Arnaud Aron
Au Bureau des Archives israélites (p. v-x).

PRÉFACE DE LA PREMIÈRE ÉDITION.



La Société consistoriale pour la propagation des bons livres réalise aujourd’hui sa première œuvre, en offrant aux fidèles un recueil de prières et de méditations religieuses.

En choisissant ce livre pour notre début, nous avons eu à cœur de répondre à un besoin généralement senti, et de remplir une lacune très-grave dans la littérature moderne de notre culte.

Ce n’est pas que l’idée et la nécessité d’un livre de ce genre soient bien nouvelles parmi nous ; les suppliques (תחנות) imprimées, comme appendice, à la fin des anciennes éditions de nos rituels, prouveraient suffisamment le contraire ; mais toutes ces prières, expressions fidèles des sentiments pieux de nos ancêtres, sont écrites dans un allemand corrompu, et dont aucune traduction n’existe dans notre langue ; elles sont d’ailleurs conçues dans un esprit et formulées dans un style incompatibles avec les exigences de notre époque.

Notre rituel ordinaire ne peut non plus suffire au recueillement individuel : inspiré soit de souvenirs historiques, soit de chants patriotiques, ou de poésies religieuses, il semble n’avoir eu en vue que la prière officielle, (תפלת חובה) ce qui résulte encore du sens collectif de la plupart de ses formules. Or, c’est là le caractère le mieux approprié aux prières destinées au culte public, et, à ce titre, notre rituel peut soutenir dignement la comparaison avec ceux de tous les autres cultes.

Mais, à côté de la prière officielle, il est un besoin non moins divin : c’est celui qu’éprouve l’âme de s’épancher, dans un recueillement intime, devant le maître de nos destinées, de lui offrir le tribut de ses soupirs comme celui de ses joies ; de lui exprimer sa gratitude ou ses espérances ; c’est ce que nous appelons la prière individuelle. Or, la prière individuelle ne saurait se plier aux formules générales ; elle s’inspire d’une situation personnelle et puise ses expressions dans le sentiment. Un livre de prières et de méditations religieuses doit donc être comme une lyre harmonieuse, dont les cordes diverses résonnent sous les variables émotions de l’âme. Il faut qu’il y ait des sons pour la joie et la douleur, pour le bonheur et pour le deuil, pour le convalescent qui se relève, et pour le malade qui s’éteint. C’est à ce besoin que nous essayons de répondre aujourd’hui.

Loin de nous la prétention de remplacer le rituel ; ce legs des hommes de la grande synagogue sera toujours notre plus beau joyau ; mais, placés à un autre point de vue, nous avons cru devoir faire autrement.

Toutefois ce n’est pas au culte domestique exclusivement que nous vouons ce livre. Nous souhaitons, au contraire, qu’il accompagne les fidèles jusque dans le temple, et qu’il contribue avec nos saintes cérémonies à leur inspirer le recueillement et à les préserver de toute distraction. C’est pourquoi nous avons emprunté au rituel et aux Pioutim quelques morceaux choisis, et affecté un certain nombre de prières aux divers offices du culte public, surtout pour les jours de féte.

Nous n’avons que peu de mots à ajouter sur la manière dont nous avons cru pouvoir remplir notre tâche. Nous avons cherché à donner à nos prières une forme simple, claire, dénuée de toute prétention littéraire. La prière étant l’expression la plus intime des rapports de l’homme avec Dieu, perd son caractère de vérité, si, au lieu de jaillir simple et facile, elle s’égare dans l’affectation et les métaphores, Nous avons donc évité avec soin ces tirades déclamatoires, ces ornements lyriques qui, à notre avis, déparent quelques ouvrages de ce genre. Devant qui doit-on être vrai si ce n’est en présence de celui qui sonde les derniers replis de nos cœurs, et qui s’appelle Dieu de vérité, יי אלהים אמת?

Un très-grand nombre des prières de notre recueil sont originales, d'autres sont imitées de nos livres sacrés, ou traduites un rituel et du Machsor, sans cependant que nous nous soyons attachés servilement au texte littéral, toutes les fois que le génie de notre langue exigeait une forme différente. Enfin, nous avons plus d’une fois puisé dans les excellents livres de piété publiés en Allemagne, notamment par Letteris, Jacobsohn, Rosenfeld, etc. ; leurs ouvrages nous ont fourni le sujet et quelquefois le texte de plusieurs morceaux. Que ces savants coreligionnaires veuillent recevoir ici l’hommage public de notre reconnaissance.

Pour la division matérielle de notre ouvrage, nous avons adopté la classification suivante :

1° Prières qui reviennent périodiquement, soit tous les jours, soit aux jours de fête.

2° Prières et méditations religieuses pour les diverses circonstances de la vie ; ces méditations remplissent une lacune importante de notre rituel, qui n’a pas de prières pour ce que nous appelons la piété domestique.

3° Prières de deuil, à réciter soit aux anniversaires, soit au cimetière.

4° Enfin, dans une quatrième et dernière partie, nous avons placé quelques morceaux de philosophie religieuse, qui sont plutôt des préparations à la foi que de véritables prières.

Avant de terminer, qu’il nous soit permis d’adresser une humble supplique à nos lecteurs et surtout à nos pieuses lectrices. Nous les conjurons de ne pas lire ce livre comme on lit une œuvre de littérature, c’est-à-dire avec l’esprit d’analyse et de critique. La prière écrite, quelque parfaite qu’elle soit, est impuissante si l’élan du cœur ne la complète, si l’enthousiasme de l’âme ne l’échauffe. Or, l’analyse refroidit l’âme et les sentiments du cœur. Ouvrez donc ce livre avec la pieuse intention de prier, et non de lire, alors la religion vous inspirera, et votre prière étant l’expression de votre foi, sera agréable au Seigneur.


Strasbourg, janvier 1848 (Schebat 5608).


Le grand-rabbin
du Consistoire du Bas-Rhin,


Arnaud Aron.