Portraits historiques et littéraires/Henri de Guise

Michel Lévy frères (p. 77-110).

III

HENRI DE GUISE

1550 – 1588

Henri de Guise naquit en 1550, Il porta d’abord le nom de comte de Joinville. Son père, François, était le fils aîné de Claude de Lorraine, maréchal de France et duc de Guise, lequel était lui-même le cinquième fils de René II, duc de Lorraine.

Henri, âgé de treize ans, faisait ses premières armes à ce siége où son père perdit la vie, assassiné par Poltrot. Il voua dès lors une haine à mort au chef du parti protestant, l’amiral Coligny, et n’attendit qu’une occasion favorable pour lui en faire éprouver les effets.

La paix de 1563 l’obligea d’ajourner ses projets de vengeance. L’héritier du nom de Guise ne pouvait rester inactif lorsqu’il y avait guerre dans une partie de l’Europe. Il alla combattre les Turcs en Hongrie, et dans cette campagne il montra l’espèce de courage la plus rare dans un jeune homme et dans un Français. Il demeurait calme en face des dangers, et le tumulte d’un champ de bataille semblait doubler les ressources de son esprit.

La guerre civile, rallumée par les protestants, le ramena en France, Il se signala à la bataille de Jarnac, où le prince de Condé fut tué : au siége de Poitiers, qu’il défendit avec succès contre l’amiral ; à Moncontour, — enfin au combat de Dormans, où il fut grièvement blessé d’un coup de feu à la joue. C’est de cette blessure, qui laissa une profonde cicatrice, qu’il prit le surnom de Balafré, sobriquet qui, pour une cause semblable, avait été également donné à son père François.

À dix-neuf ans, Henri, par le souvenir des exploits de son père, la puissance de sa famille, et sa valeur personnelle, se trouvait à la tête d’un parti considérable. Il se composait surtout des fanatiques qui voulaient exterminer l’hérésie en France, et qui ne voyaient dans la paix accordée aux protestants qu’une concession honteuse, preuve de la faiblesse du roi et de son indifférence pour les intérêts de la religion catholique. L’expérience et la connaissance des hommes s’acquièrent vite dans un temps de trouble et dans une position élevée ; Henri, malgré sa jeunesse, ne parut pas au-dessous du rôle qu’il était appelé à jouer. Habile à dissimuler, prodigue de ses richesses pour se faire des créatures, prudent et circonspect dans sa conduite, mais suivant toujours avec persévérance ses projets ambitieux, il eut toutes les qualités d’un chef de parti. Il aspirait au trône, et il y serait sans doute parvenu s’il eût vécu dans un temps où le respect des races royales eût été moins enraciné dans l’esprit des masses.

Cromwell, au début de sa carrière, disait souvent : « Je ne sais pas encore tout ce que je veux. » Jusqu’à ce que les circonstances lui offrent une route bien nettement tracée, l’ambition essaie des sentiers différents, qu’elle abandonne tour à tour en reconnaissant qu’ils sont ou trop détournés ou bien inaccessibles. Le duc de Guise, que le retour de la tranquillité obligeait à un repos forcé, chercha autre part que dans la guerre le moyen d’accroître sa puissance. C’était un des plus beaux hommes de son temps. Il plut à Marguerite, sœur du roi Charles IX, et se flatta quelque temps de pouvoir l’épouser. Cette alliance l’aurait amené bien près du trône. Mais Charles avait d’autres desseins sur sa sœur ; il savait en outre le danger d’élever un sujet trop à son niveau. Il menaça le duc de Guise de sa colère et le força d’abandonner son projet.

La paix, qui interrompait pour peu de temps les guerres civiles, n’était, à vrai dire, qu’une trêve arrachée à l’épuisement des deux partis, et qu’ils n’observaient que jusqu’au moment où ils se croyaient assez forts pour la rompre. En 1570, la paix fut jurée du bout des lèvres, pour me servir de l’expression de d’Aubigné. Cette paix était la troisième, mais il était facile de prévoir qu’elle ne serait pas la dernière. Catholiques et protestants avaient fait des pertes à peu près égales, sans que les uns ou les autres eussent obtenu une supériorité décidée. Les premiers étaient plus nombreux, mais leurs adversaires comptaient dans leurs rangs les familles les plus riches et les plus influentes de la France.

Charles IX et sa mère, la fameuse Catherine, ne partageaient certainement pas le fanatisme religieux de la plupart de leurs sujets. Les chefs des deux factions rivales leur étaient également suspects, également odieux. La politique du roi avait été de pencher alternativement pour l’un ou pour l’autre, d’empêcher surtout l’anéantissement de l’un des deux partis, n’espérant que dans leur division pour conserver l’autorité royale. Pendant la vie du duc François, l’ascendant de ce grand capitaine alarma Catherine, et l’obligea à favoriser en secret les protestants. Après la mort de François, son fils, à cause de sa jeunesse, n’inspirait plus les mêmes craintes, et Coligny devenait l’homme le plus dangereux pour le roi. La force ouverte n’avait pas réussi ; il fallut temporiser pour essayer de la trahison. Le roi attira à Paris l’amiral et les principaux seigneurs calvinistes, et parvint à endormir leur méfiance à force de caresses et de bons procédés. Rien ne prouve que l’exécrable massacre du 24 août 1572 ait été préparé de longue main, mais tout porte à croire que Coligny, et probablement quelques seigneurs influents de son parti, étaient depuis longtemps condamnés en secret. Le duc de Guise, devinant peut-être les projets de la cour du Louvre, ne perdait pas de vue l’ennemi de sa famille. Adoré du peuple de Paris, disposant d’un grand nombre de gentilshommes dévoués, il s’appliquait à entretenir la haine des Parisiens contre les protestants, qui deux fois s’étaient approchés en ennemis de leurs murailles.

Tout d’un coup, au moment où Coligny semblait jouir de la plus haute faveur, un misérable, nommé Maurevel, tente de l’assassiner, et le blesse grièvement d’un coup d’arquebuse. Maurevel était-il, comme on l’a cru, « l’assassin du roi ? » Était-il aposté par le duc de Guise ? Tous deux, sans doute, avaient trempé dans cet attentat. Quoi qu’il en soit, Henri parut s’en déclarer l’auteur ; car il quitta Paris aussitôt, comme pour se soustraire aux poursuites. Le coup qui devait priver les protestants de leur chef était manqué. L’alarme était donnée, ils pouvaient recommencer la guerre. Les catholiques voyaient avec effroi que cette imprudente tentative allait accroître les forces de leurs adversaires. Ils entourent le roi, lui disent que sa vie est menacée, et qu’il ne peut se défendre qu’en prévenant ses ennemis. C’est de ce moment seulement que le massacre des huguenots rassemblés dans la capitale paraît avoir été résolu. Guise, revenu en secret à Paris, arme ses partisans, soulève le peuple, et lorsque les épées sont tirées, que le sang a commencé à couler, il dit au roi : « Rien ne peut arrêter la justice populaire ; si vous la désavouez, vous risquez votre couronne. » Charles IX, porté d’ailleurs par caractère aux mesures violentes et sanguinaires, fit ce que ses prédécesseurs avaient fait ; il se mit à la tête du mouvement qu’il ne pouvait empêcher.

Le premier soin du duc de Guise dans cette sanglante journée fut d’assurer sa vengeance particulière. Il présida à l’assassinat de Coligny. Il voulut voir son cadavre et le foula aux pieds ; mais lorsqu’il eut assouvi sa haine, s’il fut cruel pour ses adversaires en masse, il montra de l’humanité dans quelques cas particuliers, et plusieurs huguenots lui durent la vie.

Après ce grand désastre, les protestants demeurèrent quelque temps plongés dans un abattement stupide. Si leurs débris avaient été attaqués avec vigueur, il est hors de doute qu’ils eussent succombé presque sans résistance, mais on leur laissa le temps de se rassurer, de se réunir, et de pourvoir à la défense de la Rochelle, leur principale place de sûreté, contre laquelle on ne tenta même pas un coup de main. Ce ne fut que lorsque les habitants eurent préparé leur défense à loisir, que le frère du roi vint les assiéger. Ils se défendirent avec énergie et succès. Le prince catholique, apprenant qu’il venait d’être élu roi de Pologne, abandonna précipitamment la place qu’il désespérait de prendre, et son armée, privée de chef, ne tarda pas à lever le siége. Guise avait accompagné le prince devant la Rochelle. Alors ils paraissaient unis par une étroite amitié ; ils avaient la même tente et se traitaient avec la plus grande familiarité. Mais l’amitié des grands est toujours subordonnée aux intérêts de leur ambition ; celle-ci ne devait pas être de longue durée.

La cour, poursuivant son système fit bientôt cesser les hostilités, et Charles IX mourant signa le quatrième édit de pacification. Aussitôt Henri, son frère, déjà dégoûté de son nouveau royaume, quitta furtivement la Pologne pour venir régner en France. Dès lors le duc de Guise put apercevoir clairement le but vers lequel devaient tendre tous ses efforts ; et l’accomplissement de ses projets ambitieux ne se présenta plus que dans un avenir peu éloigné.

Henri III n’avait pas d’enfant ; son frère et son successeur naturel, le duc d’Alençon, rêvait un mariage impossible avec la reine Élisabeth. Après lui il n’y avait d’autre héritier à la couronne que le roi de Navarre, prince calviniste. Mais était-il probable que le peuple qui venait de massacrer les huguenots voulût obéir à un hérétique ? On commençait à se demander qui régnerait en France, si, comme il était vraisemblable, le roi et son frère mouraient sans postérité. Le duc de Guise vit qu’il n’y avait que deux hommes entre le trône et lui. Déjà, depuis plusieurs années, et à tout événement, il s’était fabriqué une généalogie qui le faisait descendre de Charlemagne. Cette invention trouvait des dupes, et l’éclat de sa gloire, aux yeux des plus fervents catholiques, légitimait son usurpation.

De retour en France, Henri III recommença à guerroyer contre les protestants, probablement pour flatter le fanatisme du peuple. Cette guerre fut malheureuse pour ses armes ; après deux ans de revers, il la termina brusquement par une cinquième paix dont les conditions furent les plus avantageuses que les réformés eussent encore obtenues. Les catholiques jetèrent les hauts cris, et l’indignation fut générale. Guise crut que le moment était favorable pour agir.

Dès l’année 1568, étant gouverneur de Champagne et de Brie, il avait organisé dans ces provinces une association dont le but apparent était de défendre la religion catholique envers et contre tous excepté le roi et la famille royale. Les affiliés avaient signé une formule de serment, et l’association portait le nom de sainte Ligue catholique et royale ; d’ailleurs elle était restée à peu près secrète et ne s’était pas étendue au delà des provinces dont le duc était gouverneur.

Exploitant avec adresse le mécontentement causé par la paix de 1576, Guise ranima cette association et l’étendit. Il changea aussi la formule du serment et voulut que les initiés s’engageassent à combattre tous les ennemis de la religion catholique sans acception de personnes. Elle se répandit avec une étonnante rapidité par toute la France. Paris surtout compta bientôt un grand nombre de ligueurs, gens de basse condition pour la plupart, n’ayant rien à perdre, et disposés à tout tenter.

Henri III comprit quelle allait être la puissance du duc de Guise, s’il le laissait gouverner la Ligue. Il pensa que le meilleur moyen de l’annuler c’était de se substituer à sa place. En conséquence, il signa le serment de la Ligue, s’en déclara le chef, et engagea sa cour à s’y enrôler. Cette mesure lui réussit pour le moment, tout en achevant de le déconsidérer, car il n’y avait personne qui ne fût choqué de voir un roi se proclamer le chef d’une faction. Mais ce qui porta un coup plus funeste à la Ligue, ce fut le refus du pape Grégoire XIII de la sanctionner ; non-seulement les ligueurs n’osèrent rien entreprendre, mais leur association parut complètement oubliée. Huit années s’écoulèrent sans qu’elle donnât signe de vie.

Cependant le duc de Guise ne s’endormait pas, il cherchait et trouvait des alliés hors de France. Il offrait de garantir la couronne des Pays-Bas à don Juan d’Autriche, qui s’engageait de son côté à soutenir ses prétentions au trône de France. Après la mort de don Juan, cette négociation fut reprise par Philippe II, qui conclut un traité du même genre avec le duc de Guise ; en même temps celui-ci grossissait toujours le nombre de ses partisans, excitait le mécontentement des provinces, et ne négligeait aucun moyen pour rendre le roi odieux ou ridicule.

Il était puissamment secondé par les fautes continuelles de ce prince, mélange indéfinissable de tous les vices et de plusieurs vertus. Tantôt livré aux plus honteuses débauches, tantôt affectant une dévotion dont les pratiques ridicules semblaient méprisables même aux plus superstitieux, Henri ne paraissait pas avoir deux jours de suite le même caractère. Il était brave dans un combat, mais timide à l’excès pour les dangers qui ne se présentaient pas sous une forme bien définie à sa politique, offrait une suite de mesures contradictoires, d’imprudences et de faiblesses, sujet continuel de découragement pour le petit nombre de serviteurs qui lui restaient fidèles. Tel était le prince que Henri de Guise voulait détrôner.

Le duc d’Anjou, le seul prince du sang qui pût continuer la race des Valois, mourut le 10 juin 1584, d’un flux de sang suivant les uns, par le poison suivant les autres. Dès ce moment commença entre Henri III et le duc de Guise une lutte acharnée qui ne pouvait finir qu’avec la vie de l’un ou de l’autre. Cet événement ressuscita la Ligue. Tous les catholiques ardents jurèrent que le Béarnais ne régnerait pas en France, mais le duc de Guise ne voulait pas attendre la mort de Henri III pour mettre la couronne sur sa tête. Déjà ses émissaires ne faisaient plus mystère de ses projets. Désormais le but de la Ligue n’était plus de défendre la religion contre des dangers à venir, elle était devenue une conjuration patente contre le roi. Les plus modérés d’entre les ligueurs voulaient le déposer et l’enfermer dans un cloître, tandis que d’autres conseillaient la guerre ouverte ou l’assassinat.

Le point le plus important pour le duc de Guise était de s’assurer de la capitale. Il y envoya quelques gentilshommes dévoués pour y organiser un comité central qui devait correspondre directement avec lui, et auquel tous les ligueurs seraient tenus d’obéir. Les émissaires du duc jetaient l’or à pleines mains, secondés d’ailleurs par l’ambassadeur d’Espagne, dont le maître, Philippe II, ayant aussi des prétentions à faire valoir sur la couronne de France, comprenait bien qu’il n’y avait de chance pour lui qu’au milieu de l’anarchie générale. Le comité central fut promptement organisé ; il se composait de bourgeois, de massacreurs de la Saint Barthélemy, de curés fanatiques, et de professeurs de l’Université. Des chefs furent donnés à tous les quartiers de Paris. On acheta des armes, on assigna des commandants militaires aux différentes subdivisions des conjurés. À cet effet, le duc envoya à Paris un grand nombre d’officiers lorrains ou espagnols, qui, au besoin, devaient guider toute cette multitude sans discipline ; en même temps le comité de Paris envoyait dans les provinces des affidés pour y organiser d’autres comités et établir des correspondances directes et régulières. La Ligue, comme un immense réseau, enveloppait toute la France. Il ne restait au roi qu’un petit nombre de soldats sur lesquels il pût compter, et l’appui incertain et timide du parti des politiques ; on appelait ainsi tous ceux qu’effrayait l’ambition du duc de Guise, et surtout l’audace de la multitude factieuse et turbulente dont il s’entourait. Si Henri de Guise était remarquable par la suite et la constance de ses projets, son caractère offrait aussi quelques analogies avec celui de son rival par la lenteur souvent inutile qui présidait à toutes ses démarches. Il semblait se défier toujours de ses forces, ne voulait rien confier à la fortune, et ne se trouvait jamais en mesure pour tenter un coup décisif. Le modèle qu’il se proposait d’imiter, c’était Pépin d’Héristal, dont l’usurpation avait été si habilement graduée, qu’il était devenu maître absolu presque sans secousse et sans avoir besoin de recourir à la force ouverte.

Guise, avec cette disposition à temporiser, éprouva combien il est difficile de gouverner une faction. Les ligueurs, ceux de Paris surtout, étaient impatients de ses lenteurs continuelles ; ils voulaient à tout moment prendre les armes, attaquer le Louvre, et tout terminer en un jour. De son côté, le duc prévoyait avec inquiétude les difficultés qu’après la victoire il éprouverait à régner sur une populace indisciplinée et à qui il devait tout ; chaque jour il inventait de nouveaux prétextes pour différer l’explosion d’un complot, et retardait à dessein son arrivée à Paris, où sa dignité se serait peut-être trouvée compromise avec les amis grossiers qu’il s’était donnés. Il leur envoya son frère le duc de Mayenne, pour leur faire prendre patience autant que pour retenir leur ardeur. Mayenne devait en outre examiner de près les chances de succès que présenterait un coup de main sur le Louvre.

À peine arrivé à Paris, Mayenne fut séduit par l’audace, le nombre et la bonne volonté des ligueurs ; il partagea bientôt leurs espérances, il donna les mains à leur projet. Un plan d’insurrection fut adopté. Les listes de proscription, accompagnement alors obligé de tout mouvement politique, furent dressées avec une épouvantable profusion. Mayenne donna le mot d’ordre, assigna les portes, désigna les lieux où des barricades seraient élevées, car il y a bien longtemps que les Parisiens connaissent ce moyen terrible de combattre des troupes régulières.

Mais le roi avait des espions parmi les ligueurs, au sein même du comité central. La veille de l’exécution, des troupes fidèles garnissaient les points principaux où les ligueurs devaient opérer. En voyant le nombre et la contenance de ces soldats, ils désespérèrent du succès, et pour cette fois renoncèrent à leur entreprise.

Mayenne, un peu honteux de son imprudence, retourna auprès de son frère, qui tança vertement le comité central, et en obtint la promesse de plus de patience, surtout de plus de docilité pour l’avenir ; d’ailleurs le roi ne sut ou ne voulut pas profiter du découragement momentané des ligueurs. Au lieu d’arrêter les chefs du complot, qui lui étaient connus, et de prendre vigoureusement l’offensive contre le grand agitateur, il laissa les conjurés se remettre de leurs frayeurs, se recruter de Lorrains et d’Espagnols, et concerter leurs mesures avec plus de réflexion ; quant au duc, il le crut trop puissant pour essayer de le punir, ou même pour lui faire sentir que ses projets lui étaient connus.

Henri III était alors en guerre contre le roi de Navarre, qui l’attaquait au midi ; en même temps une armée nombreuse de reîtres envoyés par les princes protestants d’au delà du Rhin, pénétrait en France à l’orient, et manœuvrait pour opérer sa jonction avec le Navarrais. Le duc de Guise, qui passait pour le plus habile capitaine du parti catholique, était désigné par toute la nation pour commander l’armée qui devait s’opposer à l’invasion des Allemands. Ce fut aussi lui que choisit Henri III ; mais il ne lui donna que peu de troupes, tandis qu’il envoyait contre le roi de Navarre son favori Joyeuse, avec une armée formidable. Il espérait que le duc de Guise serait battu, et que sa défaite, en le couvrant de honte, le déconsidérerait dans son parti.

Contre ses espérances et aussi contre les probabilités, Joyeuse fut battu et tué à Coutras, tandis que le duc de Guise obtint des succès décisifs. Par une suite de marches habiles, il voltigea autour de l’armée allemande sans se laisser entamer ; il la battit en détail, et lorsque plusieurs petits combats eurent diminué la supériorité numérique des reîtres, il les attaqua franchement et les tailla en pièces à Vimori et à Aulneau. Toute la France le nomma son sauveur, et il retourna dans son gouvernement plus puissant que jamais.

La nouvelle de ses victoires rendit aux ligueurs de Paris toute leur audace ; ils reprirent leurs projets de surprises et d’assassinat ; mais toujours trahis par les espions du roi, et désespérant de triompher sans leur chef, ils écrivirent au duc de venir se mettre à leur tête, menaçant, sur son refus, de donner un autre chef à l’union.

Cette menace fit cesser enfin ses irrésolutions, et le décida à venir à Paris. Le roi, sur la première nouvelle qu’il en avait eue, lui avait envoyé l’ordre de demeurer dans son gouvernement ; mais de désobéir au roi, il s’en souciait peu ; toute la question pour lui, c’était de savoir s’il était temps de risquer une tentative qu’il n’aurait voulu entreprendre qu’à coup sûr. En effet, il était douteux que ses partisans pussent tenir tête à la garnison royale, composée de soldats aguerris. Un général habitué à une guerre régulière a peu de confiance dans une multitude indisciplinée qu’une résistance sérieuse décourage, et qui passe dans un instant d’une confiance immodérée à une terreur aveugle. Mais le sort en était jeté, et, pour me servir d’une expression du duc de Guise, « il avait tiré l’épée contre son souverain, il fallait en jeter le fourreau. » Il partit donc pour diriger lui-même la révolution qui devait lui coûter la tête ou lui donner une couronne.

Pour opérer un grand mouvement populaire, il faut nécessairement mettre de son côté une apparence de justice, car il serait impossible d’entraîner la grande masse flottante qui décide du succès, si l’agression qu’on médite n’avait pas l’air d’être provoquée par le parti contraire. C’est cette idée qui explique la démarche singulière du duc aussitôt après son arrivée à Paris.

Il se rendit seul au Louvre, et se présenta devant le roi au moment où celui-ci venait d’apprendre qu’il avait quitté Soissons. Suivant toute apparence, son plan était d’irriter le roi, de le pousser à bout par son insolence, et de l’obliger à des menaces que ses partisans auraient ensuite exploitées. Il est vrai qu’il s’exposait beaucoup en se présentant seul devant un prince irrité, qui d’un mot pouvait faire tomber cent épées sur sa tête ; mais il avait calculé que parmi les courtisans il y en avait un grand nombre qui hésitaient, encore incertains entre la Ligue et le roi, attendant pour se décider que la victoire se déclarât pour l’un ou pour l’autre. Connaissant le caractère timide et irrésolu de Henri III, il se persuadait que ce prince ne pourrait jamais se déterminer de lui-même à un parti violent ; il espérait que sa témérité même lui imposerait ; enfin, il avait besoin de montrer de l’audace pour regagner la confiance des ligueurs, que ses lenteurs avaient un peu refroidis.

Le roi, en le voyant, s’emporta d’abord contre sa désobéissance à ses ordres ; puis s’échauffant à mesure qu’il parlait, il lui reprocha vivement ses menées factieuses. Il l’accusa d’ameuter le peuple, de remplir Paris de gens sans aveu et d’étrangers suspects. « Sa patience était lassée, disait-il, et le temps était venu de faire justice des coupables. »

Un instant le duc de Guise se crut perdu ; on le vit pâlir et perdre contenance, il balbutia quelques mots d’excuse. Henri, satisfait peut-être de l’avoir humilié, et fier comme tous les petits esprits d’un avantage momentané, crut en avoir assez fait, et parut se contenter de quelques protestations vagues que la position du duc lui avait arrachées ; peut-être aussi la multitude rassemblée autour du Louvre, sur le bruit de l’arrivée de Guise, l’intimida-t-elle lui-même, et lui fit-elle craindre de précipiter une émeute qu’il ne pourrait plus arrêter. Le duc sortit du Louvre sans obstacles, et respira plus à l’aise au milieu de la foule qui le reconduisit à son hôtel en le saluant de ses acclamations. La garde bourgeoise de Paris vint lui demander le mot d’ordre, refusant celui du roi ; des députations de toutes les corporations s’empressèrent de le complimenter et de lui faire des offres de service. Le Louvre paraissait désert auprès de son palais ; enfin, l’enthousiasme du peuple, la confiance des ligueurs, les dispositions belliqueuses des Parisiens, tout lui prouva que le moment était venu de tenter un grand coup, et qu’il n’avait qu’à vouloir pour être maître de Paris.

Après plusieurs jours de pourparlers sans résultat, le roi, se repentant un peu tard d’avoir laissé échapper un ennemi qu’il tenait entre ses mains, voulut faire montre de vigueur. Le 12 mai 1588, au matin, les troupes qu’il avait réunies prirent les armes et se répandirent dans la ville pour opérer quelques arrestations et faire des visites domiciliaires chez les habitants qui cachaient des étrangers ou des dépôts d’armes. Ces vaines démonstrations n’eurent d’autre effet que d’irriter les Parisiens. Le signal de l’émeute est donné, en un instant des barricades s’élèvent, des chaînes sont tendues dans les rues, et de tous côtés sortent des maisons des gens armés pour les défendre. Les troupes royales avaient été disposées avec la plus grande imprévoyance ; elles étaient dispersées, et n’occupaient que des points d’une importance secondaire ; d’ailleurs, le roi, aussitôt qu’il eut connaissance du premier tumulte, retomba dans ses éternelles irrésolutions. Il défend d’attaquer, et laisse tranquillement cerner et désarmer ses soldats éparpillés au hasard. C’est en vain que d’heure en heure on lui annonce la prise de quelque poste important ; en vain ses généraux le supplient de leur donner l’ordre de charger les rebelles, rien ne peut le tirer de la stupeur où il est plongé. Déjà les ligueurs avaient poussé leurs barricades jusqu’au Louvre sans qu’il eût pris un parti. Le duc de Guise cependant, qui avait laissé engager l’affaire sans y prendre part, commençait à parcourir les rues, animait le peuple par sa présence, tout en lui recommandant la modération, et faisant mettre en liberté les soldats du roi que les insurgés avaient faits prisonniers.

Vers la fin de la journée, toute la ville, à l’exception du Louvre, de la Bastille et de l’Arsenal, était au pouvoir des ligueurs. Il y avait encore au Louvre assez de troupes pour qu’on pût tenter un effort, mais le roi était trop abattu pour y songer. On dit que le duc lui fit offrir alors d’apaiser l’insurrection, à condition qu’il le désignerait pour son héritier, et le nommerait son lieutenant général avec les pleins pouvoirs que son père François de Guise avait eus sous François II. Henri comprit que c’était une abdication qu’on lui demandait ; il refusa. Mais s’il ne voulait pas soutenir les hasards d’un siége dans le Louvre, il n’avait plus qu’un seul parti à prendre, c’était de fuir, si toutefois il en avait encore le moyen. À la faveur de la nuit et du désordre, il sortit du Louvre, traversa au galop le faubourg Saint-Honoré, et gagna Saint-Cloud, qu’il abandonna bientôt pour chercher un asile plus sûr à Chartres.

Cette fuite déconcerta d’abord le duc de Guise. Il avait espéré faire le roi prisonnier et lui dicter des conditions. Son départ dérangeait ses calculs ; au lieu d’une émeute, c’était la guerre civile qui venait de commencer, et quoique les chances fussent en sa faveur, il voyait avec douleur remettre à la fortune la décision d’une entreprise dont il avait cru le succès assuré. Ne voulant pas arborer ouvertement l’étendard de la révolte, il reprit son système favori de temporisation, et ouvrit des négociations avec le roi. Cependant, de tous côtés les ligueurs s’armaient, s’emparaient des villes, achetaient les gouverneurs et embauchaient les soldats ; en même temps, pour s’assurer encore davantage Paris, le duc de Guise faisait changer la plupart des officiers de la garde bourgeoise et les remplaçait par des créatures de sa maison ; en un mot, il prenait toutes les mesures capables de lui assurer la victoire s’il était obligé d’avoir recours à la voie des armes. La reine mère était restée à Paris ; il affecta de l’entourer de ses respects tout en lui faisant voir la force de son parti et l’impuissance du roi pour lui résister ; il ne doutait pas qu’elle n’instruisît son fils de l’état des esprits, et il pensait avec raison que ce prince pusillanime consentirait à acheter la paix par toutes les concessions qu’il voudrait lui dicter.

Henri, qui redoutait la guerre encore plus que le duc de Guise, rejeta pourtant les premières propositions qui lui furent faites ; mais bientôt le découragement et l’inconstance de son caractère lui firent prêter l’oreille aux envoyés de la Ligue. Le 15 juillet, il signa le traité de paix auquel il avait d’abord refusé de souscrire ; il s’engageait à ne faire aucune recherche contre les auteurs des barricades, à donner aux ligueurs, comme places de sûreté, Orléans et six autres villes, à nommer le duc de Guise lieutenant général du royaume, enfin à exiler le duc d’Épernon, son favori.

De toutes les clauses du traité, la dernière fut la plus promptement exécutée ; le roi n’aimait personne, et ce n’était rien pour lui que de sacrifier ses plus fidèles serviteurs. Quant aux autres promesses que la nécessité lui avait arrachées, il est certain qu’il se réservait de ne les exécuter que le plus tard qu’il pourrait. Il trouva en effet mille prétextes pour ne pas envoyer au duc les lettres patentes de sa nouvelle dignité, et il fallut la crainte sérieuse d’une rupture pour qu’il s’y décidât. Un mot mal écrit à dessein dans le traité lui fournit l’occasion de chicanes interminables, et lui permit enfin de refuser tout à fait la remise d’Orléans, place qu’il regardait avec raison comme la clef du royaume.

Après une commotion aussi violente, suivie d’un traité consenti avec répugnance, et exécuté avec mauvaise foi, toute la France désirait voir finir un état de choses aussi précaire, qui ne promettait que la continuation des troubles qui la désolaient depuis si longtemps. La convocation des états généraux était universellement demandée ; on espérait que leurs délibérations apporteraient enfin la solution des importantes questions qui agitaient tous les esprits ; on se flattait que les partis respecteraient les décisions sanctionnées par la volonté des trois ordres de l’État. Le duc de Guise, assuré que la majorité des députés serait composée d’ardents ligueurs, hâtait de tous ses efforts la convocation de cette assemblée. De son côté, Henri montrait le même empressement. Il avait la réputation d’habile orateur, et il aimait les grandes cérémonies où ses manières pleines de noblesse frappaient la foule, et lui attiraient un respect qui lui prouvait qu’il était encore roi ; peut-être espérait-il influencer les délibérations des États, et ressaisir dans cette assemblée l’autorité qu’il avait perdue dans son royaume.

La ville de Blois fut choisie pour lieu de réunion des États, et leur ouverture fut fixée au 15 octobre 1588. Le roi s’y rendit le premier ; sa cour était encore nombreuse, et il menait avec lui ses gardes et beaucoup de gentilshommes dévoués. Cette suite ne pouvait pas inspirer de soupçons, car dans ce temps de troubles il était naturel que le roi pourvût à sa sûreté ; d’ailleurs, le duc de Guise se rendait de son côté à Blois avec un cortége de ligueurs et de gentilshommes lorrains qui lui formaient une cour à peu près aussi nombreuse que celle du roi. Il logeait dans une aile du château, entouré de sa maison ; Henri était dans une autre avec ses gardes et sa cour ; de part et d’autre on fut d’abord sur le qui-vive, et tout en observant les apparences de la confiance, on ne négligeait aucune précaution contre les surprises et la trahison.

Le roi ouvrit les États par un discours d’apparat qui fit une grande impression sur l’Assemblée, bien qu’elle fût prévenue contre lui. Après tant de concessions, tant de faiblesses, il retrouvait, à la surprise générale, des paroles pleines de raison et de dignité. Il exposa la situation du royaume, parla sans amertume des atteintes portées à son autorité, déclara qu’il voulait oublier le passé ; mais il demanda d’un ton ferme plus d’obéissance pour l’avenir.

Cette velléité de fermeté déplut fort au duc et l’alarma. Il se plaignit au roi de quelques expressions de son discours, et lui demanda de les supprimer dans le procès-verbal de la séance qu’on allait imprimer. Henri céda encore sans se faire trop prier. S’il lui restait des partisans dans l’assemblée des États, il était évident qu’ils devaient renoncer à soutenir les intérêts d’un prince qui de gaieté de cœur s’humiliait ainsi devant son ennemi. Dès lors les plus fougueux ligueurs eurent le champ libre pour faire à l’envi les propositions les plus incendiaires. Henri avait exprimé le désir qu’avant de déclarer le roi de Navarre déchu de ses droits éventuels au trône de France, on le sommât préalablement d’abjurer son hérésie. La chambre du clergé le déclara purement et simplement déchu. Cet exemple allait être suivi par les autres chambres, qui annonçaient hautement l’intention de procéder, non pas par représentations, comme il était d’usage alors, mais bien par résolutions. Il n’y avait plus de prérogative royale. Déclarer le roi de Navarre déchu, c’était obliger Henri III à désigner son successeur ; or ce successeur ne pouvait être autre que le duc de Guise. Combien de temps Henri aurait-il régné même de nom, ayant auprès de lui un successeur tel que celui qu’on allait lui donner ?

Sa situation était, on le voit, désespérée. Attendre les décisions des États et s’y soumettre, c’était s’abandonner au courant d’un fleuve qui se précipitait dans un abîme. Casser les États ou refuser de sanctionner leurs délibérations, c’était rallumer une guerre civile dans laquelle il devait succomber. Il n’avait ni argent ni armée. Une grande partie des places fortes de France était entre les mains de son rival. Tout obéissait au duc de Guise ; il levait lui-même les impôts et en fixait l’emploi ; ses créatures occupaient les charges les plus importantes ; les soldats l’adoraient. Quel parti restait au malheureux monarque ? Un seul ; c’était de se débarrasser de son adversaire par un coup de poignard.

Cette ressource était tellement unique, elle était tellement indiquée par la situation, qu’il est surprenant que le duc de Guise n’ait pas pris de mesures pour sa sûreté personnelle. Mais il méprisait trop son ennemi. Il était si bien accoutumé à le voir céder, qu’il ne pouvait croire qu’il pensât à briser la chaîne dont il resserrait les anneaux tous les jours. Le succès de la démarche hardie qui avait précédé les barricades lui faisait illusion. Une heure il était demeuré au pouvoir du roi, qui n’avait pas osé profiter de ses avantages. On ne peut se persuader que ce qui a réussi une fois ne réussira pas toujours, et l’on dort tranquille sur le bord d’un courant de lave refroidie, comme si la lave d’une nouvelle éruption ne pouvait pas franchir les limites de l’ancienne. D’ailleurs le duc de Guise éprouvait, comme tous les hommes occupés de grands projets, un dégoût profond pour ces précautions de tous les instants, qui suffiraient seules pour empêcher de suivre une grande idée. Qui voudrait d’une vie qui ne serait employée qu’à réfléchir aux moyens de la prolonger ? Guise recevait avec distraction les avertissements prophétiques des plus timides de ses partisans. Il se fiait à sa fortune, et ne répondait aux prédictions sinistres de ses amis que par ces mots : « On n’oserait. »

Le roi s’étudiait de son côté à augmenter sa sécurité. Il était pour lui prodigue de prévenances ; il affectait même avec lui une familiarité de bonhomie, et semblait chercher à soulager la mauvaise humeur que devait lui causer sa position, par des épigrammes et des plaisanteries qui déguisaient mieux ses projets que des caresses affectées ; enfin, et pour preuve solennelle de sa sincérité, il communia publiquement avec lui, et jura sur les Évangiles de maintenir le traité d’union.

Le vendredi 23 décembre, le duc est mandé par le roi de grand matin pour assister au conseil. Comme il traversait la cour du château, des soldats de la garde écossaise s’approchent de lui, et le prient de leur faire payer leur solde arriérée. Il voit avec plaisir que les propres serviteurs du roi s’adressent à lui de préférence à leur maître. Mais lorsqu’il est entré dans la salle du conseil, l’expression sinistre de quelques courtisans le surprend et l’inquiète. Une haie de soldats occupe la porte qu’il vient de franchir. Il s’arrête un instant incertain et troublé. Il cherche en vain quelque prétexte pour sortir. Le roi ne paraît point, et son anxiété redouble. Saisi d’un éblouissement subit, il est obligé de s’asseoir ; bientôt, reprenant son courage et sa sérénité, il s’avance d’un pas ferme vers le cabinet du roi. Au moment où il soulevait la portière en tapisserie, quelques assassins apostés se jettent sur lui et le frappent à coups redoublés. Il expira presque aussitôt.

En tuant son ennemi, Henri III se condamnait lui-même à une fin semblable. Jusqu’alors le mépris des ligueurs avait en quelque sorte adouci leur haine. Lorsqu’ils virent ce qu’il avait osé, ils osèrent eux-mêmes davantage. Guise était devenu pour eux un martyr dont le sang criait vengeance. Jacques Clément se chargea d’apaiser ses mânes.

François, Henri de Guise, Coligny, Henri de Valois périrent assassinés tous les quatre dans une période de vingt-six ans. L’histoire de leur époque n’est guère qu’une longue série de meurtres. Le poignard ou le poison, tels étaient au xvie siècle les moyens le plus fréquemment employés contre un ennemi politique ou particulier. À vrai dire, il n’y en avait guère d’autres auxquels on pût avoir recours. Quelle ressource avait le faible contre le fort ? Puissance était un synonyme de tyrannie. Des lois, il y en avait dans des recueils écrits, mais qui avait le pouvoir ou la volonté de les faire exécuter ? Faut-il s’étonner que des hommes élevés au milieu des discordes civiles, habitués aux armes, et regardant le courage comme la seule vertu, ne confiassent qu’à leur épée le soin de leur honneur ou la réussite de leurs projets ?

La religion, qui s’allie aisément avec toutes les passions humaines, ne tempérait pas ces mœurs brutales. Les uns ne la faisaient consister que dans des pratiques faciles à observer, et trouvaient dans leur accomplissement une excuse et une suffisante compensation à tous leurs excès. Les autres, choqués de la puérilité de ces pratiques, les rejetaient avec mépris, et avaient simplifié leur croyance, mais ils n’en avaient pas plus d’égards pour la morale que l’on peut tirer des livres saints.

Je suis assez porté à croire que la masse de vices et de vertus a été la même à toutes les époques ; aussi, je ne pense pas que nous valions beaucoup mieux que nos pères, bien que nous n’assassinions plus. L’assassinat était une forme de leurs passions, leurs passions sont encore les nôtres, mais elles ont d’autres formes ; seulement je crois que nous devons nous féliciter de vivre dans un temps où ces formes sont sensiblement adoucies.

1835.