L’Évangéline (p. 26-29).


Un bout de politique.



L’affaire se passait dans une petite paroisse coquette et belle, sise sur les rives enchanteresses de la Baie des Chaleurs, par une de ces belles journées de septembre. On célébrait, ce jour-là, avec force démonstrations, une fête d’Artisans, qui revêtait un peu le cachet de nos fêtes nationales de l’Assomption. Nombreux étaient les orateurs.

La grande question du moment, la conscription, — puisqu’il faut l’appeler par son nom, — inquiétait fort les esprits.

Un orateur se leva et dit :

« Mesdames et Messieurs,

Pour me servir d’un terme parlementaire, je regrette de différer d’opinion avec certains de mes honorables collègues. La conscription n’est pas chose aussi mauvaise qu’on le pense. Moi, je suis en sa faveur. (Mouvements de malaise en arrière.) Oui, avec bien d’autres, je suis pour la conscription entière, complète et universelle. (Scandale ! Honte ! en avant.) Ce que je reproche à Sir Robert, c’est plutôt de ne vouloir prendre que les jeunes gens de vingt ans et plus. (Mon Dieu ! est-ce possible ? crie tout haut une bonne vieille grand’mère.) Moi, je les enrôlerais dès l’Age de dix-sept et même de quinze ans. (Ah ! ben ça, c’est trop fort, par exemple.) Bien plus, lui ne veut enrôler que des hommes, moi, j’enrôlerais les femmes et les filles et… (Interruption forcée… Tumulte indescriptible dans l’assemblée. Petit à petit le calme se refait)…

J’enverrais, Mesdames et Messieurs, tout ce monde là, bel et bien… sur la bonne terre canadienne. » (Applaudissements prolongés.)

Des soupirs de soulagement, puis de francs éclats de rire, tels les rayons de soleil perçant les nuages après un gros orage de pluie et de tonnerre.

— Oui ! oui ! c’est ça, de cette conscription-là, nous en sommes. Envoyez fort !

Mais en avaient-ils eu une peur bleue, tout de même, ces braves Acadiens !

Oh ! la terre ! aujourd’hui plus que jamais, on en comprend toute la beauté, l’importance et la nécessité.

Dans le grand conflit mondial n’est-ce pas elle qui aura le dernier mot ? N’est-ce pas elle qui résoudra le problème le plus angoissant : la fin de tout ce cataclysme ?

C’est elle qui détient la destinée des nations. Et, comme quelqu’un le faisait si bien remarquer, les premiers qui boiront à la coupe amère de la défaite et qui demanderont, à genoux, la paix, seront ceux qui ne pourront plus fournir de vivres à leurs soldats exténués et à leur population civile affamée.

Pour terminer cette affreuse guerre, avec tout le monde, je crois au sang de la blessure et à l’eau du bénitier ; je crois au feu de l’artillerie et à la flamme du cierge ; je crois aux mains armées de fer et aux mains qui tiennent… les mancherons de la charrue.