Le correspondant des cambrioleurs dans les villes d’eaux

À Aix-les-bains
L’indicateur des coups à faire à Paris
Une curieuse aventure


Lorsqu’au mois de septembre dernier, je m’arrêtai à Aix-les-Bains avant d’aller à Chambéry, je me liai comme malgré moi, à l’hôtel, à table d’hôte, avec un monsieur décoré d’une énorme rosette multicolore, entre deux âges, très correct, très bien mis, fort aimable, beaucoup trop aimable.

Au fumoir, il m’imposait presque un cigare après chaque repas, et de suite, sous ses dehors ultramondains, je n’avais pas tardé à flairer un bon rastaquouère.

Je voulais le faire causer sans en avoir l’air, mais bientôt je vis qu’il était beaucoup trop fort pour en tirer quoi que ce soit.

Il avait, disait-il, des mines d’argent au Paraguay, renfermant un radium inconnu, avait perdu beaucoup dans les dernières révolutions et venait en France tout à la fois pour remettre sa santé et pour monter ses mines en Société au capital de vingt-cinq millions, — pas un sou de moins !

J’écoutais ses histoires d’un air naïf, sans en croire un mot et, comme on lui avait dit qui j’étais, il se doutait bien que je ne prendrais pas à la lettre tout ce qu’il me disait.

— Vous connaissez sans doute beaucoup Paris ? lui dis-je un soir à brûle-pourpoint, car, pour un Argentin, vous me paraissez joliment Parisien.

— Oh ! fort peu, je n’y ai jamais séjourné bien longtemps, car le bruit de votre belle capitale m’étourdit un peu.

Cela me fit dresser l’oreille. Quel intérêt cet homme avait-il à dire qu’il ne connaissait pas Paris ? J’étais naturellement convaincu du contraire.

Quel intérêt cet homme avait-il à se lier ainsi avec moi, qu’il savait un modeste homme de lettres, et surtout, pourquoi me questionnait-il toujours — oh ! très discrètement — sur mes amis, sur mes relations, précisément à Paris ?

— Alors, fis-je, vous avez l’intention de vous fixer à Paris, et vous ne seriez pas fâché d’être présenté dans le monde des lettres et des arts, cet hiver ?

— Mon Dieu, oui et non ; vous vous méprenez sur mes intentions qui sont tout à la fois plus modestes et plus pratiques. Sur mes vingt-cinq millions de capital pour ma future société, on m’en a déjà promis plus de vingt, et je ne serais pas fâché de pouvoir trouver rapidement le reste auprès des capitalistes que vous connaissez, sans aucun doute.

Et permettez-moi d’être franc et de vous offrir une commission ; les affaires sont les affaires, comme nous disons en Amérique.

Et après avoir ri largement, il reprit ;

— Il est vrai qu’il faut savoir attendre : vos amis sont sans doute à la campagne, comme vous-même ?

— En effet.

Et je me dis :

— Diable, si cet olibrius n’est pas un rastaquouère, c’est donc un agent de police ?

Et plus que jamais je me tins sur mes gardes, le laissant aller au tapis vert où il jouait toujours assez gros jeu, le soir, au cercle, au Casino, partout où l’on jouait, enfin, avec les gens les plus chics de la colonie des baigneurs et des touristes.

Un soir que j’étais sorti seul et que je rentrais tranquillement me coucher je trouvai ma porte entre-baillée, et comme j’avais laissé un paquet de lettres, de journaux et d’épreuves d’un volume à la veille de paraître, sur la cheminée de ma chambre, je vis, à travers la fente, mon quidam en train de fouiller fébrilement les dits papiers. Je bondis d’un saut, mon revolver à la main, et d’un ton aimable :

— Eh bien, cher Monsieur, que faites-vous là ?

Je ne saurais jamais dire la tête piteuse du malheureux qui se jeta à mes pieds.

— Allons, pas de comédie : je vous offre trois alternatives : ou je vais vous tuer comme un chien, ou je vais vous conduire chez le commissaire en appelant les gens de l’hôtel, ou vous allez me raconter votre visite, quelle est votre profession, sans un mot de mensonge, car je saurai toujours vous retrouver. J’ai besoin de me documenter, en ma qualité de romancier. À vous de choisir.

Il s’assit en tremblant et répondit simplement :

— Je vais tout vous dire. Je ne suis pas Argentin du tout, je n’ai pas de mine d’argent, mais seulement ma bonne mine, en s’efforçant de sourire jaune.

— Trêve de plaisanterie.

— Pardon. Je continue : ancien homme d’affaires qui a eu des malheurs à Paris, je suis d’origine normande et habite Paris depuis ma jeunesse. Tout à fait à la côte, vivant dans un monde interlope, je n’ai pas besoin de vous le dire ; un jour je me liai avec les grands chefs du syndicat secret des cambrioleurs du grand monde, tous des amis de ceux qui avaient si bien cambriolé l’hôtel du comte de Panis-Panis.

Ils me trouvèrent l’air distingué, débrouillard ; j’avais une femme et des enfants qui mouraient de faim. Mettez-vous à ma place.

— Jamais de la vie.

— Ils me proposèrent donc d’entrer à leur service, ils me rhabillèrent en prince exotique, me donnèrent des appointements fixes, des frais de route et un tant pour cent sur les affaires.

— Quelles affaires ?

— Vous allez voir. Je cours en été, les grandes villes d’eaux, je me lie avec tous les gens chics, je tâche de savoir pour combien de temps ils sont absents de Paris, s’ils ont de l’argent, des titres au porteur et des bijoux chez eux, où cela se trouve, et je préviens mes amis de Paris ou d’ailleurs des coups à faire. Autrement dit, je suis l’agent indicateur du Syndicat secret des cambrioleurs d’hôtels de Paris.

— Et ça vous rapporte beaucoup ?

— Je ne suis pas mécontent. J’ai pu mettre mes filles au couvent et mon fils au collège, et ça me rapporte, tout compris, une quarantaine de mille francs par an.

— Mais savez-vous que vous êtes un simple bandit, et que j’ai bien envie de vous faire arrêter.

— J’ai votre parole. J’ai choisi l’une des trois alternatives que vous m’avez proposées vous-mêmes.

— C’est vrai.

— Et puis, soyez juste, avouez que je vous ai initié à ce métier que vous ignoriez et que vous avez oublié dans votre volume sur les Industries nationales et enfin reconnaissez que j’ai bien documenté le romancier ! Maintenant permettez-moi de prendre congé de vous et soyez tranquille. Grâce à moi, votre appartement ne sera jamais cambriolé,.

— Vos amis feraient flanelle, je suis trop pauvre.

— Je le sais.

Et l’homme disparut comme une ombre.

Le lendemain, j’appris qu’il avait quitté Aix par le premier train, et moi-même j’allais rêver de cette extraordinaire aventure aux Charmettes, dans la posthume et plus honnête société de Jean-Jacques et de Madame de Warrens.

Et maintenant, si vous voulez une moralité, je vais vous en donner deux :

Primo, c’est qu’il faut se garder des liaisons dangereuses et secondo, que l’on s’instruit toujours en voyageant !