Pour lire en automobile/Comme quoi la planète Mars est habitée/02

II

Nouvelles démonstrations. — Même origine de langage que sur la Terre — Preuves certaines

Inutile de dire que les membres de la petite troupe, malgré leur flegme de savants russes, attendirent avec une impatience fébrile pendant les mois qui suivirent, les yeux toujours braqués pendant les nuits cruellement rudes et froides du Pamyr, sur la Lybie, sur la fameuse province astrale des grands canaux de Mars.

On avait beau se livrer à toutes sortes de sports, de lectures et de travaux et remettre au net des calculs astronomiques qui demandaient dix ans de labeur, l’attente n’en fut pas moins pénible.

Toute la question était de savoir si les habitants de Mars — car pour eux il n’était point douteux que Mars fut habité — avaient vu et lu et compris le mot lancé à travers l’espace sous forme lumineuse.

Et alors trois hypothèses, en admettant qu’ils aient lu et compris, se présentaient à l’esprit perplexe des savants russes :

Ou ils avaient déjà essayé d’envoyer eux-mêmes des signaux et ils allaient pouvoir recommencer presque sur l’heure, en quelques jours.

Ou ils allaient simplement faire quelques grands travaux de terrassement, comme nous, et alors il ne fallait pas s’attendre à recevoir une réponse avant six grands mois.

Cependant certains opinaient pour un temps moins long et faisaient remarquer fort judicieusement que l’on devait se trouver en face d’hommes très avancés, très civilisés, possédant des moyens d’exécution puissants, comme semblaient l’attester leurs canaux géants et qu’ainsi en pouvait espérer avoir une réponse dans un laps de temps moins long.

Le temps se passait ainsi dans l’attente fiévreuse, au milieu de jours qui se traînaient lamentablement. Enfin ce furent les derniers qui eurent raison ; quatre mois après, presque nuit pour nuit — ô prodige vraiment merveilleux et surhumain ! — les habitants de Mars envoyèrent une réponse. Mais procédons par ordre et ne nous laissons pas troubler par l’émotion profonde qui nous étreint encore à la gorge en écrivant ces lignes.

Donc, par une belle nuit, on commença à distinguer vaguement, puis nettement, une lueur rousse, puis un grand incendie à la surface de Mars.

Tous les télescopes étaient braqués comme s’ils eussent voulu violer le ciel. La minute était solennelle et inoubliable ; enfin un astronome s’écria tout à coup :

— C’est bien dans la province des grands canaux, c’est bien en Lybie.

Petit à petit, la lumière se précisa, et nos savants plus morts que vifs, ne sentant plus battre leur cœur purent nettement distinguer et voir à la surface de Mars des signes qu’ils s’empressèrent de copier.

Et ce fut tout, et, la nuit suivante, plus rien. Comme personne ne comprenait, on adressa les signes mystérieux à l’Académie des Lettres de Saint-Pétersbourg qui à son tour, s’empressa de les envoyer à toutes les Académies d’Europe et ce fut notre Académie des Inscriptions et Belles-Lettres qui eut le grand honneur de donner la clef et de traduire ces quatre signes jusqu’alors mystérieux et indéchiffrables.

Un de ses membres, un savant distingué, fit remarquer fort judicieusement qu’il s’agissait là tout simplement de mots hébreux dont on avait supprimé les accents, les signes diacritiques, comme dans l’hébreu primitif.

Ces signes voulaient dire :

HÊU, HÊU — הֵן הֵן
KHÈU, KHÈU — כֵן כֵן

c’est-à-dire : merci, merci, ou : grâce ! grâce ![1]

Ce qui veut dire que les Martiens nous remercient et nous souhaitent la bienvenue et enfin : oui, oui, ou, si vous voulez le mot à mot : C’est ainsi ! c’est ainsi ! ce qui, dans leur esprit, doit signifier :

— Nous sommes des hommes comme vous et Mars est habitée comme la Terre !

La conversation continua ainsi pendant près de deux ans et pour aller plus vite, les astronomes russes s’étaient mis à converser sur le sable en hébreu, les mots étant moins longs qu’en français.

C’est ainsi qu’ils demandèrent aux Martiens s’ils savaient la Terre habitée depuis longtemps et qu’ils répondirent toujours au bout de quatre mois environ :

Lô — לא — non pas !

Toujours également, en ne tenant pas compte du signe diacritique qui doit se trouver en tête de la première lettre.

Et comme on leur demandait, s’ils se battaient et faisaient la guerre, très sagement, ils répondirent :

Schalôm — שָלוֹם — c’est à-dire : Paix ! Salut ! donnant ainsi une grande leçon de civilisation et d’humanité aux hommes encore inférieurs et à demi sauvages de la Terre !

La place me manque pour rapporter ici toute la conversation — lumineuse, c’est le cas de le dire — échangée entre les savants astronomes de la Terre et de Mars, mais je veux en retirer cependant les deux grands résultats obtenus d’une manière si éclatante :

1° Que Mars est habitée comme la Terre.

2° Que l’on y parle une langue qui est à peu près de l’hébreu et que par conséquent l’unité des langues, comme origine, existe non seulement sur la Terre, comme mon père l’a péremptoirement et victorieusement démontré dans ses ouvrages, mais probablement aussi à la surface de tous les astres habités.

Ça ne fait rien ; avouez que la science donne de bien douces jouissances à ceux qui se livrent à elle sans arrière pensée.

À quand un mariage entre un habitant de la Terre et une jolie Marsienne, grâce à l’entremise d’un courant électrique ?

Il ne faut jamais désespérer de rien et dans le chapitre suivant je dirai comment, moi qui vous parle, Je possède une fort jolie photographie, à coup sûr fort ressemblante, d’une jeune et charmante Marsienne !



  1. Les caractères étrangers de ce volume ont été prêtés par l’Imprimerie Nationale.