Pour cause de fin de bail/Black and White

Pour cause de fin de bailÉdition de la Revue Blanche (p. 175-178).

BLACK AND WHITE

Mon Dieu ! qu’elle était jolie, la première fois que je la rencontrai dans je ne sais plus quelle rue des Batignolles !

Oh ! ses grands yeux d’un noir si profond !

Oh ! la copieuse torsade de sa chevelure d’un noir également si profond !

Oh ! sa toilette toute noire de grand, grand deuil !

Une supposition que cette jeune fille eût été négresse : alors, elle eût été toute noire, toute noire.

Heureusement que non.

Sa peau, au contraire — oh ! sa peau ! — était d’un blanc !…

Imaginez-vous du lait dans lequel, un tout petit moment, on aurait fait macérer un menu fragment d’ambre clair.

C’est ainsi qu’elle m’apparut, blanche et noire, évoquant l’idée d’une magnifique épreuve de gravure à l’eau-forte, due au burin de quelque maître génial et charmant.

Elle me plut beaucoup.

Je ne le lui envoyai point dire, et, peu de semaines après cette rencontre, je devenais l’heureux époux de celle que j’avais baptisée, déjà en l’ignorance provisoire de son état civil, miss Black-and-White.

Tout le temps que dura son deuil[1], ma vie s’étira en extase incessée.

Au bout de l’époque indiquée par le code des convenances, son grand deuil subit un déchet de cinquante pour cent.

(Je veux ainsi dire qu’elle prit le demi-deuil, et je ne suis pas fâché de protester, en passant, contre cette anomalie. On ne devrait, selon moi, porter le demi-deuil que pour les parents qui sont à moitié morts, ne vous semble-t-il pas ?)

Puis vint le jour où ce dernier demi-deuil tomba de lui-même.

Alors, ce fut l’innommable torture.

L’ex-miss Black-and-White révéla des goûts de la plus criarde polychromie.

Véritablement, certaines pièces de sa toilette se réclamaient de couleurs inconnues chez les pires aras des forêts brésiliennes.

Le tout assorti avec un parti pris d’inharmonie et de mauvais goût fort agressifs.

Mes observations, douces ou rageuses, obtinrent le même résultat, à savoir celui que récolterait un tout petit enfant décochant des chiquenaudes sur le pilier N.-O. de la Tour Eiffel.

Parfois, je m’indignais :

— C’est dégoûtant ! j’ai épousé une eau-forte et voici qu’aujourd’hui j’ai pour femme une image d’Épinal !

Mais ma petite compagne était butée.

— Je ne reprendrai du noir, se plaisait-elle à répéter, que le jour où je serai veuve.

J’eus la très forte envie de me tuer… pour voir.

Une courte réflexion me fit revenir à une attitude plus sensée.

Et puis, sacrifier une existence humaine uniquement pour la simple couleur d’une toilette de dame, me parut excessif.

Je me contentai alors de tuer sa mère, démarche qui produisit, d’ailleurs, le même effet, à ce point de vue un peu spécial.

Depuis ce jour, j’ai retrouvé ma petite Black-and-White de l’année dernière, et je suis bien heureux.


  1. Elle était en deuil d’un sien oncle, colonel belge, lequel mourut héroïquement d’une pneumonie aiguë, après avoir eu un cheval tué sous lui d’un chaud et froid.