Calmann-Lévy (p. 138-140).
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XXVI

Quand la belle nuit d’étoiles fut tout à fait venue, retiré dans ma chambrette blanche, je restai longtemps, longtemps à ma fenêtre ouverte, accoudé sur l’appui qui était en ces pierres massives des maisons de jadis. Un peu de fraîcheur bienfaisante commençait à monter du jardin bas et des sources, on sentait une odeur de lichen et de branches moussues qui était comme l’haleine des bois endormis ; les hiboux s’appelaient par de douces petites notes de flûte et, de temps à autre, du fond de la forêt, arrivait en sourdine le cri glapissant des renards dont la voix ressemble à celle des chacals. Ah ! comme je me rappelle encore cette chaude nuit où commença mon envoûtement !… La forêt, la forêt, elle était maintenant animée pour moi par une présence dont je restais uniquement préoccupé. Tout près d’ici sans doute, à un carrefour que l’on venait de m’indiquer, la Gitane s’endormait à cette heure, — sur la mousse, ou bien dans sa roulotte de nomade ? seule, ou entre les bras fauves de quelqu’un de sa tribu ?…

Sur la fin de cette même nuit, un rêve enchanta mon sommeil. Je me croyais au milieu de bois inextricables, dans l’obscurité, me frayant à grand peine un passage parmi des broussailles et des roseaux, et j’avais conscience que des êtres imprécis suivaient la même direction que moi à travers le fouillis des branches. Ces compagnons de ma difficile route peu à peu s’indiquèrent comme des bohémiens en fuite et bientôt je la devinai elle-même, la belle Gitane, se débattant à mes côtés contre les lianes qui de plus en plus enlaçaient nos pieds. Quand enfin nous fûmes tombés ensemble dans les joncs enchevêtrés, je la pris dans mes bras et, à son contact intime, je me sentis faiblir tout à fait par une sorte de petite mort délicieuse…