Portraits et Souvenirs/Le Théâtre au concert

Société d’édition artistique (p. 191-205).

LE THÉÂTRE AU CONCERT


Les grands concerts, par le développement et l’importance qu’ils ont pris dans ces dernières années, par l’influence qu’ils exercent sur le goût du public, méritent la plus sérieuse attention. Au temps de mon enfance, les, privilégiés de la rue Bergère étaient seuls admis à entendre les chefs-d’œuvre de la musique instrumentale ; ils formaient dans le monde des amateurs une véritable aristocratie, jalouse de ses droits, et fière de ses privilèges. Le premier qui tenta de démocratiser la symphonie fut Seghers, un membre dissident de la Société des Concerts, qui dirigea pendant plusieurs années, dans une salle existant alors rue de la Chaussée-d’Antin, la Société de Sainte-Cécile. J’ai connu peu d’hommes animés d’une aussi grande passion pour la musique, d’un amour de l’art aussi profond et aussi désintéressé. Il joignait au culte des maîtres du passé une noble ardeur pour le mouvement moderne ; c’est dans ses concerts qu’on a entendu pour la première fois la Symphonie romaine et le finale de Loreley de Mendelssohn (qui passait encore à cette époque pour un révolutionnaire), l’ouverture de Manfred de Schumann, l’ouverture de Tannhäuser et la marche religieuse de Lohengrin, la Fuite en Égypte de Berlioz ; c’est là qu’on a exécuté les premières œuvres de Gounod et de Bizet.

L’orchestre était composé d’excellents artistes, dont quelques-uns sont devenus célèbres ; l’enthousiasme du chef passait dans la vaillante troupe ; mais le nerf de la guerre manquait. Pasdeloup vint, soutenu par un puissant bailleur de fonds, et éleva les fameux Concerts populaires sur les ruines de la Société de Sainte-Cécile.

Il y a une légende sur Pasdeloup ; je n’ai pas la prétention de la détruire, mais cela ne n’empêchera pas d’écrire l’histoire. Avant les Concerts populaires, Pasdeloup avait commencé modestement par la Société des Jeunes Artistes, dont les concerts avaient lieu dans la salle Herz, et là, s’était montré disposé à encourager le mouvement moderne, accueillant volontiers les œuvres inédites, luttant parfois pour les exécuter contre le mauvais vouloir de son jeune et indocile orchestre. Avec les Concerts populaires, ce fut autre chose ; il s’agissait de remplir une salle énorme, d’attirer le grand public, et de faire accroire qu’on lui donnait les concerts de la rue Bergère ; Pasdeloup se montra exclusivement classique et germanique, inscrivant en grosses lettres sur ses affiches : BEETHOVEN, MOZART, HAYDN, WEBER, MENDELSSOHN ; ce qui voulait dire au public : La musique de ces maîtres est seule digne de vos oreilles ; le reste ne mérite pas votre attention. Il opposa une barrière infranchissable à la jeune École française, à laquelle les Sociétés de Sainte-Cécile et des Jeunes Artistes avaient ouvert leurs portes, et qui ne demandait qu’à s’élancer dans la carrière. En veut-on une preuve ? Un beau jour (il y avait deux ans que les Concerts populaires existaient), je suis tout surpris de voir sur l’affiche un morceau de ma façon ; je vais entendre la répétition générale et, l’exécution étant bonne, je me tiens coi. Le concert a lieu, le morceau est bissé ; je vais le lendemain remercier Pasdeloup, qui me reçoit tout de travers, me disant d’un ton rogue qu’il a joué le morceau parce que ça lui plaisait, et nullement pour m’être agréable, et qu’il n’a pas besoin de mes remerciements ; et il s’écoula dix années sans que mon nom reparût sur ses programmes, sous prétexte que son public n’aimait pas les œuvres nouvelles.

Une autre fois, j’eus la naïveté de lui proposer, pour un concert spirituel, l’Oratorio de Noël que j’avais écrit pour l’église de la Madeleine. Au bout de huit mesures, il se leva en s’écriant avec mépris :

« Mais, c’est du Bach ! » et refusa d’en entendre davantage.

Si cet accueil m’eût été spécialement réservé, je n’en parlerais pas ; mais c’était pour moi comme pour tout le monde. Une symphonie de Gounod, une de Gouvy (toutes deux charmantes, et qu’on a grand tort de laisser oublier), l’ouverture des Francs-Juges de Berlioz, l’ouverture de la Muette, voilà à peu près toutes les concessions qu’il a fuites à l’École française pendant de longues années.

On imaginera sans doute qu’il eût été possible de créer, à côté des Concerts populaires, d’autres concerts chargés d’exploiter le répertoire que Pasdeloup laissait en souffrance ; mais on était alors en plein Empire, et sous ce régime de liberté auquel certaines gens voudraient nous ramener pour nous arracher à la tyrannie républicaine, on ne pouvait rien faire sans autorisation. Des tentatives eurent lieu, qui se heurtèrent à un refus formel. On ne voulait pas, disait-on, susciter une concurrence aux Concerts populaires, qui étaient « une institution ». Un nommé Malibran, neveu, je crois, de l’illustre cantatrice, était cependant parvenu a obtenir cette autorisation difficile ; il avait réuni des fonds, formé un orchestre, donné un premier concert qui avait eu beaucoup de succès. L’autorisation fut immédiatement retirée ; le pauvre artiste, ruiné, mourut de chagrin.

Plus tard, après 1870, Pasdeloup dut changer de système. Il écrivit une lettre aux journaux dans laquelle il s’engageait à ne plus jamais exécuter une note de musique allemande, ce qui était absurde et impraticable ; il le savait mieux que personne. Mais s’il ne pouvait rendre Beethoven responsable de la perte de l’Alsace, il pouvait mettre son orchestre à la disposition des compositeurs français ; c’est ce qu’il fit, et l’École française fut délivrée des chaînes qui arrêtaient son essor. Il s’est beaucoup targué depuis de l’avoir inventée ; la vérité est qu’il l’a paralysée aussi longtemps qu’il a pu, et ne lui est venu en aide que lorsqu’il y a trouvé son intérêt. Il lui faisait bien payer l’appui qu’il lui prêtait, par sa brusquerie, sa tyrannie, sa prétention à savoir toujours mieux que l’auteur comment un morceau devait être exécuté. « Je ne me trompe jamais, disait-il ; quand on aime la musique comme je l’aime, on ne peut pas se tromper. » De fait, il l’aimait sincèrement, passionnément, autant que sa nature peu artistique le lui permettait ; ce grand amour, ainsi que des services réels rendus à l’art, qu’il serait injuste de méconnaître, lui feront pardonner bien des choses, et on ne peut lui reprocher son incapacité dont il n’avait pas conscience. Elle était immense. On aura peine à croire qu’il ait fait exécuter tant de fois la Symphonie avec chœurs de Beethoven sans s’apercevoir que la partie de contralto, par une erreur du copiste, était écrite en maint endroit une octave trop haut ; c’est pourtant exact. L’immense vaisseau du Cirque-d’Hiver l’a beaucoup servi, en dissimulant des défauts d’exécution qui, dans une salle moins vaste, eussent choqué tout le monde.

Laissons le passé, et occupons-nous du présent. Nous vivons maintenant dans l’abondance des beaux concerts, et l’on est fort souvent embarrassé le dimanche pour savoir où aller, parce qu’on voudrait être partout à la fois. Une seule chose m’afflige quand je regarde les affiches : c’est que la symphonie tend à disparaître, menacée par l’envahissement de la musique écrite en vue du théâtre, laquelle prend indûment sa place.

Il est en art une vérité qu’on ne devrait jamais oublier, c’est que rien de ce qui n’est pas approprié prié à sa destination ne saurait être réellement bon. Choque œuvre doit être vue dans son cadre.

Dans la pratique, cette vérité, comme beaucoup d’autres, souffre des tempéraments. De tout temps, on a songé à enrichir les programmes de concert avec des fragments empruntés au théâtre, dont il y aurait grand dommage à se priver. Les ouvrages disparus du répertoire, ceux des théâtres étrangers contiennent des pages admirables que l’on n’entendrait jamais, si les concerts n’étaient pas là pour les recueillir ; mais ces infractions légitimes à une règle ne doivent pas devenir, la règle ; on doit, au contraire, garder dans les concerts la première place aux œuvres écrites spécialement pour eux, sous peine de fausser le goût du public et d’amener une décadence fatale. En France, on aime tellement le théâtre qu’on en mot partout. Nos jeunes compositeurs l’ont toujours en vue ; s’ils écrivent pour les concerts, au lieu d’œuvres réellement symphoniques ; ce sont trop souvent des fragments scéniques qu’ils nous donnent, des marches, des fêtes, des danses et des cortèges à travers lesquels on entrevoit, au lieu du rêve idéal de la symphonie, la réalité très positive de la rampe. Les fragments d’opéras sont devenus la première attraction des concerts, comme s’il n’y avait pas, dans la musique de concert proprement dite, un aliment suffisant pour l’appétit des amateurs.

Or, il y a tout un monde.

Haydn a écrit cent dix-huit symphonies ; la collection complète, en copies très correctes, est à la bibliothèque de notre Conservatoire. Beaucoup d’entre elles ne sont que de simples divertissements, écrits au jour le jour, pour les petits concerts quotidiens du prince Esterhazy ; mettons que le quart mérite d’être exécuté : cela fait encore un joli chiffre. En tout cas, les magnifiques et célèbres symphonies qu’Haydn écrivit à Londres, pour les concerts de Salomon, ont un droit incontestable à la lumière du jour. Haydn est le père de la musique instrumentale moderne ; qui ne connaît pas son œuvre ne saurait se mettre à un juste point de vue pour juger les œuvres actuelles ; dans ses deux oratorios, la Création, les Saisons, il a déployé une fertilité d’invention, une richesse de coloris qui tiennent du prodige, et de tels effets dont nos amateurs attribuent l’invention à Mendelssohn ou à Schumann existent déjà dans ces œuvres merveilleuses. Haydn possède un atticisme étonnant, analogue à celui de nos écrivains français du temps passé. Il sait toujours s’arrêter à temps, et sa musique n’engendre jamais l’ennui. Elle n’est ni shakespearienne, ni byronnienne, c’est évident ; Haydn n’était pas un agité, son style reflète la sérénité de sa belle âme. Est-ce une raison pour écarter ses œuvres ? Une galerie de tableaux se couvrirait de ridicule, si elle remisait au grenier un Pérugin, sous prétexte qu’on n’y trouve pas les effets troublants d’un Ruysdaël ou d’un Delacroix. Il en est d’un répertoire de concert comme d’une galerie de peinture : tout ce qui est bon doit y trouver place. Le public, mesurant volontiers la valeur des œuvres à l’intensité des sensations qu’elles lui font éprouver, se trompe du tout au tout : c’est l’élévation des idées, leur originalité, la profondeur du sentiment et la beauté du style qui font la valeur des œuvres, non le trouble plus ou moins grand que leur audition amène dans le système nerveux. La recherche de la sensation, lorsqu’elle devient le but de la musique, la tue à bref délai, amenant en peu de temps une monotonie insupportable et une exagération mortelle.

Avec Mozart, depuis que les éditeurs Breitkopf et Haertel ont publié ses œuvres complètes, nous sommes en possession d’une mine inépuisable. Mozart improvisait constamment : il y a un choix à faire dans le monde des œuvres qu’il nous a laissées ; mais le nombre des morceaux dignes d’admiration est vraiment extraordinaire. Les symphonies de Beethoven elles-mêmes n’ont pu réussir à éclipser la Symphonie en Sol mineur (sur laquelle Deldevez a écrit, dans Curiosités musicales, des lignes si fines et si instructives), la Symphonie en Ut majeur (Jupiter), dont l’adagio seul est une des merveilles de la musique. Les motets avec orchestre sont des chefs-d’œuvre, et leur vraie place est plutôt au concert qu’à l’église, où ils sembleraient aujourd’hui quelque peu mondains, comme toute la musique religieuse de la même époque ; et rien n’est comparable à la collection des concertos pour piano. Il y en a une trentaine, dont les deux tiers sont de premier ordre ; la variété des combinaisons, la richesse des effets, en font une création à part. On sait qu’il est de mode, chez les amateurs dits « avancés », de mépriser les concertos et, en général, tout ce qui touche à la virtuosité ; si bien qu’un riche répertoire, comprenant des œuvres de Sébastien Bach, Beethoven, Mozart, Mendelssohn, Schumann, et des meilleurs, est mis à l’index. On croit montrer ainsi une réelle délicatesse de goût : on ne montre, en réalité, qu’une profonde ignorance de l’histoire et de la nature de l’art, soit dit en passant et sans intention de froisser personne.

Beethoven n’a pas écrit que ses Neuf Symphonies. On a de lui des chœurs détachés avec orchestre, et son oratorio, le Christ au mont des Oliviers, qui n’est pas de sa grande man ière, mais dont le charme et la fraîcheur ne sauraient être trop vantés.

Inutile de parler de l’œuvre de Mendelssohn, il est assez connu ; cependant Élie, œuvre gigantesque, complet à tous les points de vue, chef-d’œuvre et type de l’oratorio moderne, a été bien rarement exécuté à Paris. Pour ce qui est de l’oratorio ancien, qui constitue a lui seul toute une bibliothèque, on a prétendu que notre public ne se l’assimilerait pas. C’est, un préjugé, et rien de plus : les tentatives de M. Lamoureux dans ce genre avaient attiré non seulement le public, mais la foule. Si nous avions une vaste salle munie d’un orgue, une société chorale et orchestrale formée en vue de ce genre, faisant entendre l’œuvre immense (et beaucoup plus varié qu’on ne le suppose) de Haendel, ce qui est possible d’exécuter, dans celle de Bach, et tant d’œuvres modernes, depuis Mendelssohn et Schumann jusqu’à Gounod et M. Massenet, en passant par Berlioz et Liszt, croit-on que le public lui ferait défaut ? Jules Simon, lorsqu’il était ministre, a caressé ce beau rêve artistique ; malheureusement les ministres passent, et les idées restent… sur le carreau. Pourtant nous ayons eu, en outre des brillantes tentatives de M. Lamoureux, les exécutions plus modestes dues à l’initiative de M. Bourgault-Ducoudray, celles de la Société Concordia. Tous ces essais ont prouvé la vitalité du genre et la faveur dont il jouirait près de notre public, si celui-ci était admis a le mieux connaître.

De Berlioz, on entend la Damnation de Faust et la Symphonie fantastique, quelquefois Roméo et Juliette ; on joue encore l’ouverture du Carnaval romain, plus rarement celle de Benvenuto Cellini, qui l’égale, si elle ne la surpasse. Mais l’Enfance du Christ, la symphonie Harold, les ouvertures et les chœurs détachés, tout cela aurait besoin d’exécutions réitérées pour entrer dans la mémoire et être goûté comme il convient. Nous avons des concerts dont chaque programme porte le nom de Richard Wagner, et nous n’en avons pas qui fassent le même honneur à Berlioz.

Enfin, il est souverainement injuste de ne pas exécuter les Poèmes symphoniques de Liszt, ses symphonies Faust et Dante. Musique de pianiste ! a-t-on dit ; mais Liszt, sur le piano, n’était pas du tout un « pianiste ». A qui ne l’a pas entendu dans son éclat, il est presque impossible d’en donner une idée ; Rubinstein seul pouvait le rappeler par sa puissance surhumaine, son grand sentiment artistique, son action énorme sur l’auditoire ; mais de telles natures ne sauraient être semblables, et Liszt était tout autre chose. Rubinstein domptait les difficultés comme Hercule terrassait l’hydre de Lerne ; devant Liszt, elles s’évanouissaient : le piano était pour lui une des formes de l’éloquence.

On l’a accusé de choses absurdes, d’avoir cherché à mettre en musique des systèmes philosophiques. Cela est complètement faux ; Liszt n’a jamais traduit musicalement que des idées poétiques, et si l’on veut condamner toute musique autre que la « musique pure », alors ce n’est pas seulement la sienne qu’il faudra rejeter, mais aussi la Symphonie pastorale, les symphonies et les ouvertures caractéristiques de Mendelssohn, tout Berlioz et tout Wagner. On a prétendu que ses œuvres étaient incompréhensibles ; cependant les Préludes, le Tasse ont été essayés à Paris avec un succès complet, alors que tant de pages de Berlioz, Schumann, Wagner, Mendelssohn même, n’ont pas été comprises du premier coup. Liszt a créé, avec ses Poèmes symphoniques, un genre nouveau : c’en est assez pour qu’il ait droit à une grande place dans les concerts symphoniques. En l’en exilant, comme on le fait, on ne commet pas seulement une injustice ; on supprime, au détriment du public, une page essentielle de l’histoire de l’art.

Sera-t-il permis de faire remarquer qu’avec tout l’œuvre de Berlioz, les oratorios et les pièces symphoniques de Gounod et de M. Massenet, les œuvres de Bizet, de Léo Delibes, de Lalo, de Godard, de Mmes de Grandval et Holmès, d’autres encore que je pourrais nommer, celles, si captivantes, des orientalistes, Félicien David avec son Désert magique et M. Reyer avec son délicieux Sélam les œuvres éclos sous l’inspiration du Grand Concours de la Ville de Paris, nous avons tout un répertoire français qui n’est pas tant à dédaigner ? Si vous voulez de l’exotique, vous pouvez prendre les symphonistes italiens, depuis Bazzini jusqu’à M. Sgambati, les Scandinaves, les Tchèques, les Hongrois, la brillante école belge, la puissante école russe, l’école allemande dont la fécondité est devenue tellement débordante qu’elle menace de se submerger elle-même ; l’école anglaise qui renaît de ses cendres, l’école américaine qui commence à naître ; et vous verrez que les concerts pourraient, s’ils le voulaient, ne rien devoir à la musique de théâtre ; que, s’ils lui ouvrent leurs portes, ce doit être à la condition qu’elle ne mettra qu’un pied chez eux, et non quatre ; et que notre public, qui croit tout connaître, ne possède qu’une faible partie des trésors auxquels il a droit.

Il me faut revenir sur l’erreur de Pasdeloup, à propos de la Symphonie avec chœurs de Beethoven ; car elle est tellement invraisemblable qu’on ne me croirait pas sur parole si je n’expliquais comment elle a pu se produire. Voici les faits : Dans la partition originale, les voix de soprano, de contralto et de ténor sont écrites à la manière classique, en clefs d’ut de trois espèces : première, troisième et quatrième lignes. L’éditeur qui le premier fit une édition française de cet œuvre colossal eut l’idée, fort légitime en soi, de tout réduire en clef de sol. On sait que pour les parties de ténor, quand on les écrit en clef de sol, l’usage est de le faire à l’octave aiguë de la note réelle. Le copiste chargé de la transposition connaissait cette règle, mais, peu familiarisé sans doute avec la clef du contralto, et ne sachant s’il devait transcrire la note réelle, comme pour le soprano ou la remonter d’une octave, comme pour le ténor, il a employé tour à tour les deux systèmes, passant de l’un à l’autre suivant son caprice, souvent d’une mesure à l’autre, parfois dans le courant d’une même mesure ; il en est résulté une chose sans nom, un horrible galimatias, une partie vocale qui tantôt descend dans les notes les plus graves du contralto, tantôt escalade les hauteurs les plus escarpées du soprano. C’est cette version que Pasdeloup a fait exécuter si souvent.

— Voilà bien la légèreté française ! diront les Allemands. Patience, chers voisins, ne vous hâtez pas de triompher : tous vos éditeurs n’ont pas été des Breitkopf et Haertel, et l’on peut trouver de mauvais musiciens dans la patrie de Beethoven, tout comme ailleurs. Il existe une partition allemande du Freischütz, pour piano et chant, dont l’auteur, pénétré de cette idée que le piano ne saurait soutenir les sons comme les instruments de l’orchestre, a imaginé de traduire toutes les rondes par une blanche suivie de deux noires ornées d’une élégante appogiature ; et là où Weber a écrit des tenues de plusieurs rondes, le rythme impitoyable est répété symétriquement à chaque mesure, aussi longtemps qu’il est nécessaire. Le beau chant de clarinette, dans l’ouverture, est soumis à ce régime extravagant.

Hélas ! le ver est dans le fruit superbe, et la perfection n’est pas de ce monde !