PRIÈRES

I

Être pur, si parfaitement identique à ta nécessité qu’il n’est folie de négation qui ne situe par rapport à toi, qui es le tout, son néant condamné à n’être qu’une forme renversée de l’affirmation ; que dis-je ! si effroyablement existant que la chose distincte de toi par ta volonté, la création, ne peut trouver un contenant que dans ton idée d’un extérieur, d’un rien, à cause que toi seul tu es infini et qu’il n’est pas d’extérieur qui te circonscrive ; si intimement confondu avec mon moi, si inséparable de ma liberté que c’est toi qui me soutiens jusque dans mon œuvre de destruction ; et à la limite extrême de mon effort, quand la matière et le vide, ensemble identiques et contraires, simultanément s’évanouissent de ma pensée, celle-ci aussitôt se transmue d’un inconcevable non-être, clos à ce vide et à ce plein, en cela qui est l’être même, le oui dont je suis séparé par le non qu’il renferme, le tout qu’un pur rien m’empêche de connaître, le lieu immobile de tout ce qui se meut et que nul mouvement ne peut atteindre, le Dieu en qui je suis comme ma notion d’un extérieur, d’une séparation, d’un rien est en moi… Réalité unique et révélée qui m’est d’autant plus chère que ce qui t’aime en moi n’est ni aucune des parties de mon être, sens, raison, sentiment, ni leur somme, mais l’être même, — derechef ce rien où le soleil du désir de ma perfection m’apparaît et me couronne. Toi qui es celui qui est, toi la loi, tu voulus être celui qui devient ; tu t’exaltas au-dessus de la loi. De ta plus humble idée, celle d’un rien, d’un extérieur, tu fis ta demeure ; tu y mis ton amour, afin qu’il t’appelât du dehors. Tu es vraiment celui qui donne sa lumière et son sang, Père, Fils, Esprit, je te salue. Que tout doré de mémoire de la cime de ma plus haute pensée à nouveau vers toi je prenne mon essor. Que dans ma vision du monde comme dans la tienne toute notion de rapport et de limite s’efface. Qu’il n’y ait plus ni fini ni infini. Que seul l’amour devenu lieu demeure.


II


Le Rien, unique contenant intelligible d’un univers libre et pur comme la pensée de Dieu, supérieur à toute notion de fini et d’infini, le Rien a été répudié par l’homme. Le soleil de la mémoire des origines s’éteint avec l’astre physique épouvanté par le spectacle de la crucifixion. La conscience adamique de la relation primordiale s’obscurcit. L’esprit humain est chassé de la lumière paradisiaque dont la transmutation s’effectue dans la sainte, sainte idée d’un extérieur, région lucide de l’exaltation, du sacrifice, de la charité, de la liberté ; de la liberté, bénie soit-elle. Le Roi murmure : Où est l’espace ? et sa cécité lui répond : L’espace est en moi, dans mes ténèbres sans commencement ni fin. Alors les nombres de la connaissance, de la beauté et de la paix, le Un céleste, merveilleux, merveilleux, hosanna in excelsis ; le Deux spirituel qui se transmue en lumière et sang, in unitate Spiritus Sancti ; le Trois, Maître du grand rituel de réciprocité, per omnia secula seculorum ; tous les grands et miséricordieux Nombres, jusqu’au Dix du retour du fils prodigue à la Maison du Père, Amen ; les Nombres de la sagesse de l’Amour, un à un, ceignent l’épée de la Loi et rentrent dans le soleil des soleils, où les attendent les indestructibles Trônes. Le pitoyable Roi du Monde pose sa dextre sur la tête de son épouse, en signe de dure domination sur la nature corporelle. Dans la senestre, il élève l’universelle Pomme, fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, emblème de la misérable royauté qui se nourrit de terre et oublie que le temps en fait sa pâture. Dans ce globe impérial, le Seigneur, un jour, viendra planter la Croix. À la place des Nombres sacrés surgissent dans la pensée d’Adam les signes infernaux et corporels de la Division et de la Multiplication sans fin. C’est dans le Seigneur, c’est dans sa paix, que je veux dormir et reposer.