Poésies lyriques/Watervliet

Poésies lyriquesAuguste Decq (p. 137-140).


WATERVLIET


1831


 
Mort pour la Patrie.



C’est ici que tomba l’élite de nos Braves,
C’est ici que mon frère est mort pour son pays,
Mort, à vingt ans, sous les canons bataves,
La tête emportée en débris.

Oh ! celui-là du moins n’a pas jeté ses armes,
N’a pas abandonné son poste périlleux ;
Inaccessible et sourd à d’indignes alarmes,
Il est tombé sans peur et sans baisser les yeux.


C’est bien ! il a rempli sa tâche,
Et nul, mon Père, ne viendra
Te dire : Ton fils fut un lâche.
C’est bien ! gloire à qui le suivra !

Gloire ? non, non, pitié, pitié pour tous ces hommes
Pour qui le don d’un sabre est un bienfait du ciel,
Qui, l’œil tout rayonnant, répondent : nous y sommes ;
Quand du tambour ils entendent l’appel ;

Plongent dans les combats comme au fond d’une orgie,
Et, de retour au camp sous un drapeau vainqueur,
Jettent de longs regards sur la plaine rougie
Où sous le feu s’exalta leur valeur ;

Puis tombent, égarés, sur un lit de souffrance,
Et meurent dans leur sang en se plaignant tout haut
Que le vieux général qui guida leur vaillance
Toujours au camp les ramène trop tôt.

Soldats ! pour le bonheur du monde,
Vous ne pouvez plus rien ; non, vos chefs ne sont plus
Les symboles vivants du Verbe qui féconde :
Place donc à d’autres élus !

Place ! l’humanité ne veut plus de la guerre,
Et, du sein de vos rangs troués par le canon,
Ne s’élancera plus au sommet de la terre
Charlemagne ou Napoléon.


En vain reclouez-vous le char de la vengeance,
Dans la tranchée, en vain, rougissent les boulets,
S’ajuste la cuirasse et s aiguise la lance,
Et frémit l’acier des mousquets ;

Dieu ne permettra pas que votre main impure
Brise l’agrafe d’or de la riche ceinture
D’amour et de beauté,
Que lui-même a nouée autour des flancs sauvages
De la terre souffrante et livrée aux ravages
De l’homme révolté,
Pour calmer ses douleurs, pour amortir ses haines,
Et pour transmettre au sang qui coule dans ses veines
Sa propre sainteté.

Jetez donc là le glaive et ce sombre plumage
Qui se flétrit et tombe au souffle de la Paix,
Et jonchera bientôt de son vain étalage
L’antichambre de nos palais.

Soldats ! je vous le dis : l’homme est las de la guerre.
Le sang versé par vous sera du sang perdu,
Quelque pur qu’il puisse être ; aussi le tien, mon frère,
Fut-il vainement répandu,

Et ne fera-t-il pas, au fond de nos vallées,
Disparaître et périr l’herbe aux sucs vénéneux,
Ni pousser, dans nos champs, des gerbes étoilées
Aux épis plus nombreux.


Et pourtant je ne puis te plaindre,
Je ne regrette pas ta mort,
Et je sens, chaque jour, s’éteindre
Ma tendre pitié pour ton sort.

Échappé grand et pur d’un combat trop funeste,
On aurait fait de toi ce qu’on a fait de nous ;
On t’aurait vendu, frère, en masse, avec le reste,
A notre vieux maître en courroux,

Tandis que maintenant, loin d’un peuple d’esclaves,
Tu dors enveloppé dans ton grand manteau bleu,
Tu dors heureux et libre et cher à tous les braves
Au sein paternel de ton Dieu !