine.

  3. L’Académie, quinze jours après la lecture de ce mémoire, a reçu de M. Flourens une communication dans laquelle le mécanisme de la respiration des poissons est très ingénieusement exposé et expliqué. Les fonctions ramenées à la similitude d’action semblent former le but principal de ce travail. Cette coïncidence a frappé quelques esprits ; Voyez plus haut, p. 79.
  4. Mon fils (Isidore G. S. H.), traitant, dans le grand ouvrage sur l’Égypte, de l’hétérobranche harmout, espèce de poisson du Nil, fit ressortir, comme l’apercevant déduite de mes précédens travaux, la remarque suivante :

    « Les animaux possèdent tous élémentairement deux appareils respiratoires ; l’un branchial, rudimentaire chez les espèces qui vivent dans l’air, très développé chez celles qui respirent dans l’eau ; l’autre pulmonaire, rudimentaire chez les espèces qui respirent dans l’eau, et très développé dans celles qui respirent dans l’air. À la première de ces deux divisions appartiennent essentiellement les mammifères, les oiseaux, etc. ; à la seconde, les poissons et plusieurs familles d’invertébrés. Mais les deux systèmes d’organisation, que présentent ces deux divisions, ne sont pas les seuls que l’on puisse rencontrer dans la série animale : car, de même qu’il existe des êtres qui ont la faculté de respirer dans un milieu aérien, comme dans un milieu liquide, de même il existe des êtres chez lesquels se trouvent à la fois dans un degré moyen de développement et l’appareil pulmonaire et l’appareil branchial : tels sont plusieurs reptiles, comme la syrène, le protée et les têtards des autres batraciens ; et tels paraissent être aussi plusieurs crustacées, et particulièrement le genre birgus. Ces idées que mon père a communiquées à l’Académie des sciences, en septembre 1825, l’ont conduit à regarder, chez les hétérobranches, l’organe désigné autrefois sous le nom de branchie surnuméraire, comme un organe de respiration aérienne, comme un véritable poumon. Et il paraît, en effet, non seulement, que le harmout peut vivre plusieurs jours hors de l’eau, mais même qu’il quitte quelquefois de lui-même le fleuve, et s’avancent en rampant dans la bourbe des canaux qui aboutissent au Nil. »