Poésies nouvelles (Tastu)/Peau-d’Âne, mythe/L’Épilogue

Peau-d’Âne, mythe
Poésies nouvellesDidier, Libraire-Éditeur (p. 57-64).

L’ÉPILOGUE.

Le conte de Peau-d’Âne est difficile à croire.
Perrault.


Vous, qui toujours bercez quelque chimère
Art, poésie, amour, ambition,
Quand, en secret, d’un espoir éphémère
Vous caressez la belle vision,
Tremblant de voir, aux lueurs du scrupule,
Au souffle froid du bon sens incrédule,
Son frêle éclat s’envoler sans retour,
Vous la cachez dans le fond de votre âme,
Comme ces fils délicats dont la trame
Redoute l’air, la chaleur et le jour.

Le fils du roi, tout plein de la merveille
Cachée au fond d’un sombre corridor,
Ne rêve plus, soit qu’il dorme ou qu’il veille,
Que cheveux blonds, diamans, robe d’or.
— « Comment savoir quelle était cette belle ?
Se disait-il ; car d’oser parler d’elle
C’est temps perdu, les gens me croiront fou. »
La chose, au fait, avait quelque apparence.
Un jour pourtant, d’un air d’indifférence,
Il demanda : — Qui donc loge en ce trou ?

— Là-bas ? — là-bas ? — monseigneur, c’est Peau-d’Âne
— Peau-d’Âne ! Qui, Peau-d’Âne ? — Une souillon,
Digne des soins où le sort la condamne,
Et de l’habit dont elle a pris le nom ;
De cette ferme, enfin, la dindonnière.
— Peau-d’Âne !… Quoi ! cet ange de lumière
Que j’ai cru voir ? Ai-je perdu l’esprit ?
Me raille t-on ? » Et dans ce doute étrange,
Il se tourmente, il ne dort, ni ne mange,
Tant et si bien, que la fièvre le prit.

Le roi son père, et la reine sa mère,
Aimant leur fils d’un amour tout bourgeois,
Saisis tous deux d’une douleur amère,
Près de son lit accourent à la fois,
Lui demandant ce qu’il veut qu’on lui donne :
Palais, trésors, tout, jusqu’à la couronne,
Tout est à lui. « — Gardez sceptre et château,
Gardez, dit-il. » Et de l’air d’un malade,
À qui tout nuit et tout mets semble fade :
Je ne veux rien, si ce n’est un gâteau

Fait par Peau d’Âne. » Et la reine s’étonne :
Un cœur de mère est prompt à s’effrayer.
— D’où vient ce nom ? Quelle est cette personne ?
— Personne est trop, répond un écuyer ;
Bête plutôt, et bête la plus laide
Qu’on puisse voir ; d’amour un vrai remède ;
Propre à garder les dindons tout au plus,
Comme elle fait. — N’importe ! à ce caprice,

Si c’en est un, j’entends qu’on obéisse :
Pour un malade il n’est point de refus.

On court aux champs chercher la dindonnière,
Pour lui transmettre, avec force lardons,
L’ordre qui rend de si folle manière
Un fils de roi rival de ses dindons.
Ô vieux récits ! ne peut-on vous redire,
Sans qu’à la bouche il nous vienne un sourire ?
Pour nous montrer fille d’un rang si haut
Sachant pétrir ou laver la lessive,
Sans perdre en rien sa gravité naïve,
Il faut sans doute être Homère ou Perrault.

Pour nous, maudits, qui vivons de blasphèmes,
Croisant les bras sur notre sein blasé,
Nous nous moquons de tout, et de nous-mêmes,
Ou nous creusons dans un sol épuisé.
De l’art passé troublant la sépulture,
Nous exhumons quelque noble figure,
Mais, sans pouvoir ranimer sa beauté ;
D’un vain scalpel nous fouillons ses entrailles,
Pour découvrir, avant ses funérailles,
Par quel secret ce corps a palpité !

Ces vieux conteurs, enfantins et sublimes,
Pleins dans leur art de simplesse et de foi,
Vous rediraient, mieux qu’en ces folles rimes,
Comment Peau-d’Âne, au nom du fils du roi,
Courut à l’œuvre, et d’abord se fit belle,

Mit son jupon chamarré de dentelle
En falbalas, et son corset d’argent ;
Comment, pétris par cette main divine
Les œufs, le beurre et la fleur de farine
Firent honneur à son art diligent.

Mais je crains bien que ce siècle maussade,
Pour son gâteau délicat et doré,
N’ait moins de goût que l’amoureux malade,
Qui se jeta sur le mets désiré :
Même, en mangeant avec trop de vitesse,
Faillit, dit-on, s’étrangler Son Altesse :
L’amour goulu quelquefois est fatal ;
Car dans la pâte, exprès, dit un bruit vague
L’infante avait laissé glisser sa bague :
Du prince épris elle empira le mal.

Sa fièvre croit de son impatience.
Mandé soudain, le docteur de la cour,
Puits de sagesse, oracle de science,
Dit que le prince est malade d’amour.
Bientôt du roi les plaintes solennelles,
S’aidant encor des larmes maternelles,
Du bel objet sollicitent le nom.
« — Eh bien ! voyez cette bague mignonne :
J’épouserai sans faute la personne
Qui la peut mettre. » — On n’osa dire non.

Il fait beau voir, à ce bruit, les princesses,
Dit le conteur, s’aménuiser les doigts ,

Mais sans succès. Marquises et duchesses
Eurent leur tour ; puis les attraits bourgeois.
Chacune en vain, à l’épreuve échauffée,
Croit l’emporter ; car la bague était fée,
Et les serrait à les faire crier.
Tout y passa, grisette et chambrière :
Mais n’ayez peur qu’une bague si fière
S’aille élargir pour un doigt roturier.

Le sexe entier, noble ou non, fille ou veuve ,
Hormis Peau-d’Âne, est venu concourir.
« — Et pourquoi donc l’excepter de l’épreuve ?
Dit le bon roi ; qu’on aille la quérir !
Ses officiers y courent au plus vite.
Déjà l’infante attendait leur visite,
Et les suivit, dédaignant leurs bons mots ;
Mais, au palais, quand de cette peau noire
On vit sortir un petit doigt d’ivoire
Qui mit l’anneau sans efforts, que de sots !

« — Oui, c’est bien vous, je vous ai reconnue,
Lui dit le prince, embrassant ses genoux ;
Comme au moment où mes yeux vous ont vue,
Dans votre éclat, de grâce, montrez-vous !
Elle hésitait, incertaine et craintive ;
Mais dans son char soudain la fée arrive :
« — Sans peur, ma fille, acceptez cet époux,
Il vous mérite ! » — Et d’un coup de baguette,
De la princesse elle fit la toilette,
À rendre au ciel tous les astres jaloux.

Devenu roi, le prince, on peut le croire,
Dut s’applaudir de cet illustre hymen.
Quand la beauté nous conduit à la gloire,
Facile et doux nous semble le chemin.
Durant le cours de cent longues années,
Que ces époux prirent pour des journées,
Comme l’amour, le bonheur fut constant.
Qui que tu sois, ô toi dont le courage,
Les yeux ouverts, finira cette page,
Ami lecteur, je t’en souhaite autant !