Poesies - Francis Pittie

POÉSIES



I


PENDANT UNE ABSENCE


Comme je m’irritais des lenteurs du retour,
Celle dont je portais déjà l’étroite chaîne
M’apparut, et blessé d’une flèche soudaine,
Je connus la profonde angoisse de l’amour.

Ses beaux yeux, dont l’éclat peut effacer le jour,
Sans doute par pitié pour ma poignante peine,
Se fixèrent sur moi, sans colère et sans haine :
« O mon cœur, ai-je dit, saigne ! voici ton tour. »

Elle passa, sereine et grave ; sous ses voiles
Ses regards scintillaient, ainsi que des étoiles,
Et leurs rayons charmants ont pénétré ma chair.

Angoisse de l’amour, douleur, tu m’es sacrée ;
O tourment immortel des âmes, tu m’es cher,
Depuis ce soir divin où je l’ai rencontrée.


II


SOLUS ERIS


Je veux, m’étais-je dit, sous ses pieds adorés
Faire germer les lis de l’éternelle joie ;
Je veux qu’à flots nombreux le velours et la soie
Du temple de sa vie inondent les degrés.

Je veux qu’en la voyant chacun dise C’est elle !
Elle, la Beatrix de ce Dante nouveau,
Celle qui fait éclore en ce puissant cerveau,
Comme une fleur de feu, la pensée immortelle.

Je veux que sa beauté soit le vivant soleil,
L’astre clément et sûr dont s’éclaire ma route ;
Je veux que pour mon cœur, qui la reflète toute,
Elle soit le flambeau, le guide et le conseil.

Je veux que sur son front, où la pudeur rayonne,
Le vert laurier s’enlace aux myrtes de Cypris,
Et que l’âge futur, de ses grâces épris,
Dise : C’était sa Muse ! et c’était sa madone !

Je veux que l’avenir charmé sache son nom ;
Oh ! je veux dans le ciel des Elvire et des Laure,
Sur l’aile de mes vers porter ce nom sonore,
Et graver sur l’airain son immortel renom.

Mais ce n’est point assez d’une gloire lointaine :
Devant elle chassant le terrestre souci,
Attentif serviteur, je veux, je veux aussi
Sous un dais triomphal l’asseoir comme une reine.

Je veux que les trésors par l’esprit enfantés
Exaltent tour à tour et lassent son envie ;
Je veux que tous les arts répandent sur sa vie
Un éblouissement de feux et de clartés.

Je veux que les plus grands, je veux que les plus belles
Sous son sceptre charmant se courbent volontiers,
Et qu’elle règne ainsi, tout un peuple à ses pieds,
Idole d’une cour qui n’a point de rebelles.

Dans le vertigineux enivrement du bal.
Je veux qu’au frôlement de sa robe de gaze
La foule des danseurs se montre avec extase
La rhythmique grandeur de son geste idéal.

Quand sur le noir velours dont s’encadre sa loge
Elle rêve, perdue en un songe profond,
Je veux que du parterre au cintre du plafond
Toute lèvre, à son nom, s’entr’ouvrc pour l’éloge.

Mais surtout, oh ! surtout, dans le mystique chœur,
Dans le temple secret où j’ai mis son image,
Oh ! je veux entourer d’un éternel hommage
L’indestructible autel que lui dresse mon cœur.

Je veux que mon amour soit comme un tabernacle,
Comme le sanctuaire où sa divinité
Rayonne, dans l’éclat de sa toute-beauté,
Au-dessus du vertige, au delà de l’obstacle.

Ainsi, d’une espérance invincible rempli,
Je chantais la divine amante de mon rêve ;
Mais mon vouloir trompé dans la douleur s’achève,
Le temple de mon cœur s’écroule dans l’oubli.

Je récolte l’affront, je recueille l’insulte
Au pied de cet autel bâti par mon amour ;
Celle que j’adorais a détruit sans retour
L’idéal sanctuaire où j’exaltais son culte.

Et dans l’âpre chemin de l’éternel devoir
Je reprends tristement ma tâche solitaire.
Hélas ! qui donc peut croire à l’Eden sur la terre ?
Et par quels deuils poignants s’achète le savoir !


Francis PITTIÉ.