L’Évangéline (p. 17-21).


L’éternelle routine.



Ça ne paye pas, le blé, par icite.

— C’est bien simple, c’est parce que vous ne savez pas le cultiver.

Le blé est la plus noble et la plus riche des céréales. Pour se développer, il demande une forte quantité d’azote. Or malheureusement notre sol en est dépourvu. Par ailleurs, nous savons que le bon Dieu en a enrichi l’air atmosphérique au 4/5. Pour résoudre le problème et mettre un peu d’équilibre, il n’y a qu’à enlever cet azote de l’air et à l’enfouir ensuite dans le sol. L’expérience nous démontre que la plupart des plantes fourragères, telles que le trèfle rouge, la luzerne et les plantes racines ont tout juste cette propriété spéciale d’absorber l’azote de l’air et de le restituer ensuite à la terre par les racines.

Avant donc de semer du blé, il faut préparer le terrain par la culture de plantes fourragères. Ce n’est pas plus malin que cela. Comprenez-vous ?

Mes auditeurs penchaient la tête.

C’était le cas de dire « qu’ils voyaient bien quelque chose, mais qu’ils ne distinguaient pas très bien. »

— Monsieur le Curé, dit l’un d’eux, je pense que pour dire la messe, confesser et prêcher, vous êtes meilleur que nous, mais pour récolter du blé… ça, par exemple, sauf respect, c’est plus dans notre ligne.

— Mais alors pourquoi n’en récoltez-vous pas ?

Ça ne paye pas par icite.

— Et pourquoi ça ne paye pas ?

— La terre est bonne à rien, le blé vient pas ou bien il rouille.

Et voilà l’éternelle routine, me dis-je, maladie anémique qui paralyse les meilleures énergies de nos classes rurales !

Contre la routine donc dressons toutes nos batteries et nos engins de guerre dans l’éducation des nôtres pour la cause de la terre.

La routine chez l’agriculteur est un peu comme la tiédeur chez le chrétien : un état d’âme difficile à guérir. Elle n’est pas sans remède toutefois.

L’étude sérieuse et raisonnée des nouvelles méthodes ?

Oui, mais voudront-ils seulement nous croire ? Les routiniers deviennent vite sceptiques. Pour ma part, je viens trop de le constater.

Le grand remède donc ? Tout simplement l’exemple.

Comme Diogène, cherchez un homme. Puis, que cet homme suive vos conseils, qu’il cultive, sous votre dictée.

— Oui, mais si cet homme ne peut se trouver ?

— En ce cas. Je dirai : faites la besogne vous-mêmes et essayez…

Alors devant les résultats, les routiniers seront-ils obligés de se rendre et constateront-ils enfin qu’après tout, ça paye, le blé

Si tu savais, liant ta gerbe
Superbe,
Lorsque tressaille de bonheur
Ton cœur.
Saisir le frisson de la terre
Où jadis moissonna ton père ;

C’est à genoux, ô paysan,
Qu’il faudrait saluer ton champ ;
Car la terre que ta main creuse
Fiévreuse,
C’est Dieu qui t’offre de sa main
Ton pain ![1]

  1. Chanson du paysan. Humbert.