Polyhistor/Notice sur Caius Julius Solin

Traduction par Alphonse Agnant.
C. L. F. Panckoucke (p. 7-11).


NOTICE SUR C. J. SOLIN


SOLIN (Caius Julius), auquel on donne généralement le titre de grammairien (grammaticus) était peut-être, comme cette qualité semblerait l’indiquer, professeur de sciences et de belles-lettres, ou plutôt il était ce que nous appelons homme de lettres.

En adoptant cette dernière opinion, nous nous éloignons un peu de celle qu’émet la Biographie universelle. Pour expliquer la diversité des titres donnés à l’ouvrage de Solin, et la division des chapitres, en cinquante-six, en cinquante-sept, et même en soixante-dix, l’auteur de l’article sur Solin dit que les auditeurs de ce savant avaient recueilli ses leçons, ou que peut-être le professeur avait communiqué ses cahiers. Nulle part, cependant, Solin ne parle de ses auditeurs, de ses disciples.

Bien que Solin aborde quelquefois l’histoire et l’archéologie, on doit le considérer comme naturaliste et géographe.

Suivant l’opinion la plus accréditée, il naquit à Rome. On a beaucoup discuté sur l’époque à laquelle il vivait. Au dire de quelques-uns il fut antérieur à Pline 1 ; d’autres ont été jusqu’à prétendre qu’il vivait au siècle d’Auguste. Cette dernière opinion n’est pas soutenable. En effet, Pline, qui a l’habitude de citer ses autorités, n’aurait certainement pas manqué de faire mention de Solin. Ce dernier, d’ailleurs, parle au ch. xxix, de l’empereur Vespasien comme antérieur à son époque ; et Adventus, l’ami auquel notre auteur dédia son livre, fut consul en 218.

Contemporain du grammairien Censorinus, selon toute vrai-

1. Voir JAC. THOMAS, § 545, de Plagio ad Votium, lib. III, de Hist. Latinis, p. 720, 721.

semblance, Solin appartient à la première moitié du troisième siècle.

L’auteur que nous donnons ici, traduit en français pour la première fois, n’avait encore été interprété qu’en deux langues en allemand par Jean Heydan Francfort, 1600, in-f° ; et en italien par Louis Domenichi, Venise, 1603, in-4o.

La première édition de l’ouvrage de Solin, intitulée Julii Solini de mirabilibus mundi, a été donnée par Bonini Mombriti ; elle est sans date, et n’indique pas le lieu de l’impression. On présume qu’elle parut vers l’an 1470, et qu’elle fut imprimée à Venise ; toutefois, Bonini résidant à Milan, comme le fait assez voir le titre de Patricius Mediolanensis sous lequel on le désigne, on pourrait, avec quelque raison, émettre l’opinion qu’elle parut dans cette dernière ville. Elle est dédiée à un personnage fort inconnu, et il serait à souhaiter, pour la gloire de l’éditeur, que les quatre vers qui forment cette dédicace fussent restés aussi ignorés que celui pour qui ils ont été faits. Nous voulons, toutefois, laisser le lecteur juge de cette production, où le rhythme, à ce qu’il parait, a peu préoccupé l’auteur :

Accipe primitias nostri, vir summe, laboris,

Et disce parvo maxima saepe dari.

Quid nostrae possint, his experire novales

Frugibus ; exspectes jam meliora velim.

On ne reconnaît à l’édition de Bonini d’autre mérite que celui d’être la première.

Celle de Nicolas Jenson Français, donné à Venise en 1473, format gr. in-4o, est regardée comme bien supérieure. Voici son titre Julii Solini de situ orbi terrarum, et memorabilibus quae mundi ambitu continentur.

L’édition de Parme, 1480, et beaucoup d’autres, sont intitulées Rerum memorabilium collectanea, titre que Solin, dans sa première lettre à Adventus, reconnaît avoir choisi d’abord toutefois d’autres éditions postérieures ont adopté le titre de Mirabilibus, ou de Memorabilibus mundi. Solin dans la lettre dont nous venons de parler, déclare choisir définitivement pour titre Polyhistor. C’est celui que porte la première édition

qui parut à Paris en 1503 et c’est le seul que l’on doive adopter, d’après Solin lui-même. L’excellente édition que nous avons suivie, celle de Deux-Ponts, 1794, in-8°, donne une notice de toutes les éditions ; et, parmi celles-ci, les plus célèbres sont celle de J. Camers et celle de Saumaise, que nous aurons plus d’une fois occasion de citer, et dont les commentaires sont un monument de prodigieuse érudition. Fort souvent, il est vrai, Saumaise ne commente Solin que pour l’attaquer ; mais quelles que soient ses injustices à l’égard de notre auteur, il éclaircit des passages fort obscurs, soit dans ce dernier, soit dans Pline, dont Solin, a-t-on dit, n’est que le singe, comme on a dit de Silius Italicus, qu’il n’est que le singe de Virgile. Mais, à ce propos, n’y a-t-il pas, dans la Biographie universelle, une supposition un peu gratuite, lorsque l’on avance que sur quatre-vingt-seize auteurs environ cités par Solin jamais Pline n’est nommé, et que de là on conclut que peut-être les deux auteurs ont puisé à des sources communes ? Nous ne pouvons nous ranger à cette opinion. Solin a fait, selon nous, à l’égard de Pline, ce que font bien des écrivains, qui n’indiquent pas les sources où ils puisent. Quelquefois, sans doute, il est permis de s’approprier les idées d’autrui, en les rajeunissant, en les présentant sous une forme plus nette, plus vive, plus instructive, plus originale surtout ; malheureusement Solin n’a rien d’original, et en cela il diffère de ceux dont le génie excuse ou même consacre les emprunts. Remarquons, d’ailleurs, que s’il copie Pline, c’est très-souvent pour le délayer.

Pline avait, d’ailleurs, montré plus de conscience que son imitateur. « J’ai placé, dit-il, en tête de mes livres la liste des auteurs que j’ai mis à contribution il y a, ce me semble, de l’honnêteté et beaucoup d’ingénuité et de pudeur à confesser les larcins dont nous avons profité. Les auteurs auxquels j’ai fait des emprunts ont, pour la plupart, été plus discrets ; car je dois vous apprendre qu’en confrontant ces écrivains, j’ai surpris les plus renommés et les plus voisins de nous à transcrire mot à mot les anciens, et sans les nommer, n’imitant en cela ni le talent de Virgile, qui lutte avec ses modèles, ni la candeur de Cicéron, qui, dans ses livres de la République, convient qu’il imite Pla-

1. Hist. Nat., Liv. 1, Dédicace de Vespasien.

ton et qui dit, dans sa Consolation sur la mort de sa fille : « Je copie Crantor, » et dans ses Offices : « Je suis Panétius. Cependant ses ouvrages, vous le savez, sont de ceux qu’on doit avoir sans cesse, non pas à la main, mais dans la mémoire. Certes, il est d’une âme abjecte et d’un esprit étroit d’aimer mieux être surpris dans un larcin que de faire l’aveu d’un emprunt, lorsque surtout il faut rendre avec usure ce que l’on a dérobé 1 »

Dans sa seconde lettre à Adventus, Solin annonce qu’il extrait des écrivains les plus dignes de foi tout ce qui a rapport à la position des lieux, des mers, des diverses parties du monde. Il ajoute qu’il a décrit les caractères de l’homme et des animaux qu’il a porté son attention sur les plantes et les pierres précieuses qu’offre chaque pays, sur le physique et le moral de nations peu connues, enfin sur tout ce qu’il a trouvé digne d’être observé. Il aurait pu ajouter qu’il adopte, sans les combattre, une foule de fables.

Le style de Solin, simple le plus souvent, s’élève quelquefois ; de temps en temps même il a de l’élégance. Quelques expressions ne se rencontrent que chez lui mais généralement elles sont si justes qu’elles paraissent nécessaires. C’est ce que ne semble pas avoir remarqué Saumaise, qui, comme nous l’avons déjà dit, ne reconnaît pas assez le mérite de l’auteur qu’il a annoté, bien différent, en cela, de la plupart des commentateurs et traducteurs. Les deux énormes volumes in-f° consacrés à l’examen de Solin, sous le titre de Claudii Salmasii Plinianae exercitationes in Caii Julii Solini Polyhistora, imprimés d’abord à Paris, 1629, puis à Utrecht, 1689, sont une savante dépréciation plutôt qu’un commentaire impartial et consciencieux. Ce travail, d’ailleurs, est sur l’Histoire naturelle de Pline, plutôt que sur Solin lui-même. Pour nous, qui ne cherchons pas cependant à nous exagérer le mérite de notre auteur, nous pensons qu’après Aristote et Pline peu d’écrivains ont mieux traité que lui de l’histoire naturelle, et que parmi les géographes il tient également un rang distingué, quoiqu’au-dessous de Strabon, de Ptolémée, de Pline et de Pomponius Mela.

Au nombre des précieux auxiliaires dont nous avons pu dis-

1. Traduction de M. AYASSON DE GRANSAGNE.

poser pour notre travail, nous ne devons pas omettre de mentionner un manuscrit de Solin du XVe siècle et de la plus grande pureté, que M. Panckoucke, dont le goût était si exquis pour tout ce qui est utile et agréable, avait acquis quelques années avant sa mort, toujours préoccupé du monument qu’il élevait aux lettres latines.

A. AGNANT.