Primevère (Tiercelin)

Primevère : Primevère
Alphonse Lemerre, éditeur (p. 19-21).

Primevère.



Primevère, n’est pas son nom. Et son parrain,
Yves Le Braz, aurait rougi, foi de marin !
De se moquer ainsi des choses du baptême.
On a besoin d’appui quand on s’en va là haut,
Et Le Braz professait l’ancien et bon système
De donner aux enfants des patrons comme il faut.

Donc, il avait choisi pour nom Anne. — L’aïeule
Du Sauveur lui semblait devoir à sa filleule
Un avenir de biens des plus substantiel.
Mais, le soir, un cousin soldat levant son verre :
« Elle est née en avril ; qu’on l’appelle Anne au ciel,
J’y consens, mais, pour nous, nommons-la Primevère. »


Primevère a treize ans. Elle est blonde. Ses yeux,
Au regard tantôt calme et tantôt soucieux,
Ressemblent aux grands lacs où le ciel se reflète,
Tantôt sombre et voilé, tantôt limpide et clair,
Et l’on y voit parfois, comme avant la tempête,
Brusque, dans leur clarté d’azur, luire un éclair.

Elle rit : tout à coup un bruit de pas l’alarme
Et son rire naissant s’éteint dans une larme !
Elle pleure : voilà qu’au milieu des buissons,
Les oiseaux ayant l’air de lui jeter des perles,
Primevère, écoutant leurs joyeuses chansons,
Gazouille au rossignol et siffle avec les merles.

Cette enfant a langui sous une main de fer.
Elle a pleuré beaucoup, ayant toujours souffert,
Sans que jamais sur elle aucun bonheur intime
Ait rayonné. Parfois, elle se plaint tout bas,
Et levant vers le ciel ses grands yeux de victime,
Elle semble appeler quelqu’un qui ne vient pas.


Ah ! celle qu’elle appelle et qui n’est pas venue,
Celle qu’elle attendait, c’est sa mère inconnue
Qui monta vers le ciel quand elle en descendit ;
C’est l’ange du berceau, la nourrice câline
Qui ne l’allaita pas et qui n’a jamais dit
La chanson du sommeil à la pâle orpheline.