Pour Monseigneur le Duc du Maine


Fables choisies, mises en versDenys Thierry et Claude BarbinQuatrième partie : livres ix, x, xi (p. 175-179).

II.

POUR MONSEIGNEUR LE DUC
du Mayne.




JUpiter eut un fils qui ſe ſentant du lieu
Dont il tiroit ſon origine
Avoit l’ame toute divine.
L’enfance n’aime rien : celle du jeune Dieu

Faiſoit ſa principale affaire
Des doux ſoins d’aimer & de plaire.
En luy l’amour & la raiſon
Devancerent le temps, dont les aîles legeres
N’amenent que trop-toſt, helas ! chaque ſaiſon.
Flore aux regards riants, aux charmantes manieres,
Toucha d’abord le cœur du jeune Olimpien.
Ce que la paſſion peut inſpirer d’adreſſe,
Sentimens délicats & remplis de tendreſſe,
Pleurs, ſoûpirs, tout en fut : bref, il n’oublia rien.
Le fils de Jupiter devoit par ſa naiſſance
Avoir un autre eſprit & d’autres dons des Cieux,
Que les enfans des autres Dieux.

Il ſembloit qu’il n’agiſt que par réminiſcence,
Et qu’il euſt autresfois foit le métier d’amant,
Tant il le fit parfaitement.
Jupiter cependant voulut le faire inſtruire.
Il aſſembla les Dieux, & dit : J’ay ſceu conduire
Seul & ſans compagnon juſqu’ici l’Univers :
Mais il eſt des emplois divers
Qu’aux nouveaux Dieux je diſtribuë.
Sur cet enfant cheri j’ay donc jetté la veuë.
C’eſt mon ſang : tout eſt plein déja de ſes Autels.
Afin de mériter le rang des immortels,
Il faut qu’il ſçache tout. Le maiſtre du Tonnerre

Eut a peine achevé que chacun applaudit.
Pour ſçavoir tout, l’enfant n’avoit que trop d’eſprit.
Je veux, dit le Dieu de la guerre,
Lui monſtrer moy-meſme cet art
Par qui maints Heros ont eu part
Aux honneurs de l’Olimpe, & groſſi cet empire.
Je ſeray ſon maiſtre de lyre,
Dit le blond & docte Apollon.
Et moy, reprit Hercule à la peau de Lion,
Son maiſtre à ſurmonter les vices,
À dompter les tranſports, monſtres empoiſonneurs,
Comme Hydres renaiſſans ſans ceſſe dans les cœurs.
Ennemi des molles délices,
Il apprendra de moy les ſentiers peu battus
Qui meinent aux honneurs ſur les pas des vertus.

Quand ce vint au Dieu de Cythere,
Il dit qu’il luy montreroit tout.
L’Amour avoit raiſon : dequoy ne vient à bout
L’eſprit joint au deſir de plaire ?