Les modes d’autrefois

De leur influence sur la langue. Habitude de l’œil.

La femme est toujours belle.

Touchants souvenirs d’antan.

Je ne veux pas, mes chères lectrices, vous faire un cours complet de modes féminines depuis les Égyptiens, encore moins depuis les Grecs et les Romains et vous entretenir du peplum ou du cothurne, relégué depuis longtemps dans les accessoires des théâtres de sous-préfecture.

Je passerai également sous silence, le pourpoint, la fraise, la fameuse fraise godronnée, espèce de collerette à gros tuyaux, qui faisait fureur en France vers 1540 à 1541, si je ne m’abuse, les grègues — à la grecque comme disaient les Italiens : grechesco, — les hauts-de-chausses qui n’étaient pas dédaignés par les jolies châtelaines et nobles damoiselles qui allaient à la chasse, devançant ainsi nos audacieuses bicyclistes.

C’est à peine si je m’arrêterai un instant, en passant, au célèbre vertugadin qui rimait si bien avec galantin et qui avait fait la joie et l’ornement de nos arrière-grand’mères.

Il y a beaucoup de braves gens qui se figurent que ce mot est une corruption de gardien de la vertu, — en forme d’élision et renversée — c’est le cas de le dire ! C’est une grave erreur ; vertugadin vient de l’espagnol vertugado de verdugo qui veut dire baguette.

Le vertugadin fut donc bien l’ancêtre de la crinoline et lorsque, jeunes et jolies, nos arrière-grand’mères dansaient en vertugadin une sabotière rythmée par les sabots de Polichinelle, un menuet langoureux, précieux, mièvre, mais nonobstant plein de grâce, ou un passe-pied, dont le mouvement très vif piquait des roses incarnates à leurs joues et simplement incarnadines aux joues des anémiques, nos futurs arrière-grands-pères en perdaient la tête, devenaient subitement amoureux et ne tardaient pas à se marier…

Oui vraiment
De mon temps
Mes enfants
Tout était mieux qu’à présent !

Au lendemain de la guerre, voilà quelque trente ans, j’ai pu me croire un instant un de ces heureux danseurs du XVIIIe siècle, car nous avions fidèlement reconstitué toutes ces danses désuètes, une bande de jeunes gens et de jeunes filles chez la princesse de Ratazzi, ma vieille et excellente amie qui vient de mourir…

Non, mes chères lectrices, mon ambition est moins haute et je veux tout simplement, comme un bon bourgeois de la Grand’Ville, qui a le triste privilège de vieillir, vous rappeler les modes du commencement du dernier empire défunt, comme qui dirait quasiment de 1855 à 1860, 1865 si vous voulez et vous montrer ainsi comment les modes introduisent peu à peu des masses de mots nouveaux, qui font fureur pendant un temps et peu à peu aussi s’en vont disparaître mélancoliquement dans la hotte de ce terrible chiffonnier qui s’appelle le Temps !

Vieux galons, fleurs fanées,
Débris des folles journées,
À la hotte, à la hotte du chiffonnier !

C’est la vie ! la vie lamentable et triste pour ceux qui ne savent pas vieillir, charmante et tout imprégnée des doux parfums des chères disparues, à la simple évocation d’un mot, d’une étoffe pour qui sait se souvenir et garder pieusement au cœur le culte des amours défuntes !…

Avec ces mots imposés par la mode et disparus peu à peu, avec ces vocables de fanfreluches fanées, complètement oubliés de la contemporaine fashion, comme l’on disait autrefois, on ferait le plus curieux volume du monde, le plus charmant et le plus passionnant aussi, puisque l’on écrirait l’histoire de la femme, l’histoire des vêtements qui ont eu la joie, la volupté et l’honneur de vivre dans son intimité la plus secrète, par conséquent l’histoire de l’humanité tout entière !

Mais je m’arrête car je sens que cette vision et cette ambition tout à la fois me donneraient le vertige et que je ne serais pas de taille à entreprendre une pareille épopée, car décrire les oripeaux, les affutiaux, les toilettes et les ornements de la femme, n’est-ce pas encore écrire l’histoire des armes les plus redoutables de l’amour, tant il est vrai que le plus beau tableau ne peut jamais se passer de cadre ? — surtout en hiver murmure l’écho moqueur.

Oui, au commencement du second Empire toutes les femmes avaient dans leur corbeille de mariage un superbe châle des Indes. Rachel le portait divinement bien et il avantageait beaucoup, ce vêtement tragique, celles qui avaient le cou long. Si les jeunes bourgeoises cossues trouvaient le beau châle des Indes et la robe de soie noire, qui se tenait tout debout, dans leur corbeille, Jenny l’ouvrière et Mimi Pinson étaient toujours assurées d’y trouver au moins la robe de futaine et le modeste tartan. Les plus cossues, avaient même pour l’hiver une palatine en peau de lapin !

Puis au beau milieu de l’Empire, vers 1860, vint la mode obsédante et tyrannique des crinolines ; toutes les femmes, de tous les âges et de toutes les conditions en portaient. Pendant plusieurs Salons, les crinolines envahissaient les peintures officielles des Dubufe et des Bouguereau du moment.

En omnibus, elles étaient la terreur des voyageurs ; avec grâce, leurs propriétaires les ramenaient devant elles, mais crac, un cerceau d’acier se cassait et venait crever l’œil du voisin.

La crinoline provoquait même souvent des drames étranges et tout jeune, j’eus l’insigne honneur d’être témoin de plusieurs d’entre eux.

Un beau jour, comme nous revenions, mes parents, ma jeune sœur et moi de notre petite maison de campagne de Verneuil-sur-Seine, une femme superbe, avec une énorme crinoline, était arrêtée à la gare Saint-Lazare, fouillée et palpée par une matrone ad hoc ; on trouva attachés tout autour des cerceaux de la crinoline des bouteilles et des petits bocaux de cerises à l’eau-de-vie !

Elle était soupçonnée depuis longtemps et étant la femme d’un maire d’une des plus jolies villes de Seine-et-Oise, le dit maire était prié le lendemain de donner sa démission, sans préjudice des poursuites intentées contre son épouse.

Une autre fois, dans le Nord, une préfète allait être surprise avec son amant qui, heureusement, n’était qu’un petit gringalet. Elle bondit et, l’olibrius se cacha sous sa crinoline ; M. le Préfet n’y vit que du feu ! On s’amusait bien sous l’Empire !

L’usage du pantalon féminin était moins répandu qu’aujourd’hui et dans les escaliers des musées, des théâtres, partout, Titi et Gavroche, en vrais gamins de Paris, se mettaient toujours aux bons endroits, pour jeter un coup d’œil indiscret sur les dessous crinolinesques, si j’ose m’exprimer ainsi.

Ce qu’il y a d’amusant, c’est que l’œil y était fait, que l’on ne pouvait pas s’en passer et que si une femme s’était avisée de sortir dans la rue, sans crinoline, plate comme une limande, elle eût certainement provoqué un attroupement et eût passée pour une pauvre folle !

Oh ! puissance irrésistible de l’accoutumance de la vie, tyrannie inconsciente de l’habitude, vous n’avez jamais été si victorieusement démontrées que par la souveraineté toute puissante de la crinoline, pendant de longues années !

Combien elles étaient simples et jolies nos mères, nos tantes et nos petites cousines, il y a seulement quarante-cinq ans, par une claire matinée d’été, avec leur robe en jaconas, leur canezou en nankin, remplaçant la trop chaude finette, avec leurs mitaines en filoselle, leur léger mantelet de soie, recouvrant la collerette blanche en broderie anglaise faite par l’aïeule…

Arrivé à la campagne, on quittait le canotier ou la capote pour arborer la capeline, le vaste cabriolet en indienne légère monté sur une armature de fils de fer et les jeunes minois chiffonnés, perdus sous ce monument, comme une tête hiératique de moine sous sa cagoule relevée dans les tombeaux royaux de Notre-Dame-de-Brou, hors les Murs, apparaissaient dans une pénombre provocante et souvent coiffés à la chien, suivant une impériale et impérieuse mode, importée d’Espagne.

C’était le bon temps des petits balais de l’Alsacienne, des grisettes qui ne rêvaient encore qu’à la classique armoire à glace en acajou, en lisant les romans de Paul de Kock.

Aujourd’hui les robes de futaine et de jaconas ont disparu et l’on vous traite de vieux fourneau, si l’on a encore la naïveté de s’attendrir au souvenir de Murger.

Toutes ces dames sont chauffeuses, avec des lunettes et un accoutrement de scaphandrière — permettez-moi ce néologisme — amphibie !

C’est le progrès. Je n’y contredis point, car je suis toujours pour le progrès, mais, ça ne m’empêche pas d’aimer parfois à m’attarder un instant aux souvenirs attendris du passé.

Il y a là comme un regret mélancolique de votre jeunesse disparue, comme un hommage rendu à ceux qui ne sont plus et pour moi les fanfreluches d’antan ont cette puissance évocatrice et fleurant encore la douce et troublante odeur d’iris des armoires ancestrales…

… Et maintenant allons prendre le métropolitain !