Traduction par Saint-Germain Leduc et Aug. Planche.
Librairie de Guillaumin et Cie (Tome 3p. 255-308).


CHAPITRE XLVI.

DE LA POPULATION.

§ 1. — Pour soumettre la terre, il faut que l’homme croisse et multiplie. La tendance à prendre les formes diverses de la vie se trouve la plus forte au plus bas degré d’organisation. Fécondité et développement sont en raison inverse l’une de l’autre. L’homme étant le plus haut degré de développement doit donc être très-long à croître. Temps nécessaire pour que la population double. Quelque long qu’il soit, si la tendance procréative est une quantité fixe et donnée, toujours prête à être excitée à l’action, le jour doit arriver où la place manquerait pour la population. En est-il ainsi ? se peut-il que le Créateur ait soumis l’homme à des lois en vertu desquelles il devienne l’esclave de la nature et de ses semblables ?

« Croissez et multipliez, a dit le Seigneur, remplissez et soumettez-vous la terre. »

Pour la soumettre, il faut que l’homme multiplie et croisse ; — car ce n’est pas par l’association et la combinaison avec ses semblables qu’il acquiert le pouvoir de guider et d’approprier à son service les forces de la nature. C’est alors qu’en obéissant à l’ordre de Dieu, la matière tend de plus en plus à revêtir la forme humaine, — passant des simples formes de l’argile et du sable par celles plus complexes que nous présentent les règnes végétal et animal, et aboutissant à celles complexes par excellence qui composent les os, les muscles et le cerveau de l’homme.

La tendance à prendre les formes diverses de la vie est la plus grande au point le plus infime de l’organisation ; — au bout d’une semaine, la reproduction des êtres microscopiques se compte par millions, si ce n’est par billions ; tandis que, chez la baleine et chez l’éléphant, la gestation est longue et donne rarement plus d’un petit. Ce sont là les extrêmes, mais la règle est la même à chaque degré de l’échelle, du polype corail à la fourmi, et de la fourmi à l’éléphant, — d’où se tire la loi : que la fécondité et le développement sont en raison inverse l’une de l’autre. En vertu de cette loi constatée et certaine, l’homme, qui est « le chapiteau, le couronnement de l’édifice de toutes choses, » doit croître moins vite qu’aucun autre animal, et, — en poussant plus loin la même idée, — la fécondité de la race humaine doit diminuer à mesure que les facultés particulières à l’individu de cette race sont de plus en plus stimulées à l’action, et que se développe de plus en plus l’homme[1].

Le temps que la population, chez les nations principales, met à doubler, varie considérablement. En France, il faut plus d’un siècle ; en Angleterre, plus d’un siècle et demi ; tandis que, dans l’Amérique, il suffit d’un peu plus que trente ans[2].

En ce qui regarde la destinée finale de la race humaine, il importe cependant peu qu’en obéissance aux lois fixes et immuables, le doublement ait été arrangé pour s’opérer en trente, en cinquante, ou en cent années ; — toute la différence est que, dans le premier cas, il se trouverait dans sept cents ans d’ici sur la terre un million de têtes humaines pour chaque tête qui existe aujourd’hui ; tandis que, dans le dernier cas, il faudrait plus de deux mille ans pour que le même résultat se produise.

Maintenant quel serait l’effet d’un tel accroissement ? Évidemment de couvrir si bien la surface de la terre qu’il n’y aurait que la place pour se tenir debout. Quand approcherait le moment de cet état de choses, les subsistances seraient devenues fort rares, — ce qui permettrait au propriétaire du sol de dicter au travailleur les conditions auxquelles il permettrait la culture ; — l’un deviendrait plus complètement maître ; Fautive, plus complètement esclave.

Ayant une fois admis que la tendance à procréer est une quantité positive toujours prête à être stimulée à l’action, et existant à un degré tel qu’elle assure le doublement dans une période donnée, il devient impossible de nier que l’esclavage doive être la condition finale de la grande masse de la race humaine ; ni aussi que la tendance dans cette direction ne soit plus grande aujourd’hui qu’à aucune autre époque précédente, — l’histoire du monde ne présentant aucun exemple d’un accroissement aussi considérable que celui qui s’est opéré dans les cent dernières années en Angleterre, en Irlande et en Amérique. On ne peut nier non plus que, dans ce cas, l’homme ne doive être finalement vaincu par la terre, — et que ce mal, il l’ait encouru en raison directe de son obéissance au divin commandement que nous avons rappelé au début de ce chapitre.

En peut-il être ainsi ? Se peut-il que le Créateur ait été tellement en contradiction avec lui-même ? Se peut-il qu’après avoir institué, dans tout le monde matériel, un système dont les parties sont dans une harmonie si parfaite, il ait de dessein préconçu, soumis l’homme, le maître, le directeur de tout, à des lois qui ne peuvent avoir d’autres effets que de produire un désaccord universel ? Se peut-il qu’en même temps qu’il fournit partout ailleurs la manifestation évidente de l’union en lui des qualités de science universelle, de justice parfaite, de miséricorde inépuisable, il ait ici, — quand il s’agissait de son dernier et plus grand ouvrage, — il ait pris un caractère tout à fait contraire ? Même dans l’homme, la véritable grandeur est toujours conséquence, toujours harmonie avec elle-même. Se peut-il qu’après avoir donné à l’homme toutes les facultés nécessaires pour acquérir la domination sur la nature, il soit entré dans son dessein de le soumettre à des lois absolues et irrévocables, en vertu desquelles il doive devenir inévitablement l’esclave de la nature ?

§ 2. — La science physique atteste que l’ordre, l’harmonie et l’adaptation réciproque régissent tous les règnes qu’elle a encore explorés. Les économistes modernes ont pris des faits pour des lois. Les lois sont règles permanentes, uniformes et universelles dans leur action. La théorie de M. Malthus manque de tous ces caractères. La fonction procréatrice, en commun avec toutes les autres, est placée sous la loi de circonstances et de conditions. La loi de la vie humaine doit être en harmonie avec le dessein du Créateur. La guerre et la pestilence sont-elles nécessaires pour corriger les erreurs du Créateur, ou le Créateur a-t-il, à la tendance à procréer, adapté les moyens de corriger la faute de l’homme ? Il n’y a pas dans la nature d’exemple que les lois du sujet rompent l’harmonie du plan de la création. Ce n’est pas l’ordre divin, mais le désordre de l’homme qui limite sa vie sur la terre dans la période d’utilité et de jouissance.

La science physique, dans toutes les branches de son domaine où elle a pu fournir la démonstration de la vérité de ses découvertes, atteste cet ordre, cette harmonie, cet ajustement réciproque qui règne parmi les éléments et dans tous les mouvements qu’elle a encore explorés. Dans tous les règnes de l’histoire naturelle cultivés avec tant de succès, la convenance des conditions, la cohérence des parties, l’unité de dessein, fournissent l’évidence logique que l’univers est un en système, un en action, un en but. Arrivés cependant à l’histoire de l’homme, nous voyons des faiseurs de théories violer les analogies de la raison et imaginer des désaccords précisément sur le point, entre tous les autres, où les harmonies de création doivent se rencontrer, et où, si c’est quelque part, la sagesse et la bienfaisance du Créateur doivent se justifier d’elles-mêmes en montrant la plus haute perfection d’ajustement régulier.

L’énorme erreur qui existe si évidemment remonte à une source commune de philosophie fausse dans toutes ses idées et formules, dans la mauvaise conception des faits et de leurs dépendances apparentes et des lois qui les régissent. Les dispersions des anciennes populations, leurs fréquentes invasions des territoires d’autres tribus ou nations, — le flot constant d’émigrants des vieilles contrées dans les temps modernes, — et la mort de la moitié des habitants des régions où la population est compacte, avant leur arrivée même à la moitié du terme assigné de la vie humaine, — sont les principaux phénomènes sur lesquels s’appuient ceux qui cherchent à démontrer l’existence d’un désaccord originel entre les lois de la fécondité humaine et la capacité de la terre pour l’accommodation de la race humaine.

Que la population des sociétés à leur début souffre de la faim, c’est un fait bien établi ; que le peuple des travailleurs de la plupart des sociétés des temps modernes soit dans une situation à peu près semblable, on n’en peut douter. Ces faits observés, on en a fait le sujet d’une formule scientifique qui serait celle-ci : l’homme tend à se multiplier en une proportion géométrique, tandis que la subsistance, même dans les circonstances les plus favorables, ne peut s’accroître que dans la proportion arithmétique. La population croit donc croît vingt-huit fois, tandis que la subsistance ne croit que huit fois ; — la pauvreté et le dénuement sont les résultats nécessaires.

Ces résultats nettement établis par des chiffres, la déperdition de vie mentionnée par l’histoire était inévitable, — la terre étant incapable de nourrir ou même de porter à sa surface les myriades de la plus noble de ses races, s’il était permis à celle-ci d’atteindre une maturité même raisonnable. Une catastrophe est donc sans cesse imminente. — Le danger auquel expose l’erreur du créateur ne peut être prévenu que par « les obstacles positifs » de la guerre, de la famine, de la peste, à l’aide desquels le mal est providentiellement distribué par accommodation en atermoiements de ruine, répartis sur le cours des choses mal dirigé et mal conduit.

Des faits, des chiffres, une philosophie aussi effrayants ne peuvent être acceptés sans discussion. Sont-ils vrais ? Y a-t-il aucune possibilité qu’ils le soient ? Est-ce la fécondité de l’espèce, ainsi observée à son plus haut degré qui est la loi du sujet ?

Une loi, pour baser notre argumentation, peut se définir une règle permanente, uniforme et universelle dans son action ; — nous mettant à même, dans tous les cas, de raisonner des effets aux causes et des causes aux effets ; et la théorie doit avoir cette force et cet effet dans la doctrine que nous examinons, ou elle n’en peut avoir aucun. A-t-elle une telle universalité ? En réponse à la question, le lecteur n’a besoin que de promener son regard sur le monde. — Il trouve dans certaines parties que la marche d’accroissement est lente, dans d’autres qu’elle est rapide, tandis que, dans une troisième importante classe, la population décroît lentement, mais d’une manière continue. Pour plus ample réponse, nous le renvoyons à ce qu’a constaté M. Malthus lui-même, à propos du manque de fécondité parmi les aborigènes de l’Amérique continentale et de sa luxuriance parmi ceux des îles du Pacifique. Regardez n’importe où, vous ne trouverez pas la preuve de l’existence générale d’une fécondité, telle que l’ont prétendu les avocats de la théorie de l’excès de population. Il serait, en effet, contraire à la nature des choses que cela fût, — la fonction de reproduction ayant été, en commun avec chaque partie de l’organisation humaine, placée sous la loi de circonstances et de conditions relatives. Le climat, la santé, l’éducation, la profession, les habitudes de la vie influent sur elle comme ils influent sur toute autre fonction organique. Elle peut être portée à l’excès ou réduite au manque absolu, — étant affectée par toutes les causes qui agissent sur le corps, l’intelligence, les mœurs, et cela par la belle et simple raison qu’elle est une fonction vitale dépendante de l’organisme dont elle forme une partie.

On ne peut donc prétendre que, contradictoirement à toute autre fonction animale, la procréation soit une action fixe, invariable, réglée, comme l’est la matière inorganique avec une rigueur mathématique, entièrement indépendante des influences variées par lesquelles elle est exposée à être modifiée. La nutrition du corps ne se mesure pas par la quantité d’aliment consommé ; — elle est beaucoup modifiée par le pouvoir de digestion, la vigueur de la santé générale et la demande générale qu’exercent sur le système les différents degrés de fatigue. Les fluides élaborés par les organes sécréteurs, par exemple, la salive, le lait, sont, au su de tout le monde, sujets à de grandes variations ; la quantité augmente ou diminue selon que les glandes qui les fournissent sont plus ou moins excitées[3]. C’est ainsi que chaque différente fonction et action du corps vivant est matériellement modifiée par l’égale oh inégale distribution de l’ensemble de la force parmi la multitude d’organes qui composent le système compliqué à l’infini de la structure de l’homme.

Il est une loi de la vie humaine qui pourvoit à la continuation de l’espèce ; mais la raison de reproduction n’est pas tellement déterminée et limitée qu’on puisse l’exprimer par chiffres, ou que les faits de telle condition spéciale puissent indiquer ce qui arriverait certainement dans des circonstances autres et différentes. A priori, l’on peut supposer qu’elle opère en harmonie exacte avec le dessein du Créateur, et en adaptation également heureuse avec les exigences et accidents auxquels la race est providentiellement exposée. Qu’il a été pourvu à cette flexibilité et pourvu par une loi d’adaptation spontanée, comme une accommodation de cette fonction aux nécessités de la race et en harmonie avec les milieux où elle se développe depuis le commencement jusqu’à la consommation finale du dessein divin, — ceci semble prouvé par la capacité de changement que constatent les principes physiologiques, aussi bien que tous les faits observés.

Que les destinées de la race humaine sur la terre aient dû entrer dans les vues du Créateur ; que les changements de condition auxquels elle serait sujette dans son passage d’un état d’Isolement et de barbarie à un état de combinaison et de civilisation, aient dû être réglés ;.— que les lois qui la disposent à ces changements doivent avoir été élaborées dans sa constitution, — ce sont là autant de suppositions que l’on doit admettre comme des vérités, à moins que vous ne soyez préparé à dire que la nature humaine est une exception, et aussi l’exception unique, à l’ordre et à l’harmonie qui existent partout ailleurs dans l’univers. Est-il présumable — est-il possible qu’on essaie de présumer — que l’opéra-tien du mécanisme vital demande à être protégée contre un vice inhérent en lui par le correctif d’une déperdition de ses propres produits ? N’est-il pas, au contraire, beaucoup plus probable que le haut degré de fécondité humaine, observé occasionnellement, est un degré qui suit nécessairement ce degré du progrès de la société où la sécurité est accrue au point que tous les membres n’ont plus à dépenser d’effort pour se protéger, et cependant n’ont encore que peu de demande pour leurs facultés au-delà de celles requises pour exécuter les rudes travaux des champs ? Prenons, par exemple, le cas de l’Angleterre. Déjà tolérablement peuplée au temps de César, sa population, à la fin du XIVe siècle, s’élevait à 2.400.000 âmes ; et cependant une simple famille qui se fût multipliée dans la proportion que l’école malthusienne indique comme la loi d’accroissement aurait donné, à cette époque, des milliers de millions d’âmes. Trois cents ans après, le chiffre est 5.134.000 ; — il a un peu plus que doublé dans ce laps de temps. Soixante ans plus tard (1760), il est de 6.500.000 ; l’accroissement a été de 30 % ; et cependant voici qu’à la fin d’une période un peu plus longue (1830), il a pleinement doublé. Il est clair que, dans tout ce temps que nous venons de passer en revue la faculté procréative a été une quantité très-variable ; — son montant dépend entièrement des changements de condition dans les habitudes, les manières, les mœurs, dont nous avons parlé. On peut dire cependant que la très-grande différence observée ici a sa cause dans l’accroissement de la durée de la vie, résultat d’une amélioration dans les quantité et qualité de nourriture, de vêtement, de logement, — le chiffre des naissances ayant été le même, et l’exercice du pouvoir procréatif, une quantité constante[4].

En admettant qu’il en soit ainsi nous sommes conduits à la conclusion remarquable que l’accroissement de la durée de la vie résultant de ce qu’on dispose de plus de nécessités, de convenances et de conforts, conduit, et cela inévitablement, à l’établissement du paupérisme comme la condition normale des grandes masses de la race humaine. Telles sont les inconséquences de théoriciens qui manquent à trouver, dans la loi qui règle l’accroissement de population, la même adaptation aux circonstances qui se montre évidemment dans toute autre portion du monde matériel.

Parfois, après des périodes de guerre ou de pestilence, la fécondité humaine est beaucoup accrue et l’on se demande à la fois quelle est la cause et quel est l’effet ? La guerre est-elle une nécessité pour corriger une erreur du Créateur ; ou est-ce le Créateur loi-même qui fournit le correctif pour effacer les effets de l’erreur humaine ? La santé naturelle requiert-elle que s’établisse un ulcère qui serve de drainage pour soulager d’une pléthore ; ou est-ce une abondance de fluide fourni d’une large surface suppurante et destiné à faire face à un drainage accidentel ? C’est une question à laquelle nous allons trouver la réponse dans ce court exposé d’un cas de pratique chirurgicale que nous avons sous les yeux. Un homme en pleine santé s’expose à un froid rigoureux, il a les jambes gelées ; — il s’ensuit une large ulcération qui se prolonge et qui suppure abondamment. L’amputation devient nécessaire ; la blessure chirurgicale guérit promptement ; — le patient, qui avait maigri en peu de temps, non seulement revient en chair, mais prend une obésité dont il souffre, et finalement meurt d’un engorgement intérieur provenant d’un excès de nutrition, de pléthore. D’après ces faits, le moindre savoir professionnel suffit, ce semble, pour décider que cette abondance de fluide produite pendant la durée de la maladie, avait pour objet de réparer la déperdition accidentelle, et que le dénouement fatal doit être attribué à l’empressement déraisonnable qu’on a mis à l’arrêter. Rien certainement, dans la condition corporelle où se trouvait le sujet avant ne donne lieu à conclure que la congélation et l’ulcération étaient nécessaires comme réprimant positifs ou préventifs d’une énergie excessive de sécrétion. La constitution humaine menacée d’épuisement par une déperdition accidentelle de ses fluides vitaux, peut, pour sa propre défense, doubler, tripler et quadrupler son pouvoir producteur, dans une direction quelconque ; mais ce taux d’activité vitale dans une direction, la loi de la formation, appelle-t-il correctif et guérison[5] ?

La vie végétale nous présente les mêmes phénomènes, — et fournit par analogie des conséquences analogues en faveur de notre raisonnement. L’arbre à sucre, l’érable en pleine vigueur, ponctionné pour la première fois, ne donne qu’une demi-livre de sucre dans la saison ; ponctionnez le plusieurs saisons successives, il donnera trois livres, et sa santé n’en souffrira nullement. La quantité donnée d’abord n’est que d’un sixième de ce qui a été produit ensuite pour être épargné sur le service de son existence particulière. Il s’agit de savoir si l’arbre, plein comme il l’était de vigueur et de santé, avait besoin de ce drainage pour soulager sa pléthore, ou si le drainage a induit à un surcroît de production de sève pour fournir à la déperdition accidentelle. Appliquant ce cas à la question de population, on pourrait très-convenablement demander : — Le drainage de population de l’Irlande a-t-il produit une tendance de force vitale dans la direction de procréation ; ou le drainage était-il exigé pour corriger l’excès dans la tendance à procréer ?

Quelle que soit la différence des modes de vitalité végétale et animale, elle n’affecte pas le rapport qu’ont ces exemples avec la proposition dont il s’agit, — la vie de chaque sorte et de chaque degré exigeant des prévisions analogues d’une loi de constitution. Dans tous les cas, les capacités organiques doivent être accommodées aux conditions par lesquelles l’être sera probablement affecté. — Le déficit en ceci supposerait un déficit dans le projet de création et un désappointement de ses fins.

On a voulu ici montrer d’abord qu’aucune des fonctions du corps humain n’a aucune règle d’action tellement fixe et déterminée, qu’elle permette d’en faire la base d’une formule arithmétique, comme ont fait M. Malthus et ceux qui viennent après lui ; ensuite que toutes varient sous des conditions variables, qui parcourent l’échelle entière depuis le déficit jusqu’à l’excès ; troisièmement, qu’elles varient dans leur forme sous des lois d’adaptation spontanée, en obéissance à la cause finale de l’existence de l’être ; et enfin qu’il n’y a pas d’exemple dans tout le domaine de la nature où les lois connues du sujet contrecarrent leurs propres objets, ou rompent l’harmonie du dessin général de la création.

On peut objecter que les germes de vie périssent dans un millier de semences, pour une qui donne racines et qui survit dans des générations successives. La réponse est claire et simple. — Elles sont l’aliment propre des bêtes, des oiseaux et des hommes, destinées pour cette fin et pour cette fin unique. Cette besogne accomplie, elles ont rempli leur office, sans qu’il y ait discordance ou rupture dans l’ordre général. Les bêtes, les oiseaux, les poissons, sont une proie les uns pour les autres, et l’homme tire sa subsistance de tous. Là encore nous ne trouvons ni inconséquence, ni violation de l’ordre de la création si clairement indigné. — Ces animaux inférieurs sont clairement destina à une mort violente. C’est un bienfait qui les délivre des infirmités qu’amène avec lui l’âge très-avancé. Bien pourvus de ces instincts qui sont provoqués à l’action par la nécessité de pourvoir à la subsistance de leurs petits, la perpétuation d’espèces est assurée. N’ayant point d’affection filiale qui les pousse à fournir aide matériel et confort à leurs vieillards, ils n’ont ni hospitalité, ni économie de famille, ni capacités pour le service social ou pour tel autre développement de leur individualité qui ferait pour eux de la vie prolongée jusqu’à une maturité vigoureuse, une nécessité ou une félicité. Et, en effet, nous ne trouvons rien dans leur constitution qui prédise ou qui réclame une vie prolongée au-delà d’une moyenne de maturité.

De toutes les créatures de la terre au-dessous de l’homme, on peut affirmer que le but de leur destinée est de suffire à son usage. Son existence cependant n’a point de rapport avec une classe supérieure d’êtres qui autorise à imaginer que sa vie puisse être mutilée, abrégée ou frustrée d’autre manière, sans que cela implique une violation de l’harmonie des choses et une perturbation de l’ordre clairement indiqué dans la constitution du système à la tête duquel il a été placé. Ce n’est pas l’ordre divin ; mais le désordre de l’homme qui limite si fort sa vie sur cette terre dans la période au-delà de laquelle il cesse d’être utile à ses semblables ou de trouver des jouissances pour lui-même.

§ 3. — Le pouvoir de progresser est en raison de la dissemblance des parties et de la perfection d’organisation. L’homme est donc l’être le plus susceptible d’évolutions, — passant de l’état de pure animalité à l’état de l’homme véritable, responsable vis-à-vis de sa famille, de ses semblables et de son Créateur. La responsabilité croit avec l’augmentation du pouvoir d’association et avec la division de la terre.

Dans le monde inorganique, tous les composés sont constants. — La composition de l’argile, du carbone, du granit, est aujourd’hui la même qu’elle était il y a mille ans et sera certainement la même dans mille ans d’ici. Dans le monde organique, nous trouvons susceptibilité de changement ; les fruits, les fleurs développés par la culture acquièrent de plus grandes proportions que dans leur état originel — Le chien et le cheval se montrent eux-mêmes parfois capables de recevoir une instruction qui leur permet en quelque sorte de tenir leur place à côté de l’homme raisonnable, levez les yeux n’importe où, vous trouverez l’évidence d’une grande loi : que le pouvoir de progresser est en raison directe de la dissemblance des parties et de la perfection d’organisation qui en est la conséquence.

Venant maintenant à l’homme, nous trouvons l’organisation physique la plus parfaite, combinée avec un pouvoir pour le développement intellectuel qui le place au-dessus de toutes les autres créatures ; et c’est ce qui fait que nous ne trouvons pas le caractère de constance. — Toutes les parties et portions de l’homme, comme distinctes de l’animal, sont dans une suite perpétuelle de changements. — Le pouvoir d’association croit dans un pays, il décline dans un autre. — L’individualité va se développant davantage dans une partie de société et moins dans une autre. — Le sentiment de responsabilité augmente dans un homme, et il déchoit chez ceux qui sont autour de lui. — Une classe d’hommes acquiert de la prévoyance d’année en année, tandis que d’autres sont de plus en plus négligents. — Dans une nation se manifeste l’existence d’un pouvoir pour avancer vite dans la direction d’une civilisation croissante, tandis qu’à côté vous en voyez d’autres qui marchent aussi vite dans la direction d’une barbarie complète. Dans la première, la liberté s’accroît de Jour en jour et le sentiment d’espérance croit aussi dans tous les hommes qui composent la communauté. Dans les autres, la liberté décline et l’esclavage se substitue à die, le désespoir s’empare de plus en plus de tous ses membres. Dans l’une, l’espérance dans l’avenir dispose au sentiment du respect de soi-même qui, avec le temps, produit la prévoyance ; dans les autres, l’insouciance se montre comme le produit du désespoir.

Les qualités ainsi indiquées de l’homme sont très variées, mais pourtant en relation étroite. — Chacune d’elles, dans l’échelle ascendante, tend à favoriser le passage progressif à l’autre ; et il n’est pas moins certain que le déclin de l’une tend à amener la diminution dans toutes les autres. Plus se perfectionne le pouvoir d’association, et plus aussi se développera l’individualité. — Celle-ci, à son tour, multipliant les diversités dans la société augmente considérablement le pouvoir d’association et de combinaison. Plus se développent les facultés chez l’individu, plus se perfectionne le pouvoir physique et intellectuel chez l’individu et plus parlera haut la responsabilité envers lui-même, envers sa famille, envers ses semblables, envers son Créateur pour toutes ses actions[6]. La responsabilité à son tour produit une habitude de la réflexion qui le conduit à l’économie de ses forces et facilite l’accumulation d’outillage qui lui sert à acquérir le pouvoir de guider et de diriger à son service les forces de la nature. — Il accumule la richesse qui l’aide à tirer plus de subsistance d’une même surface du soi, et il devient ainsi plus apte à combiner parfaitement ses efforts avec ceux de ses voisins et à développer de plus en plus sa propre individualité et celle de ses co-sociétaires. Le pouvoir de progresser est, comme nous avons vu, en raison de ces conditions.

Le sauvage est l’esclave de la nature, conduit par le besoin à commettre des actes, qui, considérés d’une manière abstraite, sont criminels à un haut point. Cependant, la disposition est telle, qu’il est humain et honnête dès qu’il le peut sans compromettre sa vie. L’homme civilisé, maître de la nature, sent que sa responsabilité s’est accrue en même temps que son pouvoir, — et qu’elle lui impose une étude attentive de chacun de ses actes. L’homme à l’état isolé erre sur de grandes surfaces, cherchant le plus souvent en vain sa nourriture. Peu porté au rapprochement sexuel, il compte pour peu la mère de son enfant et ne fait aucun cas de l’enfant lui-même. Ailleurs, par exemple, dans les îles du Pacifique, ou l’aliment abonde, ce rapprochement fournit la plus grande jouissance de la vie, — en même temps que l’infanticide est pratiqué généralement et délivre les parents de toute responsabilité pour leur lignée. Nous trouvons précédemment l’analogue de ceci dans les institutions de Sparte. — Lycurgue l’avait jugé nécessaire pour stimuler l’appétit sexuel et propre à délivrer les parents de toute responsabilité pour leurs enfants.

À mesure que s’accroissent le nombre et la richesse, les hommes acquièrent l’aptitude à combiner ensemble, et plus le pouvoir d’association se perfectionne, plus se développe l’individualité, — plus s’accroît la tendance à la création de centres locaux, — à ce que les produits de la terre s’obtiennent à moins de frais, — à ce qu’ils gagnent en utilité, — à ce que la terre se divise, — à ce que se développe l’homme véritable, — l’être a qui été donné le pouvoir de diriger les forces de la nature, comme préparation à l’œuvre de gouverner ses passions et lui-même.

L’homme devient un être responsable, — véritablement un homme, à mesure que la terre se divise et qu’il gagne en liberté. — Il perd cette responsabilité dès que la terre se consolide et qu’il tombe dans l’asservissement. Dans un cas, la société tend graduellement à prendre la forme naturelle que nous avons décrite, — son mouvement s’accélère et se régularise, — le commerce croit constamment et l’agriculture passe de plus en plus à l’état de science, — la nécessité des services du trafic diminue, — il y a rapprochement entre les prix des matières premières et ceux des utilités achevées, — chacun de ces phénomènes fournissant la preuve concluante d’un progrès en civilisation. Dans l’autre cas, la société perd graduellement ses véritables proportions, — son mouvement devient capricieux et irrégulier, — le commerce décline et le trafic gagne en pouvoir, — l’agriculture devient de moins en moins une science, — l’écart se prononce davantage entre les prix des matières premières et des utilités achevées, — chacun de ces phénomènes et leur ensemble fournissant la preuve d’une civilisation qui décline.

Dans l’une, chez les hommes et chez les femmes, se développent la pensée et la réflexion, — on recherche le mariage surtout pour le désir de jouir des conforts d’un logis et d’une famille. Dans l’autre, les deux époux sont sans prudence, — on recherche l’union des sexes comme un moyen de satisfaire la passion ; c’est aussi l’unique jouissance qui soit légalement à la disposition du pauvre.

§ 4. — L’accroissement de population modifié par le développement de ce sentiment de responsabilité qui vient avec la propriété de la terre. Faits que présentent à l’observation les pays du centre et du nord de l’Europe. — Ceux où les emplois vont se diversifiant de plus en plus, et où s’opère le rapprochement entre les prix des denrées premières et des utilités achevées.

« La division de la terre, dit un des récents voyageurs anglais les plus distingués par leur esprit d’observation et leur philosophie, après une étude attentive des principales nations de l’Europe, la division de la terre apporte à l’excès de population et à sa conséquence, la ruine de la société, un frein qui fait complètement défaut dans l’autre système social. Dans les arts, dans les branches de l’industrie manufacturière même les plus utiles et nécessaires, la demande pour des travailleurs n’est pas une demande visible, connue, continue, appréciable ; mais elle l’est dans l’agriculture sous notre condition sociale. Le travail à faire, la subsistance que le travail obtient du sol auquel il s’applique, ce sont choses que l’on voit, ce sont des éléments familiers à l’homme qui calcule ses moyens d’existence. Son champ peut-il ou ne peut-il pas nourrir une famille ? peut-il se marier on non ? sont des questions auxquelles chaque homme peut répondre à l’instant, sans hésitation, sans grand calcul. C’est l’habitude de compter sur la chance, où le jugement n’a rien de bien clair devant loi, qui cause les mariages téméraires imprévoyants, dans les classes tant basses qu’élevées de la société et produit parmi nous les maux de l’excès de population. Il faut bien que la chance entre dans le calcul de chacun alors que manque la certitude, comme c’est le cas là où, grâce à notre distribution de propriété une subsistance assurée n’est que le lot d’un petit nombre au lieu d’être celui des deux tiers de la population[7]. »

Ailleurs, et ceci est daté de la Suisse, il dit : « Notre paroisse est divisée en trois communes ou administrations. Dans celle que j’habite, Veytaux, il n’y a pas un seul pauvre, bien qu’il y ait un fonds amassé pour les pauvres et que le village se pense assez important pour avoir sa poste aux lettres, sa pompe à incendie, son watchmann et qu’il y ait une population de banlieue à l’entour. La raison est claire sans avoir recours à aucune contrainte morale mystérieuse ou à aucune addition des maux de l’excès dépopulation, à partir de ce qui arriva aux anciens Helvétiens (ainsi que saint François a l’absurdité de le supposer possible), dont Jules César réprima par le glaive l’émigration, résultat de l’excès de population. La paroisse est un des vignobles les mieux cultivés et les plus productifs de l’Europe, elle est divisée en parcelles entre un nombre considérable de petits propriétaires. La partie située trop haut sur la montagne pour recevoir de la vigne, est en vergers, en prairies, en pâture. Il n’y a point de fabriques ni de chance qu’il vienne du travail industriel dans la paroisse. Les petits propriétaires, avec leurs fils et leurs filles, travaillent sur leur propre terre, savent exactement ce qu’elle produit, ce qu’il leur en coûte pour vivre et si la pièce de terre peut supporter deux familles ou une. Ils vivent à l’aise en leur qualité de propriétaires. Ils sont bien logés, les maisons bien meublées et ils vivent bien quoiqu’ils soient des hommes de travail. J’ai vécu chez l’un d’eux pendant deux étés de suite. Ce sont gens qui ne s’aviseraient pas plus de songer au mariage sans avoir le moyen de vivre convenablement que ne le feraient les fils et les filles d’aucun gentleman en Angleterre. Ce doit être de même hors de la paroisse. La classe qui vient après les simples laboureurs ou marchands du village sont sous la même contrainte économique, que, par un abus des mots et des principes, on a appelée contrainte morale. La manière de vivre est bonne, ce qui tient à ce qu’ils vivent et travaillent tout le long du jour avec une classe plus élevée, — ils s’habillent, hommes et femmes, comme le sont les paysans propriétaires. Tout le monde porte le costume du pays. Cette paroisse peut être citée comme un exemple de ce que peuvent l’esprit de possession, les habitudes, les goûts, le style de vie qui résultent d’une grande division de la propriété pour restreindre chez une population la multiplication excessive. C’est une preuve que la division de la propriété, par une loi de succession différente en principe de la féodale, est le véritable frein contre l’excès de population[8]. »

Ailleurs, il dit : « Que la France, en nourrissant un tiers de plus d’habitants qu’avant la révolution sans avoir presque rien ajouté à sa terre arable, fournit la preuve que cette population doit être beaucoup plus laborieuse et doit donner à son champ beaucoup plus de soin et de travail incessant. Inutile d’ajouter que l’oisiveté engendre beaucoup de population et est tout à fait prolifique. — Le travail rude ou incessant du corps et de l’esprit est le plus puissant frein au physique et est tout à fait anti-prolifique.

« La plus profonde observation qui ait jamais été faite sur la science économique est celle de Salomon : « La ruine du pauvre est sa pauvreté même. » C’est leur pauvreté qui cause leur multiplication excessive, et leur multiplication excessive cause leur pauvreté. Remédiez à leur pauvreté, faites qu’ils possèdent, inoculez dans la masse entière de la société les goûts, les habitudes, les sentiments de prévoyance qui accompagnent la possession, en abolissant les lois de succession qui concentrent toute la propriété dans une classe supérieure, et vous aurez remédié à l’excès de population. Il se guérit de lui-même en France sans la contrainte anti-naturelle et immorale que les économistes politiques voudraient voir prêchée par le clergé comme une injonction de la religion et de la morale, ou imposée comme loi par les autorités locales[9].

» En France, continue-t-il, la propriété est largement répandue, la population s’accroît, et cependant le chiffre des naissances diminue. De ces enfants qui naissent, il en vit davantage pour grossir la population, quoique la moyenne actuelle des naissances soit inférieure d’un tiers à celle des pays où la propriété n’est pas répandue comme en France. N’est-ce pas là une preuve satisfaisante que la grande expérience sociale tentée en France fonctionne bien ? Le chiffre des enfants qui s’élèvent comparé à celui des naissances, est le témoignage le plus certain de bien-être et de bonne condition sous le rapport de la nourriture, du logement, des habitudes domestiques des parents, — chez le peuple[10].

Regardez n’importe où, la France est le pays des anomalies, et c’est pourquoi elle présente tant de phénomènes difficiles à expliquer. La division de la terre tend à faire de chaque homme un être ayant la disposition de lui-même et responsable, — en même temps que la centralisation politique tend à en faire un pur instrument dans les mains de ceux qui dirigent le vaisseau de l’État. La taxation, dans sa forme pécuniaire, monte à une somme effrayante, et il y faut ajouter l’obligation forcée du service militaire pendant plusieurs années et à un salaire purement nominal. La centralisation est la cause de dépenses énormes à Paris et autour de Paris, — le gouvernement ne recule devant rien de ce qui peut accroître l’attraction de la capitale, bien que cela diminue les attractions particulières des provinces. Il en résulte une disproportion qui va croissant entre la population de la capitale et celle du reste du pays, — le pouvoir d’association s’affaiblit dans les districts ruraux. Comme conséquence naturelle, on y souffre davantage des maladies, des disettes, des révolutions politiques ou commerciales ; la demande du travail ou la fourniture de subsistance y diminuent beaucoup. La loi de la composition de forces demande à être soigneusement étudiée par qui veut acquérir la science sociale ; — il n’est pas un mécanisme quelconque qui soit soumis à l’action de forces aussi nombreuses et aussi variées que le mécanisme d’une société. L’économie politique moderne, au contraire, enseigne que tous les maux de la société résultent d’une seule grande force qui pousse l’homme dans une fausse direction, — qui accroît le nombre de bouches, tandis que la seule machine de laquelle il puisse tirer son aliment perd de ses pouvoirs. Le lecteur a déjà vu jusqu’à quel point le Danemark a poussé la division de la terre et quels résultats il a obtenus. — La condition de la population y fournit « la démonstration vivante de l’inexactitude, de la théorie que la population augmente plus vite que la subsistance lorsque la terre est tenue par de petits propriétaires travailleurs[11]. »

En Allemagne la terre change constamment de mains, les gens de toute classe, dès qu’ils se trouvent en mesure de réaliser le premier et le plus grand vœu de leur vie, achètent de la propriété foncière. « Partout, dans le pays, chacun a la conviction qu’on a sa destinée dans ses propres mains, que la position dans la vie dépend des efforts que l’on fait, que pour s’élever dans le monde il suffit d’être assez patient et laborieux, qu’on peut gagner une position indépendante avec de l’habileté et de l’économie, — qu’il n’est point de barrière insurmontable qui vous empêche de faire un pas de plus dans l’échelle sociale, — qu’on peut arriver à acheter une maison et un faire-valoir — et que plus on a d’industrie et de prévoyance, mieux on établit sa famille. » Cette conviction « donne aux travailleurs des pays où la terre n’est pas liée dans les mains de quelques hommes, une élasticité de sentiments, une espérance, une énergie, un plaisir à économiser et à travailler, un dégoût pour la dépense en grossières sensualités, qui n’ont pour résultat que de diminuer le bien acquis, — et une indépendance de caractère que ne peuvent connaître les travailleurs dépendants et sans espoir de l’autre pays (l’Angleterre). Bref, la vie du paysan dans ces pays où la législation ne s’oppose pas à la subdivision de la terre est une école de la plus haute moralité. Sa position indépendante le stimule à améliorer son genre de vie, à économiser, à s’ingénier, à bien employer ses ressources, à acquérir de la moralité, à user de prévoyance, à s’instruire en agriculture, à donner à ses enfants une bonne éducation, afin qu’ils puissent améliorer le patrimoine et la position sociale qu’il leur léguera[12]. »

L’espérance est la mère de l’industrie, — qui, à son tour, produit le respect de soi-même et la sobriété et la modération dans toutes les actions de la vie. « Dans les villes d’Allemagne et de Suisse, dit M. Kay, on ne trouve rien qui ressemble à ces sources de démoralisation pour nos pauvres, — les gin-palaces, les palais du gin[13]. La sobriété y est générale, — ce que notre voyageur attribue à la puissance civilisatrice de leur éducation et aux habitudes d’ordre que la possibilité d’acheter de la terre et l’envie d’y parvenir entretiennent dans leur esprit[14]. »

Dans tous ces pays, le pouvoir d’association va constamment croissant, comme une conséquence de ce développement d’individualité qui résulte de la diversité de demande des facultés humaines. Dans toutes, la société prend graduellement une forme plus naturelle, — l’agriculture devient une science — et les prix des matières premières se rapprochent de ceux des utilités achevées. Dans toutes, la vie tend à se prolonger à mesure que l’homme gagne en liberté[15].

§ 5. — Phénomènes que présentent les pays exclusivement agricoles, — ceux qui prennent l’Angleterre pour guide. Imprévoyance et pauvreté. Conséquences de l’absence de diversité dans les modes d’emploi, et de la consolidation de la terre. Adaptation du pouvoir procréateur aux circonstances dans lesquelles une société se trouve placée.

Venant maintenant à la Turquie, au Portugal et à la Jamaïque, pays où la taxe de transport va s’accroissant — et où le pouvoir d’association a presque disparu, nous trouvons une population qui diminue par degrés, mais constamment, une terre qui se consolide de plus en plus, — et l’homme, par une conséquence nécessaire, perdant de son pouvoir et devenant moins propre à occuper la position responsable destinée à l’être à qui a été donné le pouvoir de diriger à son service les forces de la nature. Si nous passons à l’Inde, nous trouvons une communauté qui a eu jadis des centres locaux en nombre, — un sentiment de responsabilité qui se manifestait alors par un soin universel d’instruire les enfants de la campagne, de les mettre à même d’accomplir dignement leurs devoirs envers eux-mêmes et envers tout ce qui les entoure[16]. Depuis que ces centres ont disparu, la terre s’est puisée, les famines et les pestes ont sévi souvent et rudement, les écoles sont rares et pauvres, la population offre de plus en plus richesse excessive chez quelques-uns, dénuement complet chez le reste ; la société tend d’heure en heure à se dissoudre, le pouvoir de préservation personnelle décline de jour en jour[17].

Les pays que nous venons de nommer ont subi une longue application du système qui vise à séparer le consommateur du producteur et à réduire la population à des cultivateurs nécessiteux d’une part, et des intermédiaires rapaces d’autre part. Quant à l’Irlande, le cas a été tant soit peu différent ; — la dernière partie du dernier siècle s’est écoulée pour elle sous un régime analogue à ce qui existe aujourd’hui dans le centre et le nord de l’Europe Le commerce s’y développait, la demande de travail allait croissant, la terre et l’homme acquéraient de la valeur et les utilités achevées perdaient de la leur, — enfin, la communauté progressait d’un pas plus rapide que partout alors dans l’Europe continentale[18].

Par l’acte d’union, tout a changé : — en vertu de ses provisions, les fabriques ont été expulsées du pays, — et la demande des facultéshumaines a été limitée à la demande de la simple force musculaire la plus grossière pour le travail rural. L’usage d’un champ à n’importe quel prix de loyer d’un côté, ou mourir de faim de l’autre, ce fut le seul choix qu’il leur fut laissé. Rien d’étonnant que l’espoir ait fui, que l’éducation, les livres, les bibliothèques et tout ce qui s’applique au développement intellectuel ait disparu, — laissant à leur place l’insouciance et l’imprévoyance, qui, depuis, ont amené un si grand accroissement de population. La famine succédait à la famine, — une épidémie à une épidémie, et la population augmentait. La raison de tout cela se manifeste dans le grand fait : que l’homme réel avait disparu par degrés, et que l’homme purement animal se substituait à sa place[19].

« L’Irlandais tenancier d’un cottage, le pauvre diable famélique qui vit de pommes de terre et d’eau, — pour citer encore le voyageur anglais distingué qui nous a fourni de précédentes observations, — ne possède rien comme point de départ, ni en terre, ni en aucune autre nature de valeur. Il est, lui et toute sa classe, par suite du fonctionnement de la loi de primogéniture dans la société, pauvre ab initio, et toute l’épargne qui peut se réaliser dans sa condition inférieure, sur les conforts et les nécessités de la vie, va dans la poche de son propriétaire sons forme de rente et non dans la sienne comme épargnes de sa propre prévoyance et de sa sobriété. De plus, il se trouve placé dans une fausse position par les propriétaires irlandais, même si on la compare à la tenure-cottagère qui exista d’abord dans toute l’Écosse et qui existe encore aujourd’hui dans les comtés du nord. Celle-ci était généralement grevée d’une rente en nature, c’est-à-dire d’une part proportionnelle dans la récolte ou réglée sur le rendement moyen. Le paysan avait devant lui une donnée facile à comprendre ; il savait tout d’un temps, si le champ produirait assez pour le nourrir lui et sa famille après déduction du surplus demandé pour la rente, ou, sinon, il cherchait à vivre en s’employant autrement. Sa manière de vivre n’était pas amoindrie par cette rente en nature, parce qu’il avait un aperçu clair du rendement le meilleur et du rendement le plus faible du champ pour la consommation de sa famille après avoir payé la part qui était la rente. La petite tenure irlandaise, au contraire, doit payer la rente en monnaie. Il eût été tout aussi raisonnable de la leur faire payer en vins de France pour le squire, ou en modes de Paris pour la lady. Leur terre ne produit ni or, ni argent, ni bank-notes irlandaises. C’est manquer de raison d’exiger du paysan, de l’homme ignorant, qu’il paye en ces sortes d’utilités, — qui ne sont que des utilités comme les vins et les soieries, — et de faire de ces hommes simples, sans expérience du négoce, une proie pour les agioteurs des marchés, de leur faire courir le double risque mercantile de vendre leurs propres utilités et d’acheter celles dans lesquelles il plaît à leurs propriétaires d’être payés[20]. »

Le passage suivant montre fort bien comment la tenure-cottagère et la rente-monnaie arrivent à produire la négligence et l’imprévoyance.

« La rente-monnaie détériore la condition du petit tenancier de deux manières. Plus il a l’instinct d’honnêteté, plus il lui faut vivre pauvrement, chichement. Il lui faut vendre tout le meilleur de son rapport : son grain, son beurre, son chanvre, son cochon, et vivre sur la nourriture la plus misérable, ses plus mauvaises pommes de terre et de l’eau, afin de s’assurer de l’argent pour la rente. Elle détériore ainsi sa manière de vivre. De plus, la rente-monnaie l’induit à quitter le sentier de la certitude pour celui de la chance. Elle détériore ainsi son moral. Demandez lui six boisseaux d’avoine, d’orge, ou six mottes de beurre, six bottes de chanvre pour tel champ qui n’en a jamais produit que quatre, son bon sens et son expérience le guideront. Il voit et comprend la simple donnée qui est devant lui, il sait par expérience que ce rendement ne peut s’obtenir, que cette rente ne peut se payer et il s’en va chercher à vivre en Angleterre ou en Amérique. Mais demandez-lui six guinées par acre pour une pièce de terre et que ce soit plus que la rente d’une autre pièce, il se fie à la chance, à l’événement, à de bons prix sur le marché, à de vieilles aubaines d’un travail casuel, un travail d’été ou de moisson au dehors ; — bref, il ne sait trop à quoi, car le voici placé dans une fausse position, le voilà comptant sur les chances du marché, sur des succès et des profits mercantiles, tout autant que sur son industrie et sur son habileté dans sa petite ferme[21]. »

Consultez les documents publiés à toutes les époques sur la condition de ce pays où une population entière a été si longtemps « dépérissant par millions, » vous y trouverez la preuve de ce fait : que ceux qui ont une propriété, ne fût-ce que de 10 livres sterling, sont prévoyants sur la question de contracter mariage, tandis que ceux qui n’ont absolument rien se marient sans la moindre hésitation. Néanmoins, feuilletez les économistes modernes, vous y trouverez :

« La condition basse et dégradée dans laquelle le peuple irlandais est aujourd’hui plongé est la condition à laquelle sera réduit tout pays où la population, pendant une période considérable, s’accroîtra plus vite que les moyens de fournir à une subsistance confortable et décente[22]. »

La proposition pourrait se poser autrement, — en attribuant la condition de la population à ce fait qu’il y a eu obstacle à ce que s’établisse la combinaison qui rend le travail productif, et augmente la quantité de ces utilités et objets qui leur eussent assuré « une subsistance confortable et décente. » De l’autre côté du canal, M. Mac-Culloch a, en face de lui, un pays, — la Belgique, — où une population beaucoup plus compacte progresse rapidement en production et en civilisation, bien que son territoire ait été dans le principe l’un des plus pauvres de l’Europe, tandis que l’Irlande a été remarquable par sa fertilité. Et même, sans quitter l’Angleterre, il aurait trouvé une population presque aussi compacte à laquelle il est disposé à attribuer la prééminence dans les arts et dans les armes. Pourquoi cette différence ? pourquoi le peuple d’Irlande va-t-il s’éteignant, tandis que celui de Belgique prospère ? Parce que ceux qui dirigent le premier ont cherché à détruire le pouvoir d’association, tandis que ceux qui dirigent le second ont cherché à favoriser le développement de ce pouvoir ; parce que, dans le premier système, on a visé à réduire le peuple à l’état de simples bêtes de somme ; tandis que, dans l’autre, on a tendu à relever à la condition du véritable homme, — l’être né pour le pouvoir.

Dans ce cas, comme dans presque tous les autres, l’économie politique moderne substitue l’effet à la cause, résultat bien naturel de rémission d’une théorie qui nous enseigne que l’homme débute dans la culture par l’impliquer aux riches sols des vallées, laissant les sols pauvres des hauteurs à ceux qui viendront après lui. C’est renverser l’ordre, et de là sont nées les idées que le trafic et le transport sont plus avantageux que la production, — que la part du propriétaire tend à augmenter à mesure que diminue celle du travailleur, — et que le tenancier est destiné, en fin de compte, à devenir l’esclave du propriétaire de la machine à laquelle seule il peut s’adresser pour obtenir les subsistances. C’est lorsque l’homme ressemble le plus à l’animal qu’il est le plus disposé à regarder le commerce sexuel comme la seule jouissance à sa portée et qu’il a le plus d’enfants, — pourvu que la femme, quoique pauvre continue à rester chaste. La chasteté des femmes d’Irlande est proverbiale, et c’est à cette cause, unie à un abaissement de condition qui touche à la bestialité, qu’il faut attribuer le rapide accroissement en Irlande : — des qualités qui, sous un système sage, produiraient la plus grande somme de bien, produisent là un effet nuisible.

Dans les autres pays qui nous occupent, l’arrêt de circulation sociétaire se manifeste par la diminution de population, tandis qu’en Irlande c’est l’effet contraire qui est produit, ce qui nous prouve l’adaptabilité de l’animal humain aux circonstances dans lesquelles il mène sa courte existence. la différence de la population de ces pays, l’Irlandais est placé entre deux autres populations, qui avancent rapidement, — ayant la même littérature, parlant la même langue que lui, et possédant des institutions qui correspondent à un haut degré à celles de sa terre natale. Chez elles, il a trouvé un débouché pour son excédant de population, et plus cela a été le cas, plus s’est augmentée l’imprévoyance que les deux sexes apportent à contracter mariage, — tout sentiment de devoir envers eux-mêmes et envers leurs enfants a disparu dans le même gouffre où avaient déjà disparu leurs espérances tant du présent que de l’avenir[23].

La centralisation et spécialement la centralisation trafiquante, tend à l’inégalité de condition, et voilà comment la ruine des fabriques de l’Irlande et de l’Inde a contribué tellement à produire la consolidation de la terre dans la Grande-Bretagne.

§ 6. — La consolidation de la terre et la maladie d’excès de population sont conséquences nécessaires de la politique qui vise à avilir le prix du travail et des denrées premières de la terre. Le système anglais tend à produire ces effets. Ses résultats tels qu’ils se manifestent dans la condition du peuple anglais.

Venons au berceau de la théorie de l’excès de population, nous trouvons dans l’Angleterre un pays où, le lecteur l’a déjà vu, les petits propriétaires ont à peu près disparu. Les 200.000 propriétaires d’il y a 80 ans sont représentés aujourd’hui par moins de 35.000. À cette date, le chiffre de population était 7.500.000, — il y avait eu accroissement de 10 p. % dans la longue période de 75 années. Aujourd’hui, en 1855, il est de 18.786.914, — il y a eu accroissement de 150 p.  % dans une période qui n’est que très-peu plus longue. L’élévation du chiffre a donc marché du même pas qu’une consolidation de la terre qui place une classe au-dessous et l’autre au-dessus de la réalisation de l’espoir, — un état de choses qui tend plus qu’aucun autre à réduire l’animal humain à la condition de simple outil à l’usage du trafic.

La consolidation chassant le travailleur de la culture du sol, tandis que l’outillage perfectionné le chassait de la fabrique, le pauvre a été fait plus pauvre et plus faible, à mesure que le riche devenait plus riche et plus fort. L’Irlande aussi a contribué beaucoup au même résultat. À mesure que l’acte d’union fermait graduellement ses fabriques et ne laissait à sa population que le travail rural comme moyen d’existence, elle se trouva forcée d’émigrer, comme les Italiens d’autrefois, vers le lieu où se distribuaient des taxes, dans l’espoir d’obtenir des salaires, — et sa concurrence vint jeter le travailleur anglais plus avant sous « la tendre merci » du capitaliste. On vit d’année en année le petit propriétaire tomber à la condition de journalier, et le petit artisan et le détaillant réduits à vivre de salaires, — la population entière tendant à se diviser en deux grandes classes, séparées l’une de l’autre par un gouffre infranchissable : le très-riche et le très-pauvre, le maître et l’esclave[24].

À mesure que l’Angleterre fut de plus en plus inondée, par l’île sa sœur, d’une population misérable quittant la terre natale pour chercher à s’employer, le riche trouva plus de facilité à accomplir « les grands travaux, dont le pays a été redevable au bas prix du travail irlandais, » et plus il affluait de ce travail, plus diminuait à la fois en Irlande et dans la Grande-Bretagne la faculté de fournir un débouché aux produits du travail manufacturier de l’Angleterre. De là surgit une nécessité de se mettre en quête de nouveaux débouchés au dehors pour remplacer ceux qu’on avait eus auparavant dans le pays ; et ainsi le travail à bon marché, une conséquence du système, devint à son tour une cause de nouveaux efforts pour obtenir le travail à un prix de plus en plus infime. Après que l’Irlandais eut perdu le faculté d’acheter, il devint nécessaire de chasser l’Hindou de son propre marché. Après l’expulsion du Highlander, il devint plus important de s’attaquer aux tailleurs et aux tisserands de la Chine. Après qu’on eut appauvri l’habitant du Bengale, vint la nécessité de remplir le Punjab et l’Afghanistan, Burmah et Bornéo de marchandises anglaises. Paupérisme et insouciance sont nécessairement à la racine d’un tel système basé, comme il l’est, sur l’idée d’un perpétuel antagonisme des intérêts[25].

Le résultat c’est que la condition de la population rurale va se détériorant constamment[26] — Que désespérant de pouvoir l’améliorer, on s’y marie de bonne heure et dans des circonstances destructives de toute moralité[27], que l’infanticide s’y commet en nombre effrayant[28] — et que la démoralisation y marche avec une rapidité presque sans exemple[29].

Que l’homme gagne en liberté et en sentiment de responsabilité à mesure qu’il y a rapprochement entre les prix des matières premières et ceux des utilités achevées, — les premières se mettant en hausse, les seconds s’abaissant, — c’est un grand principe dont la vérité est attestée par l’expérience de toutes les nations du monde passé et présent. C’est précisément le contraire qui est la doctrine sur laquelle se fonde la politique anglaise, le travail à bon marché, les matières premières à bon marché sont regardés comme les grands objets à désirer. Dans cette direction se trouve l’esclavage et l’irresponsabilité envers Bien et envers l’homme. C’est au cri « le pain à bon marché » néanmoins qu’on a dû le rappel des lois des céréales, et cependant il eût suffi d’un peu d’examen pour voir que la quantité de travail que demande la production de l’aliment en Irlande et en Angleterre n’équivaut pas, en réalité, au travail qu’exige rien que son transport du cœur de la Russie ou de l’Amérique[30]. Le rappel a eu précisément l’effet qu’on avait prévu, — il a presque réduit à rien la demande du travail en Irlande et forcé des centaines de mille d’Irlandais à venir en Angleterre chercher un marché. La concurrence pour la vente du travail, augmentant en Angleterre, a produit un flot d’émigrants pour les terres lointaines, les laboureurs en tête du mouvement. Pour quelque temps le prix de l’aliment a baissé, pour remonter de nouveau, et stationner plus haut qu’on ne l’avait vu depuis nombre d’années. — Le résultat se manifeste dans les chiffre suivants qui indiquent la proportion des décès au chiffre de population pendant les premiers cinq ans de la dernière et de la présente décade.

1841 ______ 1 à 46 _________ 1851 ______ 1 à 45
1842 1 à 46 1852 1 à 45
1843 1 à 47 1853 1 à 44
1844 1 à 46 1854 1 à 43
1845 1 à 48 1855 1 à 44

Voilà un changement extraordinaire, et ce qui le rend davantage encore, c’est que la période de 1841 à 1846 comprend des années de détresse plus remarquables peut-être qu’aucune autre mentionnée dans l’histoire anglaise, — années qui pavaient la voie pour le rappel de la loi des céréales en 1846, — la masse de misère avait presque dépassé toute croyance[31].

Voici la proportion des mariages et des naissances à la population pendant ces deux mêmes décades :

Mariages Naissances ____ Mariages Naissances
1841 1 à 130 1 à 31 1851 1 à 117 1 à 29
1842 1 à 156 1 à 31 1852 1 à 115 1 à 29
1843 1 à 132 1 à 31 1853 1 à 112 1 à 30
1844 1 à 125 1 à 31 1854 1 à 117 1 à 29
1845 1 à 116 1 à 31 1855 1 à 123 1 à 30
Moyen. 1 à 127.8 Moyen. 1 à 31 Moyen. 1 à 116.8 Moyen. 1 à 29.4

Le phénomène que l’Irlande a offert à l’observateur se trouve ainsi reproduit en Angleterre, — le développement d’émigration est accompagné de mariages imprévoyants, d’une grande augmentation de naissances et d’une augmentation de décès, nous avons là une preuve de l’adaptabilité des tendances procréatives aux circonstances dans lesquelles une société se trouve placée.

Le tableau suivant indiquant la proportion des décès au chiffre de 10.000 personnes, nous montre qu’il y a tendance générale vers la diminution de la durée de vie.

1813 à 1830 __ 1838 à 1848 ______ 1858
Au-dessous de 5 ans 3.451 3.967 3.894
5 à 10 424 505 419
10 à 15 265 268 234
15 à 20 343 347 668
20 à 30 781 772 660
30 à 40 672 660 653
40 à 50 660 611 643
50 à 60 700 619 780
60 à 70 917 802 958
70 à 80 1.049 855 835
80 à 90 642 511 240
90 et au-dessus 96 83 16
--------— -------— --------
10.000 10.000 10.000
Au dessous de 20 ans 4.483 5.087 5.215

Continuité et régularité sont choses aussi désirables dans le mouvement sociétaire que dans le mouvement d’une machine à vapeur ou d’une montre. Une fois obtenues, il y a tendance constante à l’accélération de circulation, avec accroissement correspondant de richesse, accroissement du taux de la quote-part du travailleur, accroissement du développement d’individualité, du pouvoir d’association et de coopération, accroissement du sentiment de responsabilité qui distingue l’homme de tous les autres animaux qui couvrent la surface de la terre. Pour tout cela il est indispensable qu’il y ait diversité d’emplois, — la société prenant ainsi par degrés sa forme naturelle, l’agriculture se faisant plus savante et le travail donné à développer les pouvoirs de la terre devenant plus productif. Pendant presque un siècle, tous les efforts du peuple anglais ont eu pour but de cherchera prévenir la diversification de professions dans les autres sociétés. — Nous en voyons le résultat dans l’épuisement de la Turquie, du Portugal, de l’Irlande, de l’Inde, de la Jamaïque et de toutes les autres nations qui ne se sont pas protégées contre « une guerre » qui avait pour but « d’étouffer au berceau » les fabriques naissantes du monde, — et aussi dans la production chez la nation anglaise elle-même d’un état de choses, qui correspond exactement à ce qu’Adam Smith avait prédit pour résultat certain du maintien d’un système dénoncé par lui comme une violation manifeste des droits les plus sacrés de l’humanité[32].

Dans l’étude des faits observés chez les différentes nations, il est indispensable de faire la part des circonstances. La Grèce, qui fut pendant des siècles la proie des Vénitiens et des Turcs, — l’Italie, qui servit de théâtre de guerre aux Autrichiens, aux Français, aux Espagnols, — doivent présenter des phénomènes tout à fait différents de ceux de la Grande-Bretagne. La Belgique, ravagée comme elle l’a été par des armées aux prises, a vécu d’une vie toute autre que l’Angleterre, — elle a constamment souffert du fléau de la guerre, tandis que l’autre a goûté la paix intérieure la plus profonde. Nulle part l’homme n’a joui de l’occasion favorable, qui s’est présentée chez cette dernière, de se mettre en mesure de devenir souveraine de la nature, — et nulle part on n’a obtenu sur elle autant de pouvoir. Et si ce pouvoir n’a point réussi à apporter avec un accroissement de production, — faculté d’accumulation, — distribution équitable et tendance croissante vers l’harmonie dans les rapports de l’homme avec la nature et de l’homme avec ses semblables, la cause doit se trouver dans l’erreur humaine et non dans quelque faute de la Providence. Ceux qui la cherchent dans la première ne manqueront pas de la découvrir, — s’ils prennent pour guide de leurs recherches l’auteur de la Richesse des Nations.

§ 7. — La vie du pionnier favorable à l’accroissement de population. Le système américain, ici comme ailleurs, est un système d’anomalies, — la localisation est la théorie, et la centralisation est la pratique. Effets manifestés dans la durée de la vie.

La vie du pionnier, en un lieu où il y ait sécurité raisonnable pour la personne et la propriété, est, comme on l’a vu, favorable à la multiplication, — les hommes isolés ont peu d’occasion d’exercer d’autres facultés que celles qui stimulent la force physique en laissant les forces intellectuelles presque sans développement. En raisonnant a priori, ce doit donc être aux anciennes provinces et aux États actuels du. Nord de l’Amérique qu’il faudra nous adresser pour le plus rapide accroissement de population, et c’est là que nous le trouvons. Dans la marche ordinaire des choses cependant cela changera, — car l’homme réel sera stimulé à entrer en action, — la prévoyance remplacera l’insouciance, — le soin, l’économie, la réflexion, et un désir des jouissances de la vie d’un ordre supérieur deviendront les caractères de cette population. Cela aurait été aussi le changement observé sous un système qui tendait à faciliter l’accroissement du pouvoir de coopération, et le développement qui suit de l’homme intellectuel ; un système qui visait à faire de l’agriculture une science. Par malheur, cependant, on a pris la marche contraire, — qui n’est que la continuation de ce système colonial sous lequel on épuisait un sol, après quoi les hommes étaient chassés vers les forêts vierges, en quête de nouvelles terres, et la vie de pionnier se perpétuait comme la condition de l’existence américaine[33].

Examinez-le n’importe où, le système est un système de contrastes, — l’action locale est la théorie sur laquelle il repose, et la centralisation est la pratique. L’une tend à produire la continuité dans le mouvement sociétaire, — à développer l’individualité dans la population, — à accroître ce sentiment de responsabilité qui conduit à la tempérance et à la modération dans toutes les conditions de la vie, — et à l’harmonie entre les individus et entre les États. L’autre tend, au contraire, à rendre de plus en plus instable l’action sociétaire, — à diminuer l’individualité en limitant de plus en plus les poursuites de l’homme à celles du trafic et de la culture, — à affaiblir le sentiment de responsabilité, et en même temps à développer l’intempérance qui s’abandonne aux passions, — deux choses dont l’effet est d’augmenter la population ou de ruiner la vie des adultes[34].

On n’a point de statistiques sur la vie pour l’Union entière, — faute d’une mesure générale pour constater le mouvement de la population. Le recensement montre que la proportion d’individus qui arrivent à un âge avancé est considérable, mais c’est à peu près tout ce qui soit d’une application générale[35]. Massachusetts est le seul de nos États qui ait des statistiques vraiment dignes de confiance, — exemple qui contraste heureusement avec la négligence qui règne ailleurs ; nous y voyons combien est considérable la proportion des unions, naissances et morts étrangères[36]. Sur 2.536 hommes qui ont contracté mariage dans la ville de Boston en 1856, on ne comptait pas moins de 1.503 étrangers, — plus de la moitié des femmes étaient de même étrangères. Là, en concordance, nous trouvons une mortalité extraordinaire dans le premier âge, — le phénomène de l’Irlande se reproduit sur le littoral occidental de l’Atlantique.

Sur la totalité des décès de l’État, plus d’un cinquième a lieu à l’âge d’un an. — Dans les cinq premières années, ils vont à 40 %[37].

À Boston, la chance de mort, dans les cinq premières années, est plus forte que dans le reste de la vie. À quel point ces faits observés sont-ils applicables à l’Union entière, nous manquons des moyens de le savoir ; mais, quant à la ville de New-York, nous trouvons que les décès au-dessous de 5 ans, qui, en 1817, ne formaient qu’un tiers, étaient arrivés, en 1857, à former les sept dixièmes ; ceux des adultes présentant le chiffre de 82, 117 contre celui de 138, 158 décès d’enfants[38]. Sur la population noire de cette ville, les décès sont aux naissances comme 7 est à 3, ou plus que 2 est à l[39].

Aucun pays ne présente des contrastes aussi remarquables. — Une grande longévité, sous certaines conditions, s’y montre à côté d’une mortalité sur l’enfance qui n’est point dépassée presque ailleurs. Dans la période de huit années qui finit en 1855, la moyenne de vie probable pour les individus mâles de toutes professions, dans Massachusetts, une fois l’âge de 20 ans atteint, était presque de 63 ans et demi[40]. De l’autre côté, nous voyons que, dans la ville de Baltimore, de 1831 à 1840, les décès, qui étaient de 1 sur 43, sont aujourd’hui de 1 sur 40 ; — que, dans New-York, en 1810, les décès étaient 1 sur 46, — contre 1 sur 41, en 1815, — 1 sur 37, en 1820, — 1 sur 34, en 1825, et 1 sur 28 et demi, en 1855[41].

Pour les nouveaux États, nous n’avons pas de statistiques ; mais ce fait général se présente de lui-même : que des gens qui sont chassés par une politique fâcheuse, et contraints de commencer trop tôt le travail d’établissement, s’adonnent constamment à cultiver les riches sols avant d’y avoir réalisé les conditions requises pour que la santé et la vie ne soient pas en danger. Les maladies et la mort sont les conséquences nécessaires. Le système qui encombre les villes aux dépens de la vie produit le même effet dans l’Ouest.

À mesure que les hommes gagnent en aptitude à marcher ensemble et à combiner leurs efforts, la vie gagne en durée et tous gagnent en liberté. Sont-ils forcés de se séparer, la vie se raccourcit, le travailleur perd en liberté. Que l’Amérique soit dans cette dernière voie, et qu’elle s’y soit plus décidément engagée dans la période écoulée depuis que le parti généralement dominant dans l’Union a adopté le libre-échange et la politique de dispersion, cela ne peut faire aucun doute. Aussi, voyons-nous d’année en année l’accroissement du paupérisme, de l’intempérance, de l’immoralité, fournir une nouvelle et plus forte évidence à l’appui de la doctrine sur l’excès de population[42].

§ 8. — La fonction reproductive n’est pas une quantité constante. Elle s’adapte aux différentes conditions de race. Preuve qu’il existe dans la nature harmonie entre le taux de procréation et les subsistances. Prédominance générale des fonctions de nutrition et sexuelles. Antagonisme des instincts animaux et des facultés supérieures. Opposition spéciale entre les fonctions nerveuses et sexuelles. Fécondité chez les êtres sans valeur d’une civilisation imparfaite. Infécondité chez les tribus de chasseurs. Activité des freins intellectuels à la procréation. Les pouvoirs cérébral et générateur chez l’homme mûrissent ensemble. Fécondité en raison inverse de l’organisation. Faits que fournit la physiologie. Pouvoir cérébral de la femme affaibli par la fonction utérine. Effets divers des diverses qualités mentales et morales. Rapport de la fécondité à la mortalité. Une loi de population s’adaptant d’elle-même assure l’harmonie entre l’augmentation de population et celle des subsistances. Changements futurs dans le rapport de procréation tendant à développer le plus haut bien-être de la race.

L’obligation du célibat, nous assure-t-on, est souvent nuisible à la santé. C’est pourtant là ce que nous recommandent si librement, sous le nom de contrainte morale, les enseignants qui tiennent que le Créateur a si mal construit les lois auxquelles il a soumis l’homme que sa créature doive employer tous ses efforts pour les redresser. Ce genre de contrainte sur la reproduction de l’espèce diffère beaucoup de cette autre contrainte qui prend sa source dans le développement de l’homme, dans l’accroissement de son respect de lui-même, — dans l’accroissement du sentiment de responsabilité envers sa famille, envers ses sem blables, envers le dispensateur de tous biens dont il use en appliquant les pouvoirs qu’il a reçus. Cependant c’est là le côté moral de la question ; il nous suffit d’étudier le côté physique pour montrer combien ils sont en harmonie l’un avec l’autre.

Nous avons, dans ce but, suffisamment montré combien les éléments de l’homme pris individuellement, — disposé ainsi qu’il l’est pour devenir le maître de la nature, — sont propres à le mettre en mesure de faire face et de parer aux accidents auxquels il est nécessairement exposé ; nous allons considérer maintenant l’agencement et les lois qui se manifestent dans son organisme et répondent à l’objet d’ajuster la fonction reproductive à la condition toujours variable et aux exigences de la race, — parfois augmentant la fécondité pour réparer les déperditions de la guerre et des maladies, et d’autres fois la restreignant dans les limites qui conviennent aux jours plus heureux de la paix.

Comme la croyance à l’existence de telles lois prend sa noble source dans la philosophie de la prévoyance générale qui se manifeste si clairement partout ailleurs dans la nature, il n’est ni dangereux, ni illogique de baser sur ce terrain seulement notre foi dans l’existence d’une loi qui régit le mouvement de population en harmonie parfaite avec les conditions sociétaires auxquelles il se rapporte, — le système d’existence étant engagé à une tâche persistante et régulière pour l’accomplissement de tous les faits qui sont logiquement à attendre dans chaque département de l’univers.

Cependant, comme l’assurance de la foi — en ceci, aussi bien que dans toutes les autres branches des sciences naturelles, — trouve son meilleur appui dans la philosophie des faits, nous nous adressons à l’économie de la constitution humaine pour voir ce que la science a découvert dans le domaine de la physiologie qui tende à nous confirmer dans la croyance à laquelle nous inclinions si naturellement.

Le corps humain se compose d’une multitude de parties avec une belle variété de fonctions et de propriétés : — le cœur, les artères, les veines, qui sont les organes de circulation ; — les muscles, ceux de mouvement ; — les glandes, ceux de sécrétion ; — les viscères abdominaux sont chargés de la digestion ; — les thoraciques, de la respiration ; — les organes sexuels, de la reproduction. Au cerveau et aux nerfs sont confiés la sensation, la perception, le vouloir, l’intellect, l’émotion, et principalement la suprême fonction de coordonner les actions de tous les autres organes de la structure complexe, — préparant et assurant ainsi ce concert et cette unité de service de toutes les parties, nombreuses autant qu’elles le sont, que réclame une organisation parfaite.

Pour l’agrégat de tous ces divers organes, il faut une limite de force vitale, — un certain point ou une certaine quantité qui soit son ultimatum. C’est donc une conséquence d’une telle limitation que, de la distribution égale ou inégale de cette somme déterminée de force vitale parmi les divers organes, dépendent les efficacités respectives de chacun d’eux et de l’ensemble. La totalité delà force vitale se prête et est sujette à une grande inégalité de distribution, non-seulement dans ces transports d’énergie allant d’un groupe d’organes se concentrer sur un autre, comme c’est le cas chaque fois que nous changeons d’occupation, mais d’une manière continue et habituelle pendant la période entière de la vie humaine. Chez quelques individus, le système musculaire fonctionne beaucoup plus que l’intellectuel. Chez d’autres, 1es organes de nutrition absorbent beaucoup de cette vigueur générale que leur destination avait été de fournir. Chez un plus petit nombre, les pouvoirs intellectuel et moral sont exercés aux dépens des systèmes de nutrition et de locomotion ; tandis que, chez les femmes, le système de reproduction influe considérablement, sous une forme ou sous une autre, à partir de la puberté jusqu’à l’âge critique, sur les facultés intellectuelles.

Toutes ces irrégularités se rencontrent dans les limites de ce qui est appelé la santé, — bien que souvent passant à des degrés tellement extrêmes qu’ils se trouvent au-delà de ce qu’on entend parce terme, dans son sens le plus complet. Dans la maladie, la prédominance qui vient à résulter de la rupture d’équilibre des diverses fonctions devient plus marquée. — Elle accuse mieux la diminution de forces dans un groupe d’organes produite par un excès d’activité dans d’autres. Chez un homme robuste, atteint de la fièvre, la sensibilité nerveuse est excitée, la circulation est exagérée, — en même temps que les systèmes sécréteur et musculaire ont perdu presque tout pouvoir d’agir. Chaque nerf tressaille ; le cerveau est dans un état de délire, les vaisseaux sanguins dans un état de rude commotion, le patient est frappé de débilité musculaire, — l’acde la peau et des viscères est presque suspendue, si même elle ne l’est tout à fait.

Ainsi, dans les deux états de santé et de maladie les diverses fonctions du corps vivant sont sujettes et cela habituellement à de grandes modifications dans leurs activités respectives. On peut dire en général que la force vitale ne peut être habituellement concentrée sur quelque partie de la structure qu’aux dépens des autres parties. Il est cependant de vérité presque universelle que ces fonctions qui servent à la vie animale et celles qui servent pour la continuation de la race, accomplies comme elles le sont par des forces instinctives absorbent la plus grande part delà puissance du système, au détriment de ces facultés autres et d’un ordre supérieur qui demandent l’éducation et la discipline pour se développer dans leur pleine et énergique proportion. En d’autres termes, les fonctions de nutrition et de sexe ont, en règle générale, sur les facultés morales et intellectuelles, tous les avantages résultant de l’impulsion instinctive, aussi bien que contre les aspirations des facultés plus rares et plus nobles qui ont besoin de la culture pour développer leur force.

Tandis qu’un tel antagonisme entre les diverses fonctions du corps est ainsi un résultat général et naturel de l’organisation vitale, il est curieux d’observer qu’un rapport du même genre existe à un degré tout spécialement éminent entre les forces nerveuses et les reproductives. Le travail purement musculaire ne semble pas en quelque sorte défavorable à la fécondité. — Les esclaves des plantations du Sud et les paysans ignorants de l’Irlande sont parmi les classes les plus prolifiques de la race. L’absence d’activité intellectuelle semblerait dans les deux cas servir d’explication. Il en est de même chez les robustes pionniers des pays neufs, — hommes dont les travaux impliquent une certaine somme de travail dû au cerveau, mais non à un degré tel qu’il fasse contrepoids aux fonctions physiques. Ce travail se faisant principalement le serviteur de celles-ci, est en qualité et en somme parfaitement compatible avec les plus bas offices du corps.

La chasteté et l’infécondité bien connues des tribus qui vivent de la chasse, au lieu d’être exceptionnelles et en opposition avec l’opinion par nous émise, sont, en point de fait, une preuve frappante de leur vérité générale. L’adaptation qu’elle constate est manifeste, que nous en expliquions les causes aussi clairement ou non. Ces hommes, comme les animaux de proie, ont besoin, pour fournir à leur subsistance, d’un territoire cent fois plus grand que les hommes et les animaux de mœurs pacifiques, — et les lois d’adaptation spontanée se conforment à ce que le cas exige. — Leur vie est une vie de fatigue excessive entremêlée de périodes d’une énergie épuisée, d’un dénuement qui met à bas. Le peu de rapports sociaux que leur état politique comporte tend plutôt à réprimer qu’à cultiver les affections. — Le ton des sentiments qui prédominent est défavorable à l’impulsion sexuelle, tandis que la vigilance et l’esprit constamment éveillé qu’exigent les difficultés et les hasards de la chasse coutumière, aussi bien que les fréquents conflits avec les sauvages, leurs voisins, donnent, et cela très-nécessairement, une grande force additionnelle aux autres causes qui forment antagonisme à la fonction de reproduction.

Les manouvriers de notre civilisation imparfaite, au contraire, emploient leur force musculaire sous une excitation nerveuse très faible, — l’action de leurs forces intellectuelles restant au plus bas point qu’il soit possible à des créatures raisonnables. Le chasseur, nous l’avons vu, a besoin d’agilité, d’astuce, de vigilance, de courage, de résolution morale, qualités dont l’exercice fait de rudes appels à l’appareil cérébral. Aussi l’homme sauvage, personnifié dans l’Indien de l’Amérique du Nord, se distingue-t-il de l’esclave et du paysan par une imagination active, une humeur libre, des sentiments élevés, un haut style d’éloquence, — indiquant un cerveau actif et vigoureusement trempé. Il y a plus, son agilité même est une modification de l’action musculaire exigeant combinaison et coordination si rapides et si précises, qu’elle demande pour l’exécuter la tension la plus forte du système nerveux. Cette tension constante du système nerveux, sensitif, mental et coordinateur, bien appréciée, nous explique le manque de sentiment sexuel, et cela en conformité entière avec les idées générales qui sont notre point de départ. C’est ainsi que la mythologie grecque a fait de Diane la déesse de la chasteté et l’a représentée sous les attributs significatifs de la patronne de la chasse. Dans les jeux publics de la Grèce, nous voyons que le commerce sexuel était regardé comme incompatible avec les rudes exercices qu’on y pratiquait, aussi l’interdisait-on aux athlètes pendant la durée de l’entraînement. L’attraction et la contre-attraction ou l’antagonisme entre le système nerveux et les fonctions sexuelles sont donc attestés précisément par les phénomènes qui à la première vue, sembleraient constituer des exceptions à loi.

Un autre fait dans l’histoire naturelle de notre sujet nous fournit une nouvelle confirmation de notre assertion. Dans l’ordre de la nature, la liberté ou faculté de reproduction ne se montre chez l’individu que vers l’époque où les pouvoirs intellectuel et moral ont acquis une force qui suffise à contrôler les instincts, — le cerveau De perdant rien de sa force de contrepoids, mais plutôt gagnant sur les penchants à mesure que l’homme avance en âge. Cette correspondance de développement et de continence dénote un étroit et convenable rapport de combinaison entre eux, — l’efficacité de la disposition constitutionnelle des forces respectives se trouvant ainsi pourvue de l’aide d’une force morale auxiliaire. Chez l’homme uniquement, l’impulsion sexuelle est également active, également susceptible d’être restreinte en tout temps, en toute saison. À la différence des animaux inférieurs, il n’a pas, par année, sa saison d’un rut non réfrénable et irrésistible. Le penchant se déclarant au moment où commence la vigueur de son intelligence, se trouve ainsi placé sous le contrôle de la raison et du sentiment, fonctions du système cérébral dont l’efficacité est en raison directe du développement normal du système dont il fait partie.

Ce n’est pas néanmoins par une morale résistance et de prudentes contraintes seulement que l’accomplissement des fins de l’ordre providentiel et assuré ; — la loi est issue dans l’étoffe même des organes qui sont chargés de la reproduction. Une loi physique ajuste ici les équilibres, maintient les harmonies et achève les bienfaisants résultats désirés.

Une source d’évidence, à laquelle il faut puiser avec précaution, et cependant trop importante pour qu’on la néglige entièrement, est l’examen des différents cerveaux des différentes familles de l’humanité. Le docteur Morton, qui a formé la plus riche collection en nombre et en variété de crânes humains, recueillis dans toutes les parties du monde, un savant dont les mesurages et les observations méritent pleine confiance pour l’exactitude et la sagacité qui y ont présidé, a publié un catalogue de 623 crânes, — qui représentent toutes les variétés connues de la race humaine tant anciennes que modernes ; les types dans chacune sont assez nombreux pour qu’on puisse établir convenablement une moyenne des capacités respectives. Dix-huit types allemands, cinq anglais et sept anglo-américains, mesurant de 114 pouces cubes à 82, donnent une moyenne de capacité cérébrale de 92 pouces cubes. Cinquante-cinq types de l’Égypte ancienne, mesurant de 96 à 68, donnent une moyenne de 80 pouces. Cent soixante-un types des Indiens sauvages de l’Amérique, — (dont le plus volumineux atteint 104 pouces et occupe le second rang de capacité dans la collection toute entière), — donnât une moyenne de 84. Quatre-vingt-cinq types nègres, — dont le plus grand mesure 99 et le plus petit 63 — donnent une moyenne de 78. Dans la collection, le plus grand type allemand mesure 10 pouces de plus que le plus grand type Iroquois et 15 de plus que le plus grand type nègre[43].

Certainement il ressort de ces documents une certaine confirmation de la théorie de l’antagonisme entre les fonctions du cerveau et les fonctions sexuelles, — puisqu’il est reconnu que le volume d’un organe est en rapport direct avec sa force vitale et que ce volume s’accroît par l’exercice. À égalité de toutes autres conditions, le volume fournit une preuve acceptable de pouvoir. Néanmoins nous ne ferons pas des faits de la craniologie, la base essentielle de notre argumentation. — Le fait réellement essentiel pour nous est l’activité infiniment supérieure de l’homme qui a atteint son haut développement, comparé avec les manouvriers sans culture et imprévoyants de la civilisation. Pour peu qu’on soit capable d’observer et de réfléchir, ceci n’a pas besoin de preuves scientifiques, et si la culture physique et intellectuelle est réellement la condition indiquée par la physiologie comme le correctif d’une procréation excessive, nous pourrons regarder comme établie la loi sur laquelle nous nous appuyons.

Les faits de physiologie comparée viennent donnent une grande force à la loi d’équilibre entre les fonctions nerveuses et les sexuelles. La fourmi-reine chez les termites d’Afrique donne 80.000 œufs, et le chœlia (le ver capillaire) environ 8.000.000 en un jour. Charpentier dit « que la morue donne un million d’œufs à la fois ; tandis que ceux du puissant et sagace requin sont en petit nombre. » Le premier genre des reptiles est aussi le moins fécond, et parmi les mammifères ceux dont la croissance est rapide, produisent des portées nombreuses et fréquentes ; — ceux, au contraire, qui sont longs à atteindre l’âge de reproduction et ont un cerveau plus volumineux, ne portent qu’une fois dans l’année. Ceux qui ne donnent qu’un petit tiennent le rang le plus élevé. — La série se termine à l’éléphant, qui, en vertu de la supériorité de son système nerveux, et de ses facultés d’intelligence, se montre le moins prolifique de tous.

La loi générale de la vie parmi toutes les classes, ordres, genres, espèces et individus peut se déterminer ainsi :

Le système nerveux diffère en raison directe du pouvoir d’entretenir la vie.

Le degré de fécondité diffère en raison inverse du développement du système nerveux, — les animaux dont le cerveau est le plus vaste étant toujours le moins et ceux dont le cerveau est plus petit, étant toujours le plus prolifiques.

Le pouvoir d’entretenir la vie et celui de procréation sont en antagonisme mutuel, — cet antagonisme tendant toujours à produire équilibre.

L’analyse chimique, quoique moins positive et moins concluante qu’on pourrait le désirer, vient à l’appui des vues émises, — en nous fournissant le fait que les cellules à sperme du fluide fécondant, et la neurine, ou partie essentielle de la substance cérébrale ont en commun un.élément, le phosphore non oxydé qui les caractérise spécialement. Cette substance particulière entre pour 6 centièmes dans les parties solides du cerveau des adultes. Dans l’âge avancé, elle tombe à 3 3/4 % ; chez les idiots elle est de 3 %.

Ici néanmoins, comme dans l’argument de la capacité relative du cerveau de diverses races de l’espèce, l’évidence fournie par l’expérience et par les lois physiologiques est plus concluante que celle obtenue par l’examen de structure. Rien de ce qui se lie à cette question n’est mieux connu, — rien n’est plus généralement admis.que l’antagonisme général du système nerveux et des systèmes générateurs. Une forte application mentale qui cause une grande déperdition au tissu nerveux et correspond à une grande consommation du fluide nerveux pour le réparer, est accompagnée d’une diminution proportionnelle de cellules à sperme, — l’excès de production de ces dernières étant de même suivie d’un affaiblisse-de l’énergie du cerveau. Au degré que l’on considère ordinairement comme maladie, la marche est celle-ci : violent mal de tète, suivi de stupidité, qui conduit à l’imbécillité et se termine par la démence.

Comment cet antagonisme d’action affecte-t-il le système de la femme ? La science est là-dessus moins éclairée, quoiqu’il paraisse très-probable que la production de matière nerveuse, aussi bien que de nourriture à fournir à l’embryon, limite la quantité de matière nerveuse pour le système maternel. À ne considérer que comme pure substance, elle doit avoir une certaine force, quelle que soit cette force et n’importe où elle s’applique. Il est néanmoins plus probable que la fonction utérine, commençant avec la puberté et continuant jusqu’à l’âge critique, est le contrepoids le plus efficace de la force cérébrale dans le sexe, — l’état de santé et surtout celui de maladie le montrent très-évidemment.

De plus, il y a beaucoup de raison de croire que certaines sortes d’action nerveuse sont plus efficaces que d’autres pour contrebalancer l’activité et la force des instincts et les fonctions qu’ils servent, quoique la physiologie du cerveau ne soit pas assez avancée pour nous aider suffisamment ici, — ni son anatomie, ni sa chimie ne répondent encore à toutes les questions que leur pose la science sociale. Il est néanmoins constaté à un degré satisfaisant que les diverses parties de la masse cérébrale ont des fonctions différentes à remplir ; il est probable, même sur ce terrain, qu’elles ont des rapports divers à la fois pour aider et pour contrebalancer l’action des viscères. Selon que l’esprit s’applique à des travaux qui mettent en jeu les passions, l’imagination, qui sont scientifiques ou intéressent le sentiment moral ou de dévotion, les effets sur nos penchants, sont, on le sait, très-différents. Dans certains de ces cas, nos penchants acquièrent plus de force, dans d’autres cas ils sont décidément contrebalancés. Ici l’expérience apporte une instruction qui peut non-seulement servir pour la conduite de la vie, mais fournir des données importantes à l’observateur, — tous ses enseignements ayant un sens clair dans la question qui nous occupe.

Voici, selon nous, l’application des quelques points que nous pensons avoir établis.

La race humaine étant dans un état de transition, nous avons largement toutes raisons de croire que le rapport qui existe entre son aptitude à multiplier, et son pouvoir d’entretenir la vie n’est pas une quantité constante, — la loi de cause étant une, mais les effets étant modifiés par des changements presque incessants dans les conditions sous lesquelles elle fonctionne. Dans certains états de société, nous trouvons la production prenant l’avance sur l’approvisionnement de subsistances, — en admettant que nous prenions pour les termes du problème la loi apparente pour la véritable, en conformité avec l’opinion de M. Malthus. Dans d’autres conditions de société, par exemple chez les Indiens de l’Amérique du Nord, une telle disproportion n’existait pas, avant l’immigration européenne. Ce n’est que dans certaines conditions de société, ayant la prétention d’être civilisée, que l’histoire donne quelque couleur à l’assertion contraire à notre théorie d’équilibre et d’harmonie, — la prépondérance de population dans un pays tel que l’Irlande étant cependant bien constatée comme un mode provisionnel et nécessaire d’une vie relativement luxuriante dans le but de réparer la déperdition, résultat d’un désordre sociétaire et individuel. Ce n’est pas là cependant la condition normale de l’existence humaine, — ni le résultat régulier de la loi suprême qui régit la constitution des choses. C’est une conformité accidentelle de forces constitutionnelles à des exigences accidentelles.

Considérons maintenant le progrès constant et la perfection finale de civilisation, que pouvons-nous attendre du fonctionnement de la loi d’adaptation spontanée, dont nous avons ainsi cherchée constater l’existence ? Tous les faits du passé tendent à prouver que le travail simplement musculaire, le travail qui n’est point éclairé, en compagnie d’un sentiment général de sécurité, et néanmoins non assaisonné de ces préoccupations qui stimulent l’action du système nerveux du sauvage, favorise la fécondité, ou lui permet d’atteindre le plus haut point comme par l’expérience, — cette fécondité étant accompagnée d’une mortalité considérable. Comme cependant la civilisation tend à substituer les forces de la nature à l’effort humain, la vie des masses n’est pas dans l’avenir pour être sujette aux modes les plus inférieurs de travail, — et le résultat nécessaire est celui-ci : ou cette vigueur physique décline, ce qui réduit la fécondité, ou cette diversion d’énergie qui passe du système musculaire au système nerveux sert à diminuer le rapport de procréation. C’est le résultat qui doit advenir, du moment que le changement de conditions aura eu lieu n’importe de laquelle des deux manières. Cependant la dernière est celle vers laquelle nous marchons, — l’amélioration dans notre condition sociétaire étant la conséquence de ces perfectionnements qui tendent à élargir la sphère de l’activité intellectuelle, et à stimuler le système nerveux. Plus la société tend à prendre la forme naturelle, plus l’intelligence se mêle au muscle dans le travail de produire et de transformer les utilités requises pour l’entretien de l’homme, — et ces mélanges tendent, en heureuse proportion, à la diminution de fécondité, et à un accroissement de la faculté d’entretenir la vie humaine. Cela étant, nous avons là la loi d’action spontanée qui, en nous expliquant le passé, nous éclaire sur l’avenir — et nous permet de l’apercevoir, dans le temps et dans l’espace, travaillant constamment et progressivement à l’accomplissement de fins dont la bienfaisance est en parfaite harmonie avec nos idées sur la suprême sagesse, justice et miséricorde du Grand-Être qui a fait les lois.

Supposons-nous le progrès dans l’intelligence prise généralement — dans toutes les formes d’acquisition intellectuelle qui font passer plus décidément l’énergie vitale du système générateur au système nerveux ? Le développement général de l’esprit, — la multiplication des moyens de culture, — le perfectionnement des agences pour l’éducation qui mettent l’instruction au niveau des aptitudes mentales et pécuniaires des masses, le grand développement de commerce intellectuel résultant d’une diversité qui s’accroît autant que la demande des services humains, la facilité accrue de relations malgré les grandes distances, soit en personne, soit par correspondance, — et mille des autres changements qu’on peut citer tendent tous dans cette direction.

Existe-t-il dans la morale individuelle et dans la justice sociale ? Les lumières réelles, résultant des causes que nous venons d’énoncer, — du développement de l’agriculture devenue une science, et par conséquent du pouvoir accru de commander le service de la terre et de toutes ses parties, — du pouvoir accru d’association et de combinaison, — ces lumières doivent, en vertu de leur propre force, se développer de plus en plus dans cette direction. Plus elles s’accroîtront, plus il y aura tendance à ce que l’homme se gouverne avec prévoyance et vers cette révolution physique, dans les appétences et les forces du système, requise pour que s’établisse une parfaite harmonie entre l’accroissement de vie humaine et celui des denrées d’alimentation et de vêtement nécessaires à son entretien.

La civilisation factice, accompagnée de la consolidation de la terre, — du déclin de l’agriculture, — de l’affaiblissement du pouvoir de commander les services des grandes forces de la nature et de l’accroissement du pouvoir du soldat et du négociant de contrôler le mouvement sociétaire, — doit certainement favoriser un développement dans le sens contraire. Plus se poursuivra ce développement, plus il y aura tendance à un insouciant mépris des devoirs et des responsabilités de la vie, — au développement des pouvoirs purement sensuels aux dépens de ceux de l’intelligence, — plus il y aura désaccord entre l’accroissement de vie humaine et celui des matériaux nécessaires à l’entretenir, — et plus on ajoutera foi à la doctrine de l’excès de population. En cherchons-nous la preuve, il suffit de jeter les yeux sur tous les pays qui, à l’exemple de l’Angleterre, s’appliquent à substituer le trafic au commerce, — et l’Angleterre elle-même fournira la plus forte preuve. Voulons-nous la preuve des effets de l’autre développement, nous la trouverons dans tout pays qui adopte les idées de Colbert et préfère l’établissement du commerce à l’accroissement du pouvoir du trafic.

On a souvent remarqué que les hommes d’une grande activité d’intelligence sont généralement non prolifiques, et parmi ceux qui liront ce livre, il n’en sera probablement pas un qui ne puisse trouver autour de lui un exemple à l’appui de cette assertion. Il est quelques occasions d’étudier les mouvements dans ce genre de grandes corporations d’hommes, vous y rencontrerez toujours les faits venant à l’appui de l’idée que l’extinction des familles suit de près le haut développement des facultés intellectuelles.

Il y a vingt ans, la pairie d’Angleterre comptait 394 membres, sur lesquels il n’y en avait pas moins de 272 provenant de créations postérieures à la date de 1760. De l’année 1611 à 1819, on ne compte pas moins de 753 extinctions de baronnies, et le nombre total des créations est de 1.400. Des faits analogues se présentent dans l’histoire de toutes les familles nobles d’Europe généralement, — « Amelot, nous dit Addison, avait compté que de son temps il y avait 2, 500 nobles ayant voix au conseil ; qu’à l’époque où il écrit, lui Addison, il n’y en a pas plus de 1.500 nonobstant l’admission de plusieurs familles nouvelles. » Il est étrange, ajoute-t-il, qu’avec cet avantage « elles ne parviennent pas à maintenir leur nombre, si l’on considère que la noblesse passe à tous les frères, et que si peu de familles ont péri dans les guerres de la république. »

Ce fut de même dans la Rome antique. — Tacite nous dit, que vers ce même temps où Claudius fit inscrire parmi les patriciens tout ce qui se trouva d’anciens sénateurs recommandables par leur naissance illustre et les mérites de leurs ancêtres, les descendances des familles que Romulus avait qualifiées « la première classe de l’État » avaient presque toutes disparu. Et mêmes celles d’une date plus récente, créées à l’époque de Jules César par la loi Cassienne, et sous Auguste par la loi Sœnienne, étaient à peu près éteintes. »

Dans des temps plus modernes, nous voyons que le fauteuil de la présidence de ce pays a eu quinze occupants ; sept sont morts sans avoir eu d’enfants ; les autres à eux tous en ont eu à peu près une vingtaine. Regardons au dehors, le même grand fait se retrouve partout. Napoléon, Wellington, les Fox, les Pitt, et d’autres personnages distingués, n’ont point, il semble que ce soit une règle, n’ont point laissé derrière eux d’enfants pour remplir le vide produit par leur mort. Quant à Chaptal, Fourcroy, Berzélius, Berthollet, Davy et les mille autres noms distingués dans les sciences, les lettres, l’art militaire, qui ont brillé sous les yeux du public depuis l’époque de Malborough et du prince Eugène, nous ne sommes point assez renseignés pour affirmer avec certitude, cependant le peu que nous pouvons savoir nous permet d’avancer que probablement leurs descendances réunies aujourd’hui ne présenteraient pas la moitié du nombre de ces illustres personnages.

Que l’activité intellectuelle, n’importe de quelle sorte, est défavorable à la reproduction, c’est ce que nous prouvent également les archives de la vie politique, militaire ou commerçante. Prenons les faits suivants cités par Malthus au sujet de la ville de Berne.

« Dans la ville de Berne, à partir de l’année 1583 jusqu’en 1654, le souverain Conseil a admis dans la bourgeoisie 487 familles, sur lesquelles 379 se sont éteintes dans l’espace de deux siècles, et en 1783, il n’en restait que 108. Durant les cent années de 1684 à 1784, on compte 207 familles bernoises qui se sont éteintes. De 1624 à 1712, la bourgeoisie fat concédée à 80 familles. En 1623, le souverain Conseil réunit les membres de 112 différentes familles dont il ne restait plus que 58[44].

Dans un livre récent sur la population[45], on a donné plusieurs faits analogues à propos des freemen, bourgeois des différentes cités et bourgs d’Angleterre, — tous tendent à prouver que l’excitation du négoce est aussi défavorable à la procréation que celle de la science ou des affaires politiques.

Regardez n’importe où, vous trouverez la preuve que dans l’homme le pouvoir de reproduction n’est pas plus une quantité constante que ne l’est aucun autre de ses pouvoirs. Il peut être stimulé à un excès d’activité qui tende à réduire l’homme à l’état de la brute, — et anéantisse en lui le sentiment de responsabilité pour ses actes envers ses semblables et envers son Créateur. Il diminue d’autant que ses autres facultés diverses sont de plus en plus stimulées à l’action, — que les modes de travail sont plus diversifiés, que l’action sociétaire est plus rapide, et que lui-même gagne en liberté. Telle est, selon nous, la loi d’adaptation spontanée qui régit la population.

§ 9. — Dans le monde physique les effets les plus importants sont dus à l’action lente mais continue d’agens minimes et presque imperceptibles. — L’insecte corail opère des révolutions qui sont durables, tandis que l’éléphant ne laisse pas derrière lui trace de son existence. Il en est ainsi dans le monde social. — Le Créateur y a pourvu à un ensemble de tels instruments pour que s’accomplissent les fins de la création de l’homme. La guerre, la pestilence et la famine ne sont nullement nécessaires. La théorie d’excès de population n’est qu’une tentative d’expliquer les conséquences de l’erreur de l’homme par une erreur supposée de la part du Créateur de l’homme.

Se peut-il, demandera-t-on, que des modifications de l’homme moral et physique, telles que celles que nous venons de mentionner, puissent avoir des effets si grands ? Se peut-il que la question, si la population s’accroîtra aussi vite qu’en Irlande ou si elle diminuera, comme nous le voyons chez les gens dont les occupations nécessitent de laides demandes de leurs pouvoirs intellectuels, dépende à ce point pour sa solution de la proportion de force vitale dépensée par le cerveau d’un côté et par les organes générateurs de l’autre ? En réponse, nous dirons que c’est quand la nature travaille avec le plus de calme qu’elle opère le plus grand effet. — La somme de force dépensée pour un moment à élever dans l’atmosphère les eaux de l’Océan est plus grande que celle nécessaire pour produire une série des ouragans les plus terribles. C’est aussi lorsqu’elle travaille le plus lentement qu’elle opère le plus de bien ; par exemple, quand elle envoie la rosée du matin ou la pluie d’été rafraîchissante. Veut-elle infliger un châtiment à l’homme, elle agit avec une grande rapidité, — elle envoie la grêle ou la lave du volcan. Veut-elle créer une île, qui peut-être deviendra le noyau d’un continent, elle emploie un insecte invisible à l’œil nu ; mais si elle veut simplement renverser les remparts d’une ville, elle envoie un tremblement de terre.

Il en est de même partout, dans le monde social comme dans le monde physique. — L’amélioration dans la race humaine a résulté des travaux de millions de petits hommes qui ont travaillé dans les champs ou dans les usines, — d’hommes dont les travaux ont été si calmes qu’ils ont échappé à une simple mention de la part des historiens, qui donnent avec bonheur la chronique des mouvements des armées envahissantes, et épuisent leurs formules de langage à exprimer de l’admiration pour un Alexandre, un César, un Napoléon. Le polype du corail et le ver de terre contribuent à opérer des changements qui sont durables. L’éléphant ne laisse point derrière lui le souvenir de son existence. Le trafiquant extrait lentement et avec calme le ciment qui lie les parties de l’édifice social, — et la masse tombe en panne, comme nous l’avons vu en Irlande et dans l’Inde. Le soldat vient avec tambours et trompettes — piller et ruiner un pays, comme cela s’est fait si souvent en Belgique ou en Allemagne. À peine a-t-il disparu, que les fourmis cependant sont de nouveau au travail, relevant les maisons, réparant le dégât des terres, effaçant la trace du pied de l’envahisseur. La grandeur et la durée de l’œuvre accomplie étant partout ailleurs en raison inverse de l’efficacité apparente de l’appareil employé, et la bienfaisance de la divinité étant toujours plus grande, selon que la main qui dirige est moins aperçue ; nous pouvons tenir pour certain que ce doit être aussi, sans nul doute, le cas relativement à cette grande question de la solution de laquelle dépend la pauvreté et l’esclavage, ou bien la richesse et la liberté pour la race humaine.

L’homme sans culture ne sait rien de tout cela. Pour lui, nous l’avons déjà dit, l’accident d’une trombe de mer lui semble une preuve plus forte de la puissance de la nature que celle qui se présente à lui sous la forme de la rosée quotidienne. Il en a été et il en est encore ainsi des enseignants de l’école Ricardo-Malthusienne ; — ils regardent les guerres, les famines, les épidémies » la peste, comme nécessaires pour maintenir l’ordre social et corriger une grande faute du Créateur, — et cependant le Grand Architecte avait déjà pourvu à toute erreur accidentelle par le simple procédé d’établir dans le système humain une couche phosphorique et de diviser entre le cerveau et les organes sexuels la force à laquelle ils feraient leurs emprunts[46].

La garantie contre le fléau de l’excès de population se trouvera dans le développement de l’homme véritable qu’il faut distinguer de l’animal humain dont il est traité dans les livres de l’école Ricardo-Malthusienne, un être qui mange, boit et procrée, et n’a rien que la forme de l’homme[47]. Comment peut s’accomplir ce développement ? En facilitant la satisfaction du désir naturel à l’homme pour l’association et la combinaison. Pour qu’il y ait combinaison, il faut des différences. Ces différences viennent avec ta diversité dans la demande des pouvoirs humains : — tel homme a le plus d’aptitude à faire un fermier, tel autre un charpentier, un troisième un ingénieur, un quatrième un mathématicien, un cinquième un négociant, un sixième un homme d’État. Plus leurs facultés variées sont développées, plus grande sera leur faculté de combinaison, plus fort sera leur sentiment de responsabilité, plus grand leur pouvoir de progresser davantage. Comme preuve, il suffit de regarder la France du présent et de la comparer à la France du passé, de regarder tous les autres pays du nord et du centre de l’Europe qui prennent exemple sur elle et suivent la marche indiquée par Colbert comme le moyen de s’affranchir de la taxe oppressive de transportation, dont Adam Smith a si bien exposé les ruineux effets. Dans tous, le pouvoir de combinaison va croissant, l’homme véritable se développe plus pleinement, la panique de l’excès de population se dissipe à mesure qu’augmente le rapport des subsistances à la population, et que la durée moyenne de la vie se prolonge.

Venant aux pays qui suivent la trace anglaise : la Turquie, le Portugal, l’Irlande, la Jamaïque, l’Inde et les autres, nous trouvons l’inverse : le pouvoir de combinaison s’affaiblit constamment ; l’homme véritable s’efface par degrés ; — la difficulté de se procurer l’aliment s’accroît d’année en année. Si nous regardons l’Angleterre elle-même, le centre du système, nous trouvons que la classe des intermédiaires augmente de jour en jour, tandis que la population agricole disparaît graduellement ; la nécessité de l’émigration s’accroît, en même temps que la moralité se relâche, que la durée moyenne de la vie se raccourcit, et que diminue le pouvoir de fournir à la consommation de nourriture et de vêtement.

Venant aux États-Unis, nous apprenons, par les faits, que leurs quelques périodes de libre-échange ont eu pour résultat un paupérisme beaucoup plus répandu et d’autres symptômes de surabondance de population, — phénomènes qui avaient presque disparu du moment même où l’on avait établi la protection[48].

« L’instinct, nous dit-on, se montre un guide sûr pour l’humanité avant que le pouvoir acquis de la science vienne contrecarrer ses convictions » — et il est bien vrai que tel est ici le cas. En commun avec les animaux inférieurs, l’homme a des instincts qui, dans le passé, l’ont conduit à désirer cet accroissement dans le pouvoir d’association qui résulte de l’accroissement de population et de la diversité des professions. L’école politique moderne cependant enseigne le contraire, — et l’école qui nous donne la doctrine de l’excès de population est la même qui aujourd’hui nous enseigne les avantages qui résulteront de réduire a toutes les nations du monde, la Grande-Bretagne exceptée, au seul travail de cultiver le sol. »

§ 10. — L’harmonie dans le monde social comme dans le monde physique résulte de l’action égale de deux forces qui s’opposent l’une à l’autre. Plus l’équilibre est parfait, plus il y a tendance au développement de l’homme véritable et à l’harmonie entre les demandes qu’on adresse à la terre et son pouvoir d’y satisfaire.

Tous les phénomènes que présente le monde peuvent être invoqués à l’appui des propositions suivantes :

Que, dans le monde social, ainsi que dans le monde physique, l’harmonie est maintenue par l’équilibre des forces centripète et centrifuge ; — les centres locaux d’attraction font contre-poids au grand pouvoir central.

Que plus le consommateur est voisin du producteur, et plus il a y attraction dans les centres locaux, plus s’accroîtra l’intensité de ces deux forces, plus s’accélérera la circulation sociétaire, — plus se développera l’homme véritable, — plus grandira le pouvoir appliqué à développer les immenses trésors de la terre, plus augmentera la quantité de subsistances et d’autres denrées premières en échange d’une quantité donnée de travail, et plus s’accroîtra la tendance à l’harmonie parfaite entre les demandes d’aliment adressées à la terre et le pouvoir de la terre d’acquitter les mandats tirés sur elle[49].

  1. « La plante et l’animal n’ont point à devenir autre chose que ce qu’ils sont au moment de leur naissance. Leur idée, comme disent les philosophes, est réalisée dans sa plénitude par le fait seul de leur apparence matérielle et de leur organisation physique. Le but final de leur existence est atteint, car ils ne sont que d’une nature physique. Mais il en est autrement de l’homme. L’homme, créé à l’image de Dieu, est d’une nature libre et morale. L’homme physique, tout admirable que soit son organisation, n’est pas le véritable homme. Il n’est pas un but mais un moyen, il n’est pas une fin comme l’animal, mais un commencement. Il y a un autre nouveau-né, mais destiné à croître en lui, et à développer la nature morale et religieuse, jusqu’à ce qu’il ait atteint la parfaite stature de son maître et modèle, qui est Christ. C’est là l’homme intellectuel et moral, l’homme selon l’esprit — Guyot. Earth and Man.
  2. En 1820 la population blanche comptait 8.107.000 âmes.
    En 1850 elle était portée à 20.169.000
    ----------------
    __________________ Augmentation 12.062.000
    .
    Dans cette même période l’immigration a été considérable,
    on a compté d’arrivants de 1820 à 1830.
    203.979
    __________________ de 1830 à 1840 762.369
    __________________ de 1840 à 1850 1.521.850
    ----------------
    ______________ Total 2.488.198

    Parmi eux il en était peu qui n’eussent passé l’époque de l’enfance ; les deux tiers étaient dans l’âge de 15 à 40 ans, la période où la force vitale existe au plus haut point. Admettons que chaque couple n’ait produit qu’un enfant, en raison de la part large à la mortalité, et additionnons, nous aurons 3.732.297. En y joignant la population espagnole du Texas, de Californie et du Nouveau-Mexique nous avons un total probable de 3.900.000. Déduisons le chiffre de l’accroissement total, nous avons un doublement à peu près juste en trente ans.
      Ces calculs sur les effets de l’immigration, sont certainement au-dessous de la vérité, à juger par les admirables calculs statistiques sur la vie, recueillis et publiés par le gouvernement de Massachusetts.
      Le chiffre de la population totale de cet État, en 1815, était 1.222.463, — dont 886.571 natifs de l’État, et 235.892 étrangers, dont une grande partie étaient Irlandais. Le chiffre des mariages de l’année est 12.329. De ces mariages 954 comptaient un conjoint étranger, et dans 4.269 mariages, les deux conjoints étaient étrangers. La proportion des mariages entre purement natifs étant comme 4 : 3, tandis que leur proportion dans la popu1ation est presque de 4 à 1. Les naissances ont été 32.845, — les légitimes ont été 31.273. De celles-ci 1617 sont le produit de mariages mêlés, et 13.708 de mariages entre étrangers, — ce qui forme un total de 15.325 ou presque la moitié du nombre entier.

  3. M. Roulin a rapporté un fait très-remarquable au sujet de la race bovine de l’Amérique du Sud, et qui a été signalé particulièrement par M. Geoffroy Saint-Hilaire dans un rapport à l’Académie royale des sciences sur le mémoire de M. Roulin. £n Europe, les vaches donnent du lait à partir du commencement de la gestation jusqu’à ce qu’elles cessent de nourrir. Chez la vache américaine, la sécrétion du lait est devenue une fonction constante dans l’économie animale ; cela provient de la pratique, prolongée pendant une longue suite de générations, de continuer à traire longtemps après qu’il n’en est plus besoin pour l’allaitement du veau. Les mamelles de la vache prennent plus de volume, et la sécrétion se perpétue. Dans la Colombie on négligeait de traire les vaches, parce que les fermes sont trop considérables et en raison d’autres circonstances. « Il a suffi de quelques générations, dit M. Boulin, pour rétablir le volume des parties, et ramener l’ordre naturel de la fonction. La sécrétion du lait chez les vaches de notre pays n’est qu’un phénomène accidentel et qui se rattache à la présence du veau. Si le veau meurt, le lait cesse de venir, et pour qu’on puisse traire une vache, il faut que le veau soit auprès d’elle. » Ce rapport est important comme propre à prouver que la production permanente de lait, chez les éleveurs de vaches, en Europe, est une fonction modifiée de l’économie animale, résultat d’une habitude artificielle, continuée pendant plusieurs générations. — Smith and Trall, Fruits and Farinacea, p. 309.
  4. Voici les calculs sur les changements de la durée de la vie dans les trois derniers siècles.
      « Dans la dernière partie du XVIe siècle, la moitié des enfants mouraient avant d’atteindre cinq ans — et la vie moyenne de la population entière était de dix-huit ans. Dans le XVIIe siècle, la moitié des naissances parvenait à l’âge de douze ans ; mais, dans les premières soixante années du XVIIIe, une moitié de la population parvenait à l’âge de vingt-sept ans. Dans les dernières quarante années, elle allait au-delà de trente-deux ans. Au commencement du présent siècle c’était à plus de quarante ans, et de 1838 à 1845, à plus de quarante-trois. » La longévité moyenne à ces époques successives, a monté de 18 ans, dans le XVIe siècle, jusqu’à 43.7 dans les derniers rapports.
      Cet accroissement de la durée de la vie a pour causes : les progrès de la médecine et les améliorations dans la construction des maisons, le drainage des rues et l’habillement.
  5. Dans le cas d’une fracture d’un os, d’une blessure, la nature se départit de la régularité de sa marche ordinaire, dans le but de réparer le mal. Une preuve évidente qu’il en est de même dans le phénomène de la reproduction, ce sont les changements dans les proportions des sexes que l’on observe en étudiant les tableaux des naissances. Les guerres de Louis XIV et de Louis XV ont causé un grand déficit dans le chiffre des hommes comparé à celui des femmes, et cependant, au commencement de la révolution, les proportions normales étaient rétablies. Les guerres de la Révolution et de l’Empire ont causé une telle déperdition d’hommes, que dans l'an IX, il y avait, du côté des femmes, un excédant de 725.225. Plus tard, l’excédant s’accrut en 1820, le chiffre des hommes était plus faible de 868.325. Peu à peu, cependant, l’excédant déclina. Voici les différences à quelques époques successives:
    Années _______
    1835 619.508
    1840 420.921
    1845 316.332
    1850 193.252

    _______Guillard, Statistique humaine, ch. VII.

      Dans la période décennale qui se termine en 1840, les naissances mâles de Philadelphie excédaient les naissances femelles d’une moyenne de 6.29 p. Néanmoins, l’année 1833, donne un excès de naissances femelles, et cet excès se trouve dans les mois qui correspondent aux conceptions qui ont eu lieu pendant que sévissait le choléra en 1832. La diminution des conceptions mâles dans cette période n’est pas moindre que 17 p. %. Les mêmes phénomènes se sont observés à Paris ; — l’excès des naissances mâles en 1832 est dans la proportion habituelle, tandis que dans le mois de 1833 qui correspond, pour la conception, à décembre 1832, où le choléra sévissait avec le plus de force, il y a excès de naissances femelles. Comme preuve que cette différence est certainement due à l’influence du fléau, c’est que dans les arrondissements qui n’en ont point eu à souffrir, il y a généralement un grand excès de naissances mâles, tandis que dans ceux qui ont le plus souffert les naissances femelles prédominent. — Emerson. American Journal of the Medical Sciences, July, 1848.

  6. Cette responsabilité existe en raison du développement des facultés diverses ; la preuve en est que la loi ne tient pas le monomane pour responsable de ses actes.
  7. Laing. Notes of a Traveller, London, 1854, p. 33.
  8. Notes of Traveller, p. 158, 159.
  9. Ibid., p. 165, 166.
  10. Notes of Traveller, p. 167.
  11. Voy. précéd., ch. XXII, sect II.
  12. Kay. Social Condition and Education of the Peuple of England and of Europe, vol. I, p. 200.
  13. Kay. Social Condition and Education of the Peuple of England and of Europe, vol. I, p. 247.
  14. Ibid., p. 261,
  15. . De tous les problèmes de la science sociale, il n’en est pas qui exige plus de recherches pour l’action des causes perturbatrices que le problème de déterminer les chances actuelles de vie. Dans les chiffres suivants tirés de la Statistique humaine de M. Guillard, Paris, 1855, on a essayé de corriger les erreurs des documents officiels ; il serait difficile de dire à quel point on y a réussi. Dans certains cas, la durée de vie moyenne se montre dans les dernières années plus courte qu’à l’époque plus ancienne — cela tient peut être aux perturbations politiques :
    France 1831-35     33.18
    1846-50 36.20
    Danemark 1835-44 31.65
    1845-49 31.21
    Suède 1816-25 29.00
    1826-35 30.40
    Belgique 1831-35 30.70
    1846-53 33.60
    Bavière 1831-35 28.35
    1846-50 28.70
    Prusse 1831-35 26.80
    1846-50 25.75
    Saxe 1836-40 23.10
    1846-50 24.25
    Wurtemberg   1832-37 22.65
    1846-50 25.75
  16. « L’éducation a toujours été, dès les temps les plus reculés de leur histoire, un objet de soin public et d’intérêt public pour les gouvernements hindous dans la péninsule de l’Inde. Chaque village, bien administré sous ces gouvernements, avait son école publique et un maître d’école public. Le mode d’instruction était celui qu’en raison de son efficacité, de sa simplicité, de son bon marché, l’on a introduit de Madras en Angleterre, et d’Angleterre dans le reste de l’Europe (l’enseignement mutuel). Chaque parent hindou regardait l’éducation de son fils comme un devoir solennel, dont il était responsable envers Dieu et son pays, et il le plaçait sous le maître d’école du village dès qu’il avait atteint sa cinquième année. La cérémonie de le présenter à son maître et à ses camarades s’accomplissait avec la solennité d’un acte religieux, on adressait une prière à Ganesa, la déesse de la sagesse hindoue, dont l’image occupait la place d’honneur dans toutes les écoles hindoues ; on lui demandait de venir en aide à l’écolier pour qu’il apprit bien et devint sage. » — Sir Alexander Johnston. Letter to the Président of the Board of Control.
      L’état actuel des choses présente un contraste frappant. La présidence de Madras, sur une population de 13.000.000 âmes, compte dans ses écoles 355.000 garçons et 8.000 filles. — Celle du Bengale, avec une population de 6.500.000 âmes, envoie à ses écoles moins que 40.000 enfants. Et depuis ces dernières années que sera-t-il advenu de ce peu d’écoles et d’écoliers ? Dans quel état tout cela se trouve-t-il aujourd’hui ?
  17. « Le jour suivant, je recueillis la preuve indubitable de la misère qui règne parmi les ryots, — d’une indigence, d’une dégradation qui forme barrière à tout essai d’amélioration parmi eux, et flétrit tout bourgeon d’espoir pour l’avenir. Nous avions fait halte dans un vallon frais et ombreux, près d’une petite masure en terre, comme on en rencontre par vingtaines dans les districts cultivés du Bengale. Je voulais un peu d’eau, et préférant la puiser moi-même à un ruisseau qui bruissait près de là, je quittai mon palanquin, mon ami en fit autant. En approchant de la masure, nous en aperçûmes le maître qui était assis devant la porte, et regardait vaguement les champs qui verdoyaient devant lui. Il était vêtu aussi misérablement que l’est un ryot, si l’on peut appeler vêtement un haillon de coton qui lui formait une étroite ceinture autour des reins. Il était d’une maigreur extrême, son visage sale et décharné était rendu plus affreux encore par une profusion de cheveux et de barbe en nattes épaisses. Quelques enfants maladifs, rachitiques, s’amusaient à l’ombre d’un bouquet d’arbres près du champ de riz. Sur notre demande pourquoi il n’était pas au travail à cette heure, il nous répondit que travailler ne lui servait à rien, que plus il travaillait, plus il était pauvre. « Et comment cela ? dîmes-nous. » II regarda autour de lui comme s’il eût eu peur d’être entendu, et nous dit tout bas : — « Mahajum prend tout. » — Nous lui demandâmes comment cela se pouvait, à quoi il répondit : « Il est riche et je suis pauvre. Que puis-je ? »
      « Tant que la masse de la population indienne restera ainsi dégradée et sans appui, il est plus qu’inutile d’attendre d’elle qu’elle se livre à quelque agriculture nouvelle. Pourquoi ces pauvres diables planteraient-ils du coton pour nos fabriques ? Qu’y gagneraient-ils ? C’est une moquerie de parler de leur donner des chemins de fer pour Bombay et Calcutta, quand ils n’ont pas mi sentier pour le tribunal de la commune. Qu’est-ce que la vapeur pour des gens qui n’osent pas manger la nourriture qu’ils produisent, de peur que le grand Zemindar ne trouve un grain de moins dans son ample magasin ? Qu’ont ils besoin des cotonnades venant de Manchester ou des marchandises venant de Birmingham ? » — Household Words, article : Peasants of British India.
  18. Voyez précéd., vol. I, p. 329, au sujet de la demande extraordinaire de livres qui existait en Irlande, avant que passât l’acte d’union.
  19. Désireux de prouver l’étonnante énergie de la tendance à procréer qui a toujours existé en Irlande, les avocats de la théorie Malthusienne ont répandu dans le monde des tableaux qui montrent une augmentation de plus de 40 % dans les trois années de 1785 à 1788 ; — le chiffre de 2.845.932, pour la première, devient 4.640.000 dans la dernière. Cette dernière année peut approcher de l’exactitude ; et si on admet son chiffre, le doublement suivant aura demandé environ un demi-siècle. Cependant ce n’est que dans le présent siècle que nous avons des documents dignes de foi. — Le premier recensement date de 1813, et donne environ 6.000.000 d’âmes pour la population totale. Vingt-huit ans après, en 1841, nous avons le chiffre de 8.175.794. — L’augmentation dans cette période a été d’environ 35 %. »
      Voy. précéd. vol I. p. 338.
  20. Notes and Recollections, p. 30.
  21. Notes et Recollections, p. 31.
  22. Mac Culloch. Principles, p. 383.
  23. L’influence que ceci a exercée sur la population de la Grande-Bretagne nous est révélée par le London Times :
      « Pour une génération entière, l’homme a été une drogue dans ce pays et la population une nuisance. À peine s’il est entré dans la tête des économistes qu’ils auraient à compter avec un manque de travail. L’inépuisable offre irlandaise a avili le prix du travail anglais, aux champs, au chemin de fer, au comptoir, à l’armée, à la marine, à la faucille, à la bêche, à l’auge du maçon, au pupitre chez le marchand. Nous croyons que, pour quarante ans au moins, le travail, en tenant compte de sa qualité, a été à plus bas prix dans ce pays qu’en aucun pays de l’Europe ; et ce bas prix a largement contribué à l’amélioration et au pouvoir du pays, au succès de toutes les entreprises du négoce, et aux jouissances de ceux qui ont de l’argent à dépenser. »
  24. Voy. précéd. voI I, p. 241.
  25. Ricardo. Chapter on Rent.
      Puisque la même cause, qui est la difficulté de produire, fait hausser la valeur échangeable des produits naturels, en augmentant aussi la proportion de ces produits donnés au propriétaire en payement de sorents, il est clair que celui-ci tire un double avantage de la difficulté de produire. En effet, il obtient d’abord une portion plus forte, et puis il est payé en denrées dont la valeur est plus considérable.
  26. Voy. précéd. vol I, p. 450, vol II p 96.
  27. Voy. précéd. vol II, p. 498. — « Les détails que nous recevons de tous les points du pays montrent que ces misérables cottages sont encombrés à l’excès d’habitants et que l’encombrement va toujours croissant. Des gens des deux sexes et de tout âge, mariés et non mariés, — père et mère, frères, sœurs et étrangers, — couchent dans la même chambre et souvent n’ont qu’un lit en commun. On nous cite six individus de sexe et d’âge différents : deux sont le mari et la femme, qui couchent dans le même lit, trois ont la tête au chevet, trois ont la tête au pied du lit… Ce ne sont pas là des exemples isolés ; nous recevons des rapports semblables de visiteurs sur tous les points du pays. — Kay. Social Condition of England, etc., vol. I. p. 472.
  28. « Il a été déclaré par le coroner de Leeds, et le chirurgien regarde la chose comme très-probable, qu’on peut évaluer à environ trois cents le chiffre des infanticides qui se commettent à Londres par année, sur des enfants soustraits à la déclaration légale. En d’autres termes, trois cents enfants sont mis à mort pour éviter les conséquences de leur existence ; et ces crimes, comme dit le coroner, ne sont jamais découverts. » — Leader.
      « Il est bien avéré que l’habitude existe dans les classes les plus dégradées de nos pauvres de plusieurs de nos villes, d’introduire leurs enfants dans ces clubs funéraires (burial), et alors de les faire mourir, soit de faim, soit par les mauvais traitements ou le poison ! Se peut-il imaginer un plus horrible symptôme de dégradation morale ? L’esprit se révolte à un tel récit, et voudrait le rejeter comme une monstrueuse fiction. Mais, hélas 1 la chose ne semble que trop vraie. » Kay, vol. I, p. 433.
      M. Kay, à propos de ces faits et d’autres du même genre, ajoute : « Ces récits sont en réalité presque trop horribles pour être crus de tout le monde ; et si nous ne les tenions pas d’une autorité qui a une si grande expérience et tant de charité, nous serions tenté de les rejeter complètement. — Mais, hélas ! ils ne sont que trop vrais. Il est impossible de mettre en doute qu’une grande partie des classes les plus pauvres de ce pays est plongée dans un si effroyable abîme de désespoir, de misère et de dégradation morale, que des mères elles-mêmes oublient leur affection pour leurs enfants dénués de tout, et les tuent comme un boucher tue ses agneaux, pour faire argent du meurtre (in order to make money by their murder), et avec cela diminuer le paupérisme et leur misère. » — Ibid., p. 446.
  29. Voy. précéd. vol. I, p. 432,
  30. Du prix qu’on paye en Angleterre pour un boisseau de blé produit en Iova, les quatre cinquièmes, en saisons ordinaires, sont absorbés par les personnes dans les mains desquelles il passe dans le trajet du producteur au consommateur. Ce doit être pire encore pour le grain qui vient du cœur de la Russie.
  31. Nous pourrions remplir nos pages du récit de souffrances qui arracheraient des larmes au cœur le plus dur. Nous pourrions dire comment d’habiles ouvriers, capables de gagner aujourd’hui, au taux ordinaire de leur profession, de 18 à 25 shillings par semaine, et avec cela sobres, probes, religieux, furent réduits à se nourrir d’épluchures, de rebuts ; comment plus d’une famille, ruinée et désespérée, tombée dans une misère sans remède, fut conduite au tombeau, laissant derrière elle un seul être, le bien-aimé peut-être, le seul spectateur de toutes leurs souffrances, qui avait souvent maudit amèrement l’heure où s’éveillèrent dans son sein les tendres émotions de la paternité, et qui avait trouvé dans la folie un triste asile pour tous ses chagrins. Donklet. Charter of the Nations. — C’est le livre qui remporta le prix pour l’essai sur les avantages du libre-échange des céréales, lorsque passa la loi de sir Robert Peel, en 1846. Voy. aussi précéd., vol. I, p. 388.
      Voy. aussi préced., vol I, p. 388.
  32. Voy. précéd., vol. I, p. 423.
  33. Kalm, le voyageur suédois, qui écrivait en 1749, dit en parlant du peuple de ces contrées : « C’est à peine s’ils appliquent quelque engrais à leurs terres à blé ; mais lorsqu’un champ est épuisé par une suite de moissons, ils défrichent un autre morceau de terre, et, celui-ci épuisé, ils passent à un nouveau. Ils laissent leur bétail errer par les bois et les pâtis, où il vit mal, — par suite de l’usage de couper les foins beaucoup trop tôt, avant que l’herbe ait eu le temps de former ses fleurs ou de répandre ses semences. » — Citation de Smith. Richesse des nations. Traduit par Blanqui. Guillaumin, Paris, 1843.
  34. On calcule, d’après les rapports des agences de négoce de New-York, qu’il y a une boutique et un boutiquier par 123 individus de tout âge dans l’Union : c’est-à-dire une famille par 24 familles qui vit à leurs dépens, — sans compter la masse de petits vendeurs, transporteurs, et autres intermédiaires. Il est douteux que, dans aucun autre pays, cette classe atteigne une telle proportion.
  35. En 1850, l’Union comptait 2.555 individus au-dessus de l’âge de 100 ans ; la France n’en comptait pas autant, quoique sur une population de 36.000.000 d’âmes.
  36. Voy. précéd. p. 271.
  37. Sur 100 enfants qui naissent dans Massachussets, il en meurt 13 1/2 dans la première année. À Londres et à Paris, il en meurt plus de 16.
  38. La totalité des décès en Angleterre, en 1855, était     216.587
    Sur lesquels ceux au-dessous de 5 ans
    (Soit 44 % de la totalité).
    89.527
    .
    La totalité des décès à Londres était 31.354
    Sur lesquels ceux au-dessous de 5 ans. 13.200
    Et de 5 ans à 65. 13.714

    La chance de vie, à Londres, est donc tout à fait égale à celle de Boston, et de beaucoup supérieure à celle de New-York.

  39. Les enfants morts-nés à New-York, en 1835, ont donné le chiffre de 1.659. Leur proportion à la totalité des décès est de 1 à 13.70.
  40. Memorials of the Shattuck Family, p. 44. Ce livre, probablement le plus remarquable recueil pour les statistiques sur la vie, est l’ouvrage d’un homme à qui l’État de Massachussets doit beaucoup pour l’admirable caractère de ses documents. Il contient des détails sur 1.037 individus issus d’un couple qui s’est marié en 1642. — 13.40 %, sont morts avant 20 ans. De 898 qui ont atteint cet âge, 91.84 % se sont mariés ; — ce qui donne, pour la proportion des mariés, un nombre total de 79.27. — De 377 mariages dans les six premières générations, dont 53 étaient des seconds, et 6 des troisièmes mariages, le produit moyen a été 64 1/4 enfants. — L’âge moyen de mariage a été, pour les garçons, 24 à 25 ans, pour les filles 20 à 22. — De 522 dont l’âge de décès a été bien constaté, 14.37 % sont morts avant 15 ans, la moyenne de tous étant 53 1/2 ans. — De ceux qui ont passé 20 ans, la moyenne a été 63 1/4 ans. Le nombre total des descendants de ce couple, tous portant le même nom, est calculé à 5.297.
  41. Cet accroissement extraordinaire est dû en grande partie à l’immigration. — La moyenne des décès étrangers est d’environ 30  %, et parfois s’élève à 35  % de la totalité. Dans les dix ans qui ont précédé 1856, on a compté 64.934 décès d’immigrants.
  42. Le nombre des pauvres assistés dans l’État de New-York en 1837 approchait de 180.000, dont 81.000 étrangers, 2.320 fous, 531 idiots et 55 sourds-muets.
  43. Morton. Catalogue of Skulls, Philadelphie, 1849.
  44. Malthus. Principles of Population vol. II, ch. v.
  45. Doubleday. The True Law of Population.
      London, 1846. — Selon M. Doubleday, c’est dans la pléthore, qui résulte d’une grande consommation de viande, qu’il nous faut chercher le véritable correctif de la tendance naturelle de l’homme à une procréation excessive. Il cite comme preuve l’exemple de la Russie, où la viande de boucherie, nous dit-on, est sans valeur, la nourriture végétale un objet de luxe, et la population limitée. En supposant cette loi exacte, la population américaine devrait être bien lente à s’accroître : — la consommation de viande y est bien plus forte que dans aucun autre pays. De plus, il est parlé de la diminution de la population de l’Angleterre dans les XVIe et XVIIe siècles, comme résultat d’une nourriture animale riche et abondante, qui se trouvait sous la main du travailleur. On peut voir à la page 34 du présent volume, jusqu’à quel point cette opinion est en accord avec les faits. Si c’était réellement là la loi, ce serait à désespérer du cas dans lequel se trouverait l’humanité. — L’accroissement de notre espèce serait suivi nécessairement de la diminution des animaux inférieurs et de l’obligation croissante de dépendre de la nourriture végétale, — cette nourriture dont l’usage tend le plus, comme nous l’avons vu, à développer le commerce sexuel, et à produire dans le monde entier l’état de choses qui existe aujourd’hui en Irlande.
  46. « Lorsque la boite crânienne est faible, elle a une forte odeur spermatique très-persistante. M. Chaussier a constaté qu’elle durait des années dans un des crânes desséchés. Donglison, Human Physiology, vol. I, p. 101. »
  47. À l’état de nature, la rose n’a que cinq pétales. La culture soignée de la plante lui donne plus de vigueur et de beauté, — les étamines, qui sont les organes de reproduction, se transforment en pétales. Transportez une semence de cette même plante dans un sol avare, vous obtenez une fleur faible, languissante, mais qui a maintenant des étamines parfaites. Il en est ainsi dans tout le règne végétal. — Le haut développement et le pouvoir de reproduction sont en raison inverse l’un de l’autre. Il en est de même dans la vie animale. — On prépare souvent les juments de course pour la conception en leur diminuant la ration d’aliments ; on va même parfois jusqu’à les soumettre à de mauvais traitements.
  48. Voy. précéd. Vol. II.
  49. Au sujet du pouvoir de reproduction) nous recommandons la lecture d’un article ayant pour titre : Théorie de la population, dans Westminster Review avril 1852. L’auteur croit à l’existence d’une loi d’adaptation spontanée réglant la demande et l’offre d’aliment ; il la trouve « dans une pression constante que la population exerce sur les moyens d’existence. » — Il y voit la cause immédiate du progrès. « C’est à cette pression que nous devons toute l’amélioration qui s’est produite et toute celle qui pourra se poursuivre jusqu’au jour où, après avoir peuplé le globe autant qu’il puisse l’être, et avoir mis en culture tout ce qui est habitable ; — après avoir pourvu de la manière la plus parfaite à la satisfaction de tous les besoins de l’homme ; — après avoir en même temps développé son intelligence au niveau de sa tâche, et ses sentiments en complète adaptation à la vie sociale ; — où après avoir fait tout cela, nous verrons cette pression de la population, qui s’était accrue graduellement pour l’accomplissement de son œuvre, décroître elle-même graduellement. » Nous croyons au contraire que, dans une hypothèse qui fait de la pauvreté et du besoin les compagnons inséparables du progrès, chargés de fournir le pouvoir moteur, les dernières scènes du voyage les montreront plus développés que jamais.
      Il suffit de regarder autour de nous pour voir que la pauvreté et le besoin sont déprimants et non stimulants. En a-t-il jamais été autrement ? L’histoire nous assure que non. D’où donc est venu le stimulant ? — De l’accroissement de richesse et de puissance, — se manifestant par l’augmentation des salaires et un plus grand développement des facultés humaines. Consultez l’histoire ou étudiez le mouvement contemporain, n’importe où, vous trouverez qu’à mesure que l’homme devient plus maître de la nature et maître de lui-même, la tendance à l’amélioration devient de plus en plus rapide. Si l’on devait chercher les causes du progrès dans le déficit d’aliments, c’est à l’Irlande et à l’Inde qu’il faudrait s’adresser, et non à l’Angleterre, à l’Europe centrale ou aux États-Unis. La théorie Malthusienne étant celle qui aboutit à l’esclavage et à la discorde, ce sera toujours en vain qu’on essayera de l’harmoniser avec les idées du progrès.