Principes d’économie politique/II-2-VI-q-VI

VI

DE QUELQUES DIMINUTIFS DU SYSTÈME PROTECTEUR.


Il s’est formé depuis quelques années un parti qui, sans demander la protection d’une façon générale, demande du moins la juste réciprocité des tarifs de douanes. C’est ce qu’on appelle en Angleterre le fair trade, en l’opposant au free trade.

Si le système est employé à titre de représailles pour forcer un pays protectionniste à abaisser ses droits — si, par exemple, l’Europe répondait aux tarifs prohibitifs des États-Unis en taxant lourdement les produits américains — en ce cas, il peut très bien se justifier. C’est alors, à vrai dire, une question politique plutôt qu’économique.

Mais si l’on veut y voir une théorie scientifique, alors elle n’a plus de raison d’être. Si l’on pense que le système protecteur est un bien, il faut l’adopter : si l’on estime qu’il est un mal, il faut le rejeter : mais que les pays voisins adoptent ou non, c’est leur affaire, ce n’est pas la nôtre. Sans doute, si l’Europe frappe de droits les produits américains, elle infligera un préjudice aux États-Unis, mais elle s’en infligera un aussi à elle-même, et le mal que nous pouvons faire à notre voisin ne saurait être considéré comme une compensation pour celui que nous nous faisons à nous-mêmes.

Un autre système mixte est celui des droits compensateurs. Il prétend que lorsqu’un pays supporte une charge d’impôts plus lourde que les pays étrangers, il doit, pour rétablir l’égalité dans la concurrence, grever les produits étrangers de droits qui représentent au moins l’équivalent des charges supportées par les nationaux.

Ce raisonnement repose tout entier sur l’idée que les droits de douane sont supportés par les producteurs étrangers. Si, comme nous avons essayé de le démontrer, cette idée est le plus souvent une illusion, et si ces droits retombent en réalité, sous la forme d’une élévation des prix, sur les nationaux, alors on pourra apprécier toute l’originalité de cette soi-disant compensation qui, sous prétexte d’égaliser la lutte, met double poids sur les épaules de celui qui est déjà le plus lourdement chargé !

Maintenant si l’on veut dire simplement que les produits étrangers doivent être grevés de droits équivalents à ceux que paient les mêmes produits à l’intérieur sous forme de taxes, personne ne contredira à ce principe d’égalité fiscale[1].

    marchande (tant pour la construction que pour la navigation), pour la production des cocons, de la soie grège, du lin et du chanvre.
    En France, l’État distribue rien que pour la marine marchande, soit, sous forme de primes proprement dites, soit sous forme de subsides à nos grandes Compagnies maritimes, plus de 40 millions par an, donc plus de 600 millions depuis que la loi de 1891 est en vigueur. C’est un peu cher pour le résultat obtenu l’état de notre marine marchande étant resté presque absolument stationnaire.
    D’autres procédés que les primes ont été employés à cette même fin. Indiquons notamment : 1o Les tarifs différentiels des chemins de fer, surtout en Autriche-Hongrie, pour favoriser l’exportation de certains produits ; 2o Les garanties d’intérêt pour les capitaux qui consentent à s’engager dans quelque nouvelle entreprise industrielle, et qui ont été souvent employés au Mexique et dans divers États de l’Amérique du Sud ; 3o Certaines exemptions ou réductions d’impôts accordées aux industries nouvelles exemptions acclimater : il y en a de accordées aux industries nouvelles qu’on veut acclimater : il y en a de fréquents exemples en Hongrie, Roumanie, etc. ― Voy. dans la Revue d’Économie politique (octobre 1891), notre article sur la Protection sans droits protecteurs.

  1. Un des gros griefs des propriétaires et négociants en vins du Midi de la France, c’était que les vins d’Espagne, avant les tarifs de 1892, entraient additionnés de 4 ou 5 litres d’alcool par hectolitre, en payant seulement 2 francs de droits d’entrée, tandis que chaque litre d’alcool doit payer en France 1 fr. 60 de droits. C’était là, en effet, un privilège injuste au profit des producteurs étrangers, et, comme on l’a dit, une sorte de protection à rebours.