Principes de dressage et d’équitation/Préface

Marpon et Flammarion (p. iii-viii).
PRÉFACE




Je n’apporte pas ici des doctrines scientifiques : mes prétentions ne sont pas si hautes. Je suis simplement un écuyer pratiquant le cheval depuis près de cinquante ans, le connaissant, l’aimant et capable d’en raisonner.

J’avais huit ans quand on m’a mis, pour la première fois, sur le dos d’un cheval. Mon humble personne n’était pas évaluée à un très haut prix, et, dès qu’un cheval résistait ou faisait une défense, on s’écriait à l’envi : Mettez le gamin dessus. Et on le mettait dessus, le gamin, et en avant ! des talons, de la cravache et de la chambrière. Le gamin se tenait s’il pouvait et comme il pouvait, ou roulait à terre pour être aussitôt remis à califourchon.

Tels furent mes premiers pas dans l’art équestre. C’est ainsi que j’ai commencé, dès l’enfance, à cultiver le grand principe de l’impulsion qui, depuis, m’est devenu si cher.

À cette éducation un peu brutale sans doute, mais singulièrement profitable, j’ai gagné de bonne heure la confiance, la solidité et — qu’on me permette de le dire — l’intrépidité, c’est-à-dire l’audace d’attaquer vigoureusement, mais rationnellement, dans la défense.

Plus tard est venu le travail empirique avec toutes les expérimentations qu’il comporte : les recherches, les tâtonnements, les erreurs lentement corrigées, les fautes difficilement redressées, les efforts stériles ou heureux, les bons et les mauvais conseils dans la confusion desquels il faut se reconnaître. Longue et dure période où beaucoup se découragent. Utile gymnastique pourtant, qui assouplit les membres, donne le sangfroid dans les mille incidents imprévus de tous les jours, établit l’assiette et, sans donner encore le tact, amène le cavalier à sentir le cheval.

C’est alors que j’ai commencé à chercher à me rendre compte des choses et à vouloir raisonner ce que je faisais. De là une étude plus attentive, la recherche d’une précision plus grande, des inductions, souvent hasardées, dont la pratique démontrait plus ou moins vite la justesse ou la fausseté. Le maître vint, apportant avec lui la méthode qui ordonne toutes les connaissances, les relie entre elles, et en dégage le principe directeur.

Dès lors, je travaillai dans la lumière. Tout devint clair, aisé, naturel. On me présentait un ensemble de vues rationnelles sur la combinaison des effets de l’homme et du cheval, qui me permettait de tout classer, de tout interpréter, de tout comprendre. Restait l’application. Une fois la méthode entrée dans la tête, il s’agissait de la faire passer dans les mains et dans les jambes, c’est-à-dire de faire l’éducation des réflexes. J’y consacrai obstinément tous mes efforts. Evitant soigneusement l’a peu près, je m’attachai par une attention plus soutenue, par une observation plus curieuse des détails, par une pratique plus délicate, à développer cette finesse de perception des mouvements et des indications du cheval, qui permet d’opposer instantanément, dans la juste mesure, effet à effet, et qu’on appelle le tact équestre.

Enfin je pouvais raisonner et travailler par moi-même ; j’étais maître de mon art. Je pouvais faire, et je fis, la critique de la méthode. Tout passer au crible, tout soumettre à l’épreuve du manège, élaguer, modifier, innover. Ainsi j’arrivai, tout en restant dans la voie tracée par les anciens maîtres, à me constituer une méthode propre qui n’était que le développement, que le perfectionnement des principes posés et appliqués par les créateurs de l’équitation française. Sans ces maîtres illustres, tous mes efforts fussent demeurés vains. Si j’ai ajouté quelque parcelle de vérité au trésor de connaissances qu’ils ont accumulé, c’est que, toujours libre de ma critique, je suis demeuré fidèle à leur enseignement. C’est donc à eux que j’en dois reporter l’honneur.

Le principe fondamental qui se dégage des études que je soumets au public, c’est qu’il faut chercher l’équilibre, la légèreté du cheval dans le mouvement en avant, dans l’impulsion, pour obtenir par l’effort moindre les effets les plus énergiques.

L’équilibre par la hauteur de l’encolure fléchie à la nuque, non au garrot ; l’impulsion par les jarrets engagés sous le centre ; la légèreté par la flexion de la mâchoire : voilà toute mon équitation.

Quand on sait cela, on sait tout et on ne sait rien. On sait tout, parce qu’on retrouve ces principes en toutes choses. On ne sait rien, parce qu’il reste à les faire passer dans la pratique. La pratique, je ne puis l’enseigner par le livre. La méthode, je vais essayer de l’exposer.

Peut-être n’aurais-je jamais eu la hardiesse de le tenter, si un de mes élèves, frappé de la parfaite coordination des explications que je lui donnais au hasard des incidents des leçons de dressage, ainsi que de l’unité de méthode qui en ressortait à tout moment, ne m’eût vivement sollicité de faire cette publication.

— Mais, lui disais-je, je ne suis qu’un praticien ; une pareille tâche m’effraye ; si j’allais, par des explications défectueuses ou peu claires, affaiblir l’autorité de principes qui sont pourtant la vérité même !

— Soyez sans crainte, me répondait-il, pas de théorie, pas d’études de locomotion. Assez d’autres ont disséqué le cheval et mis à nu ses organes moteurs. Au lieu de disserter sur ces choses, racontez-nous simplement ce que vous faites, du jour où vous achetez un poulain de pur sang jusqu’au moment où, le dressage fini, vous le livrez aux écuyers ou écuyères qui constituent votre clientèle. C’est de ce conseil qu’est sorti le présent livre. Là est tout le plan que je me suis proposé.

Qu’on me juge, mais seulement après m’avoir lu avec l’attention que mérite une œuvre où se trouvent résumées cinquante années d’études sérieuses, et de labeur obstiné.

Je me confie à l’indulgence du public et à l’équité de la critique.

James Fillis.