Premier vaisseau de ligne construit en Égypte

ALEXANDRIE. Premier vaisseau de ligne construit en Égypte. — Le premier des vaisseaux en construction ici a été lancé dans la première quinzaine de décembre. C’est une époque pour l’Égypte que celle où, pour la première fois, on y voit mettre à la mer un navire de guerre de cette force. Le vice-roi, qui attachait lui-même beaucoup d’importance à célébrer cette circonstance remarquable, a ordonné des fêtes publiques destinées à rehausser l’éclat et à consacrer le souvenir de cette opération, à laquelle toutes les autorités européennes ont été invitées à assister. Des places particulières étaient, d’après l’ordre du gouvernement, réservées pour les dames. L’ingénieur en chef, M. de Cérisy, était chargé des préparatifs nécessaires pour la mise en mer de ce vaisseau de 100 canons. On ne saurait assez répéter combien, indépendamment de vastes connaissances dans son art, M. de Cérisy a déployé de talens d’administration dans l’organisation de l’arsenal d’Alexandrie. Tout y contraste avec l’aspect des autres branches du service public, où se montre toujours la langueur naturelle au caractère arabe, produit presque inévitable du climat de l’Égypte. Dans l’arsenal, au contraire, tout est mouvement, empressement, émulation ; le travail y semble l’élément et le plaisir de ceux qui y sont employés, et ce chef habile a trouvé le moyen de remuer, par d’autres ressorts que ceux de la crainte et des châtimens, ces hommes indolens que rien ne semblait pouvoir amener à s’intéresser au succès d’une entreprise du gouvernement.

Le vice-roi, malgré tout le désir qu’il avait de voir lancer son vaisseau, n’a pu en être témoin ; des affaires pressantes l’appelaient au Caire où il vient de se rendre. Son fils Ibrahim, dont la santé est altérée depuis quelque temps, a besoin de repos, et a obtenu de son père la permission de s’éloigner momentanément de la capitale. Les affaires de l’Égypte ont aujourd’hui une si grande étendue et une telle importance, qu’elles exigent impérieusement la présence de l’un des deux chefs. On se ferait une fausse idée des ministères de ce pays, si on les croyait organisés d’après le mode de ceux des gouvernemens de l’Europe. C’est ici que la centralisation est absolue, sans modification, et reporte forcément toutes les affaires vers le chef de l’état. On ne saurait dire par quelle sorte de ressource extraordinaire le vice-roi trouve le temps nécessaire pour pourvoir à tout, recevoir chaque jour des communications sans nombre, faire connaître ses ordres sur chacun des objets principaux de l’administration. Pourtant il remplit ce rôle accablant avec une facilité inconnue dans les pays d’Europe ; mais il n’en est pas moins vrai qu’avec un tel système tout l’édifice d’un gouvernement repose sur la vie d’un individu.