Traduction par Saint-Germain Leduc et Aug. Planche.
Librairie de Guillaumin et Cie (tome 1p. 155-163).


CHAPITRE V.

CONTINUATION DU MÊME SUJET.

§ 1. — Le décroissement de la population force l’homme d’abandonner les terrains les plus fertiles, et le contraint de revenir aux terrains les plus ingrats. Causes de la diminution de la population. La quantité des subsistances décroît dans une proportion plus considérable que celle des individus.

La population et la richesse tendent à augmenter, et la culture tend à se porter vers les sols plus fertiles, lorsque l’individu peut obéir librement à ses instincts naturels, qui le poussent à rechercher l’association avec ses semblables. La population et la richesse tendent à décroître, à mesure que l’association décline, et alors les sols fertiles sont partout délaissés ; à chaque pas dans cette direction, la difficulté de se procurer des subsistances augmente. C’est grâce à la population qu’on tire celles-ci des sols riches de la terre, tandis que la dépopulation ramène le malheureux cultivateur aux sols plus ingrats.

Lorsque les individus sont pauvres, ils sont forcés de choisir les terrains qu’ils peuvent, et non ceux qu’ils voudraient, cultiver. Bien que réunis autour des flancs de la même chaîne de montagnes, la difficulté de se procurer des subsistances les contraint à rester très-éloignés les uns des autres ; et n’ayant point de routes tracées, ils sont incapables de s’associer pour une défense commune. Les terrains maigres sont d’un faible rapport, et la petite peuplade renferme quelques individus, qui aimeraient mieux vivre du travail d’autrui que de leur travail personnel. Une population disséminée peut être pillée facilement, et une demi-douzaine d’hommes réunis dans ce but peut dépouiller, successivement, tous ceux dont se compose la petite communauté. L’occasion fait le larron, et le plus audacieux devient le chef de la bande. Les individus qui désireraient vivre de leur travail sont pillés tour à tour ; et c’est ainsi que ceux qui préfèrent le pillage peuvent passer leur vie dans la dissipation. Le chef partage les dépouilles, et par ce moyen peut augmenter le nombre de ses compagnons et agrandir la sphère de ses déprédations. A mesure que la petite société s’accroît, il arrive cependant à faire avec elle une transaction de rachat, moyennant une certaine portion de ses produits qu’il appelle rente ou taxe, ou taille. La population et la richesse s’accroissent très-lentement, à cause de la disproportion considérable entre les individus non travailleurs et les individus travailleurs. Les sols de bonne qualité ne s’améliorent que lentement, parce que la population ne peut se procurer des bêches pour cultiver la terre, ou des haches pour la défricher. Peu d’individus ont besoin de cuir, et il n’existe pas, sur le lieu occupé, de tannerie pour employer les peaux dont ils disposent. Peu d’individus peuvent fournir des souliers, et il n’y a pas de cordonnier pour consommer leur blé, pendant le temps qu’il fabriquerait les souliers dont on a besoin. Peu d’individus possèdent des chevaux, et il n’y a pas de forgeron. L’association des efforts actifs existe à peine.

Toutefois, et très-lentement, ils deviennent capables de soumettre à la culture des terres de meilleure qualité, diminuant ainsi la distance entre leur établissement et celui de leurs voisins, où règne un autre souverain au petit pied. Chaque chef, à cette heure, ambitionne le pouvoir de taxer les sujets de son voisin, et comme conséquence éclate la guerre ; le but de tous deux est le pillage, mais déguisé sous le nom de gloire. Chacun envahit le domaine de son adversaire et s’efforce de l’affaiblir, en massacrant ceux qui lui payent un revenu, incendiant leurs maisons et dévastant leurs petites fermes, tout en manifestant peut-être la plus grande courtoisie à l’égard du chef lui-même. Les terrains plus riches sont alors délaissés et leurs drainages comblés, tandis que ceux qui les occupaient sont contraints de chercher leur subsistance au milieu des terrains ingrats des collines, où ils se sont réfugiés pour leur sûreté. Au bout d’un an ou deux, la paix se conclut et le défrichement est à recommencer. Cependant la population et la richesse ayant diminué, il faut créer de nouveau les moyens nécessaires à cet effet, et il faut le faire sous l’empire des circonstances les plus désavantageuses. Avec la continuation de la paix, l’œuvre avance, et peu d’années après, la population, la richesse et la culture reviennent au point d’où elles étaient déchues. Cependant de nouvelles guerres ont encore lieu pour décider cette question : Lequel des deux chefs recueillera toute la rente (c’est le nom qu’ils lui donnent). Après une dévastation considérable de propriétés, une immense perte d’hommes, l’un des deux étant tué, l’autre devient son héritier, ayant conquis, de la sorte, et du butin et de la gloire. Il lui faut maintenant un titre pour le distinguer de ceux qui l’entourent. C’est alors un petit roi ; et comme de semblables actes se répètent ailleurs, de tels rois deviennent nombreux. La population se développant, et chaque petit souverain convoitant les domaines de ses voisins, de nouvelles guerres ont lieu, amenant toujours le même résultat : le peuple se réfugiant constamment sur les hauteurs pour sa sûreté, les meilleurs terrains abandonnés, les subsistances devenant plus rares, et la famine et la peste enlevant ceux qui avaient échappé par la fuite à la tendre clémence des envahisseurs.

Les petits rois, devenus maintenant des rois puissants, se trouvent entourés par des chefs inférieurs, qui se glorifient du nombre de gens qu’ils ont tués et de la quantité de butin qu’ils ont conquise. Les comtes, les vicomtes, les marquis et les ducs ne tardent pas à faire leur apparition sur la scène du monde, héritiers du pouvoir et des droits des chefs de brigands d’autrefois. La population et la richesse rétrogradent, et l’amour des titres se développe avec les progrès de la barbarie[1]. Les guerres se font alors sur une plus grande échelle et l’on y acquiert plus de gloire. Au milieu de terres éloignées et très-fertiles, occupées par une population nombreuse, se trouvent des cités opulentes, dont la population, non habituée à manier les armes, peut être dépouillée impunément, considération toujours importante aux yeux d’individus pour lesquels la poursuite de la gloire est une industrie. Des provinces sont dévastées et leur population exterminée ; si quelques individus échappent, ils se réfugient sur les collines et les montagnes pour y mourir par suite de la famine. La paix vient ensuite, après des années de dévastation, mais les terrains fertiles sont envahis par un excès de végétation, les bêches et les haches, le gros bétail et les moutons ont disparu ; les maisons sont détruites ; leurs propriétaires n’existent plus ; et l’œuvre de désolation impose une longue période d’abstinence, pour regagner le point d’où la culture a été chassée, par des individus s’appliquant à satisfaire leurs désirs égoïstes, au prix du bien-être et du bonheur du peuple sur les destinées duquel ils ont si malheureusement influé. De nouveau, la population se développe lentement et la richesse n’augmente guère plus vite ; car des guerres presque incessantes ont diminué le penchant et le respect pour le travail honnête, en même temps que la nécessité de recommencer encore l’œuvre de la culture sur les terrains ingrats ajoute à la répugnance pour le travail. A cette heure, on estime que les épées et les mousquets sont des instruments plus honorables que les bêches et les pioches ; et l’habitude de s’unir dans un but honorable étant presque éteinte, il se trouve, à chaque instant, des milliers d’individus tout prêts à former des corps d’expéditions pour se mettre en quête de butin. C’est ainsi que la guerre s’alimente elle-même, en produisant la pauvreté, la dépopulation et l’abandon des terroirs les plus fertiles ; tandis que la paix s’entretient également, en augmentant le nombre des individus, et l’habitude de l’association, par suite de l’augmentation constante de la faculté de tirer les provisions de subsistances de la superficie déjà occupée, à mesure que les forces presque illimitées de la terre se développent au milieu du progrès de la population et de la richesse.

§ 2. — Les faits réels sont précisément le contraire de ceux que suppose M. Ricardo. Progrès de la dépopulation en Asie, en Afrique et dans plusieurs parties de l’Europe.

Les tableaux que nous venons de présenter ne sont pas d’accord avec la doctrine de M. Ricardo ; cependant, de quelque part qu’on jette les yeux, on trouvera la preuve de leur vérité. Si nous portons nos regards vers l’Inde, nous y verrons un sol fertile partout transformé en un dédale de jungles, tandis que le dernier occupant de ce sol même meurt de faim, au milieu des forts situés sur les hauteurs. Dans la partie de l’Asie la plus rapprochée de nous, nous voyons le pays baigné par le Tigre et l’Euphrate, terre d’une fertilité incomparable et qui, à des époques très-reculées, entretenait les plus puissantes sociétés du monde, aujourd’hui si complètement abandonné, que M. Layard s’est trouvé lui-même forcé de rechercher la terre des collines, au moment où il voulait constater l’existence d’un peuple dans ses demeures. Aussi voit-on que les fièvres intermittentes, hôtesses constantes des terrains sauvages et en friche, sont le fléau général du voyageur en Orient.

En allant vers l’Ouest, nous constatons que les terres élevées de l’Arménie sont assez bien occupées pour permettre la continuation de l’existence d’une ville telle qu’Erzeroum ; tandis qu’aux environs de l’ancienne Sinope, on n’aperçoit plus que des forêts de bois de haute futaie, dont la dimension gigantesque fournit une preuve concluante de la fécondité du sol sur lequel elles croissent. En passant plus à l’Ouest et arrivant à Constantinople, nous trouvons l’immense vallée de Buyukderé, autrefois connue sous le nom de la Belle-Terre, complètement abandonnée, tandis que la ville tire les subsistances nécessaires à sa consommation journalière, de collines situées à une distance de 40 ou 50 milles ; et le tableau que nous offrons ici n’est que le spectacle en miniature de l’empire turc tout entier. Les riches terres du Bas-Danube, autrefois le théâtre où s’agitaient la vie et l’industrie romaine, n’offrent plus aujourd’hui que de misérables moyens d’existence à quelques porchers de la Servie, Ou à quelques paysans valaques. Dans toute l’étendue des îles Ioniennes, les terres les plus riches, autrefois très-cultivées, sont aujourd’hui abandonnées presque complètement, et doivent continuer de l’être, jusqu’à l’instant où pourra, de nouveau, s’y montrer cette habitude de l’association qui permet à l’homme de combiner ses efforts avec ceux de ses semblables pour dompter la nature.

Si nous arrivons maintenant en Afrique, nous pouvons suivre l’accroissement de cette habitude d’association et le développement de cette puissance, dans le fait suivant : la population descendant peu à peu vers le Nil, pour mettre en exploitation les terres fertiles du Delta ; et à mesure que la population décroît, l’abandon de ces mêmes terres, le comblement des canaux et la concentration de la population sur un sol plus élevé et moins productif. Si de là, nous passons à la province romaine, nous voyons ces terres autrefois si fertiles, les plaines de la Metidja, de Bône et autres, presque entièrement, sinon tout à fait abandonnées, tandis que la population qui subsiste encore se groupe autour des montagnes de l’Atlas. En considérant ensuite l’Italie, nous voyons une population croissante, soumettant à la culture ces riches terrains de la Campanie et du Latium, destinés à être de nouveau abandonnés peu à peu, et n’offrant aujourd’hui qu’une misérable subsistance à des individus dont la plupart cheminent vêtus de peaux de bêtes, et dont le nombre ne dépasse guère celui des villes qui jadis étaient si florissantes en ce pays. En nous dirigeant vers le Nord, nous verrons les terres fécondes de la république de Sienne cultivées jusqu’au XVIe siècle, à l’époque où le cruel vainqueur de Marignan rejeta vers les montagnes les faibles restes de la population échappés au fer de l’ennemi, et transforma en un désert pestilentiel les fermes si bien cultivées qu’on y voyait auparavant en si grand nombre. Plus au Nord on peut constater la destruction des canaux de Pise et l’abandon de son sol fertile, tandis que ses habitants meurent de la peste dans l’enceinte de la ville, ou se transportent vers la source de l’Arno, pour y chercher les moyens de subsistance que ne leur offrent plus, désormais, les terrains plus riches situés à son embouchure.

En France, à l’époque des guerres avec les Anglais, nous voyons les pays de vallées, et les plus fertiles, ravagés par des bandes de féroces montagnards, le farouche Breton, le cruel Gascon et le Suisse mercenaire, unis pour piller les hommes qui cultivaient un sol plus fécond et les contraignant à chercher un refuge dans la sauvage Bretagne elle-même. Nous pouvons voir les terres les plus riches du royaume complètement dévastées ; la Beauce, l’une de ses parties les plus fertiles, redevenue une forêt, tandis que, de la Picardie aux bords du Rhin, il ne reste debout aucune maison, si elle n’est protégée par les remparts d’une ville, ni une ferme qui ne soit saccagée. Plus tard, la Lorraine fut convertie en un désert, et l’on vit de magnifiques forêts aux mêmes lieux, où jadis le sol le plus fertile récompensait libéralement le travailleur. Sur toute l’étendue de la France, nous constatons les effets d’une guerre perpétuelle, dans la concentration de toute la population agricole au sein des villages, à une certaine distance des terres qu’elle cultive ; y respirant une atmosphère viciée et perdant la moitié du temps à se transporter eux-mêmes, ainsi que leurs grossiers instruments et leurs produits, à leurs petites propriétés ; tandis que le même travail appliqué à la terre elle-même mettrait en culture les terrains plus fertiles.

§ 3. — Épuisement du sol et progrès de la dépopulation aux États-Unis. A chaque pas fait dans cette direction, l’homme perd de sa valeur et la nature acquiert de la puissance à ses dépens

En traversant l’océan Atlantique, nous trouvons une nouvelle preuve de ce fait ; à savoir, que de même que partout une population nombreuse tire la subsistance des sols fertiles, de même la dépopulation chasse de nouveau les hommes vers les sols ingrats. Au temps de Cortez, la vallée du Mexique nourrissait un peuple nombreux ; aujourd’hui elle n’offre qu’un spectacle de désolation, ses canaux sont engorgés et la culture est abandonnée, tandis que des files de mulets y transportent, des terrains plus pauvres qui la bordent à une distance de 50 milles, les provisions nécessaires à l’entretien de la ville.

En nous transportant au nord et arrivant aux États-Unis, nous trouvons encore une démonstration de cette loi : que pour permettre aux individus de quitter la culture des terrains pauvres pour celle des terrains riches, il faut qu’il y ait développement dans l’habitude de l’association, conséquence de la diversité dans les modes de travail et du développement des individualités respectives. L’État de Virginie était autrefois placé à la tête de l’Union américaine ; mais le système qu’elle a adopté a amené l’épuisement des terres cultivées en premier lieu et l’abandon de son territoire ; état de choses dont on peut constater les conséquences, dans l’insalubrité constamment croissante des parties occupées primitivement, les bas comtés de la Virginie. « Le pays, dans toute son étendue, dit un auteur moderne, est couvert de ruines d’habitations de gentilshommes, dont quelques-unes égalent des palais par leurs dimensions, et d’anciennes et magnifiques églises, dont les solides murailles ont été construites avec des briques importées, mais qui n’ont pu conserver dans leur enceinte ceux qui les ont construites. Et quant à leurs descendants, où sont-ils ? demande l’auteur. Cette splendeur qui remplissait tous les comtés de la Virginie a disparu. Pour quelle raison ? Parce que tout le pays est en proie à des miasmes délétères et qu’on a laissé un pareil état de choses s’y perpétuer. Il est dangereux pour les blancs d’y passer la saison des maladies ; et, conséquemment, tous ceux qui le peuvent, abandonnent leurs habitations, pendant les mois d’août et de septembre, pour chercher une localité moins insalubre. »

« Cette région imprégnée de miasmes malfaisants couvre toute la côte maritime de la Virginie, la Caroline du Nord, la Caroline du Sud, la Géorgie, la Floride, l’Alabama, l’État du Mississippi et la Louisiane, excepté parfois quelque endroit isolé, et s’étend à l’intérieur des terres, sur un espace de 10 à 100 milles. Dans le voisinage de Charlestown, le pays est tellement mauvais, qu’il est mortel de dormir, une seule nuit, en dehors de la ville, et que le passage même à travers le district infecté, pendant la nuit, sur le chemin de fer, a provoqué chez les voyageurs des vomissements, comme à bord d’un navire chez les passagers atteints du mal de mer. »

Comme conséquence de ce fait, on voit la Virginie et la Caroline, constamment décliner relativement à la position qu’elles occupent dans l’Union ; et cet état de choses continuera, nécessairement, jusqu’au moment où l’accroissement de la faculté d’association leur permettra de cultiver les terres les plus fertiles. En portant les regards vers la Jamaïque, nous constatons le même fait si considérable, comme effet d’une cause exactement identique ; un rapport récent sur les propriétés de l’île indique 128 domaines où se cultive la canne à sucre, complètement ou en partie abandonnés. Si l’on y ajoute ceux où l’on cultive le café, et autres dans la même situation, le chiffre s’élève à 413, et embrasse une superficie de plus de 400.000 acres de terre.

L’abandon du sol par une portion de ses habitants entraîne, inévitablement, avec lui une diminution dans la faculté d’associer ses efforts pour l’entretien des conduits de drainage nécessaires à la conservation de la santé, et pour la construction et l’entretien des routes ; et à mesure que les charges augmentent, on voit la disposition à quitter le pays augmenter chaque année. Le pays purement agricole doit exporter des matières premières et épuiser son sol ; et cette exportation doit entraîner également avec elle la nécessité d’exporter l’individu, nécessité qu’accompagne constamment la diminution de la puissance d’association, du développement de l’individualité, de la facilité d’entretenir le commerce, et du rang qu’occupe la société particulière parmi les autres sociétés du monde. L’expérience de toute l’antiquité prouve qu’il en est ainsi ; et si nous voulons nous convaincre que les choses sont complètement établies de cette manière dans les temps modernes, nous n’avons qu’à tourner les yeux vers le Portugal, l’Irlande et la Turquie, dans l’hémisphère oriental, et dans l’hémisphère occidental, vers la Jamaïque, la Caroline et la Virginie.

Toutes les fois qu’on laisse s’accroître la population et la richesse, et, conséquemment, la puissance d’association, il eu résulte une tendance à l’abandon des terrains ingrats cultivés en premier lieu, ainsi que cela est prouvé par l’expérience de la France, de l’Angleterre, de l’Écosse, de la Suède, et de plusieurs de nos États du nord. Toutes les fois qu’au contraire, la population, la richesse et la puissance d’association déclinent, c’est le sol fertile qui est abandonné par les individus qui le quittent de nouveau pour les terrains ingrats, dans l’espoir de trouver dans la culture de ceux-ci les moyens de subsistance nécessaires à leurs familles et à eux-mêmes. A chaque pas dans la première direction, il y a accroissement dans la valeur de l’homme et décroissance dans celle de toutes les denrées nécessaires à ses besoins, accompagnée d’une plus grande facilité d’accumulation, tandis qu’à chaque mouvement fait dans la seconde, l’homme devient de plus en plus l’esclave de la nature et de son semblable, en même temps que la valeur des denrées augmente constamment, et que diminue, non moins constamment, sa valeur personnelle.

  1. Il est intéressant de suivre, à chaque phase de la décadence de l'empire romain, l'accroissement progressif dans la pompe des titres ; et il en est de même encore par rapport à l'Italie moderne, au moment de son déclin. En France, ils devinrent d'un usage presque universel, à mesure que les guerres de religion plongèrent le peuple dans la barbarie. Les titres si retentissants employés dans l'Orient sont au niveau de la faible puissance de ceux qui les portent, ainsi que la kirielle interminable de noms, des Grands d'Espagne, l'est avec la stérilité du sol que cultivent leurs vassaux. Le temps n'est pas éloigné, sans doute, où les hommes ayant un sentiment réel de leur dignité rejetteront comme une absurdité l'ensemble d'un pareil système, où des hommes d'un petit esprit croiront, seuls, se grandir par le titre d'Écuyer, d'Honorable, de Marquis ou de Duc. Les extrêmes se rencontrent sans cesse. Le fils d'un duc se comptait à porter une demi-douzaine de noms, et le petit marchand détaillant de thé et de sucre appelle sa fille Amanda, Malvina Fitzallan, Smith ou Pratt, tandis que le gentilhomme appelle son fils Robert ou John.