Pour lire en bateau-moucheÉditions Berger-Levrault (p. i-x).

Préface


Dans la préface de mon premier volume de la série, Pour lire en Automobile, j’ai expliqué tout au long comment, suivant la méthode scientifique moderne et un procédé nouveau que je m’efforce d’appliquer aussi clairement que possible, j’avais résolu de consacrer un certain nombre de volumes à la vulgarisation de la philosophie et de la morale, suivant les formules contemporaines qui veulent tout à la fois de la gaité et de la précision scientifique, tout en rejetant avec un soin jaloux le vieux dogmatisme d’antan. Après le succès de mon premier volume, je suis autorisé à croire que je suis dans la vérité ; c’est dire que plus que jamais aussi je suis résolu à persévérer dans cette voie.

Si le vieux proverbe latin, le castigat ridendo mores est toujours vrai, c’est bien en ce moment, et je ne sais pourquoi celui qui écrit des nouvelles n’aurait pas le droit de le revendiquer aussi bien que celui qui écrit des pièces de théâtre ?

Et puis, à tout prendre, qui oserait nier que tous les écrivains vraiment dignes de ce nom doivent posséder à un titre égal et le droit, et je dirai surtout le devoir d’exercer leur rôle bienfaisant d’éducateurs ?

Or, si ma méthode pédagogique, dans le domaine pur des lettres, me paraît bonne, je ne me reconnais plus le droit d’en employer une autre.

Beaucoup de lectrices ont bien voulu me dire qu’elles avaient relu plusieurs fois Pour lire en Automobile, parce que cela les avait beaucoup amusées.

Elles ont donc appris et retenu quelque chose ; c’est le seul but que je poursuivais, et je n’ai plus qu’à continuer, comme disait un vieux maréchal célèbre de mes amis.

Donc aujourd’hui, j’offre au public le second volume de la série : Pour lire en Bateau-Mouche — Nouvelles surprenantes.

Pour lire en Automobile ne renfermait que des nouvelles fantastiques, d’où son titre ; dans le présent volume, il n’y a plus que des nouvelles surprenantes, d’où son vocable un peu plus doux.

Ce n’est pas là certes du symbolisme dont j’ai l’horreur, mais simplement l’enseigne nécessaire à la porte de ma boutique pour bien indiquer à mes lectrices quelle espèce de denrées littéraires je vais leur offrir ! Si mes forces ne me trahissent pas, je compte le plus tôt possible compléter la série qui sera de six volumes, de manière à passer en revue, sinon tous, du moins les problèmes les plus intéressants de la philosophie scientifique et expérimentale, de la morale et de la sociologie contemporaine.

Et sans vouloir prétendre, comme Balzac ou Zola, dresser tout un vaste plan de travail à l’avance, je puis déjà, dès maintenant, indiquer que si Pour lire en Automobile comprenait comme sous-titres et grandes divisions : La Vie, la Mort, le Fluide mystérieux et les Applications scientifiques, de même que celui-ci ne possède que deux divisions : Nouvelles surprenantes et Quelques jolis Métiers, le prochain volume, troisième de la série, Pour lire en Ballon, comprendra également deux grandes divisions : Nos Frères inférieurs et Les Maladies pour rire.

Puis, plus tard, viendront les trois derniers volumes :

Pour lire en Traîneau ;

Pour lire en Sous-Marin ;

et

Pour lire en Palanquin, juste hommage rendu à l’Asie, de manière à indiquer qu’au fur et à mesure, mes nouvelles deviendront plus douces, plus fermement littéraires, plus berceuses, abandonnant ainsi les luttes ardentes du Forum pour ne plus s’attarder qu’aux aimables discussions, dont les lettres et les arts font seuls les frais.

Et d’ailleurs, n’est-ce pas toujours dans l’ordre même de la vie que le crépuscule doit être plus estompé, plus calme et moins criard que l’aurore qui donne les espérances aux êtres, ivres de soleil, de lumière et d’amour ?

Pour ce qui est de ces trois derniers volumes, le lecteur ne trouvera pas mauvais que je n’en indique point encore de suite les sous-titres et les divisions probables. Je sais bien ce que je veux dire ; mais rien aujourd’hui n’est mouvant comme la pensée humaine, et j’ai la légitime ambition de l’offrir à mes lecteurs, non pas figée, mais encore toute pantelante des heurts de toutes les passions, de toutes les sensations et de toutes les voluptés contemporaines.

Un septième volume, cependant, suivra, en dehors de la série, mais s’y rattachant, comme un tirailleur qui va battre les buissons en indépendant, suivant les caprices de sa fantaisie, du moment. Il sera intitulé :

De Paris aux Baléares,

et, comme sous-titres : De Paris à Palma par Barcelone, Trois mois aux Pyrénées.

Et après ? direz-vous.

Après, nous verrons, d’autant plus que ce ne sont là que d’aimables délassements qui ne me font pas oublier mes travaux de politique coloniale, plus sérieux, du moins peut-être d’une utilité pratique plus immédiate et que je n’ai pas le droit d’abandonner, précisément parce que je crois toujours au rôle vraiment éducateur de l’écrivain, — pas plus que je n’ai le droit de déserter la lutte contre la superstition et la réaction, tant qu’une femme sera encore la victime de la première, tant que la nation ne sera pas débarrassée entièrement de la seconde, tant enfin que la plume ne me sera pas tombée des mains.

— Mais je vois ce que c’est, disait un jour, moitié souriant, moitié sérieux, un vieil érudit de mes amis, mort depuis, vous voulez devenir polygraphe.

— Ah ! pour ça, non, par exemple, et, dans la diversité des sujets forcément traités, ceux qui me font l’honneur de suivre mes travaux, mes campagnes de presse qui, depuis trente-cinq ans, ont entassé certainement des centaines de volumes, et de relire mes ouvrages, me rendront certainement cette justice que je n’ai jamais poursuivi qu’un but : l’émancipation de l’esprit humain par la science.

Voilà pourquoi je veux arracher la femme et l’enfant aux théories dissolvantes et absurdes des prêtres et mon pays aux griffes d’une réaction sans cesse renaissante, parce qu’elle n’est elle-même que l’insaisissable Protée du cléricalisme…

Ai-je réussi dans ma tâche, dans cette tâche qui m’absorbe et m’étreint depuis la guerre, que je poursuis inlassablement, sans une minute de repos, si ce n’est l’obligatoire repos de la maladie ? C’est au lecteur de répondre, mais si j’ai apporté un peu de lumière, un peu du désir auguste de savoir dans l’esprit de ceux qui me suivent et si j’ai détruit quelques superstitions surannées et quelques croyances toujours criminelles et dangereuses, parce que fausses et mensongères, j’estime que je n’aurai perdu ni mon temps ni ma vie, et ce sera pour la plus douce des récompenses que puisse ambitionner un penseur sincère, un savant probe et un homme de lettres désintéressé.

Mais si je récuse énergiquement le qualificatif de polygraphe, vraiment trop difficile à justifier, je ne veux pas davantage être traité de prophète, surtout dans mon pays, ce qui serait d’ailleurs, un rêve impossible, et cependant, souvent, aux yeux du vulgaire qui ne sait pas rechercher le pourquoi des choses, j’y aurais peut-être plus de titres.

C’est ainsi que bien souvent, en écrivant mes nouvelles les plus fantastiques ou les plus surprenantes, je me faisais à moi-même la gageure de la rendre aussi invraisemblable, aussi extra-normale que possible, et c’est ainsi que, neuf fois sur dix, l’idée, le projet énoncés se trouvaient réalisés dans le courant de l’année qui suivait sa publication dans la presse.

Le fait est tellement frappant et tellement curieux, que j’ai du en donner quelques exemples dans des notes qui rallongent singulièrement certaines de mes nouvelles. mais leur donnent ainsi, il me semble, toute leur valeur.

J’aurais pu le faire pour presque toutes ; je n’ai voulu le faire que pour quelques unes, me confiant pour les autres à l’impartialité et aux souvenirs de mes lecteurs, pour me conserver mes droits d’antériorité morale, quand il y a lieu.

Est-ce à dire que je suis un excellent professeur qui ait provoqué toutes les inventions, applications ou découvertes ?

Souvent certes, je veux bien le reconnaitre sans fausse modestie, mais pas toujours.

Est-ce à dire que j’ai un don quelconque de divination ?

Encore moins, et ce sont là mauvaises plaisanteries de réactionnaires auxquelles je ne crois pas ; non, je n’ai aucun don de divination et je ne veux même pas que l’on puisse supposer un instant que je possède ce flair qui a honoré si particulièrement certaines armes d’élite !

J’ai simplement la conviction que je suis au courant de tous les progrès, de tous les mouvements scientifiques de mon temps, aussi bien que de tous les besoins matériels et moraux de mes contemporains. Dans ces conditions, ce n’est plus qu’un jeu d’enfant de penser, de voir et d’écrire que tel progrès de la science produira fatalement telle application, telle découverte, en raison même des besoins économiques du moment.

Or, comme la science est la seule grande moralisatrice de l’humanité, non seulement parce qu’elle est la vérité, mais encore parce qu’elle est vraiment la dispensatrice de la justice et de l’égalité sur la terre, il n’est pas difficile d’en conclure que tout naturellement et comme à mon insu, je fais de la philosophie et de la morale appliquée par un procédé nouveau, si l’on veut, mais scientifiquement vrai.

Si je lui ai donné une forme accessible et vivante, à ce procédé, pour arriver plus sûrement à vulgariser mes idées, que le dernier des pharisiens de la philosophie, aussi officielle qu’éclectique, me jette la première pierre ; j’espére bien avoir toutes mes lectrices que j’ai pu parfois amuser ou intéresser cinq minutes, pour me défendre !

Paul VIBERT.