Une révolution agricole

La question des engrais. — Une solution pratique.

J’ai la modeste prétention de connaître la France à peu près sous toutes ses formes et de l’avoir parcourue dans tous les sens ; partout j’entends gémir les paysans. Souvent ils ont raison, plus souvent ils ont tort, parce qu’ils sont routiniers et s’entêtent à refuser tout progrès.

L’argent leur manquait ; on commence à entrer dans la voix féconde du crédit et c’est parfait, mais ce n’est pas assez, car il ne faut pas perdre de vue qu’il reste encore la grosse question des engrais à résoudre. Tout le monde sait que la terre est une bonne mètre nourricière, mais à la condition d’être bien nourrie elle-même ; or, sa nourriture, à elle, c’est l’engrais, c’est-à-dire le vulgaire fumier, pour l’appeler par son nom.

Je sais bien que la chimie a fait de grands progrès en ces dernières années, mais le plus souvent les engrais chimiques sont falsifiés et ne représentent qu’un peu de sable et toujours ils coûtent cher.

Maintenant si l’on ne cultive plus le colza qui épuisait la terre, on fait en grand de la betterave qui l’épuise presqu’autant et, quelle que soit la plante cultivée, il faut toujours du fumier, beaucoup de fumier ; il n’y a pas à sortir de là si l’on veut vraiment faire produire beaucoup à la terre.

C’est cet ensemble de faits et de circonstances qui m’ont, depuis longtemps, incité à trouver une solution pratique que je crois avoir enfin trouvée et que je viens exposer ici modestement à mes lecteurs.

En effet, le problème se pose ainsi : l’agriculture a besoin de beaucoup d’engrais ; cependant elle en manque et il s’agit de lui en fournir beaucoup, de bonne qualité et à bon marché. Comment s’y prendre ?

À cela je réponds hardiment : C’est bien simple et je vais vous indiquer le moyen de vous en procurer beaucoup, de première marque et absolument pour rien.

Suivez bien ma démonstration. Quiconque connait nos belles routes de France a été frappé de la quantité énorme de fumier : crottin de cheval, bouse de vache, crotte de mouton, etc., qui les souillent, les maculent et les salissent en pure perte.

Non seulement ça donne un travail de tous les diables à nos pauvres cantonniers, mais encore c’est du beau et excellent fumier absolument perdu pour l’agriculture.

IL y a bien des ramasseurs de crottin — même derrière celui des chevaux de bois — mais c’est un métier improductif de fainéant.

Ce n’est pas tout, quand les animaux sont rendus dans les prairies où les champs il y a cent chances contre une qu’ils ne répartissent pas intelligemment leurs sous-produits fécondants, s’il m’est permis de m’exprimer ainsi.

C’est alors que j’interviens avec mon nouveau système, aussi simple que pratique. Moi, propriétaire, cultivateur, paysan, fermier, métayer, homme de la terre comme vous voudrez, j’attache un petit panier ad hoc au derrière de mes vaches, bœufs, veaux, chevaux, ânes, mulets, moutons, chèvres, etc., et le soir, quand tous mes animaux rentreront au bercail, c’est-à-dire à l’écurie, à l’étable, à la ferme, je les fais défiler un à un et avec un système de bascule, je fais vider le panier sur un tas de fumier et de la sorte rien n’est perdu.

Ça n’a l’air de rien, c’est simplement le salut de l’agriculture nationale que je propose là, avec mon petit panier récepteur, propre et discret.

Prenez tous les paysans de tous les villages de France et comptez toutes leurs têtes de bétail à quatre pattes seulement et vous arriverez bien vite à cette conclusion que l’on retrouverait ainsi des centaines de millions de mètres cubes d’engrais de première qualité par an, pour ne pas dire plus.

Voilà la solution du problème et je crois que, de la sorte, je puis dire que je vais sauver l’agriculture française. Et puis ce n’est pas tout, la seule confection de millions de petits paniers, de diverses pointures bien entendu, pour derrières de quadrupèdes va donner une grande activité au commerce si intéressant de la vannerie et j’aime à croire que de ce côté-là encore je serai béni.

Je n’ai pas l’intention de prendre de brevet, mais j’ai déjà fait fabriquer un certain nombre de ces petits paniers-récepteurs modelés sur les formes postérieures mêmes des vaches, chevaux, moutons, etc., et, à titre de modèles, je suis disposé à les prêter aux agriculteurs, fermiers et paysans sérieux qui m’en feront la demande par écrit, avec attestation de leur maire !