L’Évangéline (p. 46-51).


L’ami… de chacun, l’ami de chaque jour.



Qui ne connaît Pierre l’Ermite ? Or cet écrivain d’une verve incomparable a écrit, il y a quelques années, un joli petit livre intitulé la Grande Amie. Les jeunes gens de là-bas, croyant y flairer un roman d’amour, s’empressèrent de l’acheter et de le lire, naturellement.

Mais quelle ne fut pas leur surprise ! Au lieu de les précipiter, tête baissée, dans les abîmes du mariage par où d’ordinaire tout bon roman se termine, le livre de Pierre l’Ermite les jeta tout bêtement sur… la terre.

La Grande Amie, mais c’était ça : la terre.

L’Ami que je vous présente n’est ni grand ni petit. Il n’est pas moins intéressant pour cela. Toutefois, disons sans plus tarder, pour prévenir tout engouement indu ou toute déception d’amour, que l’Ami dont je parle ici n’est pas plus pour les jeunes filles d’aujourd’hui que la Grande Amie de Pierre l’Ermite ne l’était pour les jeunes gens d’alors, dans le sens, du moins, qu’ils l’entendaient de prime abord…

Si cela n’est pas suffisant, j’ajouterai que l’Ami a cessé d’exister depuis longtemps. Voici en deux mots sa biographie :

L’Ami vit le jour, un beau matin de printemps de l’année 19…, dans le grenier d’un presbytère, non loin de chez nous. À la nouvelle de son apparition, le monde qui l’entourait alors s’en émut quelque peu. On fit du bruit aux environs et même, disons le franchement, il y eut quelques méchantes langues qui jasèrent. Vous avouerez qu’il y avait de quoi ! La chose était si nouvelle, et puis, dans une pareille maison !!

Mais on se tut bien vite, et tout rentra dans le calme quand on apprit que le nouveau-né s’appelait l’Ami et qu’il n’était pas un chou, mais simplement une feuille, un gentil petit journal en miniature, un bulletin paroissial enfin…

Se rendre utile, telle fut sa devise. Tous les mois, régulièrement, il venait frapper discrètement à la porte de ses abonnés. Il leur apportait les nouvelles de plusieurs paroisses et de presque tout un comté. Il louait la vertu et le devoir : il flagellait le vice et les travers ; il relevait les énergies et soutenait les faibles, souriait sur les berceaux et pleurait sur les tombes…

Bref, c’était l’Ami de chacun et l’Ami de chaque Jour.

Pour toutes ces raisons, il fut encouragé, lu et choyé dans maints foyers. L’Autorité religieuse lui dit même, un bon jour  : Prospere, procede et regna.

Malgré tout cela, pourquoi n’exista-t-il qu’une année et nous força-t-il hélas ! à dire de lui ce que l’on dit des roses : il vécut l’espace d’un matin ?

Quelque modeste que fut ce petit journal, il mérite notre respect ; quelque courte que fut sa carrière, il a droit à notre souvenir, et, dans l’histoire de la presse française en Acadie, je me demande pourquoi l’Ami ne devrait pas avoir une toute petite mention honorable ?

Tel est le premier but que je me suis proposé en le faisant revivre ; le second, non moins pratique, vous me le permettrez, est de jeter l’idée d’un autre Ami, de plusieurs Amis même qui viendraient continuer ce genre d’apostolat dans nos foyers et nos paroisses acadiennes.

Un bulletin paroissial donc, avec une longue vie surtout, est la grâce que je vous souhaite, peu importe où il verra le jour, au risque même de faire parler les mauvaises langues.

« Il faut exalter la paroisse.

Il faut en donner la fierté à nos ouailles… Ayez un bulletin où vous raconterez l’histoire de votre paroisse, son avenir et tout ce qui l’intéresse.

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Paroisse bâtie amoureusement par les vieux. Je t’aime pour tout ce que tu me rappelles !

Paroisse, je t’aime pour toute la force, pour toute la poésie que tu mets dans ma vie !

Paroisse, je t’aime pour l’espoir enclos en ton reliquaire de pierre !

Paroisse, tu seras ma dernière étape avant la grande !

Et quand Dieu me demandera : D’où es-tu ? je prononcerai ton nom avec tendresse et avec fierté, je le dirai, je le jetterai bien fort, comme un mot d’ordre, afin qu’on l’entende. Et tous ceux que j’y aurai nommés, dans cette paroisse, accourront à ma rencontre, et ils m’aideront à passer dans la paroisse définitive.

Je les ai gardés dans le temps. Ils me garderont dans l’éternité. »[1]

  1. Pierre l’Ermite. D’où viens-tu ?