Premières poésies (Évanturel)/Plumes et Crayons

Augustin Côté et Cie (p. 53-70).


PLUMES

ET


CRAYONS














I



ILS sont seuls. La porte est ouverte
Et, craignant fort les yeux jaloux,
Dans un coin de la chambre verte
Ils se sont donné rendez-vous.


La belle-mère est déroutée.
Qu’en saura-t-elle à son retour ?
L’occasion s’est présentée
D’échanger un billet d’amour.


On entend sonner la pendule,
Et soudain, dans le corridor,
Le chant d’un long baiser circule
Avec le son qui vibre encor.


Personne ne monte la garde
Comme l’archange au paradis ;

Mais, moi, j’en sais un qui regarde
Par l’embrasure du châssis !



II



J’AI — sur un des rayons de ma bibliothèque —
Soigneusement caché sous Virgile et Sénèque,
Un tout petit volume avec un beau portrait.
C’est un charmant cadeau qu’un vieil ami m’a fait,
En me pressant la main, à son retour de France.
Je le garde avec soin ce volume ; en silence

Je l’ai lu bien souvent, cet été, sous un if.
C’est Alfred de Musset, bien triste et maladif,
Maigre comme Rolla — peut-être encor plus pâle,
Qui paraît, quand on l’ouvre, au fond d’un cadre ovale.
Son portrait est bien fait. Son livre aussi. — Voilà
Le capitaine Frank, Mardoche et Namouna.
J’en raffole. Et la nuit, s’il advient que j’y songe,

Je m’endors, et je vois Don Paez dans un songe.



III



UN beau salon chez des gens riches,
Des fauteuils à la Pompadour,
Et, ça et là, sur les corniches,
Des bronzes dans un demi-jour.
Des œillets blancs dans la corbeille
Tombée au pied d’un guéridon.
Un Erard ouvert de la veille,
Une guitare, un violon.

Une fenêtre. Un rideau rouge.
Et sur un canapé de crin,
Un enfant qui dort. Rien ne bouge.

Il est dix heures du matin.



IV



J’AI rêvé bien souvent d’aller mourir à Nice,
Seul, au milieu d’un bois, dans un vieux chalet suisse,
Près d’un lac ; — mais surtout, j’ai souhaité d’avoir
Un marquisat bien riche avec un beau manoir ;
Ou plutôt un castel bâti sous Charlemagne.
J’aurais bien voulu vivre, autrefois, en Champagne,

Du temps de Louis Quinze et de la Pompadour.
L’été dans mon domaine et l’hiver à la cour,
J’aurais servi mon roi, le peuple et la noblesse.
Aux soupers clandestins du baron de Gonesse,
Plus tard, Lebel m’aurait fait voir la Dubarry.
Partout, dans mon castel, au château de Marly,
Même au grand Trianon, aux pieds d’une marquise,

J’aurais relu Rousseau — La Nouvelle Héloïse.



V



DANS l’album ouvert sur la table,
Un grand vieillard au front distrait,
D’une façon fort respectable
Sourit au fond de son portrait.


C’était un hanteur de goguette,
Mort au Mexique à soixante ans,
Un sous-officier en retraite
Qui fut bandit pendant longtemps.


Ce vieillard est toute une étude ;


Le regarde-t-on fixement,
On reste avec la certitude
Que ses yeux roulent dans du sang.



VI



LE soir de la Toussaint est triste à la campagne !
Le voisin est entré, mais quelqu’un l’accompagne.
C’est le curé. La neige a mouillé son rabat.
Son vieux feutre, on le met sur le pied du grabat ;
On balaye, en jasant, les plis de sa soutane.
La mère sait qu’il tousse ; elle offre sa tisane ;

Il refuse. Le père appelle ses garçons.
On fait cercle, d’abord, un peu loin des tisons ;
Et puis, sans le savoir, lentement on s’approche.
Soudain, on croit ouïr les sanglots de la cloche.
C’est pour les morts. On met les enfants à genoux.
La grand’mère, aussitôt, va tirer les verrous,
Et le vieux curé fait, afin que l’on médite,

Le signe de la croix avec de l’eau bénite.



VII



PAUVRE et ne gagnant qu’à peine
De quoi nourrir sa moitié,
Mon voisin, que rien ne gêne,
Ce matin s’est marié.


Assez de bruit à ses noces
Pour rendre un riche jaloux.
J’ai vu partir les carrosses
Et revenir les époux.



Et pensif, à ma fenêtre
Qu’illuminait le matin,
J’ai songé qu’un jour, peut-être,
Leurs enfants mourront de faim.



VIII



IL les quitta, le pauvre père,
Jugeant son sort par trop amer,
Pour s’en aller, au cimetière,
Dormir sous le grand saule vert.


Elle toussa, la pauvre mère,
Deux ans après, pendant l’hiver.
L’enfant chantait, pour la distraire,
La sérénade de Schubert.



Elle mourût, la pauvre femme.
Dieu se fit apporter son âme
Sur les ailes d’une chanson.


Le père mort, la mère morte,
L’enfant voulut partir — en sorte
Qu’il n’est plus rien dans la maison.