Coiffeurs pour dames

Un bien joli métier au quartier Bréda. — Les petits profits. — Curieuses révélations.

Dans mon gros volume sur les Industries nationales, j’en ai oublié une qui est cependant des plus curieuses et des plus florissantes, je veux dire la charmante et très séduisante industrie des coiffeurs pour dames.

Elle est surtout florissante au quartier Bréda, dans ce vieux quartier qui escalade la sacrée butte Montmartre et qui était si à la mode du temps de Murger, de Gérard de Nerval, de Paul de Kock, de Louis Lurine et de bien d’autres esprits charmants de cette époque, déjà lointaine, à commencer par le plus grand de tous, par Alfred de Musset. Il était même si à la mode, ce quartier des lorettes, dans la première moitié du siècle dernier, qu’il donna le nom de ses petites femmes à l’église de l’endroit et à la rue Notre-Dame de Lorette !

C’est encore à cette époque que tous les jeunes financiers désiraient une chaumière et un cœur un peu plus bas, à la chaussée d’Antin !

Cependant, montez encore la rue Notre-Dame de Lorette, faites le tour de la place Vintimille, où rêve la grande image de Berlioz à la Damnation de Faust et des pauvres hommes, flânez le long de la rue Bréda ou dans les rues adjacentes, avant dîner, avant l’heure de l’apéritif, alors qu’en hiver le Moulin-Rouge a déjà allumé ses bras fantastiques aux lueurs sanglantes, et si la buée n’est pas trop épaisse aux vitres, buée de vapeur d’eau et de fumée de cigarettes, jetez un coup d’œil indiscret à travers les fentes des brise-bise des boutiques de coiffeurs pour dames, et vous assisterez à un spectacle qui n’est vraiment pas banal.

Dans la première pièce et dans le salon du fond, une quinzaine de dames en cheveux, dans un agréable déshabillé, surtout en été, sont assises devant les glaces, livrant docilement leur tête la plupart du temps, flavescentes, aux peignes et fers savants des jeunes artistes capillaires, tandis que d’autres, attendent leur tour en fumant des cigarettes et en jacassant comme des pies borgnes ou simplement comme des femmes, ce qui est amplement suffisant.

À volonté, l’artiste fait à ces dames une tête de Japonaise avec de grosses coques pour les brunes, de Mimi Pinson avec des boucles folles pour les blondes, ou simplement une coiffure à l’Andalouse, à l’Italienne, à la chien, à l’Impératrice, etc., suivant la figure de la jeune enfant et de l’argent qu’elle veut dépenser — je dis la jeune enfant, parce que, pour moi, par galanterie, une femme est toujours jeune, même quand elle a passé dans la vieille garde depuis pas mal de lustres.

C’est là, dans ces officines de coiffeurs pour dames entre chien et loup, oui, mon petit chat, que — réparant des ans l’irréparable outrage — on astique, on répare et l’on donne le coup de flon à tous ces visages pâles avant la grande bataille du soir, la bataille pour l’absinthe et le pain quotidien qui va se livrer aux Folies-Bergère, au Moulin Rouge ou au Casino de Paris, où a lieu la traite volontaire des blanches à prix librement débattus…

Mais pendant que travaillent les artistes capillaires, ceux que l’on appelle bien à tort des merlans, car ces dames ne passent pas toute leur vie au milieu des poissons, les potins du quartier vont leur train, et en été dans les grandes chaleurs, lorsque le peignoir est forcément ouvert pour se donner un peu d’air, ces heureux mortels peuvent exercer à loisir pendant une demi-heure leur métier de plongeurs et poursuivre à fond leurs études sur les secrets les plus mystérieux de la géographie féminine…

Quel joli métier et si facile ! Et l’habile topographe, après avoir relevé le relief des monts, constate trop souvent des affaissements de terrain vraiment inquiétants !…

En général, ces dames ont toujours le même garçon coiffeur attitré et fatalement une certaine intimité finit par s’établir entre eux, une intimité de bons camarades qui n’inspire pas le dégoût du michet ou bien la terreur du chevalier de l’aquarium.

Si la dame est en fonds, le dimanche matin, elle se fait coiffer chez elle, à domicile, avant d’aller au Bois ou ailleurs, et c’est là où le plus souvent, l’artiste, s’il est un peu débrouillard, reçoit la juste récompense de ses bons et loyaux services. On dira au patron que l’on est resté une demi-heure de plus à table, ce qui paraît toujours invraisemblable dans la jeunesse, et le tour sera joué.

En été, il y a des équipes entières de jeunes artistes en cheveux qui suivent les demi-mondaines aux villes d’eaux célèbres, à Trouville, ou ailleurs, moitié par appât du lucre, moitié par affinités, par habitude et alors les coiffeurs pour dames du quartier Bréda ouvrent des succursales en face de l’Océan perfide comme le cœur d’une jolie femme.

Il y a bien aussi des coiffeurs pour dames du même genre au Quartier Latin, dans les environs de la rue Cujas ou de la rue Monge, par exemple, mais alors comme le fameux Bibi, c’est beaucoup plus purée et, par respect pour mes lecteurs, je ne veux pas m’attarder à leur inutile description.

Non, c’est par une belle après-midi de printemps, avant dîner qu’il faut aller contempler une de ces jolies boutiques de coiffeurs pour dames du quartier de Notre-Dame-de-Lorette et de la Galette, dans cette atmosphère surchauffée de buées et de cigarettes, les femmes apparaissent là comme des fleurs épanouies sous la main experte et frôleuse des artistes.

Je sais plus d’un gommeux, plus d’un jeune homme de bonne famille, très titré, aux quartiers aussi authentiques et même plus que celui de Bréda, qui ont appris le métier et se sont enrôlés chez des coiffeurs renommés de l’endroit, tout exprès pour poursuivre de plus près leurs études de géographie et de psychologie féminine et qui ne regrettaient pas d’avoir embrassé temporairement la profession.

Pensez donc, un si joli métier, et si facile !

Il y a encore bien des jolies filles dans Paris, la Grand’Ville ; c’est pourquoi j’ai tenu à parler ici de cette noble et séduisante profession de coiffeurs pour dames à Cythère !