Pourquoi et comment le Père Peinard s'est bombardé Journaleux
POURQUOI ET COMMENT
Le Père Peinard s’est bombardé Journaleux
Ce que le temps passe, mille marmites ! Y’a de ça cinq années, quasiment.
La Boulange faisait alors tourner la boule au populo ; à l’élection du 27 janvier 89, la foultitude d’affiches qui salissaient les murs de Paris me donna envie d’y aller de la mienne.
Entre deux savates, j’accouchai de la Première du Père Peinard au Populo.
Sans me pousser du col, le flanche fut bougrement gobé. À telle enseigne que ça me mit l’eau à la bouche : l’idée me vint de continuer le fourbi, et de tailler de régulières bavettes avec le populo.
Faire un journal ?… Mince de tintouin ! Je ne refoulai pas, mille dieux. J’avais quelques pélos en poche : je risquai le paquet.
Le bon fieu qui, le plus souvent, torche les dessins de la huitième page, colla ma trombine sur le papier. Bons bougres, levez le nez de trois pouces, la gueule en question est juste au-dessus de la tartine.
Ça fit une couverte à mes réflecs. Ah mais, foutre, le numéro n’était pas grandelet ! À peine s’il était large comme la main.
Depuis le caneton s’est emplumé, il a ouvert ses ailes, bec et ongles lui ont poussé.
Turellement, sur les foultitudes de camaros inconnus avec qui je jacasse aujourd’hui toutes les semaines, y en a bougrement qui n’ont jamais reluqué le commencement de mes flanches.
Pour ceux-là, afin de faire plus ample connaissance, je vas leur servir quelques tranches des tartines de mon premier numéro, qui parut le 24 février 1889.
Voici :
Si rigolboche que ça paraisse, ça y est, me voilà journaliste.
Comment c’est venu, en quatre mots le voici : depuis un brin de temps, un tas d’idées me trottaient par la caboche, et ça me turlupinait rudement de n’en pas pouvoir accoucher. Voir cette fin de siècle, dégueulasse au possible, où tout est menteries, crapuleries et brigandages, — et assister la bouche close à tout ça : nom de dieu, je pouvais pas m’y faire !
Le sang me bouillait de voir les cochons du gouvernement s’engraisser à nos dépens ; de ces bougres-là, y en a pas un seul qui vaille mieux que l’autre. Dans les Chambres, de l’Extrême-Droite à l’Extrême-Gauche, il n’y a qu’un tas de salopiauds tous pareils : Cassagnac, Freppel, Ferry, Floquet, Boulanger, Basly et les autres, c’est tous des bouffe-galette !
La rosserie des patrons aussi me foutait en rage. Ces chameaux-là n’en fichent pas un coup ! Ils rappliquent à l’atelier une fois leur chocolat liché ; ce qu’ils savent faire chouettement, c’est gueuler après les compagnons et palper la bonne argent, — sortis de là, y a plus personne.
Y a bien les journalistes de métier qui pourraient parler et en dire long, contre les riches et les puissants ; mais voilà, ils trouvent plus profitable de rabâcher les vieilles balançoires. Le nez au cul des bourgeois, des financiers, des gouvernants, ils ne cherchent qu’à empocher des pièces de cent sous.
Et dam, comme ils y trouvent leur profit, ils sont muets comme des carpes. — Y a pas, c’est un truc épatant pour empêcher les chiens de mordre, que de les attacher avec des saucisses !…
Donc, je répétais souvent : y aura donc pas un gas à poil qui ait le nerf de gueuler toutes ces vérités, nom de dieu ?
À force d’y penser, d’en causer avec des copains, je me suis dit : « Pourquoi pas moi ? Si l’instruction est un peu de sortie, y a du bon sens dans ma caboche !… »
Naturellement, en ma qualité de gniaff, je ne suis pas tenu à écrire comme les niguedouilles de l’Académie : vous savez, ces quarante cornichons immortels, qui sont en conserve dans un grand bocal, de l’autre côté de la Seine.
Ah, non alors, que j’écrirai pas comme eux ! Primo, parce que j’en suis pas foutu, — et surtout parce que c’est d’un rasant, je vous dis que ça…
Et puis, il faut tout dire : la grammaire que j’ai eu à l’école ne m’ayant guère servi qu’à me torcher le cul, je ne saisis pas en quel honneur je me foutrais à la piocher maintenant.
Il est permis à un zigue d’attaque, de la trempe de bibi, de faire en jabotant ce que les gourdes de l’Académie appellent des cuirs. Et j’en fais, mille tonnerres, je suis pas bouiffe pour des prunes !
Pourquoi donc que je m’en priverais en tartinant ?
J’ai la tignasse embroussaillée, je la démêle, comme on dit, avec un clou, — je vois pas pourquoi je bichonnerais mes flanches ?
Est-ce des rabâchages de châtrés que je colle sur le papier ? — Je le pense pas, bon sang !
Eh bien, pour lors, à quoi ça serait utile de pommader mes phrases, puisqu’elles sont pas pondues pour les petits crevés, qui font leur poire un peu partout ?
Les types des ateliers, les gas des usines, tous ceux qui peinent dur et triment fort, me comprendront. C’est la langue du populo que je dégoise ; et c’est sur le même ton que nous jabottons, quand un copain vient de dégotter dans ma turne et que j’allonge mes guibolles par-dessus ma devanture, pour aller siffler un demi-setier chez le troquet du coin.
Être compris des bons bougres, c’est ce que je veux, — pour le reste, je m’en fous !
Après ce dégoisage, comme il est de bon ton dans le premier numéro d’un canard de dire d’ousqu’on vient et ousqu’on va, je me fendis à la bonne franquette, du flanche ci-dessous, qui est, comme qui dirait
MA PROFESSION DE FOI
Profession. — Je l’ai déjà dite, au jour d’aujourd’hui, rapetasseur de savates ; si vous préférez, gniaff, ou mieux, bouiffe.
Dans les temps, j’ai roulé ma bosse dans tous les patelins ; j’ai fait un tour de France épatant, nom de dieu !
Pas besoin de dire que j’ai mis la patte à trente-six métiers.
Naturellement, j’ai pas dégotté de picaillons ; c’est pas en turbinant qu’on les gagne.
Il n’y a qu’un moyen pour faire rappliquer les monacos dans sa profonde : faire trimer les autres à son profit.
Ce fourbi-là m’a toujours dégoûté, aussi j’ai pas percé.
Je n’en ai pas de regret : je préfère être resté prolo.
Pourtant, dans la flotte des métiers que j’ai faite il en manque un, celui de soldat.
Ça m’a toujours pué au nez d’être troubade. N’empêche qu’à l’époque, j’étais bougrement patriote, allez !
Mais, en jeune Peinard, ça ne me bottait pas d’aller faire connaissance avec le flingot, de faire par le flanc droit, par le flanc gauche, et de trimballer Azor.
Seulement, j’étais bien bâti, fortement campé sur mes guibolles.
D’autre part, mon paternel n’avait pas jugé à propos de tourner de l’œil pour m’exempter. Pas de cas potable à faire valoir, et surtout, pas de galette pour acheter un homme…
Nom de dieu, fallait se patiner, si je ne voulais pas partir, ainsi que mes frères et amis.
Naturellement, je ne tenais pas à me foutre un doigt en l’air, comme un tas de pochetées de la campluche, — ah non, alors !
Heureusement, j’ai un bobo ; et comme je suis pas mal fouinard, c’est lui qui m’a sauvé la mise. C’est une varice, petiote comme rien ; le jour où je passai la révision, j’ai fait, dans la matinée, une sacrée nom de dieu de trotte. L’après-midi j’ai enfilé le costume du grand-père Adam et l’on m’a réformé illico.
C’est pas pour dire, mais y en a bougrement qui truquent dans les mêmes conditions. Parbleu, chacun tient à sa carcasse, — on n’en a pas de rechange, une fois usée, c’est pour de bon !
Nom de dieu de nom de dieu ! quand je pense tout de même aux couleuvres que j’ai avalées ; quelles floppées, oh là là !
Naturellement, au temps où je gobais que les mômes poussaient sous les choux j’étais catholique.
Faut dire qu’à l’époque, même les types qui se disaient démocrates, laissaient les marchands d’eau bénite salir leur mômes ; les faisaient baptiser, confirmer, communier, marier, etc.
Ils trouvaient ça simple, tout en étant libre-penseurs. — Et, sans remonter si haut, il est facile d’en dégotter de ces bougres-là, encore aujourd’hui.
Donc, comme tous les gosses, on m’a abruti avec les gnoleries chrétiennes.
Pourtant, c’est ce qui m’a passé le plus vite ; une fois en apprentissage je me suis rapidement dégourdi.
Les marchands de prières nous prêchent le paradis : « C’est très bath, le paradis, que je me dis. Seulement, je le veux sur cette terre, de mon vivant. Quand j’aurai tourné de l’œil ce sera pour de bon, et si je coupais plus longtemps dans les boniments des rabâcheurs de patrenôtres, — je serais volé, mille bombes ! »
Je ruminais ça, à l’époque, sans bien savoir au juste ; j’ai vu depuis que j’avais tout à fait raison.
Puis, j’ai avalé tous les bouquins qui me tombaient sous la patte, anciens et nouveaux.
Je gobais que la vie était pareille à ce que je lisais. Les romanciers de mon époque, c’étaient Alexandre Dumas, Victor Hugo, Eugène Süe ; et je voyais partout des d’Artagnan, des Rodin, des Esmeralda faisant danser leurs chèvres.
Je chantais la Lisette de Béranger, croyant que c’était arrivé ; et je me disais avec ce blagueur :
Je t’en fiche : j’aime autant l’entresol !
C’était encore de l’illusion que je me foutais dans la bouillotte. La vie réelle, C’est pas ça !
Ah, les romans ! C’est une deuxième religion qui nous empoigne quand nous avons échappé à la première.
Quand donc, nom d’un pétard, qu’on viendra à l’éducation vraie et naturelle, qui nous montrera la vie telle qu’elle est, — et nous empêchera de prendre les vessies pour des becs de gaz !
Les grandes pommades dans lesquelles j’ai coupé épatamment, ce sont celles de la politique.
Aujourd’hui, j’en ai plein le dos ; j’en ai soupé et pour de bon, — ça n’a pas toujours été pareil, j’ai été gobeur comme les copains, — plus gobeur qu’eux.
Et c’est seulement à force de me voir toujours roulé, toujours foutu dedans par les uns et les autres que j’en suis arrivé où je suis.
Comme de juste, j’ai d’abord été pour le gouvernement : à l’époque c’était l’empire. On racontait que l’empereur était un bon fieu, qu’il aimait le peuple et voulait son bien, et dam, je le croyais !
Il était le gouvernement ; conséquemment il avait raison, — ce que disaient les rouges était des menteries.
La République, nom de dieu, j’en avais un trac insensé.
C’est alors que j’ai fait la connaissance d’une vieille barbe de 48 ; il m’a décrassé un peu, le bougre !
Avec accompagnement de foutres de foutres, il m’a prouvé que la République était le plus chouette des gouvernements.
Il me montrait son chapeau pointu, large comme un parapluie : « Ça mon gas, c’est la République ! » qu’il me disait.
Et je regardais le chapeau (qui aurait fait une chouette soupe, allez !) la larme à l’œil. Je comprenais pas bien le coup du chapeau ; mais j’avais encore la vénération de l’incompréhensible ; et je m’inclinais, nom de dieu !
Justement, on venait de fonder l’Internationale : oups, il m’a affilié, ça n’a pas fait un pli.
Puis, sont venues les années de grabuge ; je me suis emballé après Rochefort, et le 4 septembre, j’ai braillé avec tout le monde : « Vive la République ! »
Je croyais qu’elle allait nous donner à bouffer, — l’ancien de 48 me l’avait dit, — je t’en fous !
Ensuite, y a eu le siège : là, j’ai pris l’uniforme, être soldat comme ça, ça m’allait, crédien !
D’ailleurs, c’était pour défendre Paris ; on a eu les belles choses que vous savez : les factions aux fortifs, les queues à la porte des boulangers, et nom de dieu, la capitulation !
J’en ai pleuré, vrai !
Après, je me suis mis avec la Commune, j’ai redéfendu Paris, me suis foutu des trempes avec les Versaillais. Et j’ai eu la veine de ne pas être pigé.
De suite après, je me suis installé dans mon échoppe et tout en ressemelant les ripatons du quartier, j’ai politicaillé.
J’ai été successivement pour Thiers, pour Barodet, pour Gambetta, pour Clémenceau, pour Rochefort, pour Joffrin, pour Vaillant.
J’étais pour me foutre à la queue du cheval de Boulanger, quand j’ai réfléchi et me suis dit :
« Et, merde, on se fout de toi, mon vieux Peinard !
« T’as trimé toute ta vie ; t’as défendu la patrie en 70 ; t’as fait tout ce que tu devais faire, et t’es toujours dans la mélasse.
« Tous les jean-foutre en qui tu as eu confiance t’ont foutu dedans, — faut pas continuer à faire le daim !
« On te raconte un tas de choses, on te promet plus de beurre que t’en pourras manger — et rien ne vient !
« Les réformes après lesquelles tu cours depuis que tu es au monde, c’est de la fouterie.
« Faut plus t’occuper d’élever des hommes au pouvoir, pour qu’ils te fassent des pieds de nez après.
« Faut faire ton bonheur toi-même ! »
Alors j’ai passé une grande revue de tout ce qui m’est arrivé, depuis que je roule ma bosse par le monde.
Je me suis vu, braillant à pleine gueule, sans raison, — après n’importe quoi !
Puis, après des réflecs à perdre haleine, j’ai repris mes sens, grâce à une bonne chopine, et j’ai conclu : « Faut faire ton bonheur toi-même !
« Le moyen, c’est un brin de chambardement qui vienne mettre les choses en l’état où elles devraient être. »
Voilà, nom d’un foutre, ce que je dégoisais en 89. À cela, aujourd’hui, j’ai pas un iota à retirer !
Quand les jean-foutre de la haute ont vu que le caneton se développait, ils m’ont cherché pouille, — ils ont trouvé à qui parler ! Grâce aux copains gérants qui ont paré leurs coups de surins légaux, le caneton a résisté.
Autre chose, le Père Peinard a eu une sacrée veine : un peu partout, dans les cambrousses, comme dans les grandes villes, il s’est trouvé des bons bougres à qui il a tapé dans l’œil. Et les gars lui ont donné un bath coup d’épaule !
C’est pas le tout, en effet, de pisser des tartines à tire-larigot.
Faut encore que ces tartines soient lues, mille bombes !
C’est à ça que se sont attelés les fistons. Et pourquoi donc se sont-ils tant grouillés ?
Parce que le père Peinard n’a pas froid aux châsses, mille marmites !
Parce qu’il gueule toutes les vérités qu’il sait ; même celles qui sont pas bonnes à dire ! Y en a qui vont jusqu’à affirmer qu’il a le caractère si mal bâti, que c’est surtout celles-là qu’il dégoise.
Et puis, parce qu’il y a autre chose, nom de dieu ! Si le père Peinard gueule dur et ferme, c’est pas par ambition personnelle : la politique… ouh là là, faut pas lui en parler !
Oui, voilà la grande binaise. Si les bons bougres gobent le père Peinard, c’est parce que le père Peinard est un bon bougre kif-kif à eux : il est resté prolo, tout en pissant des tartines, — et y a pas de pet qu’il fasse sa poire comme un daim.
Et, sacré tonnerre, il ne flanchera pas ! Il continuera son petit bonhomme de chemin, cognant dur sur les exploiteurs, braillant ferme après tous les fumistes, criant à la chien-lit derrière les députés et les sénateurs.
Et ça, en attendant le grabuge final, où on foutra en capilotade toute cette racaille.