Préface des Études d’après nature


Poésies complètes
Lemerre (2p. 3-8).
PRÉFACE


Je vous offre, amis lecteurs,
Un bien gros bouquet des fleurs
        De ma province ;
Pour vous, quand vous aurez lu,
Et pour moi j’aurais voulu
        Qu’il fût plus mince.

L’avais-je cueilli pour vous
Sous l’ombrage frais et doux
        De nos futaies,
Dans les champs et dans les prés,
Sur les talus empourprés,
        Au pied des haies,


Par les sentiers du bon Dieu
Et sur les chemins de feu
        Que font les hommes ?
— Bénins et courtois lecteurs,
Ne nons faisons pas meilleurs
        Que nous ne sommes.

C’est pour mon propre plaisir
Que j’ai fait à mon loisir
        Cette cueillette.
Quand un flâneur attentif
Cherche d’un regard furtif
        La violette,

Il n’attend pas le printemps
Et, s’il voit de temps en temps
        Sous une feuille
Un bouton prêt à s’ouvrir,
Une fleur à conquérir,
        Vite, il la cueille.

Il guette, les yeux ouverts,
Au milieu des gazons verts
        Les pâquerettes

Et souvent, au bord des prés,
Prend les feuillages dorés
        Pour des fleurettes.

Quand il a fait son bouquet,
Il y noue un fil coquet
        Et dans un verre
Le pose, le pied dans l’eau,
Pour garder du renouveau
        La primevère ;

Mais parfois, rentrant chz lui,
Par boutade ou par ennui ;
        Manquant d’eau fraîche,
Il jette tout dans un coin ;
La feuille devient du foin
        Et la fleur sèche.

Ainsi, nés sous un rayon
Et, fixés par le crayon
        Ou par la plume,
Les vers forment un faisceau
Et puis, morceau par morceau,
        Un gros volume.


Peut-être à mon herbier sec
Pourrais-je trouver en grec
        Quelque mérite :
« Rose sèche a bien son prix. »
C’est un aphorisme pris
        Dans Théocrite.

Mais ici, je ne veux rien
Traduire du grec ancien
        Ni de Virgile ;
Ma récolte est de mon crû ;
Feuilles et fleurs tout a crû
        Dans mon argile.

Lecteurs, prenez, s’il vous plaît,
Ce mien bouquet tel qu’il est
        Et, si l’arome
Rural paraît à quelqu’un
Vague comme le parfum
        Qui sort du chaume,

S’il est par trop innocent,
Trop bucolique et s’il sent
        Un peu l’étable,

 
On peut en toute saison
Le garder dans sa maison
        Et sur sa table.

Vos valets, maître jaloux,
Vos fils, votre femme, vous
        Et votre fille
Respireront son odeur
Sans danger pour la pudeur
        De la famille ;

Mes fleurs, filles du soleil,
N’ont pas subi l’appareil
        De ces étuves
Qui hâtent la floraison ;
Il ne sort pas de poison
        De leurs effluves.

On ne les distille pas
Pour rajeunir les appas
        Des courtisanes ;
Où finit la fleur des bois ?
Au linge honnête et parfois
        Dans les tisanes.

 

Loin de plaindre son destin
Et de craindre cette fin
        Un peu banale,
Je serais charmé, lecteur,
D’avoir trouvé quelque fleur
        Médicinale,

Pétale d’azur, d’argent
Ou d’or, herbe de Saint-Jean
        Ou camomille
Et je serais très flatté
Qu’on en pût faire le thé
        De la famille.

(1864).