Pour être aimée/Avant-propos

E. Dentu, éditeur (p. 1-104).



POUR ÊTRE AIMÉE


Voici comment me vint l’idée d’écrire ce livre.

Un jour, je reçus la lettre suivante :


« Ma chère Laurianne,

« Je suis au désespoir. La tête me tourne, j’ai peur de devenir folle… Si tu ne viens à mon secours, je suis capable de tout… Mon mari me trompe… Et pour qui ?… J’ai voulu le savoir…

« Et je l’ai vue, cette créature qui m’a pris mon bonheur. Elle n’est pas belle. Je dirai même qu’elle est laide, plus laide que moi. Tu sais pourtant que je ne me fais aucune illusion sur ma personne.

« Je me rappelle qu’un jour, énumérant tous tes charmes, je plaisantais avec quelque amertume sur les injustices de la nature, si prodigue envers toi, si parcimonieuse à mon égard ; et tu me dis, avec ta grâce, ta bonté ordinaires :

« — Tu es encore plus injuste que la nature. Non, tu n’es pas laide ; et, si tu voulais t’en donner la peine, tu pourrais fort bien passer pour une jolie femme.

« — À quoi bon, répondis-je, puisque mon mari m’aime ainsi !

« Et tu ajoutas :

« — Ah ! ma chère, il faut tout prévoir !

« Prévoir quoi ? que mon mari cesserait de m’aimer, qu’il me tromperait pour une fille, prévoir une semblable infamie ! Moi, qui croyais en lui comme en Dieu, lui faire L’injure de douter de la sincérité de ses protestations ! car chaque jour, il me répétait qu’il m’aimait surtout pour l’exquisité de mon cœur, pour mon aveugle adoration, pour mon absolu dévouement ; non, je ne le pouvais, je ne le devais pas. Je continuai donc à vivre avec ma confiance bête, mon dédain de la toilette et des futilités.

« Futilités ! appeler futilités ce qui nous rend belles, ce qui nous fait aimer !

« Ah ! ma souffrance actuelle est une horrible expiation de ma stupide insouciance !

« Si, autrefois, j’accueillis ton conseil avec incrédulité, aujourd’hui, il flamboie dans mon esprit éperdu, comme un phare sauveur.

« Oui, chère et adorable amie, tu as raison, il est de notre devoir d’être belles, de plaire, de charmer ; car, ainsi que tu le dis avec tant d’esprit, nous sommes, nous, la poésie, le but, le mobile sans lesquels le monde serait affreusement incolore, mortellement ennuyeux, sans lesquels, surtout, l’homme ne serait encore qu’un sauvage.

« Désormais, je le jure, tes théories seront mon Évangile.

« Oui, je veux être belle, je veux y appliquer toutes mes facultés, y consacrer tous mes instants ; car je veux le reconquérir à tout prix, mon mari, mon idole, mon bien, mon tout… il le faut… Sans son amour, je me sens mourir. Je veux donc lutter avec cette femme, je veux l’emporter surtout.

« C’est pourquoi je viens implorer ton aide.

« Toi, qui es une des reines de la mode, toi, dont les jugements en matière d’élégance font loi, conseille-moi, transforme-moi.

« Ah ! quelle élève docile tu trouveras encore dans ta petite Yvonne ! Te rappelles-tu que déjà, au couvent, tu me grondais pour mes fautes de toilette ? Comme je te demande humblement pardon de n’avoir pas écouté tes sages remontrances !

« Si je ne vais pas te trouver, au lieu de t’écrire, c’est que je suis retenue au lit par une grosse fièvre.

« Mais tu entendras, n’est-ce pas ? mon cri d’appel, mon cri désespéré.

« Je t’attends, avec quelle impatience !

« Tout à toi,
« Yvonne de Kéradec. »


Cette lettre ne m’étonna guère : je connaissais déjà la liaison de M. de Kéradec avec l’excentrique Toto, une célébrité du monde bécarre.

Elle avait, disait-on, plus de chic que de beauté, plus d’entrain que d’esprit, plus de luxe tapageur que de véritable élégance ; mais elle poussait au plus haut degré l’art de croquer les millions avec une dextérité vertigineuse.

Je fus bouleversée du danger que courait non seulement le bonheur, mais la fortune de ma pauvre amie, un cœur charmant, tout bonté, tout naïveté, tout sentiment.

Son histoire est des plus simples et ressemble à tant d’autres.

Née dans un milieu de province essentiellement bourgeois, elle avait, quoique élevée à Paris, conservé de son milieu les idées, les manières, les goûts ou plutôt l’absence totale de goût. Sa personne était bourgeoise ; ses toilettes, bourgeoises ; son intérieur, bourgeois.

M. de Kéradec qui avait passé sa jeunesse à Paris, dans le monde élégant, où il avait fort écorné son patrimoine, l’avait épousée pour sa fortune, une fortune considérable, gagnée dans l’industrie.

Sans doute, il aimait sa femme. Qui ne l’eût aimée, cette douce créature si tendre, si dévouée, si confiante surtout ! Mais au bout de deux ans de mariage, le jeune comte s’était ennuyé de cet amour pot-au-feu, de cet intérieur capitonné de vulgarité. Ses instincts de luxe et de plaisir, qui n’étaient qu’assoupis, s’étaient réveillés. Le hasard avait voulu qu’il rencontrât ce petit chien mal coiffé, du nom de Toto, un de ces vampires hypnotisants et implacables qui ne lâchent leur proie que lorsqu’ils l’ont vidée.

Il fallait agir en toute hâte pour empêcher peut-être une catastrophe ; je courus chez mon amie.

Je la trouvai étendue sur sa chaise longue, tout en larmes.

Son abattement était si complet, qu’elle eut à peine la force de me tendre la main.

Évidemment elle venait de rentrer. Son chapeau était jeté sur un meuble ; elle avait encore sur les épaules un vêtement de cachemire.

— Quoi ! tu pleures ! m’écriai-je. Que veux-tu que je fasse d’une femme qui se rougit les yeux comme une enfant à qui l’on aurait pris sa poupée ? Voyons, madame, du courage ! et risette tout de suite !

— J’étouffe, je suffoque !… Ah ! depuis hier, depuis ma lettre, quelles scènes !… et avec quel aplomb il sait mentir !… C’en est fait, je ne pourrai plus le croire ; ma vie sera un enfer. J’aime mieux en finir tout de suite, partir, le quitter, mourir, oui, mourir.

Et sa voix creva dans un nouveau sanglot.

— Allons, allons, remets-toi, je devine. Il t’a dit qu’il allait à son cercle ; tu lui as fait jurer que c’était bien la vérité.

— Il n’a pas reculé devant les plus grands serments.

— Alors tu t’es précipitée à sa poursuite, comme l’indique ce vêtement jeté sans aucune espèce de grâce sur tes épaules.

— Oui, oui. Et je l’ai vu entrer chez elle, 15, avenue de Villiers. Je voulais entrer aussi, le surprendre en flagrant délit de mensonge ; mais je n’ai pas osé. Pourquoi ?… je le regrette.

— Il n’aurait plus manqué que cela. Tu es complètement folle.

— Oui, folle de jalousie, de douleur.

Ses sanglots redoublèrent.

— Je gage que non-seulement tu lui fais des scènes, mais que tu pleures devant lui. Malheureuse, regarde-toi donc, vois à quoi tu ressembles, quand tu pleures.

Je la forçai à se lever, et la plaçai devant une glace.

— En effet, je suis affreuse, dit-elle avec consternation.

Moi-même, devant cette figure boursoufflée, ces paupières gonflées et rougies par les larmes, ce teint couperosé par l’insomnie, et qui faisait encore ressortir la vulgarité des traits, j’eus un moment d’hésitation. Rendre un tel visage séduisant, n’était-ce pas entreprendre une tâche impossible ?

Et puis, j’étais frappée en ce moment par mille détails de sa toilette et de son ameublement que je n’avais jusqu’alors regardés qu’en bloc, et qui me faisaient douter plus encore que ses disgrâces naturelles, de la réussite d’une si téméraire entreprise.

Cependant, j’étais tellement affligée de son chagrin, son malheur me touchait si profondément, que je voulus essayer, ne fût-ce que pour la distraire.

— Voyons, ma pauvre amie, lui dis-je, séchons d’abord ces pleurs, et souviens-toi, pour y conformer ta conduite, de cet axiome très profond d’une grande dame du siècle passé :

« Pour conserver sa beauté, il ne faut aimer, pleurer et rire qu’à moitié. »

— Et moi, j’aime de toutes mes forces, s’écria-t-elle.

— Et tu pleures de même. Du moins, promets-moi de modérer ces larmoiements pendant tout le temps que j’entreprendrai ta métamorphose.

— Je tâcherai, fit-elle, avec un soupir coupé d’un hoquet.

Je passai dans son cabinet de toilette, et je fus étonnée de n’y voir aucun des éléments les plus indispensables à la toilette féminine.

— Nous trouverons tout cela dans celui de mon mari, me dit-elle.

Elle m’y conduisit.

En effet, ce cabinet de toilette, où, du premier coup-d’œil je reconnus les flacons de Guerlain, révélait des habitudes de haute élégance. On devinait que l’homme qui s’habillait là, avait le respect de sa personne et le souci de conserver le plus longtemps possible ses avantages personnels ; mais aussi, entre ces deux cabinets de toilette, je découvrais un abîme ; et je fis cette déduction terrifiante que jamais cet homme si raffiné, n’avait pu aimer sa femme, qui l’était si peu.

Je m’abstins de communiquer cette réflexion à ma pauvre amie, me bornant à lui exprimer ma surprise qu’elle n’eût point encore pensé d’elle-même à suivre les conseils que lui donnait ce cabinet de toilette.

— Que veux-tu ? me répondit-elle, mon mari adore tous ces bibelots ; moi, ils m’embarrassent. J’aimais à le plaisanter sur ses jolies petites manies ; et lui m’appelait en riant : Mademoiselle Nature.

— En effet, répliquai-je, je le connais, ton engouement pour la simplicité de la nature. Aujourd’hui, elle te joue un joli tour, la nature. La nature, ma chère, ne produit que des sauvageons. C’est à nous de la cultiver et de l’embellir, de créer des fleurs doubles et des fruits savoureux. Tu as naturellement, — j’appuyai sur ce mot, — la peau un peu échauffée, tu es menacée de couperose. C’est là une imperfection, une maladie de la peau qu’on peut corriger et guérir. La finesse et la fraîcheur de la peau, c’est la condition essentielle de la beauté, c’est la jeunesse du visage. On ne saurait donc en prendre trop grand soin.

Tout en parlant, je travaillais.

Après avoir baigné d’eau tiède le visage turgescent de mon amie, j’y étendis une légère couche de crème froide de concombre, que je séchai avec une poudre de riz rosée, qui lui causa une délicieuse impression de fraîcheur.

— Maintenant, lui dis-je, que te voilà un peu calmée, regarde-moi.

Et je l’examinai attentivement de la tête aux pieds.

Elle suivait anxieusement mes regards.

— Je t’assure qu’on peut faire quelque chose de toi.

— Tu crois ? dit-elle avec un accent si humble, que je ne pus m’empêcher de l’embrasser.

— Oui, une jolie femme. Mais vraiment, tu as été bien coupable dans ton imprévoyance. Ton mari est artiste, tu me l’as répété cent fois, et tu t’habilles et te coiffes comme une bonne petite bourgeoise de Sainte-Ménehould.

— Comme une femme honnête qui n’aime que son mari.

— Aussi tu vois comme il te paye de retour. En général, ma chère, les hommes sont pris par la toilette, par le genre, l’éclat, par l’artificiel en un mot, bien plus que par les beautés naturelles. Voyons, me permets-tu Une sincérité absolue ?

— Je l’implore.

— Je ne te blesserai pas en te disant tout, tout ?

— Je t’en serai éternellement reconnaissante.

— Ah ! c’est qu’il est de tels replis dans la vanité féminine !…

— Je ne sens que trop mon infériorité.

Alors, je lui traçai son portrait.

— Tu as des cheveux châtains, d’une couleur chaude, que tu noircis maladroitement avec je ne sais quelle pommade ; ils paraissent lourds, plats. On les dirait collés avec cette bendoline anti-artistique qu’employaient autrefois nos mères. Est-il rien d’ailleurs de plus disgracieux que ce chignon tordu, ratatiné, avec une sincérité, une honnêteté vraiment désespérantes ?

Je lui enlevai son peigne, et je fus éblouie du flot de cheveux soyeux et fins que je vis se dérouler sur ses épaules.

— Superbes, superbes ! m’écriai-je. Et quand on pense que ton mari te préfère la perruque de Mlle Toto ! Comment nier après cela les effets de l’art et de l’artificiel ? Sais-tu qu’avec tes seuls cheveux une femme un peu coquette, saurait se faire une réputation de beauté ? Donc, nous allons jeter un peu d’air dans cette chevelure massive.

Je secouai ses beaux cheveux qui s’éparpillèrent et se soulevèrent en ondulations lumineuses.

— Un peu de poudre d’or, pour accentuer les tons fauves, quelques coups de fer pour les tourmenter un peu plus, et tu aurais une crinière léonine, électrique, qui donnerait tout de suite à ta physionomie trop douce, une expression d’étrangeté singulièrement piquante.

Avec une partie de ses cheveux, je formai un nœud qui lui fit au-dessus de la tête comme un diadème, et avec l’autre, un enroulement qui accompagnait le derrière de la tête, et faisait contre-poids au visage un peu trop fort.

— Maintenant, ton front est trop élevé, trop bombé : ce qui te donne l’air de ces figures mystiques que l’on remarque dans les antiques boiseries d’églises. Aujourd’hui, la mode est aux fronts grecs. Dissimulons donc ce front par un bandeau qui le coupe par côtés, au lieu de ces deux bandeaux que tu te colles sur les tempes avec une régularité, une symétrie qui n’est plus de mode. À présent, regarde : ce seul changement de coiffure suffit à te transformer le visage. Et quel éclat ce voile sombre communique au regard ! Te voilà presque jolie.

— C’est vrai, je ne me reconnais plus.

— Donc, à chaque visage la coiffure qui lui convient. Ce n’est pas encore, à beaucoup près, ce que je voudrais ; mais me manque ici tous les éléments essentiels pour exécuter le chef-d’œuvre que je rêve. La coiffure, c’est la moitié de la beauté de la femme. Quant aux yeux…

— Hélas ! les miens sont loin d’être beaux !

— Sans doute, ils ne sont pas assez fendus ; ils sont surtout un peu trop enfoncés dans l’orbite, comme chez toutes les natures exclusives, disposées aux sentiments intenses et profonds ; mais les paupières sont fines et d’une teinte exquise. Il y a là, sur la tempe, une petite veine bleue adorable, que personne ne songe à remarquer, pas même ton mari, parce que, ne l’ayant pas remarquée toi-même, et n’étant point coquette, tu n’as jamais l’air de dire : regardez mes beautés. Or, ma chère, il faut d’abord être convaincue qu’on est jolie, pour en convaincre les autres.

— Malheureusement, je me vois telle que je suis : j’ai de bons petits yeux assez doux, mais insignifiants ; et il m’est impossible de croire autre chose.

— Cependant, si tu le permets, ces bons petits yeux, nous les agrandirons un peu avec le crayon oriental.

— Oh ! cela, jamais ! protesta avec véhémence Mme de Kéradec. Jamais je ne consentirai à me maquiller ; j’en rougirais, ne fût-ce que vis-à-vis de mes domestiques ; et d’ailleurs, je serais obligée de m’en confesser.

— Voilà bien mademoiselle Nature qui reparaît tout entière ! Affreuse bourgeoise, va ! Est-ce qu’une comtesse de Kéradec se soucie de l’opinion de ses domestiques ? Quant à ton confesseur, il te donnera l’absolution de ces petits péchés véniels, lorsque tu lui diras qu’il s’agit de sauver ton mari et de le soustraire à de gros péchés mortels. Attends un peu, nous allons faire un essai tout de suite.

J’allumai une bougie, et présentant à la flamme le bouchon de liège d’un petit flacon, je fabriquai ainsi une sorte de crayon indien ; car ces yeux en effet m’inquiétaient. Comme Yvonne le disait elle-même, ils manquaient d’expression ; mais n’était-ce pas surtout parce que les cils et les sourcils, d’une nuance pâle, étaient rares ? car l’expression qu’on a coutume de prêter à l’âme, n’est, le plus souvent, qu’un effet de couleur et de lignes. J’accentuai donc avec plus de fermeté l’arc des sourcils, et j’allongeai les paupières en étendant la ligne des cils sur les tempes.

— Tiens, vois, m’écriai-je triomphante, comme un simple coup de crayon communique aux yeux une profondeur, une langueur, une tendresse passionnée, je dirai même une perversité des plus provoquantes !

Mon amie recula effarouchée.

— De perversité ! se récria-t-elle.

— Rappelle-toi, ma chère, que les hommes nous aiment beaucoup plus en raison de notre perversité que de notre vertu.

— Quoi ! tu voudrais faire de moi une femme perverse ?

— S’il le faut.

— Non, jamais.

— Sois tranquille, ce n’est pas ton cœur que je veux corrompre ; j’aurais d’ailleurs trop à faire. Que tu aies seulement un peu l’apparence de la perversité, c’est tout ce que je te demande. Mais, je m’aperçois que tu te regardes déjà avec une certaine complaisance.

— C’est vrai, j’embellis à vue d’œil, j’en conviens.

— Ah ! si tu pouvais devenir coquette ! Mon œuvre serait bien plus rapide et plus facile.

— Je le deviendrai.

— Bravo ! Maintenant, passons au nez. Ton nez a des méplats vulgaires ; et il est piqué de points noirs qui lui donnent une teinte grisâtre ; enfin, il me semble qu’il a une disposition à rougir. Il faudra corriger tout cela ; et nous y arriverons, je te le promets. En attendant, recourons encore à la crème froide de concombre et à la poudre de riz.

Je recommençai la première opération. La poudre de riz estompa les contours, dissimula les points noirs, fit disparaître les rougeurs ; l’incarnat des lèvres sembla plus vif dans la figure pâlie.

— Mais, si je souris, mes dents ? objecta-t-elle.

— En effet, tes dents ne sont pas précisément des perles. C’est l’affaire du dentiste. Voici une petite canine bleuâtre qu’il faudra remplacer, et cette autre aussi.

— Mettre de fausses dents ! tu me fais frémir !

— Bah ! les Américaines qui sont des femmes pratiques, quand elles n’ont pas de belles dents, se les font arracher toutes ; et elles ne reculent pas devant un dentier complet.

— C’est horrible ! horrible !

— Calme-toi ; nous n’aurons pas besoin de recourir à cette extrémité, Dieu merci ! Nous avons des dentistes fort habiles qui réformeront, sans de trop douloureux sacrifices, cette bouche que la coquetterie rendra gracieuse et souriante. À présent, les mains, voyons les mains. Pas trop mal ! Des mains potelées de dévote, avec des fossettes sur les phalanges. Mais comme on voit, à tes doigts spatulés, que tu as passé ta vie à faire du crochet ! Maudit, infernal crochet ! Je me rappelle qu’au couvent déjà, tu avais la passion du crochet. Je gage que ce crochet agace aussi ton mari.

— Justement.

— Est-ce qu’une femme élégante crochette ainsi sans paix ni trêve ? Elle a une tapisserie commencée à laquelle, de temps en temps, elle fait quelques points.

— Et le reste de la journée ?

— Elle lit les revues à la mode, le livre qui est le succès du jour ; elle a une correspondance ; elle sort en voiture ; enfin, il faut réformer ta vie et tes mains comme ton visage.

— Ma vie, c’est possible, mon visage, je commence à être convaincue ; mais comment pourras-tu faire de mes vilains doigts carrés de jolis doigts effilés comme les tiens ?

— Nous y arriverons avec des soins, en taillant les ongles en amande, un peu longs, et en abattant aux coins, les peaux mortes, en se servant de tous ces jolis petits outils dont ton mari, lui, connaît parfaitement l’emploi. Nous les blanchirons et les adoucirons, ces mains, en te faisant porter des gants, non seulement le jour, mais encore la nuit, si c’est nécessaire.

Quelque résignée que fût Mme de Kéradec, elle ne put réprimer un soupir. Page:Gagneur - Pour etre aimee.djvu/31 Page:Gagneur - Pour etre aimee.djvu/32 Page:Gagneur - Pour etre aimee.djvu/33 Page:Gagneur - Pour etre aimee.djvu/34 Page:Gagneur - Pour etre aimee.djvu/35 Page:Gagneur - Pour etre aimee.djvu/36 Page:Gagneur - Pour etre aimee.djvu/37 Page:Gagneur - Pour etre aimee.djvu/38 Page:Gagneur - Pour etre aimee.djvu/39 Page:Gagneur - Pour etre aimee.djvu/40 Page:Gagneur - Pour etre aimee.djvu/41 Page:Gagneur - Pour etre aimee.djvu/42 Page:Gagneur - Pour etre aimee.djvu/43 Page:Gagneur - Pour etre aimee.djvu/44 Page:Gagneur - Pour etre aimee.djvu/45 Page:Gagneur - Pour etre aimee.djvu/46 Page:Gagneur - Pour etre aimee.djvu/47 Page:Gagneur - Pour etre aimee.djvu/48 Page:Gagneur - Pour etre aimee.djvu/49 Page:Gagneur - Pour etre aimee.djvu/50 Page:Gagneur - Pour etre aimee.djvu/51 Page:Gagneur - Pour etre aimee.djvu/52 Page:Gagneur - Pour etre aimee.djvu/53 Page:Gagneur - Pour etre aimee.djvu/54 Page:Gagneur - Pour etre aimee.djvu/55 Page:Gagneur - Pour etre aimee.djvu/56 Page:Gagneur - Pour etre aimee.djvu/57 Page:Gagneur - Pour etre aimee.djvu/58 Page:Gagneur - Pour etre aimee.djvu/59 Page:Gagneur - Pour etre aimee.djvu/60 Page:Gagneur - Pour etre aimee.djvu/61 Page:Gagneur - Pour etre aimee.djvu/62 Page:Gagneur - Pour etre aimee.djvu/63 Page:Gagneur - Pour etre aimee.djvu/64 Page:Gagneur - Pour etre aimee.djvu/65 Page:Gagneur - Pour etre aimee.djvu/66 Page:Gagneur - Pour etre aimee.djvu/67 Page:Gagneur - Pour etre aimee.djvu/68 Page:Gagneur - Pour etre aimee.djvu/69 Page:Gagneur - Pour etre aimee.djvu/70 Page:Gagneur - Pour etre aimee.djvu/71 Page:Gagneur - Pour etre aimee.djvu/72 Page:Gagneur - Pour etre aimee.djvu/73 Page:Gagneur - Pour etre aimee.djvu/74 Page:Gagneur - Pour etre aimee.djvu/75 Page:Gagneur - Pour etre aimee.djvu/76 Page:Gagneur - Pour etre aimee.djvu/77 Page:Gagneur - Pour etre aimee.djvu/78 Page:Gagneur - Pour etre aimee.djvu/79 Page:Gagneur - Pour etre aimee.djvu/80 Page:Gagneur - Pour etre aimee.djvu/81 Page:Gagneur - Pour etre aimee.djvu/82 Page:Gagneur - Pour etre aimee.djvu/83 Page:Gagneur - Pour etre aimee.djvu/84 Page:Gagneur - Pour etre aimee.djvu/85 Page:Gagneur - Pour etre aimee.djvu/86 Page:Gagneur - Pour etre aimee.djvu/87 Page:Gagneur - Pour etre aimee.djvu/88 Page:Gagneur - Pour etre aimee.djvu/89 Page:Gagneur - Pour etre aimee.djvu/90 Page:Gagneur - Pour etre aimee.djvu/91 Page:Gagneur - Pour etre aimee.djvu/92 Page:Gagneur - Pour etre aimee.djvu/93 Page:Gagneur - Pour etre aimee.djvu/94 Page:Gagneur - Pour etre aimee.djvu/95 Page:Gagneur - Pour etre aimee.djvu/96 Page:Gagneur - Pour etre aimee.djvu/97 Page:Gagneur - Pour etre aimee.djvu/98 Page:Gagneur - Pour etre aimee.djvu/99 Page:Gagneur - Pour etre aimee.djvu/100 Page:Gagneur - Pour etre aimee.djvu/101 Page:Gagneur - Pour etre aimee.djvu/102 Page:Gagneur - Pour etre aimee.djvu/103 Page:Gagneur - Pour etre aimee.djvu/104 Page:Gagneur - Pour etre aimee.djvu/105 Page:Gagneur - Pour etre aimee.djvu/106 Page:Gagneur - Pour etre aimee.djvu/107 Page:Gagneur - Pour etre aimee.djvu/108 Page:Gagneur - Pour etre aimee.djvu/109 Page:Gagneur - Pour etre aimee.djvu/110 Page:Gagneur - Pour etre aimee.djvu/111 Page:Gagneur - Pour etre aimee.djvu/112 Page:Gagneur - Pour etre aimee.djvu/113

— Eh bien ! comment trouvez-vous tout cela ? lui demandai-je.

— Je suis confondu. Comment, duchesse, avez-vous pu en dix jours, dénicher tant de jolies choses ?

— Pourquoi vous adresser à moi ? Vous croyez donc votre femme incapable d’avoir du goût ? Ne vient-elle pas de vous montrer tout à l’heure qu’elle avait plus d’esprit que vous ne lui en aviez jamais soupçonné ? Elle était trop modeste, parce qu’elle n’avait pas le sentiment de sa valeur ; mais nous l’avons forcée à se connaître elle-même.

— Qui nous ? fit le comte, revenant à son soupçon jaloux.

— Nous parlons au pluriel comme les Majestés, répliquai-je en riant.

— Vous êtes une reine, en effet, reine par la grâce et par la beauté, repartit galamment M. de Kéradec.

— Et votre femme aussi, mon cher comte, ne vous en déplaise. Avant-hier, pendant cette fameuse soirée qui vous a été si consciencieusement relatée par la vipère en question, elle a été sacrée reine d’élégance et de beauté, par toute une salle qui la regardait avec admiration. Si vous l’aviez vue… mais vous la verrez ; et alors si vous n’en perdez pas la tête…

— Je la perds déjà, fit-il en jetant à Yvonne un regard passionné.

Le dîner fut très gai pour Yvonne et pour moi. Quant à M. de Kéradec, il était trop amoureux, trop impatient de l’avouer à sa femme, pour partager notre bonne humeur.

Au lieu des banalités dont la chère provinciale émaillait d’ordinaire sa conversation, elle parla des choses du jour, répéta les mots en circulation, et même eut de son crû quelques traits d’esprit qui firent ouvrir au mari de grands yeux stupéfaits. Il ne savait plus s’il devait se réjouir ou s’effrayer de la transformation. Aussitôt après le dîner, ne voulant pas prolonger le supplice de ces deux amoureux, je partis. Mais j’étais à peine dans l’antichambre, que j’entendis deux cris de joie étouffés, suivis d’un silence, et puis comme un bruit de baisers.


Depuis ce moment, la réputation de jolie femme de Mme de Kéradec n’a fait que grandir ; et l’amour de son mari s’accroît chaque jour de ses succès.

Or, ma chère Yvonne ayant commis l’indiscrétion de nommer son éducatrice, j’ai acquis de mon côté une telle réputation qu’à tout moment on vient me consulter. Tantôt c’est une amie qui veut ramener un mari volage ; tantôt c’est une mère qui aspire à marier sa fille, un laideron ; le plus souvent c’est une coquette surannée qui désire maintenir sa beauté ou même se rajeunir ; et, selon que le sujet m’inspire, me passionne ou m’est répulsif, je donne ou refuse mes conseils.

Mais comme ma maison menace de devenir un cabinet de consultation de haute élégance, pour me soustraire à ces obsessions, j’ai pris le parti d’écrire le petit traité qu’on va lire sur l’art d’acquérir, de rehausser et de conserver la beauté.

— Comment ! se récriait dernièrement M. d’Ivory, vous, Duchesse, écrire un livre pareil ! Ne craignez-vous pas de déchoir dans notre admiration, en nous révélant les secrets de cette beauté qui vous fait adorer ?

— Non, mon ami, lui répondis-je. En tout cas, je me dévouerais ; mais à mon sens, il ne peut être de sujet plus tentant, plus utile, plus noble, plus poétique même. J’ai d’ailleurs d’illustres devancières. En remontant à la plus haute antiquité, ne voyons-nous pas de grandes charmeuses pousser cet art aux plus extrêmes raffinements ? La mythologie ne nous raconte-t-elle pas les enchantements de Circé et les artifices de Médée, qui sut rajeunir le père de Jason ? Aspasie, le type le plus séduisant de la beauté et de la grâce attiques, ne réunit-elle pas en un livre de sages et hygiéniques conseils adressés aux femmes soucieuses d’augmenter et de conserver leurs séductions ? Enfin une reine fameuse, Cléopâtre, ne dédaigna point de nous transmettre dans un petit ouvrage, les formules de cosmétiques par lesquels elle rehaussait ses charmes merveilleux. Sans briguer cette grande célébrité, j’espère, moi, démontrer à mes aimables lectrices, qu’à moins d’être absolument disgraciées par la nature, toutes peuvent devenir belles et défier les ravages du temps, toutes peuvent se faire aimer.