CONCERT AILÉ

le parc monceau au printemps. — ses hôtes habituels. — l’éternelle chanson. — les merles.


J’étais assis, il y a une quinzaine de jours, par une belle matinée du commencement d’avril sur un de ces bancs qui épousent si bien les méandres d’un corps fatigué par l’excès de travail, dans une allée centrale, encaissée, solitaire du parc Monceau et je m’amusais à regarder courir devant moi, dans les massifs commençant à se couvrir d’une tendre émeraude, deux oiseaux qui se suivaient, s’attendaient, se retournaient et semblaient prendre un plaisir extrême à ce manège.

Gras et dodus à point, gros comme deux moineaux chacun au moins et moitié plus petits que les ramiers du parc, on reconnaissait à son bec jaune le mâle… et aussi aux grâces charmantes de son manège autour de l’aimée.

C’était un couple de merles à la robe discrète et terne, mais combien vifs et pimpants dans leur duo d’amour !

Comme je lisais immobile mon journal, ils avaient flairé un ami et il y avait plus d’une heure que j’admirais ce premier acte printanier des fiançailles, lorsque je vis sous d’autres massifs, plus loin, deux autres couples semblables…

Deux gamins faisant l’école buissonnière, vinrent à passer, jetant les cailloux à la volée sur les couples ; à travers les arbrisseaux, les oiseaux s’envolèrent, et je me levai pour aller déjeuner.

En rentrant par la grande allée transversale — celle qui reste ouverte toute la nuit — pour aller rejoindre par la rotonde, la rue de Prony, je croisai un vieux gardien alsacien que je connais de vue depuis bien longtemps.

— Eh bien savez-vous que vous avez ici de bien beaux merles.

— Oui, monsieur, et même les peintres du quartier habitués à aller dans la forêt de Fontainebleau ou à la campagne, disent qu’ils n’en ont jamais vu nulle part d’aussi gros, me répondit le vieux brave, avec un fort accent et un léger orgueil. Mais vous avez eu de la chance de passer ainsi une heure en compagnie d’un couple de merles, ils ne se laissent guère approcher. Tous les jours ici il y a des messieurs qui donnent à manger aux oiseaux ; les moineaux viennent manger dans leurs mains, les ramiers se posent parfois sur leurs épaules, les merles restent toujours à l’écart. Et, tenez, voyez ce gros nid, sur cet arbre, au-dessus de la route centrale qui traverse tout le parc dans l’autre sens, ce sont deux merles qui l’avaient construit la semaine dernière. Mais dimanche, c’est-à-dire avant-hier, la foule en passant, s’arrêtait pour admirer le nid, en levant le nez en l’air ; ça les a contrariés et ils sont partis ailleurs en faire un autre, mais allez, il n’a pas été longtemps abandonné.

— Comment celà ?

— C’est bien simple. Vous savez combien les moineaux sont feignants ; eh bien, un jeune ménage de moineaux est venu de suite occuper l’appartement vide ; c’était de l’ouvrage toute faite.

Ah ces coquins de merles ! Ils se battent au printemps deux par deux, sous les taillis ; quand on a le temps d’observer ça, s’est curieux.

— Tiens, je ne savais pas les merles si méchants.

— C’est pas qu’ils soient méchants, mais ils y sont quasiment forcés ; il y a trois ou quatre fois plus de mâles que de femelles… alors, vous comprenez, celui qui veut une compagne, il faut bien qu’il mette hors de combat ses rivaux.

Et reprenant avec une pointe d’émotion et d’affection sincère pour les hôtes du parc :

— Ah oui, monsieur, les pigeons, les moineaux, les merles sont gras, mais que voulez-vous ils sont bien nourris ici, à la journée, par les passants, les enfants qui leur jettent du pain… et puis ce sont tous des enfants du parc, ces oiseaux, ils sont nés ici. Vous avez vu le soir comment les branches des grands arbres sont noires des milliers de moineaux qui viennent s’y jucher, serrés comme des glanes d’oignons ; eh bien y en a d’autres, soit des moineaux, soit des ramiers qui logent dans les hôtels du voisinage, dans les cheminées, dans les futaies des jardins, sur les toits où ils se trouvent plus tranquilles et qui ne viennent dans le parc que dans le jour… à force de vivre au milieu des hôtes du parc, allez, monsieur, on finit par surprendre leurs mœurs et leurs habitudes.

Personne ici ne fait de mal à ces oiseaux, cependant il y en aurait encore beaucoup plus s’ils n’avaient pas les ennemis terribles qui en croquent pas mal la nuit.

— Comment cela ?

— Oui, les chats du voisinage qui viennent la nuit, à pas de loup, grimper dans les arbres et dévorer les œufs, les nids, les enfants et naturellement les parents avec, s’ils peuvent.

Mais nous veillons avec mes camarades, chacun à notre tour de ronde et de garde, la nuit et je vous assure que nous chassons les chats autant que nous pouvons et si nous en pouvions attraper un, il passerai un mauvais quart d’heure…

Et tout en entendant ces curieux détails sur les mœurs des hôtes à plumes et à poils du parc Monceau je voyais à ma droite le monument de Cuy de Maupassant auquel les moineaux semblaient donner une aubade matinale, avec toutes leurs criailleries de gamins de Paris et tout à coup je me souvins du buste du peintre Corot, sur lequel j’écrivais dernièrement une chronique, au bord du lac de Ville-d’Avray et il me sembla qu’il devait être doux pour les poètes et pour les amants de la nature de dormir ainsi leur dernier sommeil, ne fût-ce qu’en effigie, au milieu des fleurs et des oiseaux et l’écho moqueur, répondant à mes secrètes pensées, murmura :

— Surtout quand il y a des petites Parisiennes autour !

Pauvre Maupassant, il en est mort !

Tout à coup, aux pieds mêmes du marbre, les pattes dans l’herbe fraîche, un couple de merles se poursuivait sous l’œil bienveillant de l’auteur de Boule de suif.

Et me rappelant à la réalité mon brave gardien, avec une joie émue qui doublait son accent alsacien :

— Voyez, monsieur, le mâle avec son bec jaune, comme il a l’air entreprenant… que voulez-vous, c’est printemps, c’est l’amour… et avec un soupir : chacun son tour.

Je compris que ce vieux brave pensait à sa jeunesse, à son pays perdu, à la femme aimée, il y a longtemps, morte sans doute et, brusquement, je lui dis :

— Vous aimiez les cigognes aussi ?

— Oh, oui, monsieur, fit-il en me serrant la main et en rougissant d’avoir laissé lire dans son vieux cœur et je crus voir poindre une larme sous les rudes paupières du vieux soldat qui avait perdu sa petite patrie, après l’avoir si bien défendue et tant aimée !