la balade du bon sergot

à monsieur le préfet de police.


Mon cher Monsieur Lépine,


Pendant que j’étais seul candidat républicain à Alger contre Edouardo Drhumunt, plus connu auprès des dames sous le poétique vocable de Barbe à Poux, en 1898, j’ai eu l’occasion de voir de près votre tranquille courage et de juger de votre sang-froid. C’est pourquoi nous considérant tous deux un peu comme des pompiers qui ont été ensemble au feu, je prends la permission de vous dédier aujourd’hui respectueusement la balade ci-dessous.

Aussi bien il convient parfois de se reposer un peu, de se délasser l’esprit par des travaux plus folichons.

C’est bien le moment, en pleine période d’étrennes, et j’aime à croire que votre petite armée sera la première à rire de ma modeste prose voici donc la balade du bon sergot que tout le monde peut allonger à sa guise, et c’est même pour cela que je l’ai faite en prose et comme le célèbre colonel que je l’intitule :

LE BON SERGOT
Balade sans rimes mais avec beaucoup de raison


I

Un soir, dans la rue Ramey, ah ! mais, un monsieur est assailli par trois malandrins, mais lui malin les met en fuite à coups de poings et crie : à l’assassin en invitant un sergot qui passe à les arrêter avec lui.

— Moi je m’en fous. C’est pas mon affaire. Je suis de la relève !

II

Au Bon-Marché une brave bourgeoise se sent faire son porte-monnaie elle se cramponne à son pickt-pocket qui l’entraîne dans la rue, et comme un sergent de ville passe, elle gémit : Arrêtez-le, mon bon monsieur, il m’a barbotté mon petit saint-frusquin, le coquin.

— Moi, je suis comme cet ancien député, célèbre mesureur de dentelles. S’il ne vous a barbotté que ça, je m’en fous. Ce n’est pas mon affaire. Je suis de la relève !

III

Dans le Métropolitain, aux gares polies comme Ripolain, un jeune malotru pince le… parfaitement, d’une jolie fille. La mère s’évanouit et en sortant s’élance pour expliquer l’épouvantable attentat à un agent de police qui lui paraît envoyé par la Providence.

— Pardon, Médéme, dit l’agent un peu émoustillé, moi je m’en fous. Ce n’est pas du tout mon affaire. Je suis de la relève !


IV

En sortant du Rat-Mort, un bon pochard — c’est son tort — se laisse dépouiller de ses frusques.

— Y n’a pas de caleçon, s’écrie avec horreur un marchand de journaux.

— Y va attraper une fluxion d’estomac, dit un ouvrier compatissant, faut le mener se réchauffer au poste !

— Moi, je m’en contre-fous, dit le bon sergot, ce n’est pas mon affaire. Je suis de la relève !

V

Moralité — Ne rencontrez jamais, dans la rue, de voleurs, d’assassins, de malandrins ou de propre à rien ; ne vous laissez jamais écraser par un automobile ou par un sapin, car, voyez-vous, autour de vous, vous entendrez toujours l’éternel refrain du bon sergot :

— Moi, je m’en fous. Ce n’est pas mon affaire. Je suis de la relève !


envoi

À vous, cher monsieur Lépine, prince des sergents de ville, des gardiens de la paix, des agents de police, appartenant à la grande famille des sergots, je dédie humblement cette balade. Qu’elle soit jolie, spirituelle ou non. Moi je m’en f… Ce n’est pas mon affaire ! Votre nom seul la relève.