Premiers poèmes/Chansons d’amant/Éventails

Mercure de France (Premiers poèmesp. 175-183).

ÉVENTAILS

I

Les rois mages vont vers l’étoile
vers la solitaire étoile
qui doit refleurir à leur parole franche

Au cours des ruisselets, comme des robes d’anges
émanent des sourires bienveillants de la lune ;
la langueur de la longue robe de la nuit brune
s’entr’ouvre pour montrer une ceinture d’anges

Harpes inconnues, parfums en émoi, colliers de baisers
comme des pas bruissants au fond sombre de halliers
les accompagnent ;
sur la mate et rase campagne
comme une aile énorme vient frôler d’une caresse de baisers.


L’air est si suave à s’étendre et mourir,
la caravane lente se berce de marche heureuse
et les rois se rappellent la contrée soyeuse
où dort dans des nuées et des poudres d’or et les câlinantes lyres
le grand lys intangible à tout mortel
et seul autel et seul bonheur, tant inaccessible

Et l’un des rois murmure en la pâleur lactée de la nuit :

Les parois du tabernacle du soleil agonisant
pâlissent quand ses pas caressent la terrasse des palais :
les marchands des orients qui rapportent les joies et les arts plaisants
quand se baissent ses longs yeux cachent leurs trésors humiliés ;

On prodigue au muletier les deniers et les besants
pour contempler de loin la terrasse où passe son aurore
et les pythonisses pilent les mandragores
pour les vœux inutiles des humains humiliés ;

Pour le seul festin de mes faims
s’ordonne le spectacle de ses pas et de ses bras
et s’étendent les pourpres sur son visage que jamais n’enténébra
la crainte d’une lassitude à mon étreinte

Un autre roi murmure au rythme de sa marche :


Depuis que son haleine a passé sur ma vie
mes instants se parent en rosiers ravis
dont j’égrène les pétales de perpétuelles renaissances ;

Des lèvres de l’adorante blessure
vers le parfum de ses sourires
les perles et les baumes éclosent en abondance ;

Perdu dans l’infini murmure
d’une mer de grandes douceurs qui s’épandent de toi
j’éprouve les calmes rythmes de tes bonheurs à toi
et dans la grotte satinée de ta bouche ma vie se mure

Et le roi nègre à mi-voix :

Mes barques ivoirières et mes arbres aux ombres d’amour et de mort
mes géantes montagnes de marbre ciselé
et mes mers hospitalières au soleil quand il dételle
et mes landes infrangibles et mes monstres et mes labours,

Les esclaves qui lavent les turbans aux sources inconnues des fleuves
Les mausolées d’ancêtres où stagnèrent les douleurs de veuves
Mes gazelles et les parures adamantines des ailes
Qui frôlèrent mes repos près d’elles,


Aux margelles des puits profonds qui s’ignorent en ses jeux inconnus
je les oublierai, perdu dans un rêve de bras nus.

La nuit a des douceurs de brise dans les voiles
et sur les rois perdus de douceurs inconnues
la blondeur de la nuit défaille en flots d’étoiles

II

Vers les seins pourprés de la fée de la fontaine
nous apporterons, captifs, les calices ;
aux lèvres pourprées de la fée de la fontaine
les rosées captives aux prisons des calices,

Entre ses doigts menus faisons rire les roses
passons à son poignet des bracelets de liserons ;
la pourpre de ses lèvres entr’ouvrira les roses
pour doter leur calice de l’arôme des baisers prompts ;

Divine fée de la fontaine, ah, dites-nous les fleurs élues
les lys blancs comme ton doux col nu
les nénufars ruisselants à ton col nu


Voulez-vous plus douces des fleurs d’Hespérides
qu’au soir rosissant mènent les caravelles.
elles partent aux frissons premiers de vos réveils
et vers ta rade au soir viennent en flots de joie

Pour t’ensevelir de guirlandes
courons l’horizon des landes arides
cherchons les muguets aux trous lamés de soie
pleins d’herbes et d’ombres et d’éphémères joyaux de roi

Et les pas légers des fillettes en joie
s’égrènent en gazouils empruntés à la voix
que cadence aux jours élus la dive fée de la fontaine.

III

Le faune a bu les pleurs de l’Oréade

De garrulantes voix dans des buissons inattendus : Vos pleurs
sur le sommeil de ce cœur qui demeure et s’enclot et qui meurt
seront la bienveillance et la si douce angoisse

Vos rires, comme au passant mourant, la bouche de la Ménade
qui passe pourpre aux éclatantes joies des pampres ;
et des pans de peaux de fauves jouent à ses membres

et vers sa bouche et la fraîcheur de la grenade et la fraîcheur de la framboise


Maturité de vos seins, en vous penchant vers lui
dans le songe indistinct de féeries vous avez lui
comme claire robe de lune en opacité de nuit

Le faune a ri les joies tendres de l’Oréade

IV

Quand le roi vint à sa tour
la belle vint lui dire — Ah, Roi

Ni les épouses de tes vizirs qui s’entr’ouvrent sous tes regards
ni les lointaines exilées qui pleurent les forêts barbares
ne décèlent les inconnus que dénouent mes bras tour à tour

Loin de toi souffrir est dur aux fleurs de l’âme
l’âme pâtit d’appels inutiles et languit ;
ce coffret de saveurs à toi, mon corps, prends-le pour toi ;
que tes mains bénissent mon front incliné

De la tour le roi répondit :

Ce rêve que tu vins tendre tes lèvres courtes
toutes les âmes de mon être l’attendaient en habits de fête ;

pour tes lèvres et l’escorte de décors de ton rêve
les tapis sont prêts et les lampes veillent et les vœux attendent.
que tardais-tu, en rires perdus, où dormais-tu ?

Quand le roi dormit sur la tour, la belle triste frissonna

Si tu ne savais pas que c’est errance et trêve
le pauvre instant d’amour endormeur du remords
je sais qu’il lui faut être unique et comme en rêve
et je vais vers les ombres apâlies de la mort.