Almanach du Père Peinard1894 (p. 17).

ALMANACH DU PÈRE PEINARD


PRAIRIAL



Prairial, foutra à tous des fourmis dans les pattes. Les plus casaniers auront des envies folles d’aller plumarder dans les prés et les garde-champêtre brailleront comme des pies borgnes en découvrant dans les grandes herbes la bête à deux dos, qui abondera bougrement ce mois-là.

Les cerises auront le museau rouge et le noyau en dedans ; les dindonneaux sortiront de leur coquille pour n’y plus rentrer ; on ne ramera pas encore les choux ; par contre, la carotte commencera à donner ferme. Il y a une foultitude de variétés dans cette légume ! Sur l’une d’elle, la tabac-carotte, la gouvernance continuera de nous carotter dans les grands prix.

Les cul-terreux se foutront perruquiers : ils feront la barbe à leurs prés et raseront la laine de leurs moutons.

Pour ce qui est d’eux-mêmes, ils n’auront pas attendu Prairial pour se faire tondre : c’est du premier de l’an à la sylvestre, qu’ils seront plumés par les messieurs de la ville, les recruteurs d’impôt, les feignasses de tout calibre.

Avec Prairial s’amènera la saison des villégiatures : les richards s’en iront soiffer des eaux dans les trous chouettes ou nettoyer leur sale peau aux bains de mer.

En fait de bains, ils n’en méritent qu’un, ces chameaux-là : un plongeon dans les égouts ! Ça leur pend au nez.

D’ici là, ils jouiront de leurs restes, usant nos chandelles par les deux bouts.

En même temps qu’eux, les trimardeurs, baluchon sur l’épaule, se foutront carrément en campagne.

Chacun se met au vert selon ses moyens. Ceux-ci, n’ayant pas la profonde farcie de pépettes, n’auront pas la veine d’aller se pavaner dans les endroits chiques. Pour ce qui est de se faire charrier par la vache noire, ce sera aussi comme des dattes : ils s’embarqueront sur le train onze. De cette manière, ils pourront, tous les kilomètres, faire une croix sur les bornes des chemins.

Prenant le temps comme il viendra, ils éviteront les grands arbres quand y aura de l’orage à la clé, ils se tasseront sous les buissons lorsqu’il pleuvra, et se foutront le ventre à l’ombre quand le soleil tapera trop dur sur les cocardes.

Là où ils arriveront, ce sera le bon !

Quoiqu’ils aient l’air de ne pas craindre le travail fait, ils n’auront pas un trop grand poil dans la main : c’est avec nerf que, pour la fenaison ou autres bricoles, ils donneront un coup d’épaule aux paysans.

Outre ça, pendant les maigriottes collations, soit dans les granges où l’on plumarde tous en chœur, ils jaspineront de l’espoir du populo. Dans le siphon des plus bouchés, ils colleront une idée de révolte : ça ne tombera pas en mauvaise terre ! Laissez faire, et que vienne le temps du grabuge : les culs-terreux ne seront pas les derniers à se rebiffer, — on a beau leur seriner que la révolution de 89 leur a donné la terre, ils n’ont pas assez de bouse de vache dans les mirettes pour ne pas voir que la bonne terre est accaparée par les richards et les jésuites.