Poire Beurré Dilly


Beurré Dilly

Nouvelle Pomologie Belge.
Beurré Dilly.

La rectification du nom primitivement donné à cette poire est la question qui d’abord doit fixer notre attention. Nous allons donc chercher à exposer les faits dans toute leur simplicité.

Dans les derniers jours d’octobre 1854, un membre de la commission de la Société royale d’Horticulture de Tournai, apporta au jury permanent de pomologie trois poires et un scion d’une variété inconnue, remarquable par sa grosseur et sa beauté, déclarant que ces fruits lui avaient été remis par Alexandre Delannoy, pépiniériste, à Jollain, qui en était l’obtenteur. Le fruit fut trouvé exquis, remarquable tant sous le rapport de sa succulence, que sous celui de son volume, et le jury, à l’unanimité, lui décerna la couronne.

Se fiant au rapport de son commissaire, il décida que le fruit porterait le nom de Beurré Delannoy, et c’est sous ce nom qu’il fut d’abord propagé. En effet, nous trouvons dans le quatrième volume des Annales de pomologie belge et étrangère, publié en 1856, le Beurré Delannoy figuré et décrit par M.  Al. Bivort. « Son obtenteur, dit cet écrivain, est M.  Alexandre Delannoy, pépiniériste, à Wez, près de Tournai ; l’arbre mère âgé de 17 à 18 ans est très vigoureux, pyramidal ; son premier rapport date de 1848, et en 1850 il a été couronné à l’exposition d’horticulture de Tournai. »

M.  André Leroy, qui plus tard a également décrit cette variété dans son magnifique Dictionnaire de pomologie, se borne, quant à la partie historique, à reproduire la note publiée par M.  Bivort. Mais cette poire avait déjà auparavant été greffée par M.  Rabot, jardinier, à Tournai, qui chaque année en obtenait des fruits nombreux. Ce jardinier ayant appris que M.  Delannoy s’attribuait un gain qu’il n’avait pas fait, adressa des réclamations aux membres du jury, en leur faisant connaître que cette poire avait été gagnée par Antoine Dilly, maréchal ferrant, à Jollain. Sur ces réclamations, le jury ordonna une enquête ; deux de ses membres furent chargés de se rendre à Jollain pour vérifier les faits, et leur rapport fut la confirmation du dire de M.  Rabot. Le jury croyant avoir été trompé par Alexandre Delannoy, qui, en s’attribuant un gain qui n’était pas de lui, s’était fait décerner la médaille et avait ainsi trompé la Société, décida que son nom serait biffé des registres et que la poire porterait le nom de son véritable obtenteur : Beurré Dilly. Toutefois, dans l’intérêt de la vérité, les renseignements que nous avons reçus de la famille Dilly nous obligent de déclarer que ce n’est pas à son insu ni avec mauvaise foi que Delannoy avait cru pouvoir substituer son nom à celui du véritable obtenteur.

Appelé par le Cercle d’Arboriculture à faire une notice sur cet excellent fruit, nous nous sommes rendu à Jollain et nous avons trouvé le pied mère dans un magnifique état de prospérité dans l’ancien jardin Dilly, occupé actuellement par son petit-fils. Il résulte des renseignements que nous avons obtenus que c’est en 1822 qu’Antoine Dilly songea à faire quelques semis de poiriers ; un pépin s’était égaré dans la haie ; il devint un sujet vigoureux et c’est grâce à cette situation qu’il ne fut pas déplanté. Plus tard cependant cet arbre ne se mettant pas à fruit à cause de sa rusticité, Dilly jugea à propos de le faire greffer ; heureusement la greffe manqua et un scion vigoureux vint former une nouvelle tête à l’arbre. En 1810, Dilly se promenant dans son jardin vit quelques poires tombées dans le gazon, il les dégusta et fut frappé de la bonté du fruit produit par ce sauvageon. À partir de ce moment, il ne fut plus question de le greffer ! En effet, l’arbre se mit rapidement à fruit et, quelques années après, Dilly en vendit 1500 pour une valeur de 75 francs en conservant 600 pour sa consommation. Nous citons ce fait pour prouver combien nous avons eu raison d’indiquer ce fruit comme une des plus précieuses poires de verger.

La relation des faits que nous venons de rapporter démontre à l’évidence la véritable origine du Beurré Dilly ; il ne peut plus y avoir l’ombre d’un doute à cet égard. Nous engageons donc vivement tous nos pépiniéristes et amateurs à rejeter de leur catalogue le nom de Beurré Delannoy et à ne propager ce fruit que sous sa vraie dénomination : Beurré Dilly.

L’arbre se prête à toutes les formes et fait des pyramides à la perfection ; mais il est surtout recommendable pour la culture en plein vent. Lorsqu’en entrant dans un verger, vous apercevez un arbre vigoureux, pyramidal, dont le sommet dépasse majestueusement tous les arbres qui l’environnent, vous pouvez être convaincu que vous avez devant vous le Beurré Dilly ! Il n’a nullement besoin d’être soumis à une taille régulière ; lorsqu’il a été bien dirigé pendant les premières années, il suffit d’évider tous les deux ans les branches qui feraient confusion, afin que l’air et le soleil puissent y pénétrer. Plus que toute autre poire, le Beurré Dilly, pour atteindre toute sa perfection, réclame l’action de la chaleur et de la lumière. Sans ces influences, le fruit reste vert et perd énormément de ses qualités.

La description des diverses parties de l’arbre et du fruit a été donnée dans la Pomone Tournaisienne de M.  B. Du Mortier ; nous ne pouvons mieux faire que de la reproduire.

« Arbre. — Vigoureux et se mettant promptement à fruit, pyramidal, élevé. Scions allongés, vigoureux, bruns, roux. Bourgeons coniques, écartés du scion. Boutons à fruit ovales, pointus.

« Feuilles. — Larges, ovales, arrondies à la base, aplaties, dentées, brièvement pétiolées ; stipules filiformes, rapprochées du scion.

« Fleurs. — Petites, pétales oblongs.

« Fruit. — Très gros, largement pyriforme, atténué au sommet ; pédoncule moyen, délié ; calice subaffleurant, étalé ; peau vert jaunâtre, maculée de roux ; chair beurrée, fondante, très juteuse, très sucrée, délicieuse, eau abondante, exquise, fruit hors ligne.

« Maturité. — Octobre et novembre.

L’appréciation de M.  André Leroy n’est pas moins élogieuse : « Cette poire, dit-il, est à chair blanchâtre, fine, juteuse, fondante, quelque peu pierreuse au dessous des loges. — Eau abondante, sucrée acidulée, douée d’une saveur réellement exquise. »

En résumé, fruit de très belle dimension, de forme parfaite, solidement attaché à l’arbre, fertilité incomparable et constante, goût exquis, telles sont les qualités qui caractérisent la poire que nous recommandons et qui doit trouver sa place dans tous les vergers et les jardins d’amateurs.

Delrue-Schrevens.