Principes de dressage et d’équitation/Partie II/I

Marpon et Flammarion (p. 51-61).
I
Travail à la longe.

Je procède avec tous les chevaux indistinctement de la même manière[1]. Le cheval adresser est amené dans le manège, sellé et bridé. Je passe les rênes de bride et de nlet sous la sous-gorge, pour qu’elles ne flottent pas et que le cheval ne risque pas de prendre ses pieds dedans. Je boucle alors une longe à l’anneau du filet du côté gauche, puis je laisse le cheval marcher à sa guise.

S’il s’éloigne de moi, je le laisse aller, mon but étant de lui faire suivre le mur ; s’il ne s’éloigne pas et s’il cherche à tourner autour de moi, je lui montre la chambrière, dont la vue suffit pour l’écarter autant que la longe le permet. Je tiens la chambrière dans la main droite, la longe dans la main gauche, et je laisse le cheval libre de prendre l’allure qu’il veut.

Cette promenade autour du manège a pour but de permettre au cheval de se rendre compte du terrain, ainsi que de tous les objets qui l’entourent, qui sont nouveaux pour lui.

S’il est vigoureux, il bondit d’abord, puis il galope ou il trotte ; mais il se calme au bout de quelques minutes. S’il est mou, il hésite à se porter en avant : il faut alors le pousser en lui montrant d’abord la chambrière, et, si cela ne suffit pas, en le touchant légèrement sur les fesses, jusqu’à ce qu’on ait obtenu une allure vive, trot ou galop, soutenue pendant cinq minutes. Je ne saurais trop recommander d’éviter soigneusement tout mouvement brusque ou violent, qui pourrait effrayer l’animal.

J’ai dit que j’exigeais cinq minutes de travail à une allure vive ; mais je ne puis naturellement le faire que si le cheval est déjà bien engrainé, c’est-à-dire en parfait état. Dans le cas contraire, la durée du travail pendant les premiers jours doit être moins longue : c’est progressivement que j’arrive à la prolonger pendant le temps indiqué.

Lorsque le cheval a marché pendant cinq minutes à main gauche, — c’est-à-dire l’épaule gauche placée à l’intérieur du manège, — je laisse tomber la chambrière, je tâche de calmer le cheval de la voix, puis je raccourcis ma longe jusqu’à ce qu’il soit près de moi. Je lui parle doucement, et le caresse de la main sur l’encolure[2], ensuite sur la tête, s’il veut bien se laisser faire, puis je défais la longe et la boucle à l’anneau du filet du côté droit.

Après un léger repos, je fais recommencer, du côté droit, pendant cinq minutes, les mêmes exercices. Ce travail terminé, je laisse de nouveau tomber la chambrière, je fais un appel de voix en tirant doucement sur la longe pour ramener le cheval à moi et je le caresse de nouveau.

A mon sens, cet exercice est indispensable au début du dressage. Qu’on me permette d’en donner un peu longuement les raisons, car j’y attache une réelle importance.

Un jeune cheval est presque toujours inquiet, craintif : un rien l’effraye, les ombres, les murs ou les objets qui y sont accrochés. Forcément il s’éloigne de ce qui lui fait peur et se jette en dedans du manège qui est libre, puisque je suis seul au centre. Si je lui montre la chambrière en m’avançant de son côté, il la fuit d’instinct et se reporte au mur où il est aisément maintenu par la chambrière tendue vers son épaule.

Placé entre la menace que je lui fais et un objet quelconque dont il a eu peur et qu’il a fui, il retourne vers cet objet qui, immobile, lui paraît moins redoutable que la chambrière. Quand il a franchi plusieurs fois, grâce à ce procédé, l’endroit où il a eu peur, il finit par ne plus éprouver aucune crainte. On remarquera qu’il n’a pas été nécessaire d’en arriver à la correction, dont on ne doit user qu’à la dernière extrémité.

Au surplus, si le cheval est trop vigoureux, je lui aurai donné par un bon temps de trot ou même de galop, s’il le préfère, le moyen de se débarrasser de son excédent d’énergie : il sera donc plus docile et plus attentif. S’il est mou[3], je lui aurai appris, par quelques coups de chambrière, qu’il doit se porter en avant.

En tout cas, j’aurai obtenu un résultat : le cheval n’a plus peur des objets qui l’environnent ; il s’y est habitué promptement, parce que, n’ayant personne sur son dos qui le gêne dans ses mouvements et l’inquiète, il a la perception plus libre. J’aurai obtenu cela sans lutte, sans grands efforts, sans avoir eu à subir les bonds ou les écarts d’un cheval monté trop frais, et sans m’être exposé à rouler à terre avec un cheval qui, ignorant du terrain, pose maladroitement le pied et tombe !

J’ai de plus appris au cheval à connaître, à supporter et à craindre la chambrière, ce qui est d’une très grande utilité, car si, plus tard, monté par un cavalier insuffisant, il refuse de se porter en avant, l’emploi de la chambrière sera tout indiqué. Souvent sa vue seule suffira pour que le cheval, qui la redoute, se porte en avant. S’il ne le fait pas, on devra alors le toucher légèrement sur les fesses, mais toujours avec ménagement, toute brusquerie ou toute surprise pouvant provoquer une défense.

Ce travail à la longe a encore un autre avantage : il permet de pousser le cheval dans le trot et de porter cette allure jusqu’à l’extension, en faisant chasser l’arrière-main, par l’action de la chambrière. Enfin, on met ainsi l’animal dans la nécessité, qui devient une habitude, de se soutenir par lui-même[4]. Il acquiert par cet exercice, pris en toute liberté, la souplesse, la confiance, l’adresse et la sûreté de pied. Ne sont-ce pas là des qualités premières ?

Le cheval, maintenu à une allure vive pendant toute la durée de la reprise, qui est de cinq minutes de chaque côté, acquiert en outre de l’haleine, ses mons étant obligés de fonctionner largement. Il prend enfin un exercice nécessaire, qu’il n’aurait pas avec les premières leçons montées, puisqu’elles ont lieu au pas.

Aux deux ou trois premières leçons, je laisse le cheval aller aux allures qu’il lui plaît, pourvu qu’elles soient vives et qu’il suive le mur. Dans les leçons suivantes, j’exige le trot.

Obtenir le trot est chose facile. On doit y arriver avec n’importe quel cheval à la troisième ou quatrième leçon, sans le secours d’aucun aide. Je dis sans le secours d’aucun aide, parce que les dresseurs, en général, ont l’habitude d’opérer à deux. Ce faisant, ils suivent les prescriptions de presque tous les ouvrages parus jusqu’à ce jour, qui ont tous recommandé cette façon de procéder. Je la trouve défectueuse, parce qu’il n’y a jamais un accord parfait entre les mouvements des deux hommes. Il arrive que celui qui tient la chambrière frappe quand il ne le faut pas, ou bien que celui qui tient la longe arrête le cheval alors que le premier le pousse, ce qui provoque un désaccord qui n’a pas lieu quand le dresseur opère seul.

Le cheval est au mur, il marche à main gauche ; l’écuyer, qui est au centre du manège, doit toujours demeurer face au cheval et à hauteur de son épaule, en le tenant encadré entre la longe qui est devant, tenue de la main gauche, et la chambrière qui

est derrière, tenue de la main droite. L’écuyer doit
toujours accompagner le cheval, mais non pas le suivre ;

il doit se placer de manière à toujours maintenir le cheval entre la longe en avant et la chambrière en arrière.

Pour faire prendre le trot au cheval, je le touche légèrement avec la chambrière, en enveloppant l’arrière-main. Il vaudrait mieux toucher l’épaule, mais il ne faut pas l’essayer, surtout avec un jeune cheval, à moins d’avoir une grande expérience du maniement du fouet. En effet, si, au lieu d’atteindre franchement l’épaule, la mèche touche ou effleure la tête, le cheval se rejette vivement en arrière, et l’on provoque alors un mouvement qui est absolument le contraire de celui qu’on a voulu. On pourra encore faire un appel de langue qui suffira avec un cheval un peu allant. Mais je m’empresse d’ajouter qu’il ne faut pas abuser des appels de langue, qui peuvent devenir une cause de désordre lorsqu’on est en troupe.

Sous l’action de la chambrière, souvent le cheval bondit, ou il prend le galop. Je le modère en agitant légèrement la longe, en même temps je le calme de la voix.

La longe ne doit jamais être tendue. Elle ne se fait sentir sur la bouche du cheval que par son propre poids ou par l’effet des vibrations que vous lui imprimez.

J’ai déjà dit que la voix était un puissant auxiliaire dans le dressage. Si, chaque fois que vous agitez la longe pour modérer l’allure, vous dites à haute voix : « Au trot ! » le cheval, si peu intelligent qu’il soit, ne tarde pas à se rappeler qu’il y a concordance entre l’effet produit sur la bouche et le son qui arrive à son oreille. D’abord il obéit aux deux impressions simultanées, puis bien vite il obéit à une seule : l’intonation.

Quand j’ai obtenu un trot bien franc et soutenu pendant le temps voulu, je remets le cheval au pas en agitant légèrement la longe, ainsi que je l’ai fait pour le faire passer du galop au trot. Ici encore je me sers de la voix en disant assez haut, mais avec douceur : « Hooho ! »

Dès ce moment, il faut apprendre au cheval à venir à l’écuyer.

Pour y arriver, je raccourcis doucement la longe en tirant le cheval à moi et je recule à très petits pas, de façon qu’il gagne du terrain sur moi et se rapproche. Lorsqu’il est arrivé à portée de mon bras étendu, je le caresse à l’encolure et je le calme de la voix. J’évite avec grand soin de faire avec le corps le moindre mouvement en avant. Ma grande préoccupation est de rassurer le cheval. Si je fais un pas en avant, il se rejette aussitôt en arrière, et le mouvement que je provoque est précisément le contraire de celui que je veux obtenir. Si rien ne l’a effrayé lorsqu’il est venu à moi, si ma caresse de la main et de la voix lui a montré qu’il n’a rien à redouter de mon voisinage, il prendra vite confiance et viendra ou cherchera à venir de lui-même, d’autant plus volontiers que ce n’est qu’au centre du manège qu’il trouve la tranquillité.

Il doit avoir assez de confiance pour s’approcher de l’écuyer sans appréhension, mais il ne doit le faire que sur un appel d’autorité. Le but est de lui faire comprendre cet appel sans le secours de la longe, qui plus tard sera supprimée.

Pour faire venir le cheval d’autorité, j’emploie la chambrière. Je lui donne de petits coups légers et répétés, soit sur les fesses, soit aux flancs ou à l’épaule, cherchant toujours à encadrer le côté qui m’échappe. Parfois même pour porter l’animal en avant, je l’attaque au poitrail : son premier mouvement est de se rejeter en arrière, mais je le maintiens vigoureusement par la longe et l’empêche de reculer en même temps que je l’appelle de la voix en disant hooho !

Il faut remarquer que, s’il se rejette en arrière, c’est parce que la vue de la chambrière, mise en mouvement, l’a effrayé et pour se dérober aux coups. Le cheval non dressé ne fuit pas une piqûre, il s’avance au contraire, se couche sur elle. Nous verrons plus loin que l’effet obtenu sur le cheval monté par la pression de la jambe ou le coup d’éperon est uniquement « d’éducation ». Livré à sa propre nature, il fait le mouvement inverse de celui qu’on obtient par le dressage : ainsi, piqué au fîanc droit par une mouche, le cheval se jette à droite jusqu’à ce qu’il rencontre un obstacle sur lequel il se frotte et même se couche.

C’est donc la vue ou la menace de la chambrière qui l’a fait fuir ; la sensation du coup le porte au contraire en avant. Aussitôt que la résistance de la longe lui a montré qu’il ne peut plus se soustraire à la vue de la chambrière en se jetant en arrière, il cède à son instinct et se porte en avant. Si la chambrière s’abaisse aussitôt, si une caresse le reçoit, il prend confiance, comprend ce qu’on veut de lui et l’exécute sans résistance par la suite. Ce résultat ne s’obtient pas instantanément, mais on peut y arriver en très peu de leçons, surtout si aucun mouvement brusque du dresseur n’a effrayé le cheval au moment où il avance.

A partir du moment où le cheval vient franchement à l’homme sur la chambrière on peut supprimer la longe[5]. Ce premier travail à la longe n’est que préparatoire. Il a été en usage de tout temps, mais appliqué et apprécié de façons différentes. Baucher le repoussait. Avant lui, on en usait avec excès. Pour moi, j’estime qu’il est salutaire, étant bien entendu qu’il n’aura pour but ni pour effet de fatiguer le cheval.

J’ajoute qu’il est également bon et pour le cheval qu’il habitue à l’homme, qu’il soumet à un commencement d’obéissance sans provoquer de défense, et pour le dresseur, qui fait sentir son autorité à distance, en se tenant hors d’atteinte des coups de pied de devant et des ruades[6].

Ce premier et très important résultat obtenu, je passe au travail rapproché.

  1. Pendant toute leçon, il faut mettre des bandes de flanelle aux jambes de devant, à partir du boulet jusqu’au-dessous du genou. On fortifie ainsi les tendons en leur donnant un soutien, et on évite les suros et les exostoses, conséquences fréquentes des coups que le cheval, encore maladroit, peut se donner. Aussitôt après la leçon, on enlève les flanelles des jambes de devant et on les met aux jambes de derrière. Il ne faut les laisser que deux ou trois heures. Ce temps suffit pour empêcher les jambes d’enfler et les mollettes de se former. Si on laissait les jambes d’un cheval constamment entourées de flanelle, les tissus pourraient se ramollir et les tendons se détendre sous l’action de la chaleur.
  2. Tous les chevaux acceptent les caresses sur l’encolure.
  3. Il ne faut pas confondre le cheval mou avec le cheval froid. Le cheval mou, s’il est convenablement alimenté et exercé, peut devenir allant. Le cheval froid, au contraire, peut très bien avoir de la vigueur musculaire, mais il répugne à en faire usage, ou plutôt il n’en fait usage que lorsqu’il lui plaît. C’est ce qui le rend dangereux pour les cavaliers inexpérimentés. Il n’y a de vraiment sûr que le cheval généreux. Le cheval trop chaud est insupportable et cherche à s’emballer ; mais je le préfère au cheval froid. La première qualité du cheval, c’est d’avoir du cœur ou, comme on dit, d’être allant.
  4. Le cheval attelé s’appuie au collier ; le cheval monté à la main du cavalier ; le cheval à la longe est obligé de chercher en lui-même son équilibre indépendamment de tout appui.
  5. Pour faire venir le cheval à l’homme sans le secours de la longe, j’emploie les mêmes procédés que dans le travail à la longe lui-même. Dans le commencement du travail, je me sers beaucoup de la longe et peu de la chambrière. A mesure que le cheval progresse, je diminue l’emploi de la longe et j’augmente celui de la chambrière, m’appliquant toujours, pour faire venir le cheval à moi, à l’encadrer de la chambrière du côté où il échappe. Finalement il prend l’habitude de venir à moi par la chambrière et sans aucun emploi de la longe. À ce moment, je l’accoutume à me suivre dans toutes les parties du manège, toujours encadré par la chambrière et porté en avant à la moindre hésitation par de petits coups sur les fesses.
    Enfin je supprime la longe. Si le cheval, comme il arrive inévitablement, refuse d’obéir à la chambrière et m’échappe, alors c’est la lutte. La lutte ici consiste à poursuivre l’animal à coups de chambrière sur l’arrière-main jusqu’à ce qu’il vienne à l’homme. Ce résultat peut paraître invraisemblable au premier abord. Cependant, quand le cheval poursuivi par l’homme a fait un assez grand nombre de tours au manège au grand galop, il n’a qu’une idée, c’est de s’arrêter. Or, comme la chambrière le poursuit partout sur la piste du manège et ne lui laisse de repos qu’au centre, ainsi que le lui a appris éducation à la longe, il finit par prendre un parti et par arriver au centre.
    Pour lui faciliter ce mouvement, l’écuyer doit saisir le moment où le cheval paraît disposé à ralentir l’allure, pour le détacher du mur en l’encadrant de la chambrière, en même temps qu’on fait l’appel de la voix (hooho ! ) qui, dans le travail à la longe, l’appelait à l’homme.
    Si le cheval se refuse à venir et reste au mur, nouvelle poursuite suivie d’un nouvel essai pour l’amener au centre, et ainsi de suite jusqu’à obéissance.
  6. Je ne suis pas partisan du caveçon, excepté pour les chevaux vraiment méchants. Je conseille aux personnes qui s’en serviraient d’avoir soin qu’il soit léger et bien rembourré.