Pour le Comte de Charny

Œuvres poétiques de Malherbe, Texte établi par Prosper BlanchemainE. Flammarion (Librairie des Bibliophiles) (p. 179-180).


XXXII

[POUR LE COMTE DE CHARNY]

1619


En fin ma patience et les soins que j’ay pris
Ont, selon mes souhaits, adoucy les esprits
Dont l’injuste rigueur si longtemps m’a lait plaindre.
Cessons de soupirer :
Graces à mon destin, je n’ay plus rien à craindre
Et puis tout esperer.

Soit qu’estant le soleil dont je suis enflammé,
Le plus aimable objet qui jamais fut aimé,
On ne m’ait peu nier qu’il ne fust adorable,
Soit que d’un oppressé
Le droit bien recognu soit tousjours favorable,
Les dieux m’ont exaucé.

N’agueres que j’oyois la tempeste soufler,
Que je voyois la vague en montagne s’enfler,

Et Neptune à mes cris faire la sourde oreille,
A peu prés englouty,
Eussé-je osé pretendre à Pheureuse merveille
D’en estre garanty ?
 
Contre mon jugement les orages cessez
Ont des calmes si doux en leur place laissez
Qu’aujourd’huy
ma fortune a l’empire de Ponde ;
Et je vois sur le bort
Un ange, dont la grâce est la gloire du monde,
Qui m’asseure du port.

Certes c’est laschement qu’un tas de médisans,
Imputans à l’Amour qu’il abuse nos ans,
De frivoles soupçons nos courages étonnent ;
Tous ceux à qui déplaist
L’agreable tourment que ses flammes nous donnent
Ne sçavent ce qu’il est.

S’il a de Pamertume à son commencement,
Pourveu qu’à mon exemple on souffre doucement,
Et qu’aux appas du change une ame ne s’envole,
On se peut asseurer
Qu’il est maistre équitable, et qu’en fin il console
Ceux qu’il a fait pleurer.